Histoire de l'Espéranto

Histoire de l'Espéranto

Histoire de l'espéranto

Cet article résume l'histoire de l'espéranto de sa création en 1887 à aujourd'hui.

L'espéranto est une langue construite. Une langue construite ou langue artificielle est une langue créée par une ou plusieurs personnes dans un temps relativement bref, contrairement aux langues naturelles dont l'élaboration est largement inconsciente et implique plusieurs personnes sur une longue période de temps.

Dans une brochure publiée en 1887, la langue qui deviendra l'espéranto apparaît pour la première fois sous le nom de Lingvo Internacia (« Langue internationale »). Son auteur, Ludwik Lejzer Zamenhof, avait le projet de faciliter la communication entre personnes de langues différentes à travers le monde entier. Dans cette première publication, Zamenhof avait utilisé le pseudonyme de Doktoro Esperanto (« Docteur Espérant », « Docteur qui espère »), d'où le nom sous lequel la langue s'est popularisée par la suite.

Sommaire

Les débuts

Ludwik Lejzer Zamenhof ébauche à l'âge de 19 ans un premier projet de Lingwe Uniwersala. Cet essai est la réponse d'un jeune homme sensible face à un contexte linguistique politique et social extrêmement tendu dans lequel se trouve la Pologne à cette époque, et en particulier sa ville Białystok, partagée par des Polonais, des Allemands, des Russes et des Juifs qui s'y côtoient sans même se comprendre. Cette première ébauche sera détruite par son père, craignant que lors des voyages d'études de son fils en Russie, il soit pris pour un espion.

En 1887, à l'âge de 28 ans, il en présente une nouvelle version complètement retravaillée, sous le nom de Langue Internationale signée du pseudonyme de Docteur Esperanto (« Le docteur qui espère »). Dans sa préface du premier manuel publié en 1887, Zamenhof avait défini ainsi le but de la Langue Internationale : «  Que chaque personne ayant appris la langue puisse l'utiliser pour communiquer avec des personnes d'autres nations, que cette langue soit ou non adoptée dans le monde entier, qu'elle ait ou non beaucoup d'usagers ».

Expansion

Le premier club d'espéranto naît en 1888 sur les ruines du club de volapük (une autre langue construite qui avait eu un succès relatif) de Nuremberg lorsque ses membres découvrent la langue proposée par Zamenhof. C'est aussi dans cette même ville que paraît en 1889, La Esperantisto, le premier journal en langue internationale. Le cercle des personnes qui se lancent dans son étude s'agrandit. La liste des mille premières adresses paraît la même année avec cinq noms en France, dont celui de Louis de Beaufront.

Plus de 60% des abonnés de La Esperantisto sont russes en 1895. Aux graves difficultés financières qu'il connaît s'ajoute l'interdiction d'entrée sur le territoire russe. En effet, Léon Tolstoï devenu un grand ami de l'espéranto après l'avoir étudié, écrit un article qui déplaît à la censure tsariste. C'est le coup de grâce pour le journal. La solidarité transnationale se manifeste alors pour la première fois pour sauver la langue.

Un étudiant de l'université d'Uppsala et un directeur d'institut vinicole d'Odessa lancent à la fin de la même année un nouveau journal, Lingvo Internacia. La période suédoise relaie donc la période russe.

La progression s'accélère pour la « langue du Docteur Esperanto » que déjà l'on trouve plus simple et sympathique de nommer « Espéranto ». En Suisse, Hélène Giroud est en 1895 la première femme aveugle au monde à l'apprendre puis à l'enseigner. Professeur d'allemand, âgée de 28 ans, Alice Roux est la première femme à l'apprendre en France. Elle le fait découvrir en 1896 à un lycéen de Louhans, Gabriel Chavet qui, dès l'année suivante, y fonde le premier club d'espéranto de France et l'un des six premiers au monde.

En 1898 paraît un premier numéro de L'Espérantiste qui annonce la fondation de la Société pour la propagation de l'espéranto (SPPE). La période française commence pratiquement avec le XXe siècle. Édité en Suède depuis 1895, Lingvo Internacia est transféré en 1904 à Paris où la rédaction se trouve depuis 1902, puis sous la plume de Théophile Cart qui revient de l'université d'Uppsala, où il enseignait le français. La langue se propage déjà hors d'Europe : Canada en 1901, Algérie, Chili, Japon, Malte, Mexique et Pérou en 1903, Tunisie en 1904, Australie, États-Unis, Guinée, Indochine, Nouvelle-Zélande, Tonkin et Uruguay en 1905, etc.

1905, avec le premier Congrès mondial d'espéranto à Boulogne-sur-Mer est une année historique dans le monde espérantophone. Elle marque le premier rassemblement important de personnes de nationalités différentes avec l'espéranto comme seule langue commune. Accueillant 688 participants originaires de 20 pays, ce congrès démontre que l'espéranto est parfaitement adapté à la fonction de langue internationale. 1905 est aussi l'année de l'acceptation du Fundamento de Esperanto c'est-à-dire l'ensemble des principes intangibles qui garantissent la stabilité et l'évolution de la langue, et l'année de la création du Comité linguistique qui constitue la première étape vers la fondation de l'Académie d'espéranto, en 1908, au moment où la langue traversa une crise de « réformite » avec la création de l'Ido.

Théophile Cart dans les colonnes de Lingvo Internacia sera un des défenseur du Fundamento. Il fut partisan de l'orthodoxie de la langue, et participa aux controverses sur les questions de morphologie et de syntaxe qui agitèrent les cercles espérantistes au début du siècle, ainsi qu'aux polémiques qui mirent alors en péril l'unité de la collectivité espérantophone. Afin de protéger l'espéranto contre toute dérive idéologique, le congrès de Boulogne-sur-Mer adopte la Déclaration sur l'espérantisme qui stipule notamment :

« L'espérantisme est l'effort pour répandre dans le monde entier l'usage d'une langue humaine neutre qui, sans s'immiscer dans les affaires intérieures des peuples et sans viser le moins du monde à éliminer les langues nationales existantes, donnerait aux hommes des diverses nations la possibilité de se comprendre ; qui pourrait servir de langue de conciliation au sein des institutions des pays où diverses nationalités sont en conflit linguistique ; et dans laquelle pourraient être publiées les œuvres qui ont un égal intérêt pour tous les peuples. Toute autre idée ou aspiration que tel ou tel espérantiste associe à l'espérantisme est son affaire purement privée, dont l'espérantisme n'est pas responsable. »

— Théophile Cart

Les congrès se suivent désormais chaque année jusqu'en 1913.

La période des Guerres

La Première Guerre mondiale éclate le 2 août 1914, juste au moment où le congrès de Paris, pour lequel 3 739 personnes d'une cinquantaine de pays se sont inscrites, doit s'ouvrir en présence de Zamenhof. Il n'aura pas lieu, les autorités allemandes ayant empêché Zamenhof d'y venir.

La guerre entraîne la disparition de nombreuses associations et publications d'espéranto, entre autres Lingvo Internacia. Beaucoup d'espérantistes sont tués au front. Zamenhof meurt le 14 avril 1917. La recherche de disparus s'organise. Président de l'Association universelle d'espéranto (UEA), qu'il a fondée en 1908, Hector Hodler recommande aux délégués de visiter autant que possible les prisonniers de guerre et de voir s'il n'y a pas des espérantistes parmi eux. L'Association chrétienne des jeunes gens (YMCA) diffuse elle-même des brochures d'espéranto auprès des prisonniers de guerre de divers pays. Il est appris dans des camps de détention où aucun autre moyen ne permet à des personnes n'ayant aucune langue commune de bien se comprendre en aussi peu de temps. La fraternisation entre les prisonniers peut ainsi s'établir. Il n'est pas rare qu'un seul détenu enseigne la langue à plusieurs centaines d'autres qui copient les mots et les règles, entre autres en Sibérie.

L'Association mondiale d'espéranto, dont le siège est à Genève, assure chaque jour la transmission de 200 à 300 correspondances entre les pays belligérants, parfois même avec leur traduction, entre des amis séparés, des prisonniers, leur famille ou des proches. Le nombre de services ainsi rendus atteint 200 000 durant la guerre. L'espéranto est utilisé aussi par la Croix-Rouge. En 1916, alors qu'il est sous-secrétaire d'État à la santé, Justin Godart recommande son apprentissage par une circulaire aux infirmiers militaires. Il commande 10 000exemplaires du petit manuel du capitaine Bayol, Esperanto-Ruĝa Kruco, pour le faire distribuer. Ce livret est traduit dans sept langues.

L'espéranto se relève très vite lorsque la paix revient, au point que, dès 1922, son enseignement est dispensé en Allemagne à 20 000 élèves par 630 enseignants. En revanche, la même année, le gouvernement français s'oppose à une proposition déposée au siège de la Société des Nations en décembre 1921 par onze pays parmi lesquels l'Inde, la République de Chine, la Perse et l'Afrique du Sud. Elle vise son inscription parmi les langues admises dans toutes les écoles du monde.

En France, le ministre de l'instruction publique interdit, en 1922 la mise à disposition des locaux scolaires pour son enseignement, ce en quoi il sera imité en 1935 par le ministre de l'éducation du Troisième Reich, Adolf Hitler ayant critiqué l'espéranto dans un discours.

À Kassel, en 1923, se tient sous la présidence d'honneur d'Albert Einstein le IIIe congrès de l'Association mondiale anationale (SAT), organisation à caractère socio-culturel et à vocation émancipatrice fondée à Prague en 1921 et dont la langue de travail est l'espéranto. Quarante-deux savants de l'Académie des sciences émettent la même année un vœu en faveur de son enseignement en tant que « chef d'œuvre de logique et de simplicité ».

L'interdiction française est annulée en 1924 par le gouvernement d'Édouard Herriot. L'essor est important dans certains pays. Le linguiste anglais Edward Thorndike constate au début des années 1930 que l'espéranto est aussi répandu que l'allemand en Union Soviétique. Il est la principale activité culturelle de Laponie, sur la ligne ferroviaire de Luleå à Narvik.

Des entraves à l'extension de la collectivité espérantophone apparaissent, parfois même avant les années 1930, comme au Portugal et en Roumanie. Des interdictions et même des persécutions le frappent pour longtemps au fur et à mesure que les régimes totalitaires gagnent l'Europe et le monde, à partir de 1933 en Allemagne et des purges staliniennes en URSS. Dimitri Snejko est le premier espérantiste russe à être arrêté en URSS, à Minsk, le 5 février 1936. Il ne sortira du goulag qu'en 1955 et mourra en 1957.

En France, le Syndicat national des instituteurs émet un vœu en faveur de son enseignement en 1932 et un autre en 1937. Député du Rhône, Maurice Rolland dépose en 1935 une proposition de résolution « tendant à inviter le gouvernement à introduire la langue internationale espéranto dans les programmes de l'enseignement public ». L'intérêt de son application dans diverses sphères d'activités est argumenté à l'occasion d'une conférence internationale qui se tient à Paris en 1937 dans le cadre de l'Exposition internationale des Arts et des Techniques dans la vie moderne. Il en résulte que le ministre de l'Instruction publique Jean Zay estime souhaitable d'en faciliter l'étude. Son enseignement est admis dans le cadre des activités socio-éducatives par une circulaire ministérielle du 11 octobre 1938 dont le texte est toujours valide.

Pour Hitler, l'espéranto est la langue de la conspiration juive[1] et des francs-maçons, pour Staline, celle du cosmopolitisme bourgeois. Dans les années 1940, ces deux hommes exercent le pouvoir sur la quasi-totalité de l'Europe continentale. L'espéranto est interdit, ses stocks de livres sont liquidés, bon nombre de ses partisans sont enfermés dans les camps de concentration. Au Japon, en Chine, en Espagne, au Portugal, les régimes au pouvoir pratiquent à son égard une politique moins violente, mais qui va dans le même sens.

La Seconde Guerre mondiale a des effets nettement plus importants que la première sur la collectivité espérantophone et la laisse exsangue. La durée du coup de frein qui a interrompu son élan peut être globalement estimée à l'équivalent d'une génération. Le relèvement est d'autant plus difficile que la guerre froide entrave les échanges, et l'anglais s'impose peu à peu comme langue internationale. Le congrès international de l'Éducation Nouvelle, qui se tient à Paris en 1946, formule un projet pour l'enseignement de l'espéranto et la formation de maîtres à son enseignement. Sa valeur dans les échanges culturels internationaux fait l'objet de recommandations lors des conférences générales de l'UNESCO, en 1954 puis en 1985, et de l'Organisation mondiale du tourisme à Manille (Philippines) en 1980.

Après la guerre froide

En 1993, après une enquête longue et pointilleuse, le PEN club international admet l'Esperanta PEN-Centro en son sein. En juillet 1996, le manifeste de Prague, semble prendre le contre-pied du manifeste de Raùmo en inscrivant pour la collectivité espérantophone, des objectifs d'élargissement.

Aujourd'hui

Les démarches se poursuivent pour faire admettre l'espéranto comme langue à part entière dans l'enseignement, et auprès des organisations internationales pour son adoption comme langue auxiliaire commune à tous. La Hongrie est le seul pays d'Europe à proposer une épreuve d'espéranto au niveau du baccalauréat. Bien que dispersés aux quatre coins de la planète, les espérantophones ont su profiter des nouvelles technologies de communication telles que la messagerie électronique, les listes de diffusion, la VOIP et un nombre toujours croissant de sites Internet. En 2001, la version espérantophone de Wikipédia, est lancée, créant ainsi la deuxième encyclopédie généraliste écrite dans une langue construite. Elle est devenue un des sites Internet espérantophones les plus populaires. On peut également noter la création de sites d'informations internationales tel que Ĝangalo qui a créé en 2005 une chaîne de télévision par Internet : Internacia Televido cessa néanmoins d'émettre en août 2006. Le site Farbskatol' est consacré à la diffusion de vidéos en espéranto. D'autres vidéos dans cette langue sont également diffusées sur le site YouTube.

Notes

  1. « Tant que le Juif n’est pas devenu le maître des autres peuples, il faut que, bon gré mal gré, il parle leur langue ; mais sitôt que ceux-ci seraient ses esclaves, ils devraient tous apprendre une langue universelle (l’esperanto, par exemple), pour que, par ce moyen, la juiverie puisse les dominer plus facilement.  », Adolf Hitler, Mein kampf, tome 1, p. 540.
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