Armée d'Égypte

Armée d'Égypte

Campagne d'Égypte

Campagne dÉgypte
Francois-Louis-Joseph Watteau 001.jpg
La Bataille des Pyramides
par François Watteau
Informations générales
Date 1798 - 1801
Lieu Égypte
Casus belli Le Directoire décide d'entraver la puissance commerciale britannique, en barrant la route des Indes orientales
Issue D'un point de vue militaire, après des débuts prometteurs, la campagne se solde par un échec. Néanmoins l'expédition a accru le prestige de Bonaparte, a permis les débuts de l'égyptologie et a renforcé les liens franco-egyptiens.
Belligérants
Drapeau français République française Empire Ottoman Empire Ottoman
Union flag 1606 (Kings Colors).svg Royaume de Grande-Bretagne
Commandants
Napoléon Bonaparte
Jacques François Menou
Jean-Baptiste Kléber
Louis André Bon
Mourad Bey
Djezzar Pacha
Abdallah Pacha
Forces en présence
45 000 soldats
10 000 marins
13 navires de lignes
14 frégates
Pertes
11 200 morts ou blessés
Guerres de la Révolution française
Batailles
Guerre de la deuxième coalition

St George's Caye (navale) - 1re Stockach — 1re Zurich — Bergen — 2e Zurich — Alkmaar — Castricum — Moesskirch — Biberach — 2e Stockach — Höchstädt — Hohenlinden — Copenhague (navale) — Algésiras (navale)


Campagne d'Égypte
Pyramides — Aboukir (navale) — Caire — El Arish — Jaffa — Saint-Jean-d'Acre — Mont-Thabor — Aboukir (terrestre) — Héliopolis — Canope — Siège d'Alexandrie


Expédition d'Irlande
Vinegar Hill — Castlebar — Ballinamuck


2e Campagne d'Italie
Cassano — Trebbia — Novi — Montebello — Gênes — Marengo

La campagne dÉgypte désigne l'expédition militaire en Égypte, menée par le général Bonaparte et ses successeurs de 1798 à 1801, afin de s'emparer de l'Égypte et de l'Orient, dans le cadre de la lutte contre la Grande-Bretagne, l'une des puissances à maintenir les hostilités contre la France révolutionnaire.

Elle se double d'une expédition scientifique, de nombreux historiens, botanistes, dessinateurs accompagnant l'armée afin de redécouvrir les richesses de l'Égypte. Elle est donc parfois aussi appelée expédition dÉgypte lorsque son côté scientifique moins martial est considéré.

Le 19 mai 1798 (30 floréal) le corps expéditionnaire français quitte Toulon, mais des navires les accompagnent de Gênes, Ajaccio, Civitavecchia. Au total plus de 400 navires prennent part à cette flotte, ainsi que 40 000 hommes et 10 000 marins. La flotte s'empare tout d'abord de Malte le 11 juin, puis débarque à Alexandrie le 1er juillet.

Une des plus célèbres batailles de cette campagne est la bataille des Pyramides qui a lieu le 21 juillet 1798.

Sommaire

Préparatifs

Contexte

Cest le régime du Directoire qui décide de lexpédition dÉgypte. Les directeurs qui assument le pouvoir exécutif en France ont recours à l'armée pour maintenir lordre face aux menaces jacobines et royalistes. Ils font appel au général Bonaparte, déjà auréolé de succès, notamment grâce à la campagne d'Italie.

Le but de l'expédition est longtemps resté secret : certains pensent quil faut éloigner un Napoléon Bonaparte trop encombrant et trop ambitieux ; mais il sagit surtout de gêner la puissance commerciale britannique, pour laquelle lÉgypte est une pièce importante sur la route des Indes orientales. Comme la France nest pas prête à attaquer la Grande-Bretagne de front, le Directoire décide lintervention indirecte.

LÉgypte est alors une province de lempire ottoman, repliée sur elle-même et soumise aux dissensions des Mamelouks. Elle échappe au contrôle étroit du sultan. En France, la mode égyptienne bat son plein : Napoléon Bonaparte rêve de marcher sur les traces dAlexandre le Grand. Les intellectuels pensent que lÉgypte est le berceau de la civilisation occidentale et que la France se devait d'apporter les Lumières au peuple égyptien. Enfin, les négociants français installés sur le Nil se plaignent des tracasseries causées par les Mamelouks.

Avant le départ de Toulon

Le bruit court tout à coup que 40 000 hommes de troupes de terre et 10 000 marins sont réunis dans les ports de la Méditerranée ; quun armement immense se prépare à Toulon : treize vaisseaux de ligne, quatorze frégates, quatre cents bâtiments sont équipés pour le transport de cette nombreuse armée, dont la destination est toujours un mystère. Pourquoi la Commission des sciences et des arts a-t-elle envoyé à Toulon cent de ses membres pris dans chacune de ses classes ? Aurait-on lintention daller fonder une colonie dans quelque terre éloignée ?

Le général en chef Bonaparte a sous ses ordres Thomas Alexandre Dumas, Kléber, Desaix, Berthier, Caffarelli, Lannes, Damas, Murat, Andréossy, Belliard, Menou et Zajączek, etc. Parmi ses aides de camp il a son frère Louis Bonaparte, Duroc, Eugène de Beauharnais, Thomas Prosper Jullien, le noble polonais Sulkowski.

La grande flotte de Toulon avait reçu les escadres de Gênes, de Civitavecchia, de Bastia ; elle est commandée par lamiral Brueys et les contre-amiraux Villeneuve, Duchayla, Decrès et Ganteaume.

On est sur le point dappareiller et de partir, lorsquun incident de peu dimportance réelle vient tout suspendre et tout arrêter : le drapeau tricolore arboré sur le palais de France, dans la capitale de lAutriche, par Bernadotte, ambassadeur de la République française, avait donné lieu à un tumulte dans lequel le caractère de lambassadeur se trouvait outragé, et Bernadotte avait quitté Vienne. Les avantages reconnus par le traité de Campo-Formio sont donc remis en question, et une paix glorieuse, obtenue après tant de combats et de sacrifices, semble rompue lon se flattait de la voir affermie pour longtemps.

Dans la crainte dune rupture avec lempereur, le Directoire ne voit quun homme, Bonaparte, quil fût prudent de lui opposer. Cependant, après quelques explications, les affaires sarrangent et la paix est maintenue. Bonaparte reçoit ordre de se rendre à Toulon le plus tôt possible[1].

Bonaparte arrive à Toulon le 9 mai. Il loge chez l'ordonnateur Benoît Georges de Najac, chargé de préparer la flotte. Dix jours après, au moment de sembarquer, sadressant particulièrement à ses braves de larmée dItalie, il leur dit :

« Soldats ! vous êtes une des ailes de larmée française. Vous avez fait la guerre des montagnes, des plaines et des sièges ; il vous reste à faire la guerre maritime. Les légions romaines, que vous avez quelquefois imitées, mais pas encore égalées, combattaient Carthage tour à tour sur cette même mer et aux plaines de Zama. La victoire ne les abandonna jamais, parce que constamment elles furent braves, patientes à supporter les fatigues, disciplinées et unies entre ellesSoldats, matelots, vous avez été jusquà ce jour négligés ; aujourdhui, la plus grande sollicitude de la République est pour vousLe génie de la liberté, qui a rendu, dès sa naissance, la République, arbitre de lEurope, veut quelle le soit des mers et des nations les plus lointaines. »

Le jour de son arrivée, il leur avait dit : « Je promets à chaque soldat quau retour de cette expédition, il aura à sa disposition de quoi acheter six arpents de terre ».

Prise de Malte

Larmée sembarque pleine de confiance dans les talents de son général ; vingt jours après, elle se trouve devant Malte. Bonaparte navait certainement aucune raison légitime pour attaquer et prendre cette île de vive force ; il en allègue de futiles, et, grâce au peu dattachement que la population avait conservé pour les chevaliers, il suffit de quelques coups de canon pour faire tomber la redoutable forteresse de La Valette au pouvoir des Français[2].

Bonaparte sempare de Malte par la raison du plus fort, et surtout à cause de son importante position dans la Méditerranée.

Avant de quitter cette île, le général en chef fait mettre en liberté les captifs barbaresques et italiens qui languissaient dans les bagnes de l'île. Il y avait dans cet acte, au moins autant de politique que dhumanité : on allait combattre contre des musulmans, il fallait, autant que possible, se les rendre favorables par des procédés généreux. Treize jours après le départ de Malte, la flotte est en vue dAlexandrie. Avant le débarquement, qui se fit immédiatement, le général avait adressé cette proclamation à son armée :

« Les peuples avec lesquels nous allons vivre sont mahométans ; leur premier article de foi est celui-ci : « Il ny a dautre Dieu que Dieu, et Mahomet est son prophète ». Ne les contredites pas ; agissez avec eux comme vous avez agi avec les Juifs, avec les Italiens ; ayez des égards pour leurs muphtis et pour leurs imans, comme vous en avez eu pour les rabbins et les évêques. Ayez pour les cérémonies que prescrit lAlcoran, pour les mosquées, la même tolérance que vous avez eue pour les couvents, pour les synagogues, pour la religion de Moïse et celle de Jésus-Christ. Les légions romaines protégeaient toutes les religions. Vous trouverez ici des usages différents de ceux de lEurope, il faut vous y accoutumer. Les peuples chez lesquels nous allons, traitent les femmes différemment que nous ; mais dans tous les pays celui qui viole est un monstre. Le pillage nenrichit quun petit nombre dhommes ; il nous déshonore, il détruit nos ressources ; il nous rend ennemis des peuples quil est de notre intérêt davoir pour amis. La première ville que nous allons rencontrer a été bâtie par Alexandre. Nous trouverons à chaque pas de grands souvenirs dignes dexciter lémulation des Français. »

Bonaparte en Égypte

Débarquement à Alexandrie

Menou, qui devait partir le dernier de lÉgypte, y prend terre le premier. Bonaparte et Kléber débarquent ensemble et le joignent dans la nuit au Marabou, sur lequel est planté en Afrique le premier drapeau tricolore. Le général en chef, instruit quAlexandrie a lintention de lui opposer de la résistance, se hâte de débarquer, et à deux heures du matin, il se met en marche sur trois colonnes, arrive à limproviste sous les murs de la place, ordonne lassaut ; lennemi cède et fuit. Les soldats français, malgré lordre de leur chef, se précipitent dans la ville, qui na pas le temps de capituler et se rend à discrétion.

Une fois maître de cette capitale, et avant de pénétrer plus avant sur le sol égyptien, le vainqueur adresse le 1er juillet une proclamation aux habitants musulmans dAlexandrie.

« Depuis trop longtemps les beys qui gouvernent lÉgypte insultent la nation française et couvrent ses négociants davanies. Lheure de leur châtiment est arrivée. Depuis trop longtemps ce ramassis desclaves, achetés dans le Caucase et la Géorgie, tyrannise la plus belle partie du monde ; mais Dieu, de qui dépend tout, a ordonné que leur empire finisse. Peuple de lÉgypte, on vous dira que je viens pour détruire votre religion, ne le croyez pas ; répondez que je viens vous restituer vos droits, punir les usurpateurs, et que je respecte Dieu, son prophète et le Coran plus que les Mameloucks. Dites-leur que tous les hommes sont égaux devant Dieu ; la sagesse, les talents, les vertus mettent seuls de la différence entre euxY a-t-il une plus belle terre ? elle appartient aux Mameloucks. Si lÉgypte est leur ferme, quils montrent le bail que Dieu leur en a faitCadis, cheiks, imans, tchorbadjis, dites au peuple que nous sommes aussi de vrais musulmans. Nest-ce pas nous qui avons détruit les chevaliers de Malte ? Nest-ce pas nous qui avons détruit le pape qui disait quil fallait faire la guerre aux musulmans ? Nest-ce pas nous qui avons été dans tous les temps les amis du Grand-Seigneur et les ennemis de ses ennemis ?… Trois fois heureux ceux qui seront avec nous ! Ils prospèreront dans leur fortune et dans leur rang. Heureux ceux qui seront neutres ! Ils auront le temps de nous connaître, et ils se rangeront avec nous. Mais malheur, trois fois malheur à ceux qui sarmeront pour les Mameloucks et qui combattent contre nous ! Il ny aura pas despérance pour eux, ils périront.[3] »

Lorsque tout est complètement débarqué, lamiral Brueys reçoit ordre de conduire la flotte dans le mouillage dAboukir. Quant à lescadre, elle doit, ou entrer dans le vieux port dAlexandrie, si cela se peut, ou bien se rendre à Corfou. Larrivée indubitable des Britanniques, qui déjà sétaient montrés dans les parages dAlexandrie vingt-quatre heures avant larrivée des Français, rend ces précautions nécessaires. Il est de la plus grande prudence déviter les risques dun combat naval : une défaite pouvait avoir les suites les plus désastreuses sous tant de rapports ; il est encore du plus grand intérêt de marcher au plus vite sur Le Caire, afin deffrayer les chefs des ennemis et de les surprendre avant quils eussent pris toutes leurs mesures de défense.

Vers la bataille des Pyramides

Bonaparte devant le Sphinx par Jean-Léon Gérôme

Desaix se met en route avec sa division et deux pièces de campagne ; il arrive, à travers le désert, le 18 messidor (6 juillet), à Demenhour, à quinze lieues dAlexandrie. Bonaparte, en quittant cette dernière ville, en laisse le commandement à Kléber. Le général Dugua marche sur Rosette ; il a ordre de sen emparer et de protéger lentrée dans le port de la flottille française, qui doit suivre la route du Caire, sur la rive gauche de ce fleuve, et rejoindre larmée par Rahmanié. Le 20 (8 juillet), Bonaparte arrive à Demenhour, il trouve larmée réunie. Le 22 (10 juillet), on se met en marche pour Rahmanié : on sy repose en attendant la flottille, qui porte les provisions : elle arrive le 24 (12 juillet). Larmée se remet en marche pendant la nuit ; la flottille suit son mouvement.

La violence des vents lentraîne tout à coup au-delà de la gauche de larmée et la pousse contre la flottille ennemie. Celle-ci est soutenue par le feu de 4 000 Mamelouks, renforcés de paysans et dArabes, et cependant, quoique inférieurs en nombre, les Français font perdre à lennemi ses chaloupes canonnières. Attiré par le bruit du canon, Bonaparte accourt au pas de charge. Le village de Chebreiss est attaqué et emporté après deux heures dun combat des plus acharnés. Lennemi fuit en désordre vers le Caire, laissant 600 morts sur le champ de bataille.

Après un jour de repos à Chebreiss, larmée victorieuse se remet à sa poursuite. Le 2 thermidor (20 juillet), on arrive à une demi lieue du village dEmbabé. La chaleur est insupportable : larmée, accablée de fatigue, aurait eu besoin de prendre quelque repos ; mais les Mamelouks que lon voyait se déployer en avant du village, ne lui en donnent pas le temps. Bonaparte range ses troupes en bataille, et leur montrant les fameuses pyramides que lon apercevait en arrière de la gauche de lennemi, se serait écrié « Soldats, songez que du haut de ces monuments, quarante siècles vous contemplent ». Et en même temps, il ordonne lattaque. C'est le début de la bataille des Pyramides, victorieuse pour les troupes françaises.

Victoire des pyramides, défaite d'Aboukir

La brigade Dupuy, qui continue à suivre lennemi en déroute, entre pendant la nuit dans le Caire que les beys Mourad et Ibrahim venaient de quitter.

Le 4 thermidor (22 juillet), les grands de cette capitale se rendent à Gizeh, auprès du général en chef, et lui offrent de lui remettre la ville. Trois jours après, il y transporte son quartier général. Desaix reçoit lordre de suivre Mourad, qui avait pris le chemin de la Haute-Égypte. Un corps dobservation est placé à Elkanka pour surveiller les mouvements dIbrahim, qui se dirigeait vers la Syrie. Bonaparte en personne se met à sa poursuite, le bat à Salahie et le chasse complètement de lÉgypte, après quoi il revient au Caire.

Chemin faisant, il reçoit la nouvelle que la flotte française venait dêtre détruite presque en totalité par les Britanniques, lors d'une bataille à Aboukir[4].

Administration de l'Égypte par Bonaparte

Cependant Bonaparte, aussi bon politique quhabile général, se comporte en Égypte comme sil en était le souverain absolu[5].

Peu de temps après arrive lanniversaire de la naissance du prophète ; cette solennité est célébrée avec la plus grande pompe. Bonaparte dirige lui-même les évolutions militaires qui ont lieu en cette occasion ; il paraît à la fête et chez le cheik vêtu à lorientale, le turban en tête ! cest à cette occasion que le divan le qualifie du titre d'Ali-Bonaparte. Vers la même époque, il fait prendre des mesures sévères pour la protection de la caravane des pèlerins qui se rendent à La Mecque. À ce sujet, il écrivit lui-même une lettre au gouverneur de cette ville.

Néanmoins les populations, nullement convaincues de la sincérité de toutes ces tentatives de conciliation, se révoltent sans cesse à cause de la prise d'impôts, devenue nécessaire pour subvenir aux besoins de larmée. Les attaques imprévues, le poignard, tous les moyens sont licites pour exterminer ces infidèles venus de lOccident. Les exécutions militaires ne font quexaspérer ces fureurs, elles sont loin de les éteindre. Les Français, enfin, ne sont véritablement les maîtres que du terrain quils ont sous leurs pieds.

Le 22 septembre 1798 amène lanniversaire de la fondation de la République française. Bonaparte fait célébrer cette fête avec toute la magnificence possible. Par ses ordres, un cirque immense est construit dans la plus grande place du Caire ; 105 colonnes, sur chacune desquelles flotte un drapeau portant le nom dun département, décorent cette construction, dont un obélisque colossal, chargé dinscriptions, occupe le centre. Sur sept autels antiques se lisent les noms des braves morts au champ dhonneur. On entre dans lenceinte en passant sous un arc de triomphe, sur lequel est représentée la bataille des Pyramides. Il y a un peu de maladresse : si cette peinture flatte lorgueil de nos soldats, elle fait éprouver des sentiments pénibles aux Égyptiens vaincus, et dont on sefforce, mais en vain, de faire des alliés fidèles.

Campagne de Napoléon en Égypte en 1798

Le jour de cette fête, le général en chef adresse une allocution aux soldats, dans laquelle, après avoir fait lénumération de leurs exploits depuis le siège de Toulon, il leur dit :

« Depuis lAnglais, célèbre dans les arts et le commerce, jusquau hideux et féroce Bédouin, vous fixez les regards du monde. Soldats, votre destinée est belleDans ce jour, quarante millions de citoyens célèbrent lère du gouvernement représentatif, quarante millions de citoyens pensent à vous. »

Après sêtre rendu maître du pays par la force, Bonaparte veut faire jouir lÉgypte de tous les bienfaits de la civilisation. Par ses soins, Le Caire prend bientôt laspect dune ville européenne ; son administration est confiée à un Divan choisi parmi les hommes les plus recommandables de la province. Les autres villes reçoivent en même temps des institutions municipales. Un Institut, composé à linstar de celui de la mère patrie, est organisé. Le conquérant, devenu législateur le dote dune bibliothèque, dun cabinet de physique, dun laboratoire de chimie, dun jardin de botanique, dun observatoire, dun musée dantiquités, dune ménagerie et au titre dacadémicien, il joint celui de Président de lInstitut d'Égypte.

Par ses ordres, des savants dressent un tableau comparatif des poids et mesures égyptiens et français, ils composent un vocabulaire français-arabe et ils calculent un triple calendrier égyptien, copte et européen. Deux journaux, lun de littérature et déconomie politique, sous le titre de Décade égyptienne, lautre de politique, sous celui de Courrier égyptien, sont rédigés au Caire.

Larmée, considérablement réduite, autant par les maladies que par le fer de lennemi, ne doit plus sattendre depuis lincendie de la flotte à recevoir des renforts de la mère patrie. Pour obvier à cet inconvénient, Bonaparte ordonne une levée parmi les esclaves, depuis lâge de seize jusquà vingt-quatre ans ; 3 000 marins, échappés au désastre dAboukir, sont enrégimentés et forment la légion nautique.

Toutes les rues du Caire étaient fermées la nuit par des portes, afin de mettre les habitants à labri dun coup de main de la part des Arabes. Le général en chef fait enlever ces clôtures, derrière lesquelles, en cas de sédition, les Égyptiens pouvaient combattre avec quelque avantage contre les Français ; lévénement justifie la prévoyance de Bonaparte.

La révolte du Caire

Le 22 octobre 1798, pendant quil était au vieux Caire, la population de la capitale se répand en armes dans les rues, se fortifie sur divers points, et principalement dans la grande mosquée. Le chef de brigade Dupuy, commandant de la place, est tué le premier. Le brave Sulkowski, aide de camp chéri de Bonaparte, a le même sort. Excités par les cheïkhs et les imams, les Égyptiens ont juré par leur prophète dexterminer tous les Français. Tous ceux quils rencontrent, soit dans leurs maisons, soit dans les rues, sont impitoyablement égorgés. Des rassemblements se pressent aux portes de la ville pour en défendre lentrée au général en chef qui, repoussé à la porte du Caire, est obligé de faire un détour pour entrer par celle de Boulaq.

La situation de larmée française est des plus critiques : les Britanniques menacent les villes maritimes ; Mourad Bey tient toujours la campagne dans la Haute-Égypte ; les généraux Menou et Dugua contiennent à peine la Basse-Égypte. Les Arabes réunis aux paysans font cause commune avec les révoltés du Caire ; tout le désert est en armes. Dans un manifeste du Grand Seigneur, répandu avec profusion dans toute lÉgypte, on lit :

« Le peuple français est une nation dinfidèles obstinés et de scélérats sans freinIls regardent le Coran, lAncien Testament et lÉvangile, comme des fablesDans peu, des troupes aussi nombreuses que redoutables savanceront par terre, en même temps que des vaisseaux aussi hauts que des montagnes couvriront la surface des mersIl vous est, sil plaît à Dieu, réservé de présider à leur entière destruction (des Français) ; comme la poussière que les vents dispersent, ils ne restera plus aucun vestige de ces infidèles : car la promesse de Dieu est formelle, lespoir du méchant sera trompé, et les méchants périront. Gloire au Seigneur des mondes ! »

Bonaparte nest point déconcerté par lorage qui le menace de toutes parts. Par ses ordres, les Arabes sont repoussés dans le désert, lartillerie est braquée tout autour de la ville rebelle. Il poursuit lui-même les révoltés de rue en rue, et les oblige à se concentrer dans la grande mosquée ; il a la générosité de leur offrir leur pardon, ils le refusent, et persistent dans leur obstination. Par bonheur pour les Français, le ciel se couvre de nuages, le tonnerre gronde. Ce phénomène est fort rare en Égypte, les musulmans de l'époque, ignorants et superstitieux, le considèrent comme un avertissement du ciel, et ils implorent la clémence de leurs ennemis : « Il est trop tard, leur fait répondre Bonaparte ; vous avez commencé, cest à moi de finir. » Et, tout de suite, il ordonne à ses canons de foudroyer la mosquée. Les Français en brisent les portes et sy introduisent de vive force : animés par la fureur et la vengeance, ils massacrent les Égyptiens.

Redevenu le maître absolu de la ville, le général en chef fait rechercher les auteurs et les instigateurs de la révolte. Quelques cheïkhs, plusieurs Turcs ou Égyptiens, convaincus davoir trempé dans le complot, sont exécutés. Pour compléter le châtiment, la ville est frappée dune forte contribution, et son Divan est remplacé par une commission militaire. Afin datténuer les effets produits par le firman du Grand Seigneur, on affiche dans toutes les villes de lÉgypte une proclamation qui se termine ainsi :

« Cessez de fonder vos espérances sur Ibrahim et sur Mourad, et mettez votre confiance en celui qui dispose à son gré des empires et qui a créé les humains »

Le plus religieux des prophètes a dit : « La sédition est endormie ; maudit soit celui qui la réveillera ! ». La révolte en effet ne se réveilla plus tant que Bonaparte resta en Égypte.

Recherche du canal des pharaons

Se voyant de nouveau tranquille possesseur de sa conquête, il profite de ce temps de repos pour aller visiter le port de Suez et sassurer de ses propres yeux de la possibilité dun canal creusé, disait-on, dans lantiquité, par ordre des Pharaons, et qui faisait communiquer la mer Rouge avec la Méditerranée. Avant de partir pour cette expédition, il rend aux habitants du Caire, comme gage de pardon, leur gouvernement national ; un nouveau Divan, composé de soixante membres, remplace la commission militaire.

Puis, accompagné de ses collègues de lInstitut, Berthollet, Monge, le père Dutertre, Costaz, Caffarelli, et suivi dune escorte de trois cents hommes, il prend le chemin de la mer Rouge, et trois jours de marche dans le désert suffisent à cette caravane pour arriver à Suez. Après avoir donné des ordres pour compléter les fortifications de la place, Bonaparte traverse la mer Rouge, et va reconnaître en Arabie les célèbres fontaines de Moïse. À son retour, surpris par la marée montante, il court le risque de se noyer. Arrivé à Suez, il reçoit une députation dArabes qui viennent solliciter lalliance des Français. Finalement, après quelques recherches, on retrouve des traces de lancien canal des pharaons Sésostris III et Néchao II, et le but du voyage est atteint.

Sur ces entrefaites, on apprend que Djezzar, pacha de Syrie, sest emparé du fort dEl-Arich, situé dans le désert, à dix lieues de la frontière dÉgypte, quil est destiné à défendre. Ne doutant plus de limminence dune guerre avec le sultan ottoman, le général décide den prévenir les événements, et lexpédition de Syrie est engagée.

L'expédition de Syrie

De retour au Caire, il donne ordre à 10 000 hommes de se tenir prêts à marcher. Les généraux Bon, Kléber, Lannes et Régnier, commandent linfanterie, le général Murat, la cavalerie, le général Dammartin, lartillerie, et le général Caffarelli, larme du génie. Le contre-amiral Perrée doit, avec trois frégates, aller croiser devant Jaffa, et apporter lartillerie de siège : celle de campagne est de quatre-vingts bouches à feu.

Régnier, qui commande lavant-garde, arrive en peu de jours devant El-Arich, sempare de la place, détruit une partie de la garnison, et force le reste à se réfugier dans le château ; en même temps il met en fuite les Mamelouks dIbrahim et se rend maître de leur camp. Sept jours après son départ du Caire, Bonaparte arrive devant El-Arich, et sur-le-champ il fait canonner une des tours du château. La garnison capitule deux jours après ; une partie des soldats prennent du service dans larmée française.

Après soixante lieues dune marche pénible dans le désert, larmée arrive à Gaza ; elle sy rafraîchit et sy repose pendant deux jours. Trois jours après, on se trouve sous les murs de Jaffa. Cette place est entourée de hautes murailles, flanquées de tours. Djezzar en a confié la défense à des troupes délite ; lartillerie est servie par 1 200 canonniers turcs. Il est de toute nécessité de sen rendre maître avant daller plus loin. Cest un des points d'accès à la Syrie ; son port offre un abri sûr à lescadre : de sa chute dépend en grande partie le succès de lexpédition.

Tous les ouvrages extérieurs sont au pouvoir des assiégeants ; la brèche est praticable ; lorsque Bonaparte envoie un Turc au commandant de la ville pour le sommer de se rendre, celui-ci le fait décapiter et ordonne une sortie. Il est repoussé et dès le soir du même jour les boulets des assiégeants font crouler une des tours, et malgré la résistance désespérée de ses défenseurs, Jaffa succombe. Deux jours et deux nuits de carnage suffisent à peine pour assouvir la fureur du soldat ; 4 000 prisonniers sans défense sont égorgés par ordre du général ! Cette barbare exécution a trouvé des apologistes :

« Car pour maintenir dans la soumission un nombre si considérable de captifs, il eût fallu en confier la garde à une escorte qui eût diminué dautant les forces de larmée ; que si on leur eût permis de se retirer en toute liberté, il était raisonnable de craindre quils nallassent grossir les rangs des troupes de Djezzar. »

Avant de quitter Jaffa, Bonaparte y établit un Divan, un grand hôpital, dans lequel sont reçus les soldats atteints de la peste. Des symptômes de cette affreuse maladie sétaient manifestés parmi les troupes dès le commencement du siège. Un rapport des généraux Bon et Rampon avait donné de vives inquiétudes à Bonaparte sur la propagation de ce fléau. Afin de dissiper les craintes et de tranquilliser les esprits, il parcourt toutes les salles des pestiférés, parle aux malades, les console, touche leurs plaies en leur disant : « Vous le voyez, cela nest rien ». Au sortir de lhôpital, il répond à ceux qui laccusent davoir commis une grande imprudence : « Cétait mon devoir, je suis le général en chef ».

De Jaffa, larmée se dirige sur Saint-Jean-d'Acre. Chemin faisant, elle prend Kaïffa, elle trouve des munitions et des approvisionnements de toute espèce. Les châteaux de Jaffet, de Nazareth, la ville de Tyr tombent aussi en son pouvoir ; mais Saint-Jean-d'Acre sera le point d'arrêt de cette expédition. Située sur le bord de la mer, elle pouvait recevoir de ce côté des secours de toute espèce ; la marine britannique renforçait celle du sultan.

Après soixante jours dattaques réitérées, après deux assauts meurtriers et sans résultat, la place tient toujours ferme. Cependant, outre les renforts quelle attend du côté de la mer, une grande armée se forme en Asie par ordre du sultan et sapprête à marcher contre les infidèles, et Djezzar, pour seconder ses mouvements, ordonne une sortie générale contre le camp de Bonaparte. Cette attaque est soutenue par lartillerie et les équipages des vaisseaux britanniques. Le Bonaparte, avec son impétuosité ordinaire, refoule les colonnes de Djezzar derrière leurs murailles.

Après ce succès, il vole au secours de Kléber qui, retranché dans les ruines, tenait tête, avec 4 000 Français, à 20 000 Turcs. Bonaparte conçoit dun coup dœil tous les avantages que lui offrent les positions de lennemi : il envoie Murat, avec sa cavalerie, sur le Jourdain pour en défendre le passage ; Vial et Rampon marchent sur Naplouse, et lui-même se place entre les Turcs et leurs magasins. Ses dispositions sont couronnées du plus heureux succès. Larmée ennemie, attaquée à limproviste sur divers points à la fois, est mise en déroute et coupée dans sa retraite ; elle laisse 5 000 morts sur le champ de bataille ; ses chameaux, ses tentes, ses provisions deviennent le prix de la victoire des vainqueurs. Tels sont les avantages remportés à la célèbre bataille du Mont-Thabor.

De retour devant Saint-Jean-dAcre, Bonaparte apprend que le contre-amiral Perrée a débarqué à Jaffa sept pièces de siège ; il ordonne successivement deux assauts qui sont vigoureusement repoussés. Une flotte est signalée, elle porte pavillon ottoman ; il faut se hâter de prendre la ville avant quelle nait reçu dans son port le secours qui lui arrive. Une cinquième attaque générale est ordonnée ; tous les ouvrages extérieurs sont emportés, le drapeau tricolore est planté sur le rempart, les Turcs sont repoussés dans la ville, et leur feu commence à se ralentir : encore un nouvel effort, et Saint-Jean-dAcre est pris ou va capituler.

Mais il se trouvait dans la place un émigré français, Phélippeaux, officier du génie, un des condisciples de Bonaparte à lÉcole militaire. Par ses ordres, des canons sont placés suivant les directions les plus avantageuses ; de nouveaux retranchements sélèvent comme par enchantement derrière les ruines de ceux que les assiégeants ont emportés. En même temps, Sidney Smith, qui commande la flotte britannique, arrive à la tête des équipages de ses vaisseaux. Les assiégés reprennent tout leur courage et se pressent à sa suite. La furie des Français est à son comble ; la résistance nest pas moins opiniâtre. Enfin trois assauts consécutifs et toujours repoussés apprennent à Bonaparte quil serait imprudent de sobstiner plus longtemps à la prise de Saint-Jean-dAcre. Il en lève le siège, et pour consoler ses soldats, il leur adresse cette proclamation :

« Après avoir, avec une poignée dhommes, nourri la guerre pendant trois mois dans le cœur de la Syrie, pris quarante pièces de campagne, cinquante drapeaux, fait 10 000 prisonniers, rasé les fortifications de Gaza, Kaïffa, Jaffa, Acre, nous allons rentrer en Égypte. »

La situation de larmée est des plus critiques ; outre lennemi qui pouvait inquiéter ses arrières pendant sa retraite, les fatigues et les privations qui lattendaient dans le désert ; elle a à sa charge un grand nombre de pestiférés : les laisser en arrière, cétait les livrer à la fureur des Turcs, qui ne manqueraient pas de les égorger en représailles des massacres de Jaffa ; les recevoir et les emmener au milieu de ses rangs, ceût été favoriser les progrès du fléau.

Il y a deux dépôts de malades : lun dans le grand hôpital du mont Carmel, et lautre à Jaffa. Par ordre du général en chef, tous ceux du mont Carmel sont évacués sur cette dernière ville et sur Tentura. Les chevaux dartillerie dont les pièces sont abandonnées devant Acre, tous ceux des officiers, tous ceux du général en chef sont livrés à lordonnateur Daure, pour leur servir de transport ; Bonaparte est à pied et donne lexemple.

Larmée, pour dérober son départ aux assiégés, se met en marche pendant la nuit. Arrivé à Jaffa, le général ordonne trois évacuations de pestiférés vers trois points différents : lune par mer, sur Damiette, la seconde et la troisième par terre sur Gaza et sur El-Arisk.

Dans sa retraite, larmée fait un désert de tous les pays elle passe : bestiaux, moissons, maisons, tout est détruit par le fer et le feu ; la ville de Gaza, restée fidèle, est seule épargnée.

Enfin, après quatre mois dabsence, lexpédition arrive au Caire avec 1 800 blessés ; elle a perdu en Syrie six-cents hommes morts de la peste et 1 200 qui ont péri dans les combats.

Léchec éprouvé lors du siège de Saint-Jean-d'Acre avait eu du retentissement en Égypte ; les émissaires turcs et britanniques faisaient courir le bruit que larmée expéditionnaire était en grande partie détruite, que son chef était mort. Bonaparte, en habile politique, détruit facilement les impressions que ces menées avaient produites sur les esprits, et fait sentir aux Égyptiens combien étaient chimériques les espérances quils avaient fondées sur ses revers. Par ses ordres, les troupes, en entrant en Égypte, prennent lattitude dune armée triomphante : les soldats portent dans leurs mains des branches de palmier, emblèmes de la victoire. Dans sa proclamation aux habitants du Caire, il leur dit :

« Il est arrivé au Caire, le Bien-Gardé, le chef de larmée française, le général Bonaparte, qui aime la religion de Mahomet ; il est arrivé bien portant et bien sain, remerciant Dieu des faveurs dont il le comble. Il est entré au Caire par la porte de la Victoire. Ce jour est un grand jour ; on nen a jamais vu de pareil ; tous les habitants du Caire sont sortis à sa rencontre. Ils ont vu et reconnu que cétait bien le même général en chef Bonaparte en propre personne ; ils se sont convaincus que tout ce qui avait été dit sur son compte était fauxIl fut à Gaza et à Jaffa ; il a protégé les habitants de Gaza ; mais ceux de Jaffa, égarés, nayant pas voulu se rendre, il les livra tous, dans sa colère, au pillage et à la mort. Il a détruit tous les remparts et fait périr tout ce qui sy trouvait. Il y avait à Jaffa environ 5 000 hommes des troupes de Djezzar : il les a tous détruits. »

Vers la bataille terrestre d'Aboukir

Larmée trouve au Caire le repos et tous les approvisionnements dont elle avait besoin pour récupérer de ses fatigues ; mais son séjour dans cette ville ne devait pas être de longue durée. Bonaparte, instruit que Mourad-Bey, déjouant les poursuites des généraux Desaix, Belliard, Donzelot, Davoust, descend de la Haute-Égypte, se met en marche pour aller lattaquer aux pyramides ; il apprend quune flotte turque de cent voiles est devant Aboukir et menace Alexandrie.

Sans perdre de temps et sans rentrer au Caire, il ordonne à ses généraux de se porter en toute hâte au devant de larmée que commande le pacha de Roumélie, Saïd-Mustapha, auquel se sont joints les corps de Mourad-Bey et dIbrahim. Avant de quitter Gizeh, il se trouvait, le général en chef écrit au Divan du Caire :

« Quatre-vingts bâtiments ont osé attaquer Alexandrie ; mais, repoussés par lartillerie de cette place, ils sont allés mouiller à Aboukir ils commencent à débarquer. Je les laisse faire, parce que mon intention est de les attaquer, de tuer tous ceux qui ne voudront pas se rendre, et de laisser la vie aux autres pour les mener en triomphe au Caire. Ce sera un beau spectacle pour la ville. »

Bonaparte se rend dabord à Alexandrie, de il marche sur Aboukir, dont le fort sest rendu aux Turcs. Il prend des dispositions telles, que Mustapha doit vaincre ou périr avec tous les siens. Son armée, qui compte 18 000 combattants, est soutenue par une nombreuse artillerie ; des retranchements la défendent du côté de la terre, et du côté de la mer, elle communique librement avec la flotte. Le général en chef ordonne lattaque au lieu de lattendre ; tout cède à la valeur impétueuse de ses soldats ; en peu dheures, les retranchements sont enlevés, 10 000 Turcs se noient dans la mer, le reste est pris ou tué. Lintrépide Murat, qui mérite une grande partie de la gloire de cette journée, fait prisonnier le général ennemi Saïd-Mustapha, dont le fils, qui commandait dans le fort, doit, avec tous les officiers échappés au carnage, former le cortège triomphal du vainqueur. La population du Caire, voyant revenir Bonaparte avec ses illustres prisonniers, accueille dun hommage superstitieux le prophète-guerrier qui avait prédit son triomphe avec une précision si remarquable.

La victoire dAboukir est le dernier exploit du général en chef en Égypte ; une autre phase de son étonnante carrière commence :

  • considérant quil ne lui restait plus rien à faire en Égypte qui fût digne de son ambition, attendu que les forces dont il pouvait disposer encore, nétaient pas, à beaucoup près, suffisantes pour entreprendre une expédition de quelque importance au-delà des frontières de sa conquête, ce qui lui était bien démontré par la non-réussite du siège dAcre ;
  • prévoyant dailleurs que son armée, allant toujours saffaiblissant par les combats, par les maladies, il se verrait, un peu plus tôt, un peu plus tard, dans la triste nécessité de signer une capitulation et de se rendre prisonnier à ses ennemis ;
  • quun événement si déplorable détruirait tout le prestige de ses nombreuses victoires ;

par ces diverses raisons, il prend spontanément la résolution de revenir en France. Il avait appris par ses communications avec la flotte britannique, lors de léchange des prisonniers dAboukir, et notamment par la Gazette de Francfort, que Sidney-Smith lui envoie, que depuis son absence, la patrie avait éprouvé des revers, que les ennemis avaient repris ses propres conquêtes, que la nation humiliée, mécontente du gouvernement dictatorial, se rappelait avec douleur la paix glorieuse quil avait signée au traité de Campo-Formio ; il comprend enfin quon avait besoin de lui et quil serait bien reçu.

Il ne fait part de son secret quà un petit nombre damis dont la discrétion et le dévouement lui sont bien connus. Un voyage dans le delta est le prétexte quil met en avant pour sortir du Caire sans éveiller les soupçons ; les savants Monge, Berthollet, le peintre Denon, les généraux Berthier, Murat, Lannes, Marmont, laccompagnent.

Le passage de témoin à Kléber

Le 23 août 1799, une proclamation apprend à larmée que le général en chef Bonaparte venait de transmettre ses pouvoirs au général Kléber ; cette nouvelle est reçue avec quelque mécontentement, mais lindignation cesse bientôt. Kléber avait fait ses preuves ; il méritait à bon droit toute la confiance des troupes, et puis on était facilement porté à croire que Bonaparte était parti pour lever en France de nouveaux renforts avec lesquels il sempresserait de retourner en Égypte se remettre à la tête de ses anciens compagnons darmes.

À la nuit tombante, la frégate la Muiron vient le prendre silencieusement sur le rivage, trois autres bâtiments forment son escorte. On sest souvent demandé par quel miracle il a pu se faire que, pendant une navigation de quarante et un jours, il nait pas rencontré un seul vaisseau ennemi qui lait contrarié dans sa traversée ; des relations donnent à entendre que par une convention tacite il avait acheté la neutralité des Britanniques ; cela nest guère vraisemblable ; autant vaudrait soutenir quil avait fait aussi un pacte avec Horatio Nelson pour quil le laissât aborder sans obstacle au rivage égyptien avec la flotte qui portait sa nombreuse armée.

Au moment du départ, on lui fait remarquer avec inquiétude quune corvette britannique lobserve : « Bah ! sécrie Bonaparte, nous arriverons, la fortune ne nous a jamais abandonnés, nous arriverons, malgré les Anglais. »

La flottille entre le 1er octobre dans le port dAjaccio, les vents contraires ly retiennent jusquau 8 avant quelle appareille pour la France. À la vue des côtes, on voit paraître dix voiles britanniques ; le contre-amiral Ganteaume veut virer de bord vers la Corse ; « Non, lui dit Bonaparte, cette manœuvre nous conduirait en Angleterre, et je veux arriver en France ». Cet acte de fermeté et de courage le sauve ; le 8 octobre 1799 (16 vendémiaire an VIII), les frégates mouillent dans la rade de Fréjus. Comme il ny avait point de malades à bord et que la peste avait cessé en Égypte, six mois avant son départ, il est permis au général Bonaparte et à sa suite de prendre terre immédiatement. À six heures du soir, il se met en route pour Paris, accompagné de Berthier, son chef détat-major.

Assassinat de Kléber et fin de l'expédition

L'expédition scientifique

L'armada qui est partie de Toulon emportait avec elle des soldats mais aussi 167 savants, ingénieurs et artistes, membres de la Commission des Sciences et des Arts : le géologue Dolomieu, Henri-Joseph Redouté, le mathématicien Gaspard Monge (un des fondateurs de l'École polytechnique, le chimiste Claude Louis Berthollet, Vivant Denon, le mathématicien Jean-Joseph Fourier, le physicien Malus, le naturaliste Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, le botaniste Alire Raffeneau-Delile, l'ingénieur Nicolas-Jacques Conté du Conservatoire national des arts et métiers font partie du voyage. Ils fondent l'Institut d'Égypte qui avait pour mission de propager les Lumières en Égypte grâce à un travail interdisciplinaire. Une revue scientifique est créée, la Décade égyptienne, ainsi qu'une académie, l'Institut d'Égypte.

Au cours de l'expédition, les savants ont observé la nature égyptienne, pris des dessins et se sont intéressé aux ressources du pays. La pierre de Rosette a été découverte dans le village de Rachid en juillet 1799 par un jeune officier du génie, Pierre-François-Xavier Bouchard. La plupart de leurs découvertes furent par la suite saisies par les Britanniques et finirent au British Museum[6].

Leur travail donna lieu à la Description de l'Égypte, publiée sous les ordres de Napoléon Bonaparte. La publication s'en étala de 1809 à 1821.

La propagande napoléonienne

Antoine-Jean Gros, Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa

Dès son arrivée en Égypte, Bonaparte fait afficher une déclaration au peuple égyptien qui le pose en libérateur du pays opprimé par les Mamelouks, tout en se réclamant d'une amitié avec l'Empire ottoman. Cette position lui vaut de solides appuis en Égypte (et, bien plus tard, l'admiration de Méhémet Ali, qui réussit ce que Bonaparte n'a que tenté).

La campagne d'Égypte profite largement aussi à l'image de Bonaparte en France :

  • Le Courrier dÉgypte sadresse au corps expéditionnaire et doit soutenir le moral des troupes. Le peintre Antoine-Jean Gros dans le tableau des Pestiférés de Jaffa peint en 1804, représente Napoléon en guérisseur, comme les rois de l'Ancien Régime qui touchaient les écrouelles après la cérémonie du sacre. Sur cette peinture, on peut voir Napoléon touchant le corps d'un homme ayant la peste. Ceci fait partie de la propagande orchestrée par Napoléon. Il n'a jamais touché ni même approché un homme atteint de cette maladie de peur de l'attraper aussi, de plus elle a été peinte six ans après les faits, en 1804, année du couronnement de Napoléon Ier.
  • La défaite des Mamelouks aux pyramides (bataille dEmbabeh) donne lieu à des récits et des dessins par dizaines ; on attribue à Napoléon la célèbre phrase : « Du haut de ces pyramides, quarante siècles d'histoire vous contemplent »[7].

En rentrant d'Égypte, il laisse le commandement des opérations à Kléber qui est assassiné peu après, Bonaparte est auréolé d'un prestige fondé sur cette propagande, qui lui ouvre la voie du pouvoir, et dont il profite en devenant Premier Consul, lors du coup d'État du 18 brumaire (novembre 1799).

Forces militaires : armée dOrient

Chronologie et batailles

Combat de Nazareth par Gros
  • 1800
    • 24 janvier 1800 (4 Pluviôse an VIII: Kléber conclut avec l'amiral britannique Smith la convention d'El-Arich
    • février 1800 (Pluviôse-Ventôse an VIII: Les troupes françaises commencent à se replier, mais l'amiral britannique Keith refuse les termes de la convention
    • 20 mars 1800 (29 Ventôse an VIII: Bataille d'Héliopolis, Kléber remporte une ultime victoire contre 30 000 turcs
    • 14 juin 1800 (25 Prairial an VIII: Un fanatique, nommé Soleyman assassine Kléber dans son jardin du Caire. Le général Menou prend le commandement à sa place
    • 3 septembre 1800 (16 Fructidor an VIII: Les Britanniques reprennent Malte aux Français

Notes

  1. On prétend que, dans une conférence orageuse quil eut avec le Directoire, il menaça de donner sa démission, et que le directeur Reubell, lui présentant la plume, lui dit : Signez-, général.
  2. Ce qui fit dire au général Casabianca : « Il est fort heureux quil se soit trouvé quelquun ici pour nous ouvrir les portes de cette place »
  3. La déclaration complète peut être lue sur Wikisource
  4. Mullié affirme que ce désastreux événement ne le déconcerta point : toujours impénétrable, nul ne saperçut de lémotion quil devait éprouver intérieurement. Après avoir lu tranquillement la dépêche qui lui apprenait que lui et son armée étaient dès lors prisonniers en Égypte : « Nous navons plus de flotte, dit-il ; eh bien ! il faut rester ici, ou en sortir grands comme les anciens. » Larmée se montra satisfaite de cette courte et si énergique allocution ; mais les populations indigènes, considérant la défaite dAboukir comme un retour prochain de la fortune en leur faveur, soccupèrent dès lors des moyens de secouer le joug odieux que des étrangers sefforçaient de leur imposer, et de les chasser de leur pays. Ce projet eut bientôt un commencement dexécution.
  5. Placé sous un pavillon, il préside à la fête du Nil ; cest lui qui donne le signal de jeter dans les flots la statue de la fiancée du fleuve, son nom et celui de Mahomet sont confondus dans les mêmes acclamations ; par ses ordres, on fait des largesses au peuple, il donne le caftan aux principaux officiers.
  6. Il existe sur ce sujet un roman de Frédéric Lenormand paru en 1995 aux éditions Robert-Laffont Press Pocket 1996.
  7. En fait, les historiens découvrent plus tard que les pyramides ne sont pas encore visibles depuis le lieu de la bataille.

Source partielle

  • Charles Mullié, Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850, 1852 [détail de lédition](Wikisource)

Voir aussi

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