- Le commerce vénitien au Moyen Âge
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Histoire de Venise
L'histoire de Venise repose sur un paradoxe : comment quelques îlots du nord-ouest de l'Adriatique, cernés par la vase, ont donné naissance à la capitale d'un empire maritime et commercial et au plus grand port du Moyen Âge ? À partir du XVIe siècle, la ville entre dans un déclin politique et économique mais connaît un très fort rayonnement culturel. En 1797, Bonaparte met fin à son indépendance. La cité rejoint ensuite le royaume d'Italie en 1866. L'attraction de Venise continue encore aujourd'hui : nombreux sont les touristes charmés par l'originalité du site et par la richesse de ses monuments, produits d'une histoire prestigieuse.
Formation progressive de la ville (Ve siècle-IXe siècle)
L'historiographie vénitienne tourne au mythe quand on aborde les premiers siècles de son histoire[1]. Traditionnellement, on raconte que la ville fut précisément fondée le 25 mars 421 dans les îlots du rivus altus (devenu le Rialto) par trois consuls venus de Padoue. L'invasion de l'Italie par les Huns d'Attila aurait provoqué l'installation de réfugiés sur les îlots de la lagune, en particulier sur le Rialto. Au VIIe siècle, les Vénitiens auraient confié le pouvoir à un doge. Il s'avère que ces quelques jalons historiques sont faux ou caricaturaux. Il n'en reste pas moins que Venise est « un fait d'urbanisation exceptionnelle »[2].
Une occupation romaine
Les fouilles archéologiques ont révélé que les îles et le cordon littoral de la lagune étaient déjà occupée par les hommes au temps de l'empire romain. Il s'agissait surtout de pêcheurs exploitant les salines et vivant dans des hameaux. Depuis 1995-2000, les découvertes sur des sites aujourd'hui immergés révèlent la forte densité de peuplement dans certaines zones[3]. Les vestiges de l'époque romaine sont sous un ou deux mètres d'eau. Des bouleversements hydrographiques, ainsi que la transgression marine, provoquèrent des inondations, et obligèrent la population à évacuer la plupart des îlots aux Ve et VIe siècle : de sorte que lorsque Cassiodore, fonctionnaire du royaume ostrogoth, décrivit la lagune en 537-538 , elle offrait un paysage de roseaux et de vase, où quelques pêcheurs menaient une vie chiche et étriquée.
L'exode massif vers la lagune
Couplée à une stabilisation, puis à une baisse, du niveau de la mer, l'invasion des Huns puis des Ostrogoths en Italie amena les premiers réfugiés sur la lagune. Mais ce fut surtout l'arrivée des Lombards dans la région de Vicence, Vérone, Trévise et Padoue, vers 568, qui déclencha une migration massive vers le littoral et ses îlots. La population romaine fuyait devant l'envahisseur, parfois en désordre, parfois derrière son clergé et ses chefs.
- Les habitants d'Oderzo, ville prise par Rotaric en 639, fondèrent sur le cordon littoral Civitas Novas
- L'îlot de Torcello fut peuplé de réfugiés d'Altino, guidés par leur évêque.
- Malamocco reçut des Padouans
- À Grado, s'installèrent des habitants d'Aquilée.
Bref, « l'établissement fut d'abord diffus, éparpillé en un grand nombre de petites agglomérations, chaque communauté se fixant à part, isolée des autres »[4]. Certains habitats furent précaires ; d'autres apparaissaient mieux ancrés, comme à Torcello. Cette population, issue de la terre ferme, trouva dans la lagune une double protection : celle du milieu marécageux - que les chevaux des Barbares ne pouvaient atteindre - et celle des Byzantins, qui essayaient de s'accrocher sur le littoral italien.
L'insécurité ambiante empêchant le retour des réfugiés, ces derniers furent contraints de constituer une nouvelle ville sur la lagune. Des travaux d'aménagement furent entrepris : on consolida les rives, on draina les sols, on construisit des maisons en bois et des monuments en brique ou en pierre. Les matériaux furent cherchés sur la terre ferme. Rapidement, s'élevèrent de petites cités et des églises comme la basilique de la Vierge à Torcello, en 639. D'agricole (pêche, vignes, arboriculture, sel), l'économie se diversifia dès le VIIe siècle vers l'artisanat (travail du verre, de la corne, puis du bronze) et le commerce.
La ville naissante se posa en intermédiaire commerciale entre l'Occident et l'Empire byzantin. Par elle, plus exactement par Torcello, transitaient les produits d'Orient (soieries de luxe, épices, métaux précieux) et ceux d'Europe de l'Ouest (sel, bois, esclaves)[5].
Émergence d'un centre : Rialto
Au VIIIe siècle, Venise formait une agglomération multipolaire. Chacun sur leurs îlots ou leur bande de sable, Torcello, le grand comptoir commercial, Cittanova et Malamocco, où résidait le pouvoir politique, Rialto constituaient les principaux centres de la lagune. Peu à peu, les hommes, les richesses, les activités tendirent à se concentrer à Rialto, l'île au cœur de l'enclave aquatique. Parmi ses avantages, elle proposait un accostage facile pour les embarcations de grand tirant d'eau (Rialto vient de « Rivo Altus », la rive haute). Le commerce maritime s'en trouvait facilité. Au contraire, à cause d'une modification du cours des rivières qui se jettent au nord de la lagune, le Dese, le Sile, les autres îles connaissaient une sédimentation qui obstruait la navigation. La prééminence de Rialto fut renforcée en 810 par l'installation du chef de Venise, le doge Angelo Participazio. Ce fut donc progressivement que Rialto devint le centre de Venise.
Émancipation de Byzance
La chronique de Giacomo Diacono, chroniqueur du XIe siècle, raconte qu'au VIIe siècle, les Vénitiens élirent un doge pour les gouverner. L'historien Donald M. Nicol a montré que ce fait relève du mythe[6]. En fait, le doge n'était pas un Vénitien élu par ses compatriotes mais un magistrat byzantin, l'exarque de Ravenne, dont le pouvoir s'étendait jusqu'à Venise.
Après la disparition de l'Empire Romain d'Occident en 476, les Byzantins assuraient la défense de l'Italie contre les Barbares. Mais au cours du haut Moyen Âge, ils tenaient de plus en plus difficilement leurs points d'ancrage. Les Lombards les chassèrent de Ravenne. Menacée par d'autres ennemis, Byzance s'appuya de plus en plus sur la richesse et la puissance navale croissante de Venise. D'un statut de sujétion par rapport aux Byzantins, la cité lagunaire glissa vers une position d'alliée. Au XIe siècle, elle finit par organiser des expéditions navales pour le compte des Byzantins. En récompense des victoires militaires, les marchands vénitiens obtinrent des privilèges commerciaux. La soumission à Byzance s'avérait théorique.
En 810, la ville résista à Charlemagne, empereur mais aussi roi des Lombards.
Un fait marqua l'émancipation de Venise à l'égard de Byzance : en 828, saint Marc, dont les prétendues reliques venaient d'être ramenées d'Alexandrie par deux marins, remplaça Théodore comme patron de la ville. Autrement dit, un saint qu'on pourrait qualifier de latin remplaçait un saint portant un nom grec.
La ville médiévale (IXe siècle-1500)
Organisation politique
Le gouvernement est entre les mains d'une oligarchie qui domine le grand conseil (Maggior Consiglio institué en 1172), un organisme de forme républicaine, fut constitué qui élit le doge à vie. Son nom vient du mot Duce [7].
Le conseil des Dix créé en 1310 était un comité exécutif et un tribunal spécial doté de pouvoirs exceptionnels, il assura la protection du pouvoir, ce fut un instrument de lutte politique et il fut même utilisé pour envoyer à l'échafaud le doge (Marino Faliero en 1355). Ce conseil associé au trois inquisiteurs d'État (institué en 1454 d'après Pierre Daru) avait institué un état policier où chaque personne suspectée de comploter contre l'État indépendamment de son rang social, était éliminée physiquement sans procès[8].
Une ville en chantier
Le grand commerce dynamisait l'agglomération qui connut par conséquent une forte expansion démographique. Il fallait donc conquérir sur la lagune. Les Vénitiens apportèrent de la terre, ils asséchèrent le sol, enfoncèrent des milliers de pieux pour servir de fondations aux bâtiments. Un réseau de canaux se dessina autour du principal d'entre eux : le Canal Grande. Jean-Claude Hocquet évalue que 80 % ou 90 % de l'actuelle Venise est peut-être gagné sur l'eau[9]. On comprend donc l'expression de Pétrarque au XIVe siècle : une « cité très miraculeuse ».
Jusqu'à la fin du XIe siècle, Venise était une ville de bois hormis le palais du duc et quelques églises, mais des incendies ravageurs obligèrent à revoir les matériaux de construction. La brique l'emporta ensuite tandis que la pierre d'Istrie qui résiste à l'eau salée, occupaient les parties basses. La cité se composait d'une soixantaine de paroisses rassemblée depuis 1169 en six quartiers ou sestieri symbolisés par les six dents que porte la proue des gondoles ( San Marco, Cannaregio, Castello, Dorsoduro, San Polo, San Croce)
La municipalité intervint par des règlements pour encadrer l'évolution urbaine, jusque-là anarchique. Les alignements de façade devaient être respectés. En 1224, un organisme chargé d'entretenir les canaux fut créé. On entreprit également de bonifier l'îlot de Giudecca nuova.
La capitale d'un empire maritime
Venise est considérée depuis le XIe siècle comme la plus grande puissance économique de Méditerranée. Conduite par son doge et ses grandes familles marchandes, Venise s'est peu à peu imposée comme le principal intermédiaire commercial entre l'Orient, dominé par les cultures musulmane et byzantine, et le monde chrétien.
Cette place de quasi monopole fut acquise suite à l'aide apportée à l'Empire byzantin dans ses guerres contre les peuplades slaves telles que les Bulgares. Cette situation changea en 1171 lorsque l'empereur byzantin Manuel Ier fit saisir toutes les possessions des vénitiens sur son territoire afin de redresser les finances de l'empire. Pour se venger et pour rétablir son hégémonie commerciale sur l'Est méditerranéen, Venise détourna la quatrième croisade qui, au lieu de se diriger sur l'Égypte (but affiché de l'expédition), se dirigea sur Constantinople, la capitale byzantine, qui fut prise par les croisés en 1204. Cette victoire vénitienne changea profondément les rapports de forces dans cette partie de la Méditerranée, les vénitiens en profitant pour se constituer un empire insulaire avec des possessions telles que la Crète, le duché de Naxos (les Cyclades) ou encore les îles Ioniennes.
Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, Venise, avec environ 100 000 habitants, figurait avec Paris, Pise, Milan, Florence, Gênes et Gand parmi les plus grandes villes d'Europe occidentale. Elle se trouvait à la tête d'un État, certes de petite taille mais indépendant : la République de Venise.
Au XIVe siècle, elle et Gênes régnaient sur le commerce de la Méditerranée. Une position que la première avait notamment acquise en prenant une part active à la IVe Croisade (1202-1204). Elle avait assuré le transport par mer des Croisés, avait conquis grâce à leur aide militaire de multiples comptoirs sur la route de l'Orient (Zara, Corfou...) et enfin avait participé au pillage de Byzance. Les quatre chevaux dorés qui ornent aujourd'hui la basilique Saint-Marc proviennent du butin ramené de l'ancienne Constantinople.
La puissance navale des Vénitiens s'appuyait notamment sur ses galères. En 1325, débutèrent les travaux d'agrandissement de l'Arsenal d'où sortaient ces bateaux[10].
A partir du XIIIe siècle, les rives du Canal Grande se peuplèrent de belles demeures, les casa des notables. Commines, le conseiller du roi de France Louis XI resta admiratif dans ce spectacle. Pour lui, Venise est « la plus triomphante cité que j'ai jamais vue » et le Canal Grande « la plus belle rue que je croy qui soit en tout le monde et la mieux raisonnée ».
La montée en puissance des Turcs en Orient et la découverte de l'Amérique en 1492 signifiaient la fin de Venise en tant que grande puissance commerciale, l'Europe atlantique étant alors le centre des échanges avec le reste du monde.
La guerre avec Gênes
La rivalité historique avec Gênes avait pour origine la concurrence entre les républiques maritimes pour le contrôle des routes commerciales avec l'Orient, et en Méditerranée. Si, avec Pise, la République de Venise réussit, à plusieurs reprises, à trouver des accords de partition de zones d'influence, avec Gênes, les rapports étaient moins cordiaux.
Au XIIIe siècle, les hostilités se limitaient à la guerre de course. Vers 1218, les républiques de Venise et de Gênes s'accordèrent pour mettre fin à cette situation, Gênes obtenant la garantie de la liberté de trafic vers les terres de l'empire oriental.
Le deux républiques s'affrontèrent violemment au cours de la seconde moitié du XIVe siècle pour la possession du monastère de San Saba, dans la ville syrienne de Saint-Jean-d’Acre.
Venise poursuivit la lutte pour la maîtrise des routes commerciales ; après une défaite à Portolungo (1354), les hostilités reprirent en 1376 pour la conquête de l'île de Ténédos, important nœud commercial à l’entrée du détroit des Dardanelles. Après des victoires alternées, la paix de Turin (1381) conclut, en apparence, la guerre de Chioggia : Ténédos ne fut remise à aucun des belligérants. En réalité, Gênes - qui n'avait pas réussi à chasser sa rivale du commerce avec l'Orient - se trouva engagée dans une période de luttes intestines qui compromit son indépendance. Venise, au contraire, réussit à maintenir un état de cohésion ; si elle ne gagnait pas la guerre, elle gagnait la paix. La chute de Byzance aux mains des Ottomans de Mehmed II (1453) révéla qui était la vraie puissance navale de la Méditerranée orientale, et contraignit les deux républiques maritimes à chercher d'autres voies de développement. Gênes la trouva dans la finance internationale, Venise dans l'expansion terrestre.
L'époque des villas vénitiennes
Au cours des dernières décennies du XIVe siècle et au début du XVe siècle, Venise, administrée par une petite caste militaire et des commerçants, réussit à conquérir l'entre terre italien, déplaçant ainsi son barycentre un peu plus vers l'occident.
À la suite de cette conquête, afin d'assurer un meilleur contrôle du territoire, de nombreux membres de la noblesse en prirent possession. L'épisode de Catherine Cornaro, veuve du roi de Chypre, est exemplaire : elle cédait à Venise, à perpétuité, l'île méditerranéenne et ses droits dynastiques ; en échange, la Sérenissime lui concédait le duché d'Asolo, afin qu'elle pût finir ses jours d'une façon digne de son rang de reine. Sous les collines asolones, la noble dame fit construire une fastueuse villa avec un parc, composé de plusieurs bâtiments et richement décoré suivant le goût de l'époque. La reine de Chypre y accueillit de nombreux écrivains et artistes.
Beaucoup d'autres familles patriciennes, à la fin du XVe siècle et pendant tout le XVIe siècle, s'installèrent dans les nouveaux territoires, menant une activité agraire, à la façon de véritables colons. C'est ainsi que naquit la villa veneta, formé d'un corps central - en général haut, mais de proportion raisonnable - destinée à accueillir le propriétaire et sa famille. Le noyau de l'habitation patronale disposait à proximité de dépendances pour les paysans, d'entrepôts pour les récoltes et de remises pour les outils.
Au cours du XVIe siècle, sous l'impulsion d'Andrea Palladio et surtout à proximité de Vicence, les villa veneta constituent de véritables œuvres d'art. Autour de Venise, le long des voies de communication qui mènent à Padoue et à Trévise, des villas sont édifiées côte à côte, qui rivalisent de beauté.
L'expansion dans la plaine padane-vénitienne
Initialement, la politique continentale de Venise restait orientée vers un équilibre des ambitions des diverses communes et des signorie du centre et du nord de l'Italie. La sérénissime avait acquis, par la diplomatie et la guerre, la domination sur les petits territoires de l'entre-terre vénitien qui étaient nécessaires au commerce et à l'augmentation des revenus gouvernementaux. Ses intérêts concernaient surtout l'expansion maritime.
À la fin du XIVe siècle, après le traité de Turin, pour empêcher les visées expansionnistes du duché de Milan, Venise engagea des mercenaires commandés par des capitaines comme Gattamelata (Erasmo da Narni) ou Carmagnola (Francesco Bussone), reprenant l'expansion sur la terre ferme sous les ordres du doge Francesco Foscari (1423-1457). Venise conquit une partie des territoires lombards.
Pour s'opposer à la puissance milanaise, Venise réussit à trouver un accord avec Florence (1425), qui petit à petit s'amenuisât en raison de la diversité des intérêts. En 1433 (paix de Ferrare), Philippe Marie Visconti fut obligé de céder Brescia et Bergame et avec la paix de Crémone (1441) il fut obligé de céder d'autres terres, en raison des actions menées par le capitaine Scaramuccia da Forlì. Avec la paix de Lodi (1454) François Sforza reconnut la frontière vénitienne de l'Adda qui resta inchangée pendant des siècles. Venise eut à cette occasion à son service le condottiere Bartolomeo Colleoni, comme capitaine général, qu'elle honora avec le monument équestre du Verrocchio.
Au sommet de sa puissance, Venise contrôlait une grande partie de la côte de l'Adriatique, beaucoup d'îles de la mer Égée, Crête incluse, et une grande partie des comptoirs commerciaux du moyen orient. Le territoire de la république dans la péninsule s'étendait jusqu'au lac de Garde, le fleuve Adda et même Ravenne, qui lui permettait d'influencer la politique des villes de la Romagne, par exemple en soutenant, en 1466, la prise de pouvoirs de Pino III Ordelaffi à Forlì, ville sur laquelle Venise ne réussit jamais à avoir un contrôle direct.
Au début du XVIe siècle, la république était une des principales puissances européennes[11] et la richesse du commerce, l'habileté de la diplomatie et des commandants militaires et une bonne administration la plaçait à un niveau supérieur à ceux des autres états de l'époque.
Venise en guerre en Europe
L'élargissement territorial de la Sérénissime entra en opposition avec les intentions expansionnistes du pape Jules II. Louis XII, Maximilien d’Autriche et le nouveau pape Jules II (Julien della Rovere) s'unissent le 22 septembre 1504 par le traité de Blois dirigé contre la Sérénissime.
Face à cette triple alliance, le gouvernement de Venise temporisa, mais inutilement : car ce fut Jules II qui débuta les hostilités. Le pape alors se désista, craignant la supériorité militaire vénitienne. En 1508, l'empereur Maximilien d'Autriche entra dans le Trentin, et les milices vénitiennes de Bartolomeo d'Alviano le repoussèrent, l'obligeant à demander une trève. Cette victoire de Venise contribua à compléter son isolement.
Le 10 décembre 1508, la ligue de Cambrai unifia le pape Jules II, le roi de France Louis XII, L'empereur Maximilien, le roi Ferdinand II d'Aragon, L'Angleterre, la Savoie Mantoue et Ferrare, tandis que Florence restait neutre, occupée comme elle l'était à faire plier la résistance de Pise. Battue par les ennemis étrangers et italiens, abandonnée par les nobles et les riches bourgeois des villes de la terre ferme, la république connut des jours difficiles.
À la Agnadel, le 14 mai 1509, les Vénitiens furent durement battus par les Français[12] à cause de la décision du sénat de diviser l'armée entre Bartolomeo d'Alviano et Niccolò di Pitigliano, le premier impétueux, le second prudent, les Français attaquèrent l'arrière-garde commandée par Bartolomeo d'Alviano qui ne fut pas soutenu pas le comte de Pitigliano. La population locale et les paysans se rebellèrent contre le gouvernement étranger ; et à Trévise, après que le peuple sut l'intention de la noblesse locale de céder la ville aux Français, un fourreur du nom de Marco Caligaro souleva le peuple aux cris de « Viva San Marco » et demanda des renforts au camp de Mestre qui lui envoya 700 fantassins. La république contre-attaqua et reconquit Padoue, avec l'aide du peuple qui n'acceptait pas le gouvernement impérial qui était assisté de quelques centaines de fantassins et d'une cinquantaine de cavaliers. Maximilien envoya une armée de 30 000 à la conquête de Padoue, mais la ville était prête au siège : à l'intérieur, de nombreux nobles vénitiens étaient présents, parmi lesquels les deux fils du doge, soutenus par plusieurs milliers de fantassins et de cavaliers, avec grande quantité de vivres, de munitions et d'artilleries. L'armée impériale fut battue, provoquant une grande joie à Venise.
La domination française sur le nord de l'Italie, conséquence de la bataille, fut ressentie comme une menace par Jules II, qui signa la paix avec les Vénitiens. En 1511 Venise entra avec l'Angleterre, l'Espagne et l'Empire dans la Sainte Ligue voulue par le pape contre la France. La ligne contraignit au retrait l'armée française. Maximilien réclama la possession de la Vénétie si elle ne lui payait pas un tribut de 200 000 florins, suivi d'une rente annuelle de 30 000 florins. Le pape essaya de convaincre les Vénitiens d'accepter la demande de l'empereur. La république refusa, et se rapprocha de la France - ceci afin de chasser les impériaux de Vérone et de la Lombardie vénitienne, encore sous domination impériale.
Quand le 23 mars 1513, à Blois, fut signé un traité entre Louis XII et la république, l'armée de la ligne conquit tous les territoires du duché de Milan, mais une sortie des Suisses lors du siège de Novare détruisit l'armée française, qui fut obligée de se retirer. La guerre fut menée sans vigueur par les vassaux de l'Empereur : une guerre faite de saccages et de sièges de petits châteaux. Les milices impériales commandées par Cristoforo Frangipane, connues pour leur cruauté, torturant et mutilant les paysans et les civils, conduisirent la Sérénissime à autoriser les Frioulans à se rendre, afin de ne pas subir le sort qu'ils craignaient tant. À Osoppo, Girolamo Savorgnan refusa de se rendre à Frangipane, lequel assiégea la forteresse ; ce qui permit à l'armée vénitienne, commandée par Bartolomeo d'Alviano, de rejoindre Osoppo et d'anéantir l'armée allemande, capturant Frangipane, puis reconquérant le Frioul.
Les Vénitiens se tinrent sur la défensive ; mais en 1514, à peine élu le pape Léon X, celui-ci fit la paix avec la France, l'Espagne et l'Empire. L'unique guerre qui se poursuivait était ainsi celle qui opposait Maximilien à Venise. À la fin des guerres d'Italie, Venise avait consolidé ses territoires, mais se trouvait encerclée par les puissances continentales (l'Espagne dans le duché de Milan, l'Empire des Habsbourg au nord, l'Empire Ottoman), qui lui interdisaient toute nouvelle expansion - et qui, dans le cas de l'Empire Ottoman, représentait une menace pour les possessions maritimes.
La crise
Bien que la population de ville ait été en majorité catholique, l'état resta laïc et caractérisé par une extrême tolérance envers les autres religions et il n'y eut aucun acte d'hérésie pendant la période de la Contre-Réforme. Cette attitude indépendante et laïque la mettait en opposition avec les États pontificaux, et ce fut Paolo Sarpi qui défendit la laïcité de l'état vénitien contre les prétentions hégémoniques de la papauté. La perte de l'importance des routes méditerranéennes au profit des nouvelles voies commerciales atlantiques - ouvertes par les Espagnols et les Portugais depuis la découverte de l'Amérique par le Génois Christophe Colomb - ainsi que l'ouverture maritime vers les Indes, par le cap de Bonne-Espérance, permirent les voyages d'exploration, et la colonisation des continents hors d'Europe, qui signèrent la fin du commerce vénitien - aggravée, du reste, par l'avancée continue des Turcs.
En 1571, après le long siège de Famagouste, Chypre fut perdue. Au cours de cette même année, en réaction, à la Lépante, la flotte chrétienne, commandée par Don Juan d'Autriche et composée de navires vénitiens, espagnols, génois, sardes, de l'Église et des chevaliers de Malte vainquit la flotte turque[13]. En 1669, après la sanguinaire guerre de Candie, qui dura 20 ans et laissa Venise exsangue malgré le soutien de la France (les troupes étaient commandées par François de Vendôme), les Turcs prirent la ville de Candie[14] (aujourd'hui Héraklion), acquérant ainsi le contrôle complet de la Crète. Il fut remplacé , du consentement de Louis XIV, par Charles-Félix de Galéan, qui devint généralissime des armées de la Sérénissime République[15]. Dans la période qui suivit - 1683-1687 - et sous le commandement de Francesco Morosini, les Vénitiens réussirent à conquérir la Morée (l'actuel Péloponnèse), qu'ils reperdirent cependant en 1718.
La capitale culturelle : la seconde vie de Venise (1500-1797)
Le déplacement des courants commerciaux, la marginalisation de la Méditerranée entraînèrent la décadence politique et économique de la cité des doges. Si l'Arsenal émerveillait toujours les spectateurs avec ses 2 000 ouvriers et ouvrières et son système de production intégré, la Sérénissime n'était plus le centre du monde. Les patriciens s'étaient détournés du négoce maritime et avaient constitué de grandes propriétés agricoles sur la terre ferme. Résultat, Venise abritait désormais une aristocratie de rentiers.
Décadente économiquement, la ville se révéla au contraire « vivante, saine, brillante sur le plan de l'esprit, triomphante encore et rendez-vous encore de l'Europe »[16]. Elle connut un bouillonnement culturel favorisé par les commandes artistiques des familles patriciennes et des confréries religieuses. De célèbres artistes y naquirent ou s'y installèrent. La peinture fut représentée par Titien (1485-1576), la dynastie des Bellini, Le Tintoret et Véronèse (né à Vérone mais établi à Venise en 1556) puis plus tard Le Canaletto mort en 1768, Tiepolo, Longhi, Guardi. L'architecte Andrea Palladio (1508-1580), originaire de Padoue mais installé à Venise, conçut plusieurs demeures dans le style Renaissance. Le dynamisme toucha aussi la musique avec des figures telles que Gabrieli, Monteverdi, Vivaldi et la littérature avec Apostolo Zeno, Goldoni, les frères Gozzi.
Parallèlement, Venise s'étourdissait dans la fête. Il y avait bien sûr le carnaval qui durait six mois de l'année[17]. En fait, tout était prétexte à des festivités : théâtre, concerts, fêtes publiques, fêtes des saints patrons, anniversaires, baptêmes ou mariages, réception d'illustres étrangers[18]. La fête de la Sensa au cours de laquelle le doge épousait symboliquement la mer marquait surtout les visiteurs. Venise inaugura les premiers théâtres publics d'opéra.
Un recensement compte 149 500 Vénitiens en 1760.
Venise contemporaine
Au XVIIIe siècle, Venise est une des villes les plus raffinées d'Europe, avec une forte influence sur l'art, l'architecture et la littérature. Son territoire se compose de la Vénétie, du Frioul, de l'Istrie, la Dalmatie, Kotor, une partie de la Lombardie et les Îles Ioniennes.
La prise de Venise par Bonaparte, au terme de la campagne d'Italie, traduisit l'effacement politique de Venise. Après 1 070 ans d'indépendance, le 12 mai 1797 la ville se rend à Napoléon Bonaparte. Le Doge Ludovico Manin fut obligé d'abdiquer, le conseil major fut dissout et le gouvernement provisoire de la municipalité de Venise fut proclamé. C'était la fin de l'indépendance, Venise ayant été le seul territoire italien à ne jamais avoir été occupé.
Les Français emportèrent le tableau de Véronèse, les Noces de Cana, ainsi que le quadrige de chevaux de bronze[19], la flotte commerciale confisquée et envoyée en France, le Bucentaure, véritable œuvre d'art, fut brûlé pour en récupérer l'or. Bonaparte appliqua la même politique que dans toutes les régions conquises : service militaire obligatoire, impôts importants pour soutenir l'effort de guerre.
Avec le Frioul, l'Istrie, la Dalmatie, Cattaro et les îles Ioniennes, la Vénétie passa peu après sous occupation autrichienne par le traité de Campoformio, le 17 octobre 1797, ce qui mit fin à la municipalité provisoire de Venise. Les Autrichiens entrèrent dans la ville le 27 juin 1798. L'empereur François II d'Habsbourg-Lorraine rassembla la Vénétie et le Frioul pour former la Province Vénitienne d'Autriche. Les retombées en termes de poids économique et politique sur la ville furent considérables. Cette domination fut interrompue entre 1806 et 1814 par une nouvelle installation des Français.
Après le retour à L'Autriche qui, à l'issue du congrès de Vienne, constitua le royaume lombard-vénitien, la montée du sentiment national pro Italien culmina lors de la mise en place d'une république lors des mouvements révolutionnaires des années 1847-1849 conduite par Daniele Manin. Mais la répression rétablit la domination autrichienne. Ils se maintinrent dans la région jusqu'en 1866, à la suite de leur défaite contre la Prusse (alliée de l'Italie), qui les contraint à accepter le rattachement de Venise au jeune royaume d'Italie. Les Vénitiens votèrent cette annexion.
La Vénétie constitua une des régions de plus fortes émigrations, on estime à 4 millions le nombre de personnes qui émigrèrent de 1876 à 1915.
Lors de la Première Guerre mondiale, l'Italie déclare la guerre à l'Autriche-Hongrie en mai 1915 après bien des hésitations. Le conflit a été principalement combattu sur les terres vénitiennes dans un déluge de feu et de fer qui a détruit les récoltes, les animaux, les maisons et les hommes. Le territoire a été dévasté, l'agriculture anéantie pour des années.
Venise perdit aussi son insularité : entre 1841 et 1846, un pont ferroviaire fut construit jusqu'au Rialto puis une liaison routière. Le progressif développement d'un tourisme d'élite, une industrialisation de la lagune (au delà des verreries de Murano) explosèrent après 1950. Dans la seconde moitié du XXe siècle, les Vénitiens prirent conscience des dangers que faisaient peser ces évolutions de leur cité. La pollution atmosphérique attaquait les vénérables monuments. La pollution aquatique menaçait la faune. Pour beaucoup, la lagune était considérée morte. L'inquiétude augmentait par la crainte de la montée des eaux. En 1966, Venise subit en effet une grande inondation qui alerta les autorités. En 1975, on ferma les stations qui pompaient l'eau de la nappe phréatique afin de ralentir l'affaissement du sol ; certaines maisons s'enfonçaient de 2,5 mm par an. Le projet Mose, définitivement proposé en 1989, a pour but de contrer l'envahissement de la lagune par les marées exceptionnelles. Mais son gigantisme et son coût effraient certains Vénitiens et les défenseurs de l'environnement. Résultat, le projet n'est pas encore achevé.
L'image d'une cité en train de sombrer fait partie intégrante de l'imaginaire de cette cité également associée au romantisme amoureux : amarrée depuis quinze siècles dans les vases de sa lagune à l'abri d'un frêle cordon littoral, la fabuleuse cité vénitienne qui chancelle sous l'effet des marées de l'Adriatique et des poisons de la pollution industrielle... Accablée d'ans et de maux, de palais et de touristes, cette ancienne « république sérénissime » vouée jadis à saint Marc l'Évangéliste, est aujourd'hui à la recherche d'un improbable salut.
Notes et références
- ↑ Élisabeth Crouzet-Pavan, Une Venise triomphante ; les horizons d'un mythe, Albin Michel, 1999
- ↑ Jacques Heers, La ville au Moyen Âge en Occident, Hachette Littérature, 1990, p.28
- ↑ Archäologie in Deutschland, nº 5, 2006
- ↑ Heers, ibid, p.28
- ↑ Élisabeth Crouzet-Pavan, La mort lente de Torcello. Histoire d'une cité disparue, Fayard, Paris, 1995
- ↑ Donald M. Nicol, Byzantium and Venice. A Study in Diplomatic and Cultural Relations, Cambridge University Press, 1992
- ↑ Doge du latin Ducem, duc ou duce, en vénitien duse, Dogaressa désigne la femme du doge
- ↑ Henri Léo : Histoire d'Italie pendant le Moyen Âge, publié en 1838, page 502
- ↑ « Venise. Les chantiers d'exception d'une cité bâtie contre l'eau », Cahiers de Sciences et Vie. Les racines du Monde, n°81, Juin 2004, p.42
- ↑ Le nouveau bassin qui fut créé pouvait accueillir 80 galères en construction
- ↑ René Guerdan: La Sérénissime, Histoire de la République de Venise Fayard, 1971 p140
- ↑ René Guerdan: La Sérénissime, Histoire de la République de Venise Fayard, 1971 p124
- ↑ René Guerdan: La Sérénissime, Histoire de la République de Venise Fayard, 1971 p132
- ↑ Pierre Daru: Histoire de la République de Venise 1853 page 214 à 219
- ↑ Jules Courtet, Dictionnaire historique et biographique du département du Vaucluse, Éd. Christian Lacour, Nîmes, 1997, (ISBN 284406051X), p. 150.
- ↑ Fernand Braudel, « Venise », Fernand Braudel (dir.), La Méditerranée. L'espace et l'histoire. Les hommes et l'héritage, Flammarion, 1986, p.317
- ↑ Exception du carême et de l'avent
- ↑ Fernand Braudel, "Venise", Fernand Braudel (dir.), La Méditerranée, l'espace et l'histoire, Flammarion, France Loisirs, p.319
- ↑ Les chevaux sont restitués en 1815 tandis que les Noces de Cana sont toujours au musée du Louvre
Voir aussi
Bibliographie
- Sylvio Hermann De Franceschi, Raison d'État et raison d'Église. La France et l'Interdit vénitien (1606-1607): aspects diplomatiques et doctrinaux. Éditions Honoré Champion, 2009. ISBN 978-2-7453-1820-6.
- Élisabeth Crouzet-Pavan, Venise triomphante ; les horizons d'un mythe, Albin Michel, 1999
- Élisabeth Crouzet-Pavan, La mort lente de Torcello. Histoire d'une cité disparue, Fayard, Paris, 1995
- A Zysberg et R. Burlet, Venise, la Sérenissime et la mer, Découverte Gallimard, 2000
- Jean-Claude Hocquet, Venise au Moyen Âge, Guide Belles Lettres des Civilisations, Les Belles Lettres, Paris, 2003
- « Venise. Les chantiers d'exception d'une cité bâtie contre l'eau », Cahiers de Sciences et Vie. Les racines du Monde, n°81, juin 2004
- Histoire de la République de Venise, Pierre Daru, Jean-Pons-Guillaume Viennet, publié en 1853 par Didot
- Histoire de la République de Venise, Pierre Daru, publié en 1819 par Firmin Didot
Articles connexes
- Venise
- Chronologie de Venise
- Doge de Venise
- République de Venise
- République de Saint-Marc
- Siège de Famagouste
- Bataille de Lépante
- Risorgimento
Liens externes
- Histoire de Venise sur vivre-venise.com
- Historique de Venise
- Torcello, soeur aînée de Venise. Article d'Elisabeth Crouzet-Pavan sur Clio.fr
- Venise triomphante. Article d'Elisabeth Crouzet-Pavan sur Clio.fr
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Catégorie : Histoire de Venise
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