Tout-anglais

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Impérialisme linguistique

L’impérialisme linguistique est la domination culturelle au moyen de la langue. Ce phénomène est une partie du phénomène plus général d’impérialisme culturel qui englobe l’imposition des modes de vie, de l’éducation, de la musique, etc. d’un groupe social sur un autre. Il doit être distingué de la domination linguistique, la différence étant d’ordre idéologique : l’impérialisme linguistique est une volonté, la domination d’une langue est un état de fait, souvent la conséquence du précédent, mais pas systématiquement.

Du fait de sa connotation idéologique, l’expression « impérialisme linguistique » est souvent considérée comme péjorative. La définir est délicat, car interfèrent souvent des considérations politiques, notamment en rapport avec la puissance politique, économique et militaire des nations dominantes. Bien que le phénomène puisse théoriquement concerner n’importe quelle langue, ceux qui utilisent ce terme de nos jours l’appliquent généralement à l’anglais.

L’impérialisme linguistique peut être le fait d’une puissance coloniale qui marginalise les langues locales, qui risquent alors de tomber en désuétude, voire de s’éteindre. Cela peut consister à véhiculer certaines idées au moyen de la langue elle-même, par l’imposition de termes prescrits (comme « camarade » en Union soviétique) ou par des modes particuliers. Ainsi en coréen, il est impossible de s’adresser à un interlocuteur sans faire référence, par les formes verbales, à sa place dans la hiérarchie sociale, selon qu’il vous est ou non supérieur.

Sommaire

L’impérialisme linguistique et la langue anglo-américaine

Histoire

L’expansion de l’anglais dans les îles britanniques

À partir XIIe siècle, les souverains anglais pratiquent une politique d’expansion dans les îles Britanniques. D’abord à l’ouest de l’Irlande, puis au Pays de Galles (conquis en 1282) et enfin en Écosse, dont la conquête subit plusieurs revers et n’est définitivement achevée qu’en 1707 par l’Acte d’union entre l’Angleterre et l’Écosse. Un État écossais a donc survécu plusieurs siècles aux côtés de son puissant voisin anglais. En Angleterre, le français décline, en grande partie à cause de la guerre contre la France. Ainsi, l’anglais est proclamé langue unique des tribunaux en 1362, bien que l’application sera en réalité bien plus lente. Henry IV d’Angleterre (1367-1413) est le premier souverain anglais à avoir l’anglais pour langue maternelle depuis la conquête normande. Dès lors la langue anglaise va gagner en prestige. Dans les territoires celtes conquis (Pays de Galles, façade Est de l’Irlande), l’administration se fait dans la langue du roi, la langue anglaise. Les nobles locaux, influencés par le pouvoir royal, s’anglicisent. Le petit peuple continue cependant à parler sa langue celtique (gallois, gaélique écossais ou irlandais). Au cours du XVIIIe siècle, le déclin des langues celtiques auprès du peuple s’accélère, du fait de l’immigration anglaise, du développement du commerce, de l’enseignement obligatoire. Les villes s’anglicisent, en particulier celles tournées vers l’Angleterre. Le XIXe siècle voit l’aboutissement du processus d’anglicisation, les langues celtiques sont désormais confinées aux zones maritimes isolées, loin des centres dynamiques. L’industrialisation (surtout en Écosse et au Pays de Galles), l’exode rural y ont beaucoup contribué. En Irlande, les principales victimes de la Grande Famine de 1846-48 sont les populations celtophones pauvres de l’ouest de l’île. La mort d’un million d’irlandais et l’émigration d’1,6 million d’autres vers des pays anglophones précipitent le déclin de la langue gaélique. À la déclaration d’indépendance de la République d’Irlande en 1921, seulement 2% des Irlandais utilisent encore le gaélique. Le taux est à peu près le même pour le gaélique écossais. Aujourd’hui, les proportions de locuteurs gaéliques restent sensiblement les mêmes qu’au début du XXe siècle : la quasi-totalité des Celtes des îles britanniques parlent anglais. Pour résumer, les facteurs qui ont contribué à l’extinction des langues celtiques sont donc :

  • La conquête de ces territoires par l’Angleterre
  • L’imposition de la langue anglaise comme langue administrative unique (bureaucratie, enseignement, armée…)
  • L’empire colonial, au départ anglais, puis britannique, administré en anglais. Considéré comme riche, il attire les populations celtes qui y voient une échappatoire à leur condition économique. Leur immigration est encouragée par le gouvernement central ou les gouvernements anglo-saxons indépendants (États-Unis, Canada…).
  • L’activité économique et industrielle, qui repose sur la puissance du centre anglais et sur des notables anglophones. S’y oppose la pauvreté des celtes, souvent ruraux.
  • Le prestige culturel de la langue anglaise (au travers de la littérature, les journaux…), qui se nourrit de tous les éléments précédents.

Le débat

Depuis le début des années 1990, l’expression a fait florès, particulièrement dans le domaine de la linguistique appliquée à l’anglais. L’ouvrage Linguistic Imperialism, écrit par Robert Phillipson, professeur d’anglais à l’université de Roskilde au Danemark, a contribué à populariser le terme. Phillipson définit l’impérialisme linguistique anglophone comme « la domination affirmée et maintenue par l’ordre établi, et la reconstitution continue d’inégalités structurelles et culturelles entre l’anglais et les autres langues ».

Sa théorie de l’impérialisme linguistique s’inscrit dans le cadre de la théorie de l'impérialisme de Johan Galtung et de la notion d’hégémonie culturelle d’Antonio Gramsci. Philippson critique la diffusion historique de l’anglais comme langue internationale et la manière dont elle continue à maintenir sa domination actuelle, en particulier dans un contexte post-colonial comme en Inde, au Pakistan, en Ouganda, au Zimbabwe, etc., mais également de plus en plus dans un contexte qu’il qualifie de « néo-colonial » en parlant de l’Europe continentale.

Le constat de Phillipson est que dans un pays dont l’anglais n’est pas la langue maternelle, cette langue devient souvent la langue des « élites ». Ceux qui peuvent le parler peuvent accéder à des postes à responsabilité dans les lieux de pouvoir et d’influence, comme aux Nations unies, à la Banque mondiale, à la Banque centrale européenne, etc. Les anglophones de naissance, une fois en poste, parviennent donc à prendre des décisions qui concernent ceux qui ne le sont pas, situation en contradiction apparente avec les prétentions démocratiques de ces mêmes personnes.

Claude Piron, ancien traducteur à l’Organisation des Nations unies et l’Organisation mondiale de la santé et psycholinguiste suisse, renforce ce constat en démontrant dans "Le Défi des langues" qu’une véritable maîtrise de l’anglais nécessite 10 000 heures d’apprentissage, soit l’équivalent de six années de travail. Ainsi l’utilisation de l’anglais pour des raisons pratiques comme seule langue officielle des instances de l’Union européenne, ce qui est déjà le cas de la BCE ainsi que pour beaucoup de documents préparatoires aux décisions de la Commission, transformerait la grande majorité des habitants non anglophones de l’Union européenne en citoyens de seconde zone et renforcerait l’opacité du pouvoir d’une classe dirigeante anglophone européenne et plus largement transnationale.

Inversement, des linguistes anglophones contestent l’idée que l’hégémonie linguistique de l’anglais serait le résultat d’une conspiration. Dans son ouvrage English as a global language (L’Anglais comme langue mondiale, Presses de l’université de Cambridge, non disponible en français), David Crystal, linguiste anglais, considère que l’anglais devrait être la langue de communication internationale, tout en gardant une sorte de multilinguisme. Les anglophones de naissance favorables au maintien de l’hégémonie actuelle de l’anglais se justifient en associant la notion d’impérialisme linguistique à une attitude de gauchiste qui chercherait à contester la diffusion historique de l’anglais. Les partisans modérés de la généralisation de l’anglais sont donc généralement des libéraux qui réfutent l’idée d’un impérialisme linguistique anglophone. David Crystal et Henry Widdowson ont été assimilés à cette catégorie.

Une frange de partisans plus extrémiste de l’impérialisme linguistique anglophone milite pour une langue et une culture unique, ne retenant que la vision anglo-saxonne du monde, en droite ligne de la croyance religieuse que les Anglo-Saxons seraient le peuple choisi par Dieu pour coloniser l’Amérique du Nord et mener le monde vers la liberté. Dans ce contexte, la volonté d’imposer une langue unique au reste du monde est donc l’expression d’un choix divin.

Les conséquences

De plus en plus de voix s'élèvent pour dénoncer la marche forcée vers le « tout anglais », car ce développement marginalise le statut des autres langues nationales et régionales. Ce point de vue est particulièrement répandu dans l’Union européenne, où le multilinguisme officiel, censé être encouragé, n'empêche pas 69 % des Européens de juger que la langue anglaise est « la plus utile » (source).

La domination de l'anglais dans pratiquement tous les domaines de la vie internationale (politique, scientifique, commercial, financier, aéronautique et même militaire) relègue le multilinguisme parfait au rang des utopies. De plus, et cela ne date pas d'hier, la plupart des individus qui apprennent des langues étrangères le font plus par nécessité, sinon réelle, du moins ressentie, que pour le plaisir de la connaissance. Cela entraîne parfois des comportements irrationnels, comme en Corée, où des médecins gagnent 300 $ pour couper la petite peau qu'il y a sous la langue, prétendument parce que si les Coréens n’arrivaient pas à bien prononcer l'anglais, c'était à cause d'elle. On trouve un autre exemple de « nécessité ressentie » au Japon, où beaucoup de parents paient 50 $ Américains par heure d’enseignement pour donner des leçons privées à des enfants de cinq ans (les parents payent aussi pour d'autres matières : notamment les mathématiques).

Pourtant, ceux qui se plaisent à critiquer l'impérialisme linguistique s'arrêtent généralement à formuler des vœux pieux, tels qu'encourager encore davantage l'apprentissage des langues étrangères, même si, bien souvent, eux-mêmes n'en parlent qu'une seule. Alastair Pennycook, Suresh Canagarajah, Adrian Holliday et Julian Edge font partie de ce groupe et sont souvent considérés dans les pays anglo-saxons comme des « linguistes critiques ».

Les faces inversées du phénomène

Certains considèrent que l’anglais, ayant pour origine une combinaison de langues latines (notamment le latin et l’ancien français) et nordiques (langues germaniques cousines de l’allemand, puis vieux norrois), est la « langue naturelle du rapprochement européen ». Mais c'est aussi un prétexte à la domination, puisque seules les langues au cœur de l'identité européenne donc française au centre de l'Europe et allemande dans une moindre mesure peuvent tenir ce rôle, donc c’est moins le nombre d'Européens anglophones (à peine plus de 65 millions contre 90 millions de germanophones et 70 millions de francophones) que la puissance économique du monde anglo-américain, qui peut faire de l’anglais un des candidats au statut de langue officielle européenne. C'est ici un impérialisme étranger à l'Europe, à savoir les États-Unis d'Amérique, qui pousse les membres de l'Union européenne (et pas seulement la Grande-Bretagne) à adopter comme langue unique l'anglais, dans le but ultime d'assurer sa propre puissance culturelle, sociale et économique. Ce qui amène certains à parler d’un « impérialisme linguistique anglo-américain ».

Si l’on dépasse la vision purement européenne de l’impérialisme linguistique, la même problématique se pose sur d’autres continents, comme en Amérique latine ou en Afrique, où les langues des anciennes puissances coloniales (anglais, français, espagnol et portugais) jouent encore un rôle prépondérant, ce qui amène certains à parler d’un « impérialisme linguistique européen ».

Enfin, le développement du spanglish aux États-Unis, sous l’influence des immigrés latinos, est considéré par certains comme une invasion linguistique.

Points de vue

  • « Il y va de l’intérêt économique et politique des États-Unis de veiller à ce que, si le monde adopte une langue commune, ce soit l’anglais et que, s’il s’oriente vers des normes communes en matière de communication, de sécurité et de qualité, ces normes soient américaines et que, si ses différentes parties sont reliées par la télévision, la radio et la musique, les programmes soient américains ; et que, si s’élaborent des valeurs communes, ce soient des valeurs dans lesquelles les américains se reconnaissent. » -- David Rothkopf, directeur général du cabinet de consultants Kissinger Associates, dans son livre Praise of Cultural Imperialism (Éloge de l’impérialisme culturel), 1997. (Extrait du livre en anglais)
  • « L’important (…) n’est pas avant tout de savoir si l’anglais a, en certaines occasions, fonctionné comme une ouverture sur le progrès social et économique, mais qu’il a au moins autant représenté une attente, un espoir qu’une telle chose arrive. À l’intérieur de ce schéma de compréhension se sont développés différents mythes ; des mythes qui assimilent le futur de l’humanité, le développement, la modernisation, l’occidentalisation, la mondialisation - et l’usage de l’anglais. ». Extrait de Anglais ou norvégien ?.
  • « N'importe quel regard sur le futur peut conforter dans l'idée que bientôt le monde entier parlera anglais. Beaucoup croient que l'anglais va devenir la langue mondiale à l'exclusion de toutes les autres. Mais cette idée, qui prend racine au XIXe siècle, est périmée. Bien sûr l'anglais va jouer un rôle important dans la construction du nouvel ordre linguistique mondial, mais son impact majeur sera de créer de nouvelles générations de locuteurs bilingues et multilingues dans le monde. »[1] David Graddol, The Future of language, Science Magazine, 2004, repris dans Encyclopedia of Linguistics.

L’impérialisme linguistique du français

L’anglais n’est pas la seule langue à s’être développée de manière impériale, au sens de la définition donnée ci-dessus. Tous les responsables d’État ont cherché à imposer l’usage de la langue qui facilitait au mieux la communication du groupe auquel ils appartenaient.

Le français n’a pas échappé à la règle. La langue franque a influencé les parlers romans à partir de la création du royaume franc, ce qui permet à la linguiste Henriette Walter de dire que le français est la langue romane « la plus germanique ».

  • En traversant la Manche, Guillaume le Conquérant emporte le normand (dialecte de langue d'oïl) de son époque sur un sol qui n’a jamais parlé majoritairement une langue romane. Le normand devient la langue des élites, et progressivement il influence la langue anglaise ; c’est la langue étrangère qui lui a transmis le plus de vocabulaire. Après que le normand eut perdu de son importance en Normandie au profit du français officiel, c’est ce dernier qui apportera de nombreux mots à l’anglais. On pourra ainsi trouver deux formes d’un même terme en anglais, l’une d’origine normande et l’autre d’origine française. L’anglais est ainsi la plus « française » des langues d’origine germanique.
  • En France, l’ordonnance de Villers-Cotterêts édictée en 1539 par François Ier, peut être interprétée comme une imposition de l’emploi du françois (devenu français) à la place du latin dans les actes de justice afin « que les arretz soient clers et entendibles » par le plus grand nombre, alors que cette langue n’est parlée que par une minorité cultivée. De nombreux juristes argumentent que cette ordonnance a en fait imposé les parlers locaux au détriment du latin et non le futur français classique[2].
  • À la Révolution française, la langue française devient un symbole national : pour l’unité de la nation, il faut une langue unique. « Le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton » dit Barère au Comité de salut public en présentant son « rapport sur les idiomes ».
  • Lors de la création de la Belgique en 1830, le français est imposé comme seule langue officielle au détriment de la majorité flamande. Le néerlandais et surtout les dialectes flamands sont méprisés, surtout par la bourgeoisie flamande qui utilise alors le français. A ceci s'ajoute un mouvement de population de Belges francophones et de Français vers la ville de Bruxelles devenue majoritairement francophone depuis. Néerlandophone à 85% en 1830, elle ne l’est plus aujourd’hui qu’à 15%.
  • Lors de la création de l’Empire colonial français, le français traverse les mers et devient, dans un souci de cohérence, la langue obligatoirement enseignée dans toutes les colonies. Il est en priorité enseigné aux enfants de l’élite locale ou des chefs de tribus. Lors des indépendances, et surtout en Afrique subsaharienne, cette élite formée en français maintiendra la langue coloniale comme langue officielle.
  • En 1925, le ministre de l’Instruction publique annonce : « pour l’unité linguistique de la France, la langue bretonne doit disparaître ! ».
  • En 1972, Georges Pompidou, Président de la République dit encore : « il n’y a pas de place pour les langues régionales dans une France destinée à marquer l’Europe de son sceau ».

Le français, longtemps langue des élites, a ainsi peu à peu pris la place des langues vernaculaires en France, avec une accélération du phénomène au XXe siècle grâce à la mise en place d’un système scolaire obligatoire qui ne transmet qu’une langue : le français. Le service militaire et les guerres mondiales, et en particulier la première, ont mis en contact des soldats qui n'avaient pas la même langue maternelle et qui ont dû communiquer entre eux et avec leurs officiers en français. La télévision et la radio ont aussi lourdement contribué à l’unilinguisme francophone, en transmettant le français oral « parisien » dans tous les foyers. Les migrations interrégionales ont, elles aussi, joué un rôle important, car les habitants parlaient aux nouveaux arrivants dans la langue officielle.

Aujourd’hui la France, par le biais de l’article 2 de la Constitution (« La langue de la République est le français ») et la loi Toubon, s’interdit de financer les enseignements dans une autre langue, y compris celles traditionnellement parlées sur son territoire. Le déséquilibre est donc criant entre les moyens à disposition de la langue majoritaire et les langues minoritaires.

Le phénomène n’est pas propre au français ; aussi l’Union européenne adopte-t-elle en 1992 la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires qui consacre « le droit imprescriptible de pratiquer une langue régionale dans la vie privée et publique ». En 1999, la France la signe mais sans la ratifier, à cause de son aspect anticonstitutionnel[3]. La ratification lie juridiquement l’État contractant, la signature est une simple reconnaissance des objectifs généraux de la charte ; il n’y a donc aucune évolution de la situation des langues minoritaires en France, si ce n’est un vieillissement des locuteurs qui devrait amener les plus fragiles d’entre elles à disparaître avant la fin du XXIe siècle, après une existence pour certaines plus que millénaire.

L’impérialisme linguistique d’autres langues

  • Le latin est la langue diffusée par les Romains à travers leurs conquêtes militaires et qui s’impose comme langue administrative, juridique et commerciale dans tous les pays conquis. Sa généralisation est à l’origine des langues latines (le français, l’espagnol, le portugais, l’italien, les parlers occitans, le gallo, le roumain), entraînant la disparition des parlers gaulois. Aujourd’hui encore, cette langue domine dans certains domaines scientifiques (catalogages d’espèces, botanique), juridiques (nombre de mots techniques et d’expressions sont encore appris dans cette langue) et dans la religion catholique à la fois comme langue liturgique et comme langue de référence pour la tenue des conciles. À cette fin, près de soixante mille vocables ont été ajoutés à cette langue en deux siècles[4].
  • Avant la constitution de l’empire romain, le grec ancien (ou « grec classique », différent du grec moderne), tenait en Europe et au Moyen-Orient le rôle de langue de communication privilégiée dans le commerce, la philosophie, les arts, les sciences. Les racines lexicales de cette langue sont encore très utilisées aujourd’hui dans le domaine scientifique (médical notamment) et dans la constitution des mots nouveaux en français à consonance technique ou technologique (aérodrome, téléphone, téléphérique, bathyscaphe, etc.). On remarquera que s'il existe aujourd'hui de nombreuses langues dérivées du latin (et non des moindres en surface comme en nombre, comme l'espagnol ou le portugais), le grec n'a aucune descendance et est localisé à la zone qu'il occupait déjà du temps de Platon (et même moins puisqu'il a disparu de l'ancienne Ionie, de Sicile et d'Italie du Sud, la «Grande Grèce»; Marseille était encore considérée ville grecque du temps de César, et Naples du temps de Néron); et pourtant l'Empire byzantin, aussi grand et plus peuplé à l'origine que la partie latine de l'Empire romain, a duré 1 000 ans de plus !
  • L’espagnol, langue diffusée en Amérique du Sud et en Amérique centrale au moment de la colonisation du continent américain à partir du XVIe siècle. Comme le portugais au Brésil, cette langue s’est imposée de fait aux populations d’origine. Cependant, cette imposition est moins le résultat d’une politique volontaire de disparition des langues autochtones que la conséquence d’un déséquilibre démographique lié à l’arrivée massive de colons des pays colonisateurs.
  • L’arabe, du fait de l’expansion territoriale au Moyen Âge et par la diffusion du Coran, cette langue, devenue langue liturgique, s’est répandue dans toute l’Afrique du Nord et en Asie Mineure. L’arabisation des berbérophones du Maroc, d’Algérie et de Libye rencontre une résistance des populations qui réclament des droits linguistiques. De même au Soudan, où l’arabe prend la place de l’anglais ainsi que des langues africaines parlées au sud.
  • En Turquie, le kurde, parlé aussi principalement en Syrie, en Iran et en Irak, tente de se maintenir face au turc.
  • Le russe, a été imposé par Staline dans les provinces non russophones de l’URSS, à partir des années 1930. Staline a progressivement mis fin à l’enseignement en langues locales, mis en place par les "idéalistes" communistes au début de la Révolution russe. La progression du russe a aussi été favorisée par l’immigration de populations russophones, déplacées de gré ou de force aux confins de l’Union soviétique. Ainsi, dans certaines républiques comme le Kazakhstan, les autochtones se sont retrouvés en infériorité numérique face aux Russes. En Ukraine, en Moldavie ou en Biélorussie, les Russes constituent toujours une minorité non négligeable. Au Kazakhstan toujours, les brassages de populations liés au goulag ont favorisé l’imposition du russe. Le russe étant la langue de l’appareil étatique de l’URSS, il est de fait la langue de l’armée. Le régime communiste a mis fin au service militaire inégalitaire du tsarisme et a imposé la conscription de même durée pour toutes les ethnies. La langue russe est donc la seule langue de communication entre ces soldats issus de toutes les provinces du pays. Le russe est la langue indispensable pour accéder à l’université, travailler dans l’administration et accéder aux plus hautes responsabilités, ou même tout simplement pour lire un livre. Les langues locales sont donc fortement dévalorisées, « inondées » de mots russes. Le système communiste a aussi imposé l’alphabet cyrillique à des langues autrefois exclusivement orales, surtout en Asie centrale, au détriment de l’alphabet latin ou arabe. Cela favorise l’apprentissage de la langue locale par les Russes tout autant que l’apprentissage du russe par les locaux. C’est un facteur d’assimilation assez efficace. Cette « cyrillisation » de l’alphabet a aussi été imposée aux Moldaves, qui parlent roumain et l'écrivaient en alphabet latin. Cela dans la perspective de les séparer encore plus concrètement des Roumains et de favoriser ainsi leur appartenance soviétique. Cette politique linguistique a été très efficace, puisque en 1989 la grande majorité des populations non russes d’URSS parlaient le russe comme langue véhiculaire, voire comme langue maternelle. L’impérialisme linguistique de l’URSS ne s’est pas arrêté aux frontières de l’URSS. Le russe a été imposé comme langue étrangère obligatoire aux pays membres du Pacte de Varsovie (RDA, Pologne, Hongrie, Tchécoslovaquie…), le plus souvent au détriment de l’anglais (assez peu, on l'apprenait avec soin en seconde langue et la diaspora américaine jouait en sa faveur), de l’allemand (en partie : l'Allemagne est proche et la tradition très forte) et surtout du français (partout quasiment liquidé, sauf en Roumanie, grâce à Ceausescu). Les cadres des partis communistes nationaux étaient presque tous formées à Moscou ou à Léningrad, ainsi leur niveau de russe se devait d’être assez élevé. Bref, le russe est la langue commune et imposée aux pays du bloc de l’Est dans les organisations interétatiques comme le Pacte de Varsovie ou le Kominform. Il souffre cependant d’un manque de popularité pour les populations qui le voient comme la « langue de l’occupant », et son apprentissage s’écroule dès la fin du communisme (mais beaucoup de peuples slaves, comme les Polonais, les Tchèques et les Serbes, le comprennent assez bien sans l'apprendre).

Pour contrer l’impérialisme linguistique

Diverses voies ont été suivies pour contrer l'impérialisme linguistique, notamment le développement de l'intercompréhension, ou bien l’usage d’une langue construite, pour les motifs développés ci-dessous.

Entre les adeptes de l'uniformisation linguistique et culturelle perçue soit comme une conséquence inévitable de la mondialisation, soit comme un progrès et ceux qui prônent le multilinguisme et la diversité culturelle mais oublient les aspects pratiques qui font qu'un Français connaissant l'espagnol ne pourra pas communiquer avec un Suédois connaissant l'allemand, les points de vue semblent impossibles à réconcilier.

Le recours à une langue commune (une politique linguistique qui irait dans le sens de la généralisation de l'enseignement d'une langue véhiculaire construite dans le but de la communication internationale) est une idée défendue comme étant une solution aux problèmes posés[5]

De nombreux projets de telles langues ont vu le jour, visant tous à faciliter les relations entre personnes de langues maternelles différentes [6]. Toutes les langues construites n'ont pas cet objectif.

La plus répandue actuellement est l'espéranto, qui compte, selon une étude réalisée par le professeur Culbert de l'université de Washington, près de deux millions de locuteurs.

Le Rapport Grin a étudié cette problèmatique et a évalué les diverses solutions possibles pour lutter contre l'imperialisme linguistique au sein de l'union européenne.

Notes et références

  1. (en)"Any look into the future must entertain the idea that soon the entire world will speak English. Many believe English will become the world language to the exclusion of all others. But this idea, which first took root in the 19th century, is past its sell-by date. English will indeed play a crucial role in shaping the new world linguistic order, but its major impact will be in creating new generations of bilingual and multilingual speakers across the world."
  2. L’ordonnance de Villers-Cotterêts, cadre juridique de la politique linguistique des rois de France ?
  3. Depuis, la constitution française a été modifiée plusieurs fois, mais à aucun moment il n’a été question de la mettre en conformité avec la charte européenne
  4. Pierre Georges, Pour que latin ne meure, billet éditorial dans Le Monde
  5. http://fr.wikipedia.org/wiki/Rapport_Grin | Rapport Grin
  6. http://fr.wikipedia.org/wiki/Esperanto

Voir aussi

Ouvrages

  • Yves Person, Impérialisme linguistique et colonialisme, Les Temps modernes, 1973
  • Louis-Jean Calvet, Linguistique et colonialisme, Payot 1974
  • Charles Xavier Durand, La Manipulation mentale par la destruction des langues, Éditions François-Xavier de Guibert, Paris, mai 2002, ISBN : 2868397719

Articles connexes

Liens externes

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