- Émile Durkheim
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David Émile Durkheim (15 avril 1858, Épinal - 15 novembre 1917, Paris) est l'un des fondateurs de la sociologie moderne.
En effet, si celle-ci doit son nom à Emmanuel-Joseph Sieyès et a été popularisée par Auguste Comte à partir de 1848, c'est grâce à Durkheim et à l'École qu'il formera autour de la revue L'Année sociologique[1] (1898) que la sociologie française a connu une forte impulsion à la fin du XIXe siècle.
Sommaire
Biographie
Né à Épinal en 1858, Durkheim appartenait à une lignée de huit générations de rabbins[2]. Agnostique, il refuse de devenir rabbin, et entre à l'École normale supérieure. Il rencontre des hommes comme Henri Bergson ou Jean Jaurès et décide de défendre Dreyfus. Il obtient l'agrégation de philosophie en 1882. Cette éducation lui permet de s'inscrire dans une double tradition culturelle judaïque et classique. Il devient professeur et est notamment chargé des cours de pédagogie et de sciences sociales à Bordeaux en 1887. Jeune agrégé, il est envoyé en Allemagne, où il est marqué par le fonctionnement des universités allemandes, et par des philosophes sociaux qui s'intéressent au rôle de l'État moderne. C'est à Bordeaux qu'il commença la rédaction de ses ouvrages de sociologie. Durkheim dispute alors l'hégémonie intellectuelle sur la discipline naissante face à Gabriel Tarde (1843-1904), bénéficiant d'une renommée internationale mais ne constituant aucune école, et face à René Worms (1858-1917) qui créa en 1893 la Revue internationale de sociologie puis l'année suivante l'Institut international de sociologie. Pourtant, l'École durkheimienne saura s'imposer grâce à des idéaux intellectuels et institutionnels. En 1902, Durkheim fut nommé à la faculté des lettres de l'université de Paris[3]. Il fut également professeur des écoles normales qui formeront les instituteurs de la République HEI-HEP : c'est lui qui impose la sociologie comme discipline universitaire. Il fonde en 1898 une revue des sciences sociales intitulée L'Année sociologique.
Politiquement, Durkheim est resté assez discret. Il est certes un dreyfusard de la première heure, membre fondateur de la Ligue pour la défense des Droits de l’Homme, toutefois il se refuse à influencer ses étudiants sur l’innocence ou la culpabilité du capitaine. Ami de Jean Jaurès, le sociologue défend parfois des thèses socialistes-réformistes[4].
Dès le début de la Première Guerre mondiale, Durkheim rejoint l'Union sacrée et devient secrétaire du Comité d'études et de documentation sur la guerre présidé par Ernest Lavisse[5]. Les fruits de cette collaboration sont des pamphlets nationalistes comme Qui a voulu la guerre ou l’Allemagne au-dessus de tout. Dans une « Lettre aux Français » rédigée par leur soins, l'historien Gérard Noiriel souligne que « la théorie des représentations collectives que Durkheim avait construite pour expliquer le caractère universel de l'esprit humain est transformée en un pamphlet nationaliste » traitant de la « mentalité allemande », « rendue responsable du cataclysme[5] ». Son fils André meurt au combat en décembre 1916. Durkheim sombre alors dans une grande tristesse, qui explique en partie son décès précoce en 1917.
Formé à l'école du positivisme, Durkheim définit le « fait social » comme une entité sui generis, c'est-à-dire en tant que totalité non réductible à la somme de ses parties. Cette définition lui permet de dissocier l'individuel du collectif et le social du psychologique, et de fonder logiquement les conditions de possibilité d'une action contraignante de la société sur les individus.
« Extériorité, étendue et contrainte caractérisent le fait social » : cette thèse fit de lui le véritable fondateur de la sociologie en tant que discipline autonome. Son esprit positiviste le poussa à adopter une conception presque médicale du fait social en distinguant le normal et le pathologique. C'est en effet à l'aide de ces catégories que Durkheim analyse l'état du lien social. C'est à ce titre qu'il emploie le concept d'« anomie », visant à désigner une forme pathologique de la division du travail qui, poussée à l'extrême comme dans nos sociétés post-industrielles, conduit à l'individualisation et à la perte des repères.
L'apport de Durkheim à la sociologie est fondamental puisque sa méthode, ses principes et ses études exemplaires, comme celle sur le suicide, constituent toujours les bases de la sociologie moderne.
Père fondateur de la sociologie française
Durkheim apparaît pour beaucoup comme le père fondateur de la sociologie française. En effet, s'il ne fut pas le premier sociologue en France comme nous l'avons vu en introduction, il est le premier à s'engager pour faire de la sociologie une discipline autonome se distinguant des autres sciences sociales concurrentes comme la psychologie et la philosophie. Il a fondé le premier département de sociologie à l'Université de Bordeaux dans les années 1890.
Tout d'abord, il œuvre à asseoir la sociologie comme indépendante institutionnellement parlant. Ainsi il écrit en ouverture de son cours de science sociale en 1888 que "le seul moyen de démontrer que la sociologie est possible, c'est de faire voir qu'elle existe et qu'elle vit". Il va alors profiter de son statut de professeur pour commencer la diffusion d'un esprit sociologique dans des cours à l'université comme sur la famille, la solidarité sociale, le suicide, la sociologie criminelle, le socialisme, la religion, la pédagogie ou l'histoire de la sociologie. C'est toujours dans cette optique que Durkheim fonde la revue L'année sociologique en 1898. Cette revue permit à Durkheim de fédérer une école autour de lui tout en y diffusant les textes fondamentaux des sciences sociales de l'époque.
Ainsi, Durkheim par ses cours et sa revue posera les bases d'une sociologie française comme science autonome comprenant des cours, un objet, une revue et une démarche spécifique. De plus, il sera l'auteur de célèbres ouvrages de sociologie tels que :
- De la division du travail social (1893),
- Les Règles de la méthode sociologique (1895),
- Le Suicide (1897)
- Les Formes élémentaires de la vie religieuse (1912).
La Religion et la société pour Durkheim
Pour Durkheim, la religion et la société sont presque des synonymes et la religion émerge comme lien social fondamental. D'après lui, “une société n’est pas simplement constituée par la masse des individus qui la composent, par le sol qu’ils occupent, par les choses dont ils se servent, par les mouvements qu’ils accomplissent, mais, avant tout, par l’idée qu’elle se fait d’elle-même.”[6] Une société est plus que la somme des parties et l'image qu'a une société d'elle-même représente cette existence idéale et supra-individuelle. Pour Durkheim, l'image qu'une société se donne d'elle-même prend toujours la forme de la religion. Il écrit donc Les formes élémentaires de la vie religieuses afin de mieux éclaircir ce phénomène.
Définition de la religion
Dans Les formes élémentaires de la vie religieuses, Durkheim définit la religion ainsi:
« Une religion est un système solidaire de croyances et de Pratiques relatives à des choses sacrées, c'est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Église, tous ceux qui y adhèrent[7]. »
Les choses sacrés sont au cœur de toute religion et ne font pas nécessairement allusion à une force surnaturelle, comme Dieu ou Allah, mais peuvent prendre la forme de n'importe quel objet, que ce soit matériel, comme une plume, un drapeau, un croix, ou une pierre, ou bien surnaturelle.
Cette définition relève d'une étude des ethnologies de plusieurs tribus dans le monde (principalement les aborigènes d'Australie et les indiens de l'Amérique du nord). Il a fait une comparaison croisée de leurs rites et croyances pour trouver ce qu'ils ont de commun. En faisant cela, il a trouvé les notions de sacré, église, rites, et communauté morale que nous voyons dans sa définition de la religion. Il aborde une explication de ces éléments dans sa description de ce qu'il nomme les moments d'effervescence collective, le point d'origine de toute religion.
L'effervescence collective
D'après Durkheim, la religion se crée dans des moments de ce qu'il nomme 'effervescence collective'. Ces moments arrivent quand tous les individus d'un groupe sont rassemblés pour communiquer "dans une même pensée et dans une même action[8]". “Une fois les individus assemblés il se dégage de leur rapprochement une sorte d’électricité qui les transporte vite à un degré extraordinaire d’exaltation.”[9] Durkheim appelle cette énergie 'mana'. On peut voir aujourd'hui cette force mana dans les stades de football ou lors des réunions nationales politiques. Ensuite, pour que la société puisse prendre conscience de cette force mana, il faut qu'elle soit projetée sur un objet extérieur, matériel. Comme il dit, "La force religieuse n’est que le sentiment que la collectivité inspire à ses membres, mais projeté hors des consciences qui l’éprouvent, et objectivité. Pour s’objectiver, il se fixe sur un objet qui devient ainsi sacré.”[10] Ainsi, la société devient conscient de soi, de sa propre unité, et une religion est née.
Il est important de comprendre que le symbole religieux ne fait qu'hypostasier la force de la société, et le pouvoir de la société coule à travers l'objet sacré. Cette force est réelle, souligne Durkheim, et donc, même si le dogme ou la doctrine de la religion sont faux, l'expérience religieuse est fondée sur une force physique, une sorte d'électricité que nous ne pouvons pas écarter comme une simple illusion.
Ces moments d'effervescence collective doivent aussi être rejoués pour que la religion maintienne sa force parmi ses adhérents. C'est pour cette raison qu'il y a tellement de rites religieux ou d'autres cérémonies collectives, comme les rites mimétiques (induire les événements naturels tels que la pluie), les rites piaculaire (funéraire), célébratoire, sacrificiel etc. Si la société n'arrive pas à accomplir ces rites, elle risque de mourir. Comme dit Durkheim, “Que l’idée de la société s’éteigne dans les esprits individuels, que les croyances, les traditions, les aspirations de la collectivité cessent d’être senties et partagées par les particuliers, et la société mourra.”[11] Ces rites sont, donc, d'ordre primaire pour la société.
Tous les groupes humains ont une religion, ce qui mène Durkheim à dire que la religion, soit la société, est une caractéristique de la condition humaine. Autrement dit, aussi longtemps que l'homme se trouve rassemblé en groupe, il va se former une religion d'une certaine forme.
Fonction de la religion
La religion sert dans la création de liens sociaux. Non seulement elle assure que tout le monde a les mêmes croyances, mais elle assure aussi que tout le monde a la même moralité et que les pensées des individus restent assez uniformes. Dans ce sens là, la religion assure l'intégration des individus dans un groupe.
Intégration intellectuelle
À travers la religion, la société arrive à créer un système de pensée homogène qui permet aux individus de se présenter l'univers. La religion sert dans la création des catégories de la pensée logique (temps, espace, nombre, genre, cause et effet etc.). Aussi, elle fournit les représentations collectives de base pour les individus. Comme il dit, “Toutes les religions connues ont été plus ou moins des systèmes d’idées qui tendaient à embrasser l’universalité des choses et à nous donner une représentation totale du monde.”[12] Alors que ceci n'est pas leur fonction primaire, les religions donnent une cosmologie du monde. Au sein de la religion se trouve aussi la notion de la vérité, un mesure objective auquel tous les individus sont soumis. Cette ou bien ces, vérité(s) est normalement partagée par le groupe et sert à fixer leur jugement et interprétation du monde.
Si la religion sert dans la création de ces systèmes de pensée, elle sert aussi à assurer que les individus ont une conceptualisation du monde assez homogène et puissent se comprendre. La force religieuse, qui n'est que la force du consensus de la société, à travers plusieurs mécanismes disciplinaires, met la pression sur les individus de ne pas trop diverger de la pensée commune.
Pour plus d'information à propos de ce sujet, voir la section dessous sur la sociologie de la connaissance.
Intégration morale
Pour Durkheim, la moralité, qu'il définit comme “un système de règles de conduite”[13], est un élément essentiel de la religion. Avec la religion vient une moralité. Cela dit, l'analyse de la morale de Durkheim est très marquée par Emmanuel Kant et son notion du devoir, dont Durkheim est très critique, mais seulement pour le réhabiliter et l'utiliser dans sa propre théorie morale.
D'abord, Durkheim note, comme Kant, un élément obligatoire dans la morale. À l'intérieur de la morale il y a “une autorité morale qui, en se communiquant à certains préceptes de conduite qui lui tiennent particulièrement à cœur, leur confère un caractère obligatoire.”[14] La morale nous dicte d'en haut comment nous devons nous comporter. Il existe une certaine norme morale pré-établie à laquelle nous devons nous conformer. Ici, Durkheim critique la notion du devoir kantien, tout en le reprenant et l'insérant dans un contexte social, et pas analytique, comme le fait Kant. Ensuite, il y a un élément désiré dans la morale, une idée qui a échappé à Kant, nous dit Durkheim. Le fait que la moralité est désiré est aussi important que sa nature obligatoire. Comme ca, l'individu se soumet volontiers au code moral et croit qu'il sert le bien (dans le sens de Platon) en le faisant.
Cependant, pour pouvoir accomplir ce double mouvement, la moralité doit être bien fondée aux yeux de ceux à qui elle parle. Comme dit Durkheim, “pour que le caractère obligatoire des règles soit fondé, il suffit que la notion d’autorité morale soit fondée, il suffit que la notion d’autorité morale soit fondée elle aussi, car à une autorité morale, légitime aux yeux de la raison, nous devons obéissance simplement parce qu’elle est autorité morale.”[15] D'après Durkheim, cette autorité morale se trouve au sein de la religion d'une société. Seulement elle a les ressources, le respect et le pouvoir, afin d'être à la fois obligatoire et objet de désir, de bien commun. L'objet sacré d'une société, donc, peut être considéré comme représentant visible de l'idéal moral d'une société.
Dans ce sens, la religion sert à intégrer un individu dans la morale de la société. Elle donne à l'individu une manière de se comporter qui sera, plus ou moins, en harmonie avec les actions des autres et elle met la pression sur l'individu de conformer à cet idéal.
La mort de dieu, ou bien, la mort des dieux
« Les anciens dieux vieillissent ou meurent, et d’autres ne sont pas nés[16]. »
— Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse
Dans presque toute l'œuvre de Durkheim, une des thématiques les plus importantes est celle du malaise dont la société occidentale a souffert aux XIXe et XXe siècles. Il note, déjà dans "La division du travail social" les transformations majeures et rapides qui ont marqué la société européenne depuis plus d'un siècle. Cela inclut non seulement la montée de la science moderne, mais aussi l'industrialisation, l'urbanisation de la population et des transformations dans la communication et le transport (chemins de fer, téléphone, machine à vapeur etc.) qui arrivent à rendre la population beaucoup plus mobile. Cela donne à la modernité des conditions de vie radicalement différentes à celles qui précédaient. Ces transformations mènent, suivant Durkheim, à “un affaiblissement de toutes les traditions.”[17] Il indique que la religion chrétienne ne tient plus la société occidentale en forme et que la vie moderne dépasse de loin la doctrine du christianisme. Comme il dit:
« Les grandes choses du passé, celles qui enthousiasmaient nos pères, n'excitent plus chez nous la même ardeur, soit parce qu'elles sont entrées dans l'usage commun au point de nous devenir inconscientes, soit parce qu'elles ne répondent plus à nos aspirations actuelles ; et cependant, il ne s'est encore rien fait qui les remplace. Nous ne pouvons plus nous passionner pour les principes au nom desquels le christianisme recommandait aux maîtres de traiter humainement leurs esclaves, et, d'autre part, l'idée qu'il se fait de l'égalité et de la fraternité humaine nous paraît aujourd'hui laisser trop de place à d'injustes inégalités[18]. »
Les normes, la moralité, et la métaphysique chrétiennes n'ont plus du sens et ne nous inspirent plus. Il s'agit, alors, d'une crise de moralité importante, dont d'autres auteurs (comme Nietzsche, par exemple) parlent. Cette situation laisse la société sans centre fixe, sans autorité, et dans un état de déségrégation. Elle est vulnérable à un taux de suicide plus élevé, un individualisme sans freins, et à un sentiment plus aigu d'anomie, ou de nihilisme, dans lequel "les règles traditionnelles ont perdu leur autorité[19]".
Le culte de l'individu
Malgré ce pronostique pessimiste, Durkheim voit dans la mort des anciens dieux l'avènement de nouvelles formes de religion qui vont pouvoir diriger la société occidentale. Cette religion, qu'il nomme 'le culte de l'individu', a comme objet sacré (son dieu) l'individu. Important pour ce concept d'individu, c'est que "c'est celui de Kant et de Rousseau, celui des spiritualistes, celui que la Déclaration des droits de l'homme a tenté, plus ou moins heureusement, de traduire en formules[20]". Comme Durkheim nous explique, “Ce culte de l'homme a pour premier dogme l'autonomie de la raison et pour premier rite le libre examen.”[21] Cette religion cherche aussi à alléger la souffrance des individus partout dans le monde, cela étant une partie fondamentale de sa moralité. Aussi, dans le culte de l'individu, la métaphysique chrétienne est remplacée par la science moderne (notre cosmologie) qui fournit désormais une représentation de l'univers. On trouve donc déjà, dans le culte de l'individu, plusieurs caractéristiques d'une religion: objet sacré, communauté morale, cosmologie. Pour l'église et les rites, Durkheim porte son regard vers la Révolution française, le premier cas d'effervescence collective pour cette religion, et les mouvements socialistes qui sont les héritiers de ce mouvement initial.
Cette nouvelle religion est encore présente dans notre société, surtout avec la Déclaration universelle des droits de l'homme, ainsi que les discours de plusieurs groupes anarchistes/communistes et les discours du parti socialiste. Elle se voit d'ailleurs dans la propagation des démocraties modernes partout dans le monde. La dominance de la science moderne d'aujourd'hui aussi fait écho aux analyses et prédictions de Durkheim.
Le fait social
Article détaillé : Fait social.« La première règle et la plus fondamentale est de considérer les faits sociaux comme des choses (...)[22] »
— Durkheim, Les Règles de la Méthode sociologique
L'étude du fait social en tant qu'objet n'a pas pour intention de le ramener à un sujet purement matériel mais plutôt de lui donner une forme concrète afin d'éviter un glissement vers une sociologie spontanée et subjective. Il faut avant tout définir le fait social objectivement pour donner une légitimité à son étude, le distinguer de l'idée.
Le fait social est toutefois difficile à déterminer, c'est pourquoi Durkheim énonça certaines constantes permettant sa mise en évidence et son étude.
Tout d'abord, les faits sociaux sont extérieurs à l'individu et doivent être expliqués « par les modifications du milieu social interne et non pas à partir des états de la conscience individuelle » afin de ne pas confondre les faits sociaux avec d'autres variables telles que la psychologie du sujet, son contexte familial, culturel, etc. Ces faits sociaux existent sans que nous ayons nécessairement conscience ni de leur existence ni de leur autonomie. En effet, un fait social peut être indépendant de l'individu, il n'a pas besoin de sa présence pour se manifester.
Afin de rendre compte d'un fait social absolument pur, on utilise les statistiques qui permettent de neutraliser les variations entre individus et finalement d'étudier une moyenne qui, pourtant, ne sera pas apparente dans la société et cela à cause des variables précédemment citées. Le fait social représente donc « un certain état de l'âme collective[23] ».
Un autre critère permettant de définir le fait social est son caractère contraignant. Le fait social s'impose à l'individu, qu'il le veuille ou non, et non le contraire. Il correspond à un système de normes établies pour et par la société et n'est que rarement modifiable autrement que par un bouleversement social ; l'homme acquiert nombre d'entre elles dès le début de son éducation et tend à en intérioriser une grande partie. L'éducation détient le rôle d'institution socialisante par excellence, elle fait de l'enfant un être social. Puisque présent dès l'enfance, le caractère contraignant des faits sociaux se fait moins évident et devient une habitude : c'est le principe même de la socialisation.
On peut toutefois mettre en évidence cette notion de contrainte grâce aux institutions, celles-ci étant antérieures à chacun d'entre nous donc légitimes, et aux sanctions qu'elles infligent. Elles peuvent être directes ou indirectes mais, dans tous les cas, elles ne cessent de rappeler à l'individu que ce sont les faits sociaux qui s'imposent à lui et non le contraire. Celui qui s'en écarte subira des sanctions de son entourage tels que le blâme, la réprobation ou la mise à l'écart. Ces sanctions peuvent aussi être organisées, à l'image des condamnations judiciaires ou religieuses.
Un vol, par exemple, peut être puni par une peine de prison, mais il existe également des sanctions moins manifestes et le phénomène de la mode est l'un des exemples les plus explicites : si un individu décide de porter une botte autour du cou, les moqueries et les regards amusés de son entourage constitueront une sanction à ce non-conformisme bien qu'il ne soit pas contraire à la loi. Autre exemple : un homme d'affaires va bien s'habiller non pas parce qu'il le veut mais parce que c'est la société qui lui impose le fait d'être bien habillé sinon il sera sanctionné par ses supérieurs.
Par ce pouvoir de coercition, Durkheim, dans une vision déterministe et holiste de la sociologie, présente la domination de la société, par l'intermédiaire des faits sociaux, sur la manière de penser et d'être d'un individu. Les deux principales caractéristiques d'un fait social sont donc son caractère collectif et son caractère contraignant : « Bien loin qu'ils soient un produit de notre volonté, ils la déterminent du dehors ». Émile Durkheim propose cette définition : les faits sociaux « consistent en des manières d'agir, de penser et sentir, extérieures à l'individu, et qui sont douées d'un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s'imposent à lui. ».
Finalement, Durkheim définit le fait social comme suit :
« Est fait social toute manière de faire, fixée ou non, susceptible d'exercer sur l'individu une contrainte extérieure ; ou bien encore, qui est générale dans l'étendue d'une société donnée tout en ayant une existence propre, indépendante de ses manifestations individuelles. »
Durant son étude sur le Suicide, Durkheim cherche à prouver que ce fait social, qui semble si dépendant de notre volonté, de notre liberté d'action, dépend aussi de facteurs sociaux : on peut se suicider plus chez les protestants que chez les catholiques, chez les ruraux que chez les urbains. Durkheim cherche à travers son célèbre ouvrage de 1897 à trouver ces facteurs.
Les représentations collectives et la Sociologie de la connaissance
Alors que son œuvre traite de plusieurs sujets (la famille, les structure sociales, les institutions sociales) une grande partie traite du sujet de la sociologie de la connaissance. En 1902, avec Marcel Mauss, il a publié l'article, "De quelques formes primitives de classification", qui examine les différentes façons dont l’organisation et la structure sociales influencent la genèse des catégories et des systèmes de groupement logique d'une société.
Un des plus importants éléments de la théorie de la connaissance de Durkheim est son concept de représentations collectives, un terme qui remplace le terme de 'conscience collective' utilisé dans La division du travail social. Les représentations collectives sont les symboles et images qui représentent les idées, croyances, et valeurs d'une collectivité. Elles ne sont pas réductibles aux individus appartenant au groupe. Les représentations collectives peuvent être des mots, slogans, idées ou bien des symboles matériels, comme une croix, une pierre, un temple, une plume etc. Comme nous explique Durkheim, les représentations collectives sont créées à travers l'interaction intense des individus lors d'une réunion ou d'un rite religieux. Elles sont les produits d'une activité collective et en tant que tels, ces représentations ont une caractéristique qui semble être contradictoire. Elles sont à la fois externes à l'individu (puisqu'elles sont créées et contrôlées non pas par l'individu, mais par la société entière), et internes à l'individu (en vertu de la participation de l'individu à la société). À travers les représentations collectives, le groupe fait pression sur l'individu pour qu'il s'assimile aux normes morales et intellectuelles de la société. Ainsi, les représentations collectives servent à donner un sens et un ordre au monde, mais elles expriment, symbolisent, et interprètent des relations sociales en même temps.
Durkheim et le logos
La déclaration définitive de Durkheim à propos de la sociologie de la connaissance se trouve dans son magnum opus Les formes élémentaires de la vie religieuse. Dans ce livre, Durkheim tente non seulement d'élucider les origines et la fonction sociales de la religion, mais aussi de décrire les origines sociales de la société et son impact sur la langue et la pensée logique.
Dans Les formes élémentaires de la vie religieuse Durkheim fait référence surtout à Kant, et réinterprète la théorie Kantienne de la genèse des catégories. Il critique l'idée kantienne que les catégories comme le temps, l'espace, ou le nombre, sont présentes à l'homme a priori. D'après Durkheim, ces catégories ne sont pas universellement partagés par l'humanité a priori, mais sont plutôt déterminés par les cultures qui les créent. Durkheim dit des catégories comme le temps et l'espace:
« Non seulement c'est la société qui les a instituées, mais ce sont des aspects différents de l'être social qui leur servent de contenu : la catégorie de genre a commencé par être indistincte du concept de groupe humain; c'est le rythme de la vie sociale qui est à la base de la catégorie de temps ; c'est l'espace occupé par la société qui a fourni la matière de la catégorie d'espace ; c'est la force collective qui a été le prototype du concept de force efficace, élément essentiel de la catégorie de causalité[24]. »
Cela vaut pour toutes les catégories, y compris la catégorie de totalité, catégorie la plus importante pour Durkheim.
Le même vaut pour la langue, ou bien les concepts; ils sont des produits de la collectivité, des éléments essentiellement partagés. Cela veut dire, paradoxalement, que la langue existe hors de l'individu et indépendamment de lui (puisque l'individu est contraint d'utiliser des mots qui ont du sens pour les autres), mais aussi dans et à travers l'individu qui parle. Comme dit Durkheim:
« La nature du concept, ainsi défini, dit ses origines. S'il est commun à tous, c'est qu'il est l'œuvre de la communauté. Puisqu'il ne porte l'empreinte d'aucune intelligence particulière, c'est qu'il est élaboré par une intelligence unique où toutes les autres se rencontrent et viennent, en quelque sorte s'alimenter. [...] Toutes les fois que nous sommes en présence d'un type de pensée ou d'action, qui s'impose uniformément aux volontés ou aux intelligences particulières, cette pression exercée sur l'individu décèle l'intervention de la collectivité. D'ailleurs, nous disions précédemment que les concepts avec lesquels nous pensons couramment sont ceux qui sont consignés dans le vocabulaire. Or il n'est pas douteux que le langage et, par conséquent, le système de concepts qu'il traduit, est le produit d'une élaboration collective. Ce qu'il exprime, c'est la manière dont la société dans son ensemble se représente les objets de l'expérience. Les notions qui correspondent aux divers éléments de la langue sont donc des représentations collectives[25]. »
Durkheim ajoute, appuyant sur Platon:
« Mais si ce sont, avant tout, des représentations collectives, ils ajoutent, à ce que peut nous apprendre notre expérience personnelle, tout ce que la collectivité a accumulé de sagesse et de science au cours des siècles. Penser par concepts, ce n'est pas simplement voir le réel par le côté le plus général ; c'est projeter sur la sensation une lumière qui l'éclaire, la pénètre et la transforme. Concevoir une chose, c'est en même temps qu'en mieux appréhender les éléments essentiels, la situer dans un ensemble ; car chaque civilisation a son système organisé de concepts qui la caractérise. En face de ce système de notions, l'esprit individuel est dans la même situation que le nous de Platon en face du monde des Idées. Il s'efforce de se les assimiler, car il en a besoin pour pouvoir commercer avec ses semblables[26]. »
Notre manière de conceptualiser le monde et de parler de lui est en large mesure déterminée par la société dans laquelle nous vivons. Plus encore, la société prend une part active à notre perception de la réalité; elle nous dévoile certains éléments de la réalité en même temps qu'elle nous en cache certains autres. La société nous donne un langage infiniment riche qui dépasse nos propres expériences personnelles et nous aide à encadrer nos propres conceptualisations du monde. Elle fixe l'entrée de jeu de toute expression linguistique.
Ces déclarations devancent d'au moins cinquante ans celles faites dans le même sens par d'autres philosophes, comme Michel Foucault dans Les mots et les choses. Ainsi, Durkheim, comme Friedrich Nietzsche, peut être considéré comme un des premiers philosophes à contourner le modèle de l'égo cartésien qui conceptualise l'individu rationnel dans un état pur et absolument autonome, déconnecté des influences extérieures qui peuvent obscurcir sa logique et son jugement.
- Quelques autres citations clés du livre Les formes élémentaires de la vie religieuse:
« La matière de la pensée logique est faite de concepts. Chercher comment la société peut avoir joué un rôle dans la genèse de la pensée logique revient donc à se demander comment elle peut avoir pris part à la formation des concepts[27]. »
« Elles [les représentations collectives] correspondent à la manière dont la société dans son ensemble se représente les objets de l’expérience[28]. »
« Et puisque la pensée logique commence avec le concept, il suit qu’elle a toujours existé, il n’y a pas eu de période historique pendant laquelle les hommes auraient vécu, d’une manière chronique, dans la confusion et la contradiction[29]. »
« Puisque l’univers n’existe qu’autant qu’il est pensé-et puisqu’il n’est pensé totalement que par la société, il prend place en elle[30]. »
« La pensée vraiment et proprement humaine n’est pas une donnée primitive ; c’est un produit de l’histoire[31]. »
« Le contenu même de ces notions témoigne dans le même sens. Il n'est guère de mots, en effet, même parmi ceux que nous employons usuellement, dont l'acception ne dépasse plus ou moins largement les limites de notre expérience personnelle. Souvent un terme exprime des choses que nous n'avons jamais perçues, des expériences que nous n'avons jamais faites ou dont nous n'avons jamais été les témoins. Même quand nous connaissons quelques-uns des objets auxquels il se rapporte, ce n'est qu'à titre d'exemples particuliers qui viennent illustrer l'idée, mais qui, à eux seuls, n'auraient jamais suffi à la constituer. Dans le mot, se trouve donc condensée toute une science à laquelle je n'ai pas collaboré, une science plus qu'individuelle ; et elle me déborde à un tel point que je ne puis même pas m'en approprier complètement tous les résultats. Qui de nous connaît tous les mots de la langue qu'il parle et la signification intégrale de chaque mot[32] ? »
Le Suicide
Article détaillé : Le Suicide.Le Suicide, publié en 1897, est une étude sociologique empirique où Émile Durkheim met en œuvre les principes méthodologiques qu'il a préalablement définis dans Les Règles de la méthode sociologique. Dans cet ouvrage, il défend l'idée selon laquelle le suicide est un fait social à part entière – il exerce sur les individus un pouvoir coercitif et extérieur – et, à ce titre, peut être analysé par la sociologie. Ce phénomène, dont on pourrait penser de prime abord qu'il est déterminé par des raisons relevant de l'intime, du psychologique[33], est également éclairé par des causes sociales, des déterminants sociaux. La statistique montre en effet que le suicide est un phénomène social normal : le suicide est un phénomène majoritaire et régulier que l'on retrouve dans la plupart des sociétés et, au sein de chaque société, les taux de suicide évoluent relativement peu. "ce qu'expriment ces données statistiques, c'est la tendance au suicide dont chaque société est collectivement affligée[34]". Durkheim va d'abord s'attacher à dégager les causes du suicide et ensuite proposer une typologie des suicides, selon leurs causes.
Le lien social
Article détaillé : Lien social.Mais la lecture de Durkheim est intéressante pour un autre point : son étude sur ce qu'il appellera le lien social. Il y a deux interprétations, une qui se voit dans les textes du jeune Durkheim qui se présente comme 'solidarité mécanique' ou 'organique' et une deuxième qui se voit dans les textes plus avancés et qui est ancrée dans la religion. Cela est dû au fait que Durkheim reconnaissait de plus en plus l'importance de la religion pour une société, au point ou il publie, en 1912, Les formes élémentaires de la vie religieuse, un livre dédié à la religion et à ses effets sur la société. Un lien social n'exclut pas forcément l'autre.
Solidarité mécanique et Solidarité organique
Article détaillé : De la division du travail social.Témoin de la naissance de la société industrielle, Durkheim se pose la question de savoir comment s'unissent les hommes dans une société qui s'individualise de plus en plus. Dans son livre, La Division du travail social, Durkheim définit ainsi l'évolution de la solidarité : les sociétés traditionnelles passées se fondaient sur une solidarité mécanique impliquant des comportements collectifs et des activités de production faiblement différenciés. Cette solidarité reposait sur la proximité, la ressemblance et le partage d'une histoire et de valeurs communes aux communautés humaines. Mais cette solidarité doit laisser place à une solidarité devenue organique pour s'imposer dans nos sociétés modernes. Cette solidarité se définit par l'interdépendance et la complémentarité (c'est-à-dire la société fabrique un système de parties spécialisées dont toutes sont nécessaires pour le fonctionnement de la société-par exemple sans le fermier il n'y a pas de boulanger ni de supermarché, sans le super-marché ou le boulanger la nourriture du fermier n'arrive pas à la population qui en a besoin etc.) qu'impose la société moderne aux êtres humains. Celle-ci s'étant mise en place avec la division du travail social produit par la forte densité démographique du pays et l'avance de la technologie. La division du travail se produit parce qu'avec la division du travail social, les individus ne se ressemblent plus, ne vivant plus dans le même lieu et ayant tous des travaux différents. La division du travail social semble alors créer pour Durkheim un lien d'interdépendance, une fonction sociale, entre les êtres humains. Paradoxalement, la société est sauvée par ce qui la met en danger, la diversité de la population.
Il revient à l'État de veiller à ce que les différences croissantes n'entament pas l'interdépendance des individus et des groupes : « S'il ne sait plus garantir l'égalité, il peut garantir l'équité. ».
Mais Durkheim développe aussi l'idée, dans Le Suicide ou La Division du Travail social, que le lien social peut être sujet à des dysfonctionnements. Ainsi une division du travail trop poussée et/ou trop spécialisée peut entraîner l'isolement. Une crise du lien social peut alors apparaître si l'isolement l'emporte sur la solidarité et le partage de quelque chose en commun.
Solidarité religieuse
La solidarité religieuse devient une idée fondamentale pour Durkheim au milieu des années 1890 et devient plus importante que la solidarité organique en ce qui concerne la bonne santé d'une société. Pour une explication en plus de détail, voir la section sur la religion.
Méthode, objectivité
Pour instaurer cette nouvelle discipline qu'est la sociologie, Durkheim exprime sa volonté d'installer une méthodologie spécifique garantissant sa scientificité et sa spécificité. « Il n'y a, en effet, qu'un moyen de faire en science, c'est de l'oser, mais avec méthode » (De la Division du travail social). Un point important de l'étude sociologique est l'objectivité du sociologue : Comment étudier un objet qui, dès le départ, conditionne l'observateur ? L'observation doit être la plus impersonnelle possible, se débarrassant de ses préjugés pour éviter toute déformation perceptive, mais ne le sera jamais parfaitement. C'est pourquoi la méthode de Durkheim s'appuie sur la comparaison plutôt que sur l'étude d'un fait social pris indépendamment (méthode de comparaison) : le fait social sera étudié en fonction des autres faits sociaux et non en fonction de la personne qui l'étudie. Cette méthode sera détaillée dans l'ouvrage Règles de la méthode sociologique de 1895.
De plus, en parfait holiste, Durkheim étudiera tout fait social par le social, sans s'appuyer sur une étude psychologique des acteurs alors soumis aux contraintes sociétales. C'est l'étude statistique qui permet d'étudier de manière fiable les rapports : si ceux-ci se répètent, le fait social est normal, sinon il est pathologique.
Critiques
Sociologie comme science sociale
Durkheim a été vivement critiqué pour avoir tenté d'établir la sociologie comme une science. Certains ont considéré sa définition du fait social comme une vision minimaliste du monde réel. D'autres, comme Robert K. Merton, voient dans les hypothèses de Durkheim « une orientation [qui] ne fournit qu'un cadre très large à l'enquête empirique[35] ».
Le crime
Une des affirmations de Durkheim a suscité l'incompréhension chez ses contemporains : dans Les règles de la méthode sociologique, il déclare que le crime a une fonction dans la société et qu'il est par conséquent normal. Un fait social est normal pour un type social déterminé, considéré à une phase déterminée de son développement, quand il se produit dans la moyenne des sociétés de cette espèce, considérées à la phase correspondante de leur évolution. Bien qu'il soit non-conforme aux normes sociales, il est présent dans toutes les sociétés, ce qui fait de lui un phénomène normal. De plus, « le tort qu'il fait à la société est annulé par la peine, si elle fonctionne régulièrement ». Il est donc possible de juger le bon fonctionnement d'une société selon la répression exercée sur les crimes. Disciple et collaborateur de Durkheim, Paul Fauconnet a développé une stimulante analyse sociologique de la responsabilité pénale, qui prolonge les analyses durkheimiennes de la fonction sociale du crime ; il en souligne notamment la dimension sacrificielle.
Durkheim et la place de l'individu
Durkheim fut également accusé de déterminisme après la publication de ses théories. En effet, quelle liberté reste-t-il à l'homme dans une société aussi contraignante que celle qu'il décrit ? Quelle place accorder au libre arbitre ?
Alors que Durkheim tentait d'expliquer les phénomènes sociaux à partir des collectivités, un de ses contemporains, Max Weber, étudiait une toute autre approche de la sociologie, parfaitement à l'opposé du holisme de Durkheim. Pour Weber, en effet, « l'action humaine [est] orientée significativement par rapport à autrui[35] », et les phénomènes sociaux s'expriment à travers l'individu. (A noter que Weber, qui était économiste et ne s'est fait connaître dans le champ sociologique qu'à partir de 1905 environ, n'a jamais dialogué avec Durkheim. C'est Halbwachs qui a largement contribué à le faire connaître dans l'entre-deux guerres. L'opposition holisme / individualisme, Durkheim vs Weber est une construction a posteriori que l'on doit largement à Raymond Aron, après 1945.) Ainsi, alors même que la sociologie venait d'apparaître en tant que telle, ces deux tendances extrêmes qui voyaient déjà le jour : le holisme de Durkheim (très critiqué par Raymond Aron) et l'individualisme de Weber, l'opposition entre les structures sociales et le jeu des acteurs dans les phénomènes sociologiques, n'étaient pas pensées comme telles par ses contemporains.
D'autres auteurs, comme Edward Tiryakian, tentent de montrer comment Durkheim réussit à créer un modèle social qui laisse place à l'individu. Dans son Sociologism and Existentialism, Tiryakian montre que loin d'être antithétique à l'individu, la sociologie de Durkheim, tout comme l'existentialisme, cherche à comprendre l'état d'existence des individus par rapport à autrui. La différence est que la sociologie de Durkheim n'utilise pas de méthodologie phénoménologique/psychologique comme Sartre ou Husserl et, au contraire, lance son analyse de l'individu à partir de ses conditions sociales, qui sont, en tout cas, créées par d'autres individus.
Critique féministe
Durkheim, comme beaucoup d'autres auteurs de son époque, Schopenhauer, Nietzsche, Freud, Darwin parmi plusieurs autres, avait tendance à voir et à essayer d'expliquer ce qu'il apercevait comme l'infériorité des femmes.
Bien que Durkheim ait cherché à fournir des explications sociologiques aux phénomènes qu'il étudiait, il a tout de même inséré des explications sexistes, biologisantes et naturalisantes de certains comportements sociaux qui renvoyaient aux représentations sociales de son époque. En ce sens, les travaux de Durkheim illustrent le principe selon lequel le sociologue ne peut pas s'extraire complètement du contexte dans lequel il travaille : l'observateur ne peut pas être totalement neutre et objectif. Dans le cas de son étude sur le suicide par exemple, Durkheim a écrit que si les femmes se suicidaient moins que les hommes, après un deuil ou un divorce, cela était dû à une différence naturelle qui impliquait selon lui un comportement plus instinctif :
« Mais cette conséquence du divorce est spéciale à l'homme ; elle n'atteint pas l'épouse. En effet, les besoins sexuels de la femme ont un caractère moins mental, parce que d'une manière générale sa vie mentale est moins développée. Ils sont plus immédiatement en rapport avec les exigences de l'organisme, les suivent plus qu'ils ne les devancent et y trouvent par conséquent un frein efficace. Parce que la femme est un être plus instinctif que l'homme, pour trouver le calme et la paix, elle n'a qu'à suivre ses instincts. Une réglementation sociale aussi étroite que celle du mariage et, surtout, du mariage monogame ne lui est donc pas nécessaire[36]. »
Œuvre
- 1892 - La contribution de Montesquieu à la constitution de la science sociale
- 1893 - De la division du travail social
- 1895 - Les Règles de la méthode sociologique
- 1897 - Le Suicide
- 1897 - La Prohibition de l’inceste et ses origines, L’Année Sociologique, vol. 1, 1897, p. 1-70, Texte reproduit dans Journal sociologique, pp. 37 à 101. Paris: PUF, 1969, 728 p. et disponible également en poche dans la "Petite Bibliothèque Payot" (ISBN 2-228-90339-6)
- 1900 - La Sociologie et son domaine scientifique, Version francophone d'un article publié en italien, « La sociologia e il suo domino scientifico » in Rivista italiana di sociologia, 4, 1900, pp 127–148. Repris dans Émile Durkheim. Textes. 1. Éléments d'une théorie sociale, Paris, Éditions de Minuit, Sens commun, 1975, pp. 13-36
- 1912 - Les Formes élémentaires de la vie religieuse
- 1914 - Qui a voulu la guerre ?, en collaboration avec Ernest Denisll
- 1915 - L'Allemagne au-dessus de tout, La mentalité allemande et la guerre [lire en ligne]
Editions posthumes
- 1883 - 1884 - Cours de philosophie dispensé au Lycée de Sens 1883-1884
- 1902 - 1903 - L'éducation morale, cour dispensé à la Sorbonne
- 1918 - Le “Contrat social” de Rousseau
- 1922 - Éducation et sociologie
- 1924 - Sociologie et philosophie, préf. de C. Bouglé, Alcan
- 1928 - Le Socialisme. Sa définition - Ses débuts - La doctrine saint-simonnienne
- 1938 - L'Évolution pédagogique en France
- 1955 - Pragmatisme et sociologie
- 1977 "éducation et sociologie"
Notes et références
- Célestin Bouglé, Marcel Mauss, Henri Hubert, Robert Hertz, Maurice Halbwachs et François Simiand Parmi les participants à cette revue aux origines, on peut nommer
- Son père, Moïse Durkheim (1806-1896) fut le premier rabbin d'Épinal
- Ferdinand Buisson Où il remplaça le philosophe
- Léon Bourgeois. Certains éléments de sa réflexion le rapprochent du radicalisme, voire solidarisme de
- Gérard Noiriel, Dire la vérité au pouvoir. Les intellectuels en question, Agone, coll. « Éléments », 2010, p. 226-227.
- Durkheim, Émile. Les formes élémentaires de la vie religieuse, Presses Universitaires de France, 5e édition, 2003. p. 604.
- Durkheim, Émile. Les formes élémentaires de la vie religieuse, Presses Universitaires de France, 5e édition, 2003. p. 65.
- Durkheim, Émile. Les formes élémentaires de la vie religieuse, Presses Universitaires de France, 5e édition, 2003. p. 553
- Durkheim, Émile. Les formes élémentaires de la vie religieuse, Presses Universitaires de France, 5e édition, 2003. p. 308.
- Durkheim, Émile. Les formes élémentaires de la vie religieuse, Presses Universitaires de France, 5e édition, 2003. p. 327.
- Durkheim, Émile. Les formes élémentaires de la vie religieuse, Presses Universitaires de France, 5e édition, 2003. p. 496.
- Durkheim, Émile. Les formes élémentaires de la vie religieuse, Presses Universitaires de France, 5e édition, 2003. p. 200.
- Durkheim, Émile. Sociologie et Philosophie. PUF. Paris, 2004. p. 50.
- Durkheim, Émile. Sociologie et Philosophie. Librairie Félix Alcan. Paris, 2004. p. 53.
- Durkheim, Émile. Sociologie et Philosophie. PUF. Paris, 2004. p. 67.
- Durkheim, Émile. Les formes élémentaires de la vie religieuse, Presses Universitaires de France, 5e édition, 2003. p. 610-611.
- Émile Durkheim, De la division du travail social (Paris: Presses Universitaires de France, 1893), 38.
- Durkheim, Émile. Les formes élémentaires de la vie religieuse, Presses Universitaires de France, 5e édition, 2003. p. 610.
- Durkheim, Émile. Suicide, PUF, Paris, 1897. p. 281.
- http://classiques.uqac.ca/classiques/Durkheim_emile/durkheim.html Émile Durkheim, “L’Individualisme et les intellectuels.” (ed. Marcelle Bergeron, 1898), 5. Document téléchargé ici:
- Ibid., 8.
- Les Règles de la Méthode sociologique, 1re éd. : 1895, chapitre II, P.U.F., 1963, p. 15.
- Les Règles de la Méthode sociologique, Nouvelle Édition, Éditions Flammarion, Paris, 2010, p. 108.
- Durkheim, Émile, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Presses Universitaires de France, 5e édition, 2003Formes, p. 628
- Durkheim, Émile, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Presses Universitaires de France, 5e édition, 2003Formes, p. 619-620
- Durkheim, Émile, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Presses Universitaires de France, 5e édition, 2003Formes, p. 622
- Les formes élémentaires de la vie religieuse, Presses Universitaires de France, 5e édition, 2003, p. 617
- Les formes élémentaires de la vie religieuse, Presses Universitaires de France, 5e édition, 2003, p. 620
- Les formes élémentaires de la vie religieuse, Presses Universitaires de France, 5e édition, 2003, p. 627
- Les formes élémentaires de la vie religieuse, Presses Universitaires de France, 5e édition, 2003, p. 630
- Les formes élémentaires de la vie religieuse, Presses Universitaires de France, 5e édition, 2003, p. 635
- Les formes élémentaires de la vie religieuse, Presses Universitaires de France, 5e édition, 2003, p. 620-621
- Berrios G E & Mohanna M (1990) Durkheim and French psychiatric views on suicide during the 19th century: a conceptual history. British Journal of Psychiatry 156: 1-9
- E. Durkheim, Le suicide, Paris, PUF, 2007, p.14
- [réf. nécessaire]
- Le suicide, 1897, page 306.
Voir aussi
Bibliographie
Francophone
- Bernard Dantier, La Chose sociologique et sa représentation : Introduction aux Règles de la méthode sociologique d’Émile Durkheim, 2003
- Jean Étienne, Françoise Bloess, Jean-Pierre Noreck et Jean-Pierre Roux, Dictionnaire de sociologie: les notions, les mécanismes, les auteurs, Hatier, 1997
- François Héran, « L’institution démotivée de Fustel de Coulanges à Durkheim et au-delà » in Revue Française de Sociologie, 1987, vol. 27, p. 67-97
- Bruno Karsenti, La société en personnes. Études durkheimiennes, Economica, 2006.
- Michel Lallement, Histoire des idées sociologique : des origines à Weber, Circa, 1993
- Robert Leroux, Histoire et sociologie en France : de l'histoire-science à la sociologie durkheimienne, PUF, 1998.
- Mendras, Henri, Eléments de sociologie, Armand Colin, 1996
- Merton, Robert, Eléments de théorie et de méthode sociologique, Armand Colin, 1997
- Raymond Aron, Les étapes de la pensée sociologique, Gallimard, 1967
- Charles-Henry Cuin, Durkheim. Modernité d'un classique, collection « Société et Pensées » dirigée par Gérald Bronner, Éditions Hermann, 2011.
Anglophone
- Robin Horton, « Lévy-Bruhl, Durkheim, and the Scientific Revolution », in: Robin Horton and R. Finnegan (Hrsg.), Modes of Thought, London: Faber & Faber, 1973, S. 249-305.
- Robert A. Jones, « Emile Durkheim : an introduction to four major works, Masters of Social Theory », vol.2, Sage Publications, 1986
- Susan Stedman Jones, « Charles Renouvier and Emile Durkheim : 'Les Regles de La Methode Sociologique' », Sociological Perspectives, Bd. 38, 1995, H. 1, S. 27-40
- Steven Lukes, « Émile Durkheim, his life and work. A historical and critical study ». Allen Lane, London 1973
- Talcott Parsons: The structure of social action. A study in social theory with special reference to a group of recent European writers. McGraw-Hill, New York 1937
- Anne Warfield Rawls, « Durkheim and Pragmatism: An Old Twist on a Contemporary Debate », Sociological Theory, Bd. 15, 1997, H. 1, S. 5-29
- Edward Tiryakian, « Sociologism and Existentialism: Two Perspectives on the Individual and Society », (Perennial Works in Sociology) 1979.
Germanophone
- Adeline Barnaud, Emile Durkheim im ersten Weltkrieg 1914-1917, schriftliche Arbeit zur Erlangung des Akademischen Grades "Magister Artium", historischer Seminar der Eberhard-Karls-Universität, Tübingen 2004
- Ole Goos, Zur Reproduktion der Philosophie G.W.F. Hegels bei Georg Simmel und Emile Durkheim. Studien zu den Begriffen Kultur und Gesellschaft. Dissertation, Universität Heidelberg 2006
- René König, Émile Durkheim zur Diskussion. München/Wien 1976
Italophone
- Gianfranco Poggi, Emile Durkheim, Il Mulino, Bologna, 2003
- Sandro Nannini, Educazione, individuo e società in Emile Durkheim e nei suoi interpreti, Loescher, Torino, 1980
- Anthony Giddens, Durkheim, Il Mulino, Bologna, 1998
- Anthony Giddens, Capitalismo e teoria sociale. Marx, Durkheim e Max Weber, Il Saggiatore, Milano, 1984
- Realino Marra, Il diritto in Durkheim. Sensibilità e riflessione nella produzione normativa, Edizioni Scientifiche Italiane, Napoli, 1986.
- Realino Marra, La religione dei diritti. Durkheim – Jellinek – Weber, Giappichelli, Torino, 2006.
- Pio Marconi, Durkheim. Sociologia e politica, Jovene, 1974
- Mario A. Toscano,Evoluzione e crisi del mondo normativo. Durkheim e Weber, Laterza, Roma, 1975.
- Mario A. Toscano, Trittico sulla guerra. Durkheim. Weber. Pareto, Laterza, Bari, 1996.
Articles connexes
- Holisme, Anomie
- Densité morale
- Phénomène social total de Marcel Mauss
- Histoire de la sociologie
- Rue Émile-Durkheim
Liens externes
- Importante collection de textes (Les Classiques des sciences sociales)
- Un article sur l'analyse durkheimienne peu connue de l'Etat (blog de culture juridique Conchylius)
- Durkheim sur l'encyclopédie de l'agora (agora.qc.ca)
- Analyse de ses œuvres (www.memo.fr)
- Biographie et citations d'Émile Durkheim (atheisme.free.fr)
- Institut Marcel Mauss à l'EHESS
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