Lieu commun (rhétorique)

Lieu commun (rhétorique)
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Un lieu commun, du latin locus (« lieu », loci au pluriel) et communes (« communs »), est en rhétorique une figure de style fondée sur l'emploi de situations communes ou d'assertions consensuelles. On parle de manière synonymique de topos (topoi au pluriel) en référence au mot grec signifiant le « lieu ». Le sens commun recouvre sous l'expression lieu commun l'usage d'idées reçues, qui sont la marque d'une absence totale d'originalité de la pensée, et permettent à celui qui les professe de se dispenser de tout effort de pensée. En ce sens on parle également de poncif, de platitude ou de banalités .

Sommaire

Différences entre « cliché », « poncif » et « lieu commun »

Bien que les termes « lieu commun », « cliché », et « poncif » puissent être utilisés indifféremment, une nuance sémantique existe.

Stricto sensu un cliché est une expression stéréotypée, une métaphore passée dans le langage courant, dont le sens ne fait pas l'objet d'équivoque bien qu'elle soit imagée. Quelques exemples : pratiquer « la politique de l'autruche » (faisant implicitement référence à la croyance selon laquelle les autruches enfouiraient leurs têtes dans le sable en cas de danger), « tourner la page » après une expérience douloureuse, « avoir le cœur sur la main ».

A contrario, le lieu commun ou poncif n'est pas un syntagme mais une idée reçue, prégnante dans la communauté linguistique mais pouvant recevoir différentes formulations plus ou moins originales. Il est à rapprocher du concept psychologique de stéréotype. Dans son acceptation courante actuelle, l'expression « lieu commun » a pris un sens péjoratif, synonyme de platitude ou préjugé.

Exemple : « Avec cette difficulté de trouver du personnel, il faut être reconnaissant de ce que Dieu nous envoie comme domesticité, même si ce n'est pas de premier ordre, (...) Ces domestiques n'en font pas d'autres. Enfin, nous sommes à leur merci. » (Albert Cohen, Belle du seigneur), le lieu commun du domestique incapable.

Gustave Flaubert donne de nombreux autres exemples dans son dictionnaire des idées reçues tels :

« Appartement de garçon. Toujours en désordre [...] Boursiers. Tous voleurs. »

Définition

Définition linguistique

Le lieu commun opère une transformation sémantique (elle joue sur les images et le sens) de répétition d'éléments (les traits ou sèmes du lieu commun) à l'identique (la qualité d'un lieu commun est sa reproductivité dans le discours).

Définition stylistique

En rhétorique, les lieux communs, ou topoi en grec, sont un fond commun d'idées à la disposition de tous, et dont la valeur persuasive est traditionnellement reconnue parce qu'elles font partie des idées couramment admises par l'auditoire et peuvent ainsi renforcer son adhésion. L'orateur (mais aussi l'auteur d'écrits) peut, et même doit y recourir. Mais il lui faut trouver le moyen de les présenter d'une manière personnelle et appropriée à la situation, en se gardant d'en faire ressortir la seule banalité. Les lieux communs, loin d'être des affirmations méprisables, participent de la technique du discours et aident à l'invention (inventio) et permettaient de désigner les différents arguments universels que développe le rhéteur dans sa démonstration.

Aujourd'hui, dans le langage courant, cette expression a pris le sens péjoratif d'idée reçue. On dira ainsi : « Ce discours est un tissu de lieux communs, aucune invention, rien de personnel ». Au sens péjoratif du terme, une assertion comme « Le risque zéro n'existe pas » est un lieu commun. Le terme est, une fois sortie du domaine rhétorique, venu à désigner des platitudes appelées aussi poncifs, caractéristiques notamment des œuvres littéraires, et que celles-ci participent même à véhiculer dans l'histoire de la langue.

Le cliché est certes proche du lieu commun par sa banalité mais il présente plutôt des idées ou des scènes et images rebattues non pas dans la conversation courante mais dans des œuvres artistiques. Ainsi, beaucoup de métaphores et comparaisons à force d'usage artistique deviennent des clichés. En ce sens, il dépend beaucoup de l'époque. L'image littéraire des deux amoureux empêchés par leurs parents comme dans Roméo et Juliette était pertinent à l'époque de William Shakespeare, mais son usage dans les romans d'amour suivants a entraîné une désuétude qui l'a recatégorisé en cliché. Le cas des romans de chevalerie et d'amour courtois est exemplaire : littérature d'élite au Moyen Âge et à la Renaissance, ils deviennent « cliché » au XVIIe siècle avec les romans fleuve de madame de Scudéry notamment et sa Carte de Tendre.

Genres concernés

On retrouve des lieux communs dans tous les genres littéraires : en poésie (le sonnet pour une Dame par exemple, le poète conversant avec la Mort...), au théâtre (un personnage caché sous une table écoutant, une amoureuse transie au haut d'un balcon...) et dans le roman surtout (scènes pastorales comme chez Bernardin de Saint-Pierre ou Jean-Jacques Rousseau, scènes de guerre ressassées, scènes de présentation du personnage principal, Félix Grandet avare[1], le peuple montré comme une force collective...). La littérature se renouvelle en partie par la reprise, la dégradation ou la ré-actualisation des lieux communs (théorie de l'intertextualité), à travers les parodies par exemple, ou encore les pastiches.

En peinture, les lieux communs et autres clichés sont également abondants : Olympiades, scènes bucoliques, paysages tourmentés et portraits conventionnels en forment la majorité. Tout jeune peintre doit, par exemple, s'essayer à des lieux communs comme la crucifixion du Christ. La publicité exploite sans limite les lieux communs, afin de fédérer les récepteurs autour d'images universelles. Le cinéma enfin y a recours, de manière assez proche du roman : cliché du héros sauveur, lieu commun du saloon américain. Les médias, enfin, ne sont pas en reste. Ainsi il est courant que par facilité ou conformisme des clichés hantent nombre d'articles et de comptes rendus. Exemple Bollywood taxé de kitsch, Sarkozy d'hyperprésident, l'Inde de plus grande démocratie du monde ou que de nombreuses personnalités soient considérées, sans aucune base sérieuse, comme les "plus puissantes" du milieu dans lequel elle évoluent.

Historique de la notion

Aristote est le premier à en parler dans sa Topique. Pour lui, les lieux communs sont « les idées les plus générales, celles que l'on pouvait utiliser dans tous les discours, dans tous les écrits ». Néanmoins, Aristote rattache encore beaucoup le concept de lieu commun aux syllogismes rhétoriques qui visent à persuader, a contrario de ceux scientifiques qui sont rigoureux. Pour Aristote et ses successeurs, surtout latins, la topique, ou science des lieux communs, est un magasin où sont recensées toutes ces images rhétoriques dont l'orateur a besoin pour élaborer son discours. Aristote classe ces lieux selon des couples d'antonymes tels : le préférable, le juste/l'injuste, le possible/l'impossible, le plus/le moins, etc. Dans la Rhétorique, il assigne à ces lieux (ou topoï) des effets comme l'amplification ou encore l'accusation :

« [...] il est nécessaire à tous les orateurs d'employer, dans leurs discours, en outre (des arguments spéciaux), ceux qui reposent sur le possible et l'impossible ; et ils ont à tâche de montrer: les uns, que la chose en question aura lieu, les autres, qu'elle a eu lieu. Ce n'est pas tout : la question d'importance est un lieu commun à tous les genres de discours ; car tout le monde emploie des arguments qui tendent soit à diminuer, soit à grandir l'importance d'un fait, soit que l'on conseille, qu'on fasse un éloge ou qu'on blâme, qu'on accuse ou qu'on présente une défense. [...] Parmi les lieux communs, celui qui sert à l'amplification est, nous l'avons dit, celui qui convient le mieux aux discours démonstratifs ; le fait accompli, aux discours judiciaires car c'est sur ces sortes de faits que porte le jugement; enfin, le possible et le futur aux discours délibératifs »

— Aristote, Rhétorique, Livre II, chapitre XVIII : des traits communs à tous les genres de discours, III

Autrement dit, les lieux communs sont en quelque sorte les bases d'entente entre interlocuteurs, nécessaires aux dépassements des tensions, contradictions et conflits que l'argumentation peut apporter.

Dans la Rome Antique, le lieu commun désignait le moment du discours où l'orateur, après avoir évoqué un cas singulier, passait au cas général, atteignant ainsi l'universalité (voir Cicéron). Pour Quintilien, ils sont les phases successives d'un plaidoyer; leur enchaînement est un modèle de discours. À la Renaissance, le lieu commun est une sorte de table de mémoire où tout humaniste consigne thématiquement toutes les citations remarquables venant de ses lectures, d'où le sens moderne d'images trop utilisées et devenue désuète.

Les lieux communs ont donné lieu à une intense et continuelle polémique. Pour Jacques Ellul, « disons que les lieux communs sont l'expression d'une idéologie, et peuvent être utile pour la discerner. [...] catalogue des illusions collectives, représentations inconsciemment faussées des autres, des adversaires, aussi bien qu'exaltation inconsciemment valorisée des idéaux que l'on prétend avoir. [...] Croyances collectives, reposant sur des présuppositions admises sans discussion, sans contestations possibles. Le lieu commun est vraiment commun parce qu'il ne supporte aucune discussion de base. [...] On le cite rarement, mais il est constamment présent, il est derrière les réflexions et les discours, il est derrière les conversations ». Toutefois l'erreur de Jacques Ellul est flagrante puisque celui-ci confond « lieu commun » et « idée reçue » alors que leur sens est distinct. Un lieu commun est un cliché, c'est-à-dire une formule usée mais que rien n'infirme ; tandis qu'une assertion qualifiée d'idée reçue est ainsi décrite comme fausse mais ancrée dans les esprits. Dans la formulation de Marc Angenot, La parole pamphlétaire. Typologie des discours modernes (Paris: Payot, 1982), à la fois synthèse et application d'un retour à la conception aristotélicienne du topos, un topos serait « toute proposition première, irréductible logiquement à une autre, présupposée dans un énoncé persuasif ». Francis Goyet lui y voit davantage une source de créativité et d'originalité, tout discours artistique se fondant sur des pré-requis topiques. Pour Georges Molinié, c'est « la base essentielle des preuves techniques de l'argumentation et la matière de l'invention ».

Figures proches

  • Figure « mère » : image, trope
  • Figures « filles » : aucune

Notes et références

  1. « Grandet commençait alors sa soixante-seizième année. Depuis deux ans principalement, son avarice s'était accrue comme s'accroissent toutes les passions persistantes de l'homme. Suivant une observation faite sur les avares, sur les ambitieux, sur tous les gens dont la vie a été consacrée à une idée dominante, son sentiment avait affectionné plus particulièrement un symbole de sa passion. La vue de l'or, la possession de l'or était devenue sa monomanie. Son esprit de despotisme avait grandi en proportion de son avarice, et abandonner la direction de la moindre partie de ses biens à la mort de sa femme lui paraissait une chose contre nature;Honoré de Balzac, Eugénie Grandet, édition du Furne, vol.V, p.336 »

Bibliographie

Bibliographie des figures de style

  • Quintilien (trad. Jean Cousin), De L’institution oratoire, t. I, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Bude Serie Latine », 1989, 392 p. (ISBN 2-2510-1202-8) .
  • Antoine Fouquelin, La Rhétorique Françoise, Paris, A. Wechel, 1557 .
  • César Chesneau Dumarsais, Des tropes ou Des différents sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue, Impr. de Delalain, 1816, 362 p.
    Nouvelle édition augmentée de la Construction oratoire, par l’abbé Batteux. Disponible en ligne
     
  • Pierre Fontanier, Les figures du discours, Paris, Flammarion, 1977 (ISBN 2-0808-1015-4) [lire en ligne] .
  • Patrick Bacry, Les figures de style : et autres procédés stylistiques, Paris, Belin, coll. « Collection Sujets », 1992, 335 p. (ISBN 2-7011-1393-8) .
  • Bernard Dupriez, Gradus,les procédés littéraires, Paris, 10/18, coll. « Domaine français », 2003, 540 p. (ISBN 2-2640-3709-1) .
  • Catherine Fromilhague, Les figures de style, Paris, Armand Colin, coll. « 128 Lettres », 2007 (ISBN 978-2-2003-5236-3) .
  • Georges Molinié et Michèle Aquien, Dictionnaire de rhétorique et de poétique, Paris, LGF - Livre de Poche, coll. « Encyclopédies d’aujourd’hui », 1996, 350 p. (ISBN 2-2531-3017-6) .
  • Henri Morier, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Grands Dictionnaires », 1998 (ISBN 2-1304-9310-6) .
  • Michel Pougeoise, Dictionnaire de rhétorique, Paris, Armand Colin, 2001, 16 × 24 cm, 228 p. (ISBN 978-2-2002-5239-7) .
  • Olivier Reboul, Introduction à la rhétorique, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Premier cycle », 1991, 15 cm × 22 cm, 256 p. (ISBN 2-1304-3917-9) .
  • Van Gorp, Dirk Delabastita, Georges Legros, Rainier Grutman et al., Dictionnaire des termes littéraires, Hendrik, Honoré Champion, 2005, 533 p. (ISBN 978-2-7453-1325-6) .
  • Nicole Ricalens-Pourchot, Dictionnaire des figures de style, Paris, Armand Colin, 2003, 218 p. (ISBN 2-200-26457-7) .

Annexes

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