Lemme de schur

Lemme de schur

Lemme de Schur

En mathématiques et plus précisément en algèbre linéaire, le lemme de Schur est un lemme technique utilisé particulièrement dans la théorie de la représentation des groupes.

Il a été démontré en 1907 par Issai Schur (1875-1941) dans le cadre de ses travaux sur la théorie des représentations d'un groupe fini[1],

Ce lemme est à la base de l'analyse d'un caractère d'une représentation d'un groupe fini. il permet, par exemple de caractériser les groupes abéliens finis.

Sommaire

Contexte

Motivation

Le lemme de Schur représente l'un des fondements de la théorie des représentations d'un groupe fini et de l'analyse de l'algèbre des modules semi-simples. Une représentation d'un groupe est la donnée d'un morphisme d'un groupe G dans l'ensemble des automorphismes d'un espace vectoriel. Cette approche initiée par Frobenius (1849 - 1917) dans un article[2] de 1896 s'avère fructueuse. Trois ans plus tard, Heinrich Maschke (1853 1908) démontre[3] que toute représentation est somme directe de représentations irréductibles.

Le lemme de Schur est un lemme technique essentiel pour la démonstration d'un résultat majeur : non seulement les représentations irréductibles s'identifient par leur caractère, mais en plus les caractères de ces représentations sont toutes orthogonales entre elles. Cette approche apporte des résultats majeurs pour la théorie des groupes finis. Elle a finalement permis la classification des groupes simples, mais aussi la démonstration de résultats comme une conjecture de William Burnside (1852-1927) stipulant que tout groupe fini d'ordre impair est résoluble. Ce résultat est à l'origine de la Médaille Fields de Thompson né en 1932.

Si ce lemme est aussi utilisé dans d'autres contextes, celui de la représentation est néanmoins le plus important.

Représentations d'un groupe fini

Rappelons la définition d'une représentation et fixons les notations pour le reste de l'article. G désigne ici un groupe fini d'ordre g. Son élément neutre est noté 1, et si s et t sont deux éléments de G la loi de composition interne du groupe sur s et t est noté st. E désigne un espace vectoriel sur un corps noté K.

  • Une représentation du groupe G est la donnée d'un espace vectoriel E de dimension finie notée n et d'un morphisme de groupe ρ de G vers le groupe linéaire GL(E). Une représentation est notée (E, ρ) ou parfois et abusivement E.

C'est-à-dire que l'application ρ est à valeur dans l'espace des applications linéaires bijectives et préserve la loi du groupe, ce qui est équivalent à :

 \rho_1=Id \quad et \quad \forall s, t \in G \quad \rho(s)\circ \rho(t) = \rho(st)

Théorème de Maschke

Article détaillé : Théorème de Maschke.
  • Une représentation (V, ρ) est dite irréductible si et seulement si les seuls sous-espaces stables sont V et {0}.

La classification des représentation est une conséquence du théorème suivant connu sous le nom de théorème de Maschke:

Connaître toutes les représentations d'un groupe fini revient donc à connaître ses représentation irréductibles, les autres s'obtiennent par somme directe.

Dans le cadre du lemme de Schur une définition plus légère suffit :

  • Soit U une partie de L(E), l'ensemble des endomorphismes de E. U est dit irréductible s'il n'existe aucun sous-espace non trivial stable par tout élément de U.

Lemme

Énoncé

Soient E et F deux K espaces vectoriels et Φ une application linéaire non nulle de E dans F.

  • (1) S'il existe une partie irréductible U de L(E) telle que :
\forall u\in U \quad \exists v\in \mathcal L(F)\quad / \quad \phi\circ u=v\circ \phi
Alors Φ est injective.
  • (2) S'il existe une partie irréductible V de L(F) telle que :
\forall v\in V \quad \exists u\in \mathcal L(E)\quad / \quad \phi\circ u=v\circ \phi
Alors \quad\phi est surjective.

Démonstration

(1) Si Φ n'est pas injective, son noyau N est non nul (et non égal à E puisque Φ est non nulle). On a alors :

\forall u\in U\quad \exists v\in \mathcal L(F)\quad \phi\circ u(N)=v\circ\phi (N)=\{0\}.

Il en résulte que u(N) est inclus dans N, ce qui est contradictoire avec l'hypothèse d'irréductibilité de U.
(2) Les propriétés suivantes sont vérifiées :

\forall v \in V \quad \exists u\in \mathcal L(E)\quad  v\circ \phi (E) = \phi \circ u (E) \subset \phi (E).

L'image de Φ est donc stable par tous les éléments de V. Il en résulte par irréductibilité de V (et le fait que Φ est non nulle) que l'image de Φ est égale à F.

Corollaires

Corollaire 1

  • Soient E un espace vectoriel de dimension finie sur un corps K algébriquement clos et U une partie irréductible de L(E). Si un endomorphisme Φ de E commute avec tout élément de U, alors Φ est une homothétie.

En effet,on peut écrire, si Id désigne l'application identité :

\quad\forall\lambda\in K\quad\forall u\in U \quad (\phi -\lambda .Id)\circ u=u\circ (\phi-\lambda .Id)

On en déduit par application du lemme de Schur que Φ - λ.Id est un automorphisme ou est nulle. Soit λ* une valeur propre de Φ, alors Φ - λ*.Id est l'application nulle, ce qui démontre le corollaire.

Dans le cas de la représentation d'un groupe fini d'ordre g, alors tout automorphisme de l'image possède pour polynôme annulateur P[X] = Xg - 1. En conséquence, si K contient le corps de décomposition de P[X] le corollaire s'applique encore.

Corollaire 2

  • Toute représentation irréductible dans un espace de dimension finie d'un groupe abélien G sur un corps algébriquement clos est de dimension 1.

En effet, soit ρ le morphisme de la représentation. Quel que soit l'élément s de G ρs commute avec tous les endomorphismes de la représentation. D'après le corolaire 1 ρs est une homothétie. Si la dimension de l'espace de représentation était strictement supérieure à 1, chaque sous-espace de dimension 1 étant ainsi invariant on aboutirait à une contradiction.

Cas des groupes finis

Corollaire 3

  • Soient (E, ρ1) et (F, ρ2) deux représentations de G irréductibles sur un corps K de caractéristique soit nulle soit première avec g l'ordre du groupe et contenant le corps de décomposition du polynôme Xg - 1 et ψ une application linéaire de E dans F, on définit l'application linéaire φ de E dans F par :
\varphi = \frac {1}{g} \sum_{s \in G} \rho_s^2 \circ \psi \circ (\rho_s^1)^{-1}
(1) Si les représentations ne sont pas isomorphes, φ est nulle.
(2) Si le corps K est de caractéristique nulle et algébriquement clos et si E est égal à F, alors φ est une homothétie de rapport 1/n.Tr(ψ), où n désigne de degré des représentations.
  • Vérifions dans un premier temps que φ vérifie la propriété suivante :
\forall t \in G \quad \varphi \circ \rho_t^1=\rho_t^2 \circ \varphi \quad \mathrm{ou~encore}\quad \varphi =\rho_t^2 \circ \varphi \circ (\rho_t^1)^{-1} \;

Remarquons tout d'abord que l'application de G dans G qui à s associe ts est une permutation de G, si t est un élément de G. On en déduit que :

\forall t \in G \quad \rho_t^2 \circ \varphi \circ (\rho_t^1)^{-1} = \frac {1}{g} \sum_{s \in G} \rho_t^2 \circ \rho_s^2\circ\psi\circ(\rho_s^1)^{-1} \circ (\rho_t^1)^{-1}=\frac {1}{g} \sum_{s \in G} \rho_{ts}^2 \circ\psi\circ(\rho_{ts}^1)^{-1} = \varphi
  • (1) Comme les représentations ne sont pas isomorphes φ ne peut être à la fois injective et surjective. Le lemme de Schur montre que, comme φ n'est pas un automorphisme, φ est l'application nulle.
  • (2) Si E est égal à F, les hypothèses du corollaire 1 sont vérifiées ce qui montre que φ est une homothétie. Dans ce cas, les deux représentations sont identiques et l'expression définissant φ est la moyenne de g applications toutes semblables à ψ et donc ayant la même trace que ψ. Les traces de φ et ψ sont donc égales. Comme pour toute homothétie, φ est de rapport 1/n.Tr(φ), comme les traces de φ et de ψ sont égales, nous avons démontré que le rapport de l'homothétie est égal à 1/n.Tr(φ).

Corolaire 4

C'est un quatrième corolaire qui est utilisé dans la théorie des caractères. Elle correspond à la traduction en termes de matrice du corolaire précédent. Utilisons les notations suivantes, soit A et B deux représentations sous forme matricielle d'un groupe fini G d'ordre g sur un même corps K de caractéristique soit nulle soit première avec la dimension de A et g et tel que le polynôme Xg - 1 soit scindé. Les dimensions respectives de E et F sont notées n et m. L'image d'un élément s de G par A (resp. B) est noté aij(s) (respbij(s))

On a alors le corolaire suivant avec les hypothèses du corolaire précédent :

  • (1) Si les représentations R1 et R2 ne sont pas isomorphes, alors :
\forall i,j \in [1,n] \; \forall k,l \in [1,m] \quad \sum_{s\in G} a_{ij}(s).b_{kl}(s^{-1})=0
  • (2) Si les deux représentations sont isomorphes, alors :
\forall i,j,k,l \in [1,n] \quad \frac{1}{g}\sum_{s\in G} a_{ij}(s).b_{kl} (s^{-1})=\frac{1}{n}\delta_{il}\delta_{jk}

Où δij désigne le symbole de Kronecker.

  • Montrons la proposition (1) :

Si C une matrice de dimension mxn de coefficients (cjk), la traduction du point (1) du corollaire précédent montre que :

\sum_{s\in G} A_s.C.B_{s^{-1}} = 0 \quad donc \quad \forall i\in [1,n] \; \forall l\in [1,m] \quad \sum_{jk} \sum_{s\in G} a_{ij}(s).c_{jk}.b_{kl}(s^{-1})= \sum_{jk} \left(\sum_{s\in G} a_{ij}(s).b_{kl}(s^{-1})\right).c_{jk}=0

Cette égalité est vraie pour toute matrice C, donc pour toute valeur de cjk, ce qui démontre la proposition (1).

  • Montrons la proposition (2) :

Avec les mêmes notations (maintenant m est égal à n), on obtient d'après le point (2) du corollaire précédent :

\frac{1}{g}\sum_{s\in G} A_s.C.B_{s^{-1}} = \frac{1}{n}Tr(C).Id \quad donc \quad \forall i,j\in [1,n] \quad \frac{1}{g}\sum_{jk} \sum_{s\in G} a_{ij}(s) .c_{jk} .b_{kl}(s^{-1})= \frac{1}{n}\sum_k c_{kk}.\delta_{il}

On en déduit :

\forall i,j,k,l \in [1,n] \quad \frac{1}{g}\sum_{s\in G} a_{ij}(s). b_{kl}(s^{-1}) = \frac{1}{n}\delta_{il}\delta_{jk}

Et la proposition (2) est démontrée.

Applications

Caractère

C'est la première application historique du lemme. Soient G un groupe fini d'ordre g, (E, ρ1) et (F, ρ2) deux représentations de G irréductibles. On suppose ici que le corps K est celui des nombres complexes. On note χ1 et χ2 les caractères des deux représentations. Les caractères sont éléments de l'espace vectoriel noté C des applications de G dans le corps de complexes de dimension. Sa dimension est égale à g. On munit C du produit hermitien < | > suivant :
\forall x,y \in C \quad <x|y>=\frac{1}{g}\sum_{g\in G} x_s.y_s^*
Si y désigne un nombre complexe, y* désigne ici son conjugué.

  • Les caractères irréductibles d'un groupe fini, si le corps possède forment famille orthonormale de C.

En effet, c'est une conséquence directe du corollaire 4. L'article associé démontre que la trace de l'inverse de s est égale au conjugué de la trace de s, si s est un élément de G. En utilisant les notations du paragraphe précédent, on obtient :
<\chi_1|\chi_2>=\frac{1}{g}\sum_{g\in G} \left(\sum_{i=1}^n a_{ii}(s)\right).\left(\sum_{j=1}^n b_{jj}(s)\right)^*= \frac{1}{g}\sum_{g\in G} \left(\sum_{i=1}^n a_{ii}(s)\right).\left(\sum_{i=1}^n b_{jj}(s^{-1})\right)=\frac{1}{g}\sum_{ij}\left(\sum_{g\in G} a_{ii}(s)b_{jj}(s^{-1})\right)
Si les deux représentations ne sont pas isomorphes, alors la proposition (1) du corollaire permet de conclure à l'orthogonalité. Si les deux représentations sont isomorphes,d'après la proposition (2) on obtient :
<\chi_1|\chi_2>=\frac{1}{n}\sum_{ij}\delta_{ij}.\delta_{ij}=1
Ce qui démontre la proposition. Ce résultat est un des fondements de la théorie des caractères.
La remarque sur la clôture algébrique au début du paragraphe sur les groupes finis permet d'étendre ce résultat à tout les corps commutatifs de caractéristique nulle.

Groupe abélien fini

Article détaillé : Théorème de Kronecker.

D'autres applications existent. Le lemme de Schur permet de démonter directement que tout groupe abélien fini est un produit de cycles. La démonstration se fonde essentiellement sur l'algèbre linéaire et est donnée dans l'article Diagonalisation.

Ce résultat se démontre aussi directement (cf article détaillé), ou par l'analyse des caractères.

Notes et références

Notes

  1. Issai Schur Utersuchen uber dieDarstellung der endlichen Gruppen durch gebrochemen linearen Substitutionen J. Reine. Angew. Math., 132 p85 à 137 1907
  2. Ferdinand Georg Frobenius, Sur le caractère du groupe, Académie de Berlin, 1896
  3. Heinrich Maschke Beweiss des Satzes, dass diejenigen endlichen linearen Substitutionesgruppen, in welchen einige durchgehends verschwindende Coefficienten auftenen intransitiv sind 1899

Liens externes

Références

  • Jean-Pierre Serre, Représentations linéaires des groupes finis [détail des éditions]
  • (en) Marshall Hall, The theory of groups [détail des éditions]
  • Serge Lang, Algèbre, Dunod, 2004, 926 p. (ISBN 2100079808) [détail des éditions]
  • N. Bourbaki Algèbre, Chapitre VIII Paris, Hermann 1958
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