- Guna
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Les trois guṇa (sanskrit en devanāgarī : गुण)[1] sont, dans les traditions du Sāṃkhya, du Yoga, de la Bhagavad-Gītā et de l'Ayurveda trois qualités principales dont l'interaction produit toutes les formes de la « création » qui émane de la Prakṛti, la Nature Originelle.
Dans le bouddhisme ce terme désigne plutôt les qualités d'un Éveillé.
Guṇa est aussi un vocable de la tradition grammaticale du sanskrit (Vyākaraṇa) et plus particulièrement lié à la classification développé dans l'Aṣṭādhyāyī attribué à Pāṇini[2].
Sommaire
Approche linguistique
Usage lexical du mot guṇa
Dans le lexique sanskrit, guṇa est un nom de genre masculin[3]. Son sens premier, concret, désigne généralement un « fil » ou une « corde », et plus spécialement la « corde d'un arc ou d'un instrument de musique ». Un usage abstrait de ce mot peut se traduire par « qualité », soit au sens objectif de « propriété » ou « attribut », soit au sens subjectif de « mérite » ou de « vertu ». Dans un contexte de classification, un guṇa désigne un « élément secondaire », une « catégorie » voire une « espèce ». Par extension au domaine culinaire, il est un « plat accessoire », un « condiment » ou une « sauce ».
L'adjectif guṇavant illustre la diversité de ce champ sémantique et qualifie, selon le contexte, un objet « muni d'une corde », un être « doué de qualités », ou une personne « vertueuse ».
Le champ sémantique de ce mot intègre aussi deux termes abstraits : le nom neutre guṇatva qui signifie « le fait d'être ou de servir de corde », et le nom féminin guṇatā que le français traduit par « subordination ».
Usage grammatical du terme guṇa
Le Vyākaraṇa (व्याकरण, prononciation [ʋjɑːkərəɳə]), qui prend racine vers le fin de l'époque védique, est la tradition grammaticale du sanskrit considérée comme l'un des six membres (Vedanga) utiles à l'étude du Veda. Les œuvres des plus anciens grammairiens, tel Sakatayana, qui date environ du huitième siècle avant l'ère courante, furent perdues au fil du temps[4]. Sakatayana est aujourd'hui connu grâce aux références à ses ouvrages faites par Yaska au sixième siècle avant l'ère courante, et par Pāṇini, auteur du traité de grammaire Astadhyayi.
La tradition grammaticale du Vyākaraṇa utilise le nom guṇa en tant que terme technique de phonétique pour indiquer l'augmentation d'une voyelle simple, portée ainsi au premier degré (dit aussi degré fort), par fusion avec une voyelle [a]. Le « degré guṇa » construit sur [a] reste [a], sur [i] devient [e], sur [u] devient [o], sur [ṛ] devient [ar] et sur [ḷ] devient [al][5].
Dans son traité de grammaire Astadhyayi Pāṇini distingue, à côté du « degré guṇa », un degré vṛddhi nommé aussi degré accru[6].
Approches philosophiques
Guṇa dans l'hindouisme
Au système dualiste et athée qu'est le Sāṃkhya, le Yoga de Patanjali mais aussi l'Ayurveda empruntent de nombreux éléments théoriques, dont les notions de Puruṣa, de Prakṛti et des trois guṇa[7].
Sāṃkhya et Yoga
Pour le Sāṃkhya et le Yoga, les gunas se répartissent en trois substances essentielles[1] :
- sattva, l'équilibre, la pureté, la vérité ;
- rajas, l'énergie, les passions, la force, le désir ;
- tamas, l'obscurité, les ténèbres, la lourdeur, l'inertie.
Ces trois guṇa, indépendants en eux-mêmes, s'entremêlent sans cesse dans la nature différenciée et leur action réciproque commande toute l'évolution de la matière. Il importe de cultiver Sattva dans un premier temps, puis de le transcender.
Bhagavad-Gītā
Dans le chapitre quatorze de la Bhagavad-Gītā est exposé la triade (triguṇa) composée des trois qualités inhérentes à la Nature Originelle (Prakṛti). Dans ce chapitre kṛṣṇa explique de manière détaillée à Arjuna la nature des trois guṇa. Ces trois guṇa sont[8]:
- sattva : la vérité qui est attachée au bonheur et à la connaissance;
- rajas : l'instinct lié aux tendances et à l'action;
- tamas : l'obscurité qui procède de l'ignorance (avidyā) et qui enchaîne le Jīva à la stupidité, la paresse et l'engourdissement.
Ayurveda
Pour l'ayurveda, les gunas sont :
- rajas, active, crépuscule ;
- tamas, passive, obscurité, nuit ;
- sattva, neutre ou équilibrante, lumière, jour.
Deux lois régissent les gunas :
- l'alternance (ces trois forces s'affectent mutuellement) ;
- la continuité (lorsque l'une de ces qualités est dominante elle le reste un temps déterminé).
L'ayurveda considère par exemple que la maladie, surtout chronique est la conséquence d'un état tamasique, d'une accumulation de toxines dans le corps et de pensées et émotions négatives au niveau de l'esprit.
Rajas est la force, le mouvement qui permet de passer d'un état tamasique à un état sattvique (ou l'inverse).
Ces qualités bien souvent se mélangent ouvrant ainsi un champ plus large de possibilités comme sattva rajasique, sattva tamasique, rajas sattvique...
Guṇa dans le bouddhisme
Le bouddhisme n'accepte pas la théorie des trois guṇa de l'hindouisme, la "nature" se résumant pour lui aux cinq skandhas.
Le terme de guṇa désigne les qualités d'un Éveillé (qu'il soit bouddha ou arahant) :
- la pureté (visuddhi-guna)
- la Connaissance transcendante (pañña-guna)
- la compassion (karunadhiguna).
Notes et références
- The Sanskrit Heritage Dictionary de Gérard Huet
- Arthur Anthony Macdonell, A Sanskrit grammar for students, Éd. Oxford University Press, 1986, Introduction. (ISBN 9780198154662)
- N.Stchoupak, L.Nitti, L.Renou, Dictionnaire sanskrit-français, les pages 229 et 230 fournissent un grand nombre de mots composés construits sur le terme guṇa.
- en:Vyākaraṇa. Sakatayana aurait affirmé, entre autres, que plusieurs noms pourraient dériver, étymologiquement, de verbes. Voir l'article en anglais
- ISBN 9788120804098) Srisa C. Vasu, The Astadhyayi of Panini, Éd. Motilal Banarsidass Publ., 1980, page 3 et suivantes. (
- Louis Renou, Grammaire sanskrite élémentaire, page 14, citation : Les grammairiens appellent guṇa « forme secondaire » les aspects e, o, ar. Ils donnent le nom de vṛddhi « accroissement » à la série ai, au, ār'.
et Y.S.4-34 : la réabsorption des guṇas, privés de leur raison d'être, par rapport au purusha, marque l'état d'isolement de la conscience dans sa forme originelle.
Y.S. 1-16 : le plus haut niveau de détachement qui résulte de la réalisation du Soi, c’est l’absence de guṇa.- Émile-Louis Burnouf, La Bhagavad-Gîtâ: ou le chant du bienheureux; poëme indien, Éd. Duprat, 1861, page 177 à 179
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