Anaphore (rhétorique)

Anaphore (rhétorique)

L’anaphore (substantif féminin), du grec ἀναφορά, anaphora (reprise, rapport), est une figure de style qui consiste à commencer des vers, phrases ou ensembles de phrases ou de vers, par le même mot ou le même syntagme. Elle rythme la phrase, souligne un mot, une obsession, provoque un effet musical, communique plus d'énergie au discours ou renforce une affirmation, un plaidoyer, suggère une incantation, une urgence. Syntaxiquement, elle permet de créer un effet de symétrie. Elle peut se schématiser ainsi : A_____ / A_____


Sommaire

Définition

Définition linguistique

L'anaphore est une transformation morpho-syntaxique de répétition à l'identique: elle consiste à répéter un ou des mot(s) identiques au début ou en fin de vers ou de phrase; elle porte donc sur la localisation phrastique de ces mots répétés.

Il ne faut pas confondre l'anaphore en rhétorique avec l'anaphore grammaticale qui est un procédé de la langue consistant à utiliser un élément discursif (pronom, adverbe, adjectif...) renvoyant à un constituant qui précède et qui est nécessaire à son identification et à son interprétation. Il s'agit avant tout d'un constituant contextuel comme dans: « J'ai vu mon professeur, il avait l'air distrait » (il se rapporte à professeur et ne peut s'interpréter qu'en rapport à ce dernier). On parle plutôt, afin d'éviter la confusion, de relation anaphorique, d’anaphoriques ou de déictiques anaphoriques. De même il existe une typologie d'anaphores différentes mais renvoyant toutes à la linguistique pure et non aux figures de style (voir les articles correspondants) comme: anaphore lexicale, anaphore associative et anaphore pronominale.

Définition stylistique

Les effets de l'anaphore sont variés et dépendent de l'intention du locuteur. Ils sont avant tout proches de ceux recherchés dans le phénomène du refrain ou de la répétition: surprise, énumération, symétrie de forme (lorsque la localisation des mots répétés est toujours la même, en début de vers par exemple comme dans les chansons), litanie et incantation dans la littérature religieuse ou solennelle (Sermon de la montagne de Saint Matthieu par exemple avec l'exclamation « Heureux » répétée neuf fois), l'urgence d'un appel (J'accuse de Émile Zola). Le sentiment recherché est aussi et surtout en poésie la mélancolie ou la tristesse (voir l'exemple de Louis Aragon).

La publicité y a recours, soit par le biais de la chanson, soit par une énumération du nom du produit. L'anaphore est une figure traduisible dans d'autres arts :

  • au cinéma, c'est la reprise de la même image ou même scène, proche du déjà-vu ;
  • en musique, ce sont des accords répétés, ou un refrain vocal ;
  • en peinture, ce sont des copié-collé d'un même détail ou d'une couleur, dans un effet de symétrie par exemple ;
  • à l'oral, l'anaphore marque la surprise ou le leitmotiv (exemple: « Si tu savais, ô, si tu savais »).

Elle est très employée dans les discours politiques, proches des oraisons rhétoriques classiques[1].

Parce que l'homme devient sa pensée, la répétition d'une idée influe sur l'être. A force de répéter un mot, ce mot s'ancrera dans l'esprit de l'individu pour finalement influer sur son existence. C'est le principe de la propagande. Une idée répété mainte et mainte fois apparaitra comme vrai pour l’individu. Ce procédé est utilisé pour la publicité par exemple.

Genres concernés

L'anaphore est une figure généralisée à tout le domaine littéraire, avec un emploi beaucoup plus ancien d'une part, et plus privilégié d'autre part, en poésie. De même elle est utilisée dans les discours très couramment.

Historique de la notion

Elle est une des figures les plus anciennes de la rhétorique, car elle est utilisée par les orateurs en premier lieu. L’auteur anonyme de La Rhétorique à Herennius (premier siècle avant notre ère) la donne en exemple comme procédé pour donner du brillant au style : « L'anaphore consiste, pour des idées analogues ou différentes, à employer le même mot en tête de plusieurs propositions qui se suivent ; par exemple : C'est à vous qu'il faut attribuer cette action, à vous qu'il en faut rendre grâce, à vous que votre conduite rapportera de l'honneur » (Livre IV). Un rhéteur moderne comme André Malraux saura s’en souvenir dans son discours prononcé lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon : (« Entre ici, Jean Moulin »).

Les ballades du Moyen Âge usent souvent des anaphores pour imprimer un rythme jovial au poème (Christine de Pisan par exemple). L'anaphore est une figure privilégiée de la poésie: chez Rimbaud surtout, dans son objectif de rendre musical le poème[2], dans L'expiation de Victor Hugo avec l'expression « il neigeait », chez Guillaume Apollinaire dans Poèmes à Lou avec « Il y a ». Les poètes modernes, nés des mouvements expérimentaux comme l'Oulipo l'emploient de manières rythmiques, sous l'influence de la chanson populaire ou du blues, ainsi Georges Perec avec Je me souviens.


Dans le brouillard s’en vont un paysan cagneux
Et son bœuf
Dans le brouillard s’en vont deux silhouettes grises

Figures proches

Figure mère Figure fille
répétition
Antonyme Paronyme Synonyme
épiphore, acrostiche anaphore (grammaire)

Débats

La tendance est de classer l'anaphore comme une figure de l'insistance[3] ; or ce n'est pas décrire la nature de son fonctionnement linguistique et stylistique[4].

Exemples

« Patience, patience,
Patience dans l'azur !
Chaque atome de silence
Est la chance d'un fruit mûr ! »

— Paul Valéry, Palme in Charmes

« Rome, l'unique objet de mon ressentiment !
Rome, à qui vient ton bras d'immoler mon amant !
Rome qui t'a vu naître, et que ton cœur adore !
Rome enfin que je hais parce qu'elle t'honore ! »

— Corneille, Camille dans Horace, acte IV, scène 5

« Mon bras qu'avec respect toute l'Espagne admire,
Mon bras qui tant de fois défendit cet empire »

— Corneille, Le Cid, acte I, scène 4

« Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant »

— Louis Aragon, Strophes pour se souvenir

« Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage,
Et la mer est amère, et l'amour est amer (...)
Celui qui craint les eaux, qu'il demeure au rivage,
Celui qui craint les maux qu'on souffre pour aimer,
Qu'il ne se laisse pas à l'amour enflammer (...) »

— Pierre de Marbeuf, Sonnet, Poètes français de l'âge baroque, Anthologie (1571-1677)

« Adieu tristesse
Bonjour tristesse
Tu es inscrite dans les lignes du plafond
Tu es inscrite dans les yeux que j'aime »

— Paul Eluard, A peine défigurée in La vie immédiate

« Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine,

Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la douceur angevine. »

— Joachim du Bellay, Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage... in Les Regrets

« Si les vers ont été l'abus de ma jeunesse,
Les vers seront aussi l'appui de ma vieillesse,
S'ils furent ma folie, ils seront ma raison,

S'ils furent ma blessure, ils seront mon Achille,
S'ils furent mon venin, le scorpion utile
Qui sera de mon mal la seule guérison. »

— Joachim du Bellay, Maintenant je pardonne à la douce fureur... in Les Regrets

Dans la prose : « Marcher à jeun, marcher vaincu, marcher malade » (Victor Hugo)

Annexes

Notes et références

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Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • M.Charolles, L'anaphore: problèmes de définition et de classification, Verbum, 1991, p. 203-215.

Bibliographie des figures de style

  • Quintilien (trad. Jean Cousin), De L’institution oratoire, t. I, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Bude Serie Latine », 1989, 392 p. (ISBN 2-2510-1202-8) .
  • Antoine Fouquelin, La Rhétorique Françoise, Paris, A. Wechel, 1557 .
  • César Chesneau Dumarsais, Des tropes ou Des différents sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue, Impr. de Delalain, 1816, 362 p.
    Nouvelle édition augmentée de la Construction oratoire, par l’abbé Batteux. Disponible en ligne
     
  • Pierre Fontanier, Les figures du discours, Paris, Flammarion, 1977 (ISBN 2-0808-1015-4) [lire en ligne] .
  • Patrick Bacry, Les figures de style : et autres procédés stylistiques, Paris, Belin, coll. « Collection Sujets », 1992, 335 p. (ISBN 2-7011-1393-8) .
  • Bernard Dupriez, Gradus,les procédés littéraires, Paris, 10/18, coll. « Domaine français », 2003, 540 p. (ISBN 2-2640-3709-1) .
  • Catherine Fromilhague, Les figures de style, Paris, Armand Colin, coll. « 128 Lettres », 2007 (ISBN 978-2-2003-5236-3) .
  • Georges Molinié et Michèle Aquien, Dictionnaire de rhétorique et de poétique, Paris, LGF - Livre de Poche, coll. « Encyclopédies d’aujourd’hui », 1996, 350 p. (ISBN 2-2531-3017-6) .
  • Henri Morier, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Grands Dictionnaires », 1998 (ISBN 2-1304-9310-6) .
  • Michel Pougeoise, Dictionnaire de rhétorique, Paris, Armand Colin, 2001, 16 × 24 cm, 228 p. (ISBN 978-2-2002-5239-7) .
  • Olivier Reboul, Introduction à la rhétorique, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Premier cycle », 1991, 15 cm × 22 cm, 256 p. (ISBN 2-1304-3917-9) .
  • Van Gorp, Dirk Delabastita, Georges Legros, Rainier Grutman et al., Dictionnaire des termes littéraires, Hendrik, Honoré Champion, 2005, 533 p. (ISBN 978-2-7453-1325-6) .
  • Nicole Ricalens-Pourchot, Dictionnaire des figures de style, Paris, Armand Colin, 2003, 218 p. (ISBN 2-200-26457-7) .



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