- Histoire de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale
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Articles principaux : Histoire de la Suisse au XXe siècle et Seconde Guerre mondiale.
La Suisse n'a pas été occupée pendant la Seconde Guerre mondiale ni par les membres de l'Axe ni par les Alliés. Néanmoins, sa situation enclavée au cœur de pays belligérants n'a pas épargné son économie et sa société qui ont été fortement affectées par la guerre. Par la suite, la Suisse fut remerciée et appréciée par ses voisins pour avoir accueilli des réfugiés et aider la résistance ainsi que les services de renseignements. Cependant, le gouvernement tentera de préserver l'image de neutralité du pays, mais les puissances victorieuses d'après guerre accuseront la Suisse de collaboration avec les Nazis (particulièrement sur des transactions d'or provenant des puissances de l'Axe) dès les années 1990 dû au rapport de la commission Bergier.
Sommaire
Contexte d'avant-guerre
La lassitude engendrée par la Première Guerre mondiale entraina en Suisse ainsi que dans toute l'Europe un puissant mouvement pacifiste et antimilitariste particulièrement représenté par les mouvements de gauche. En 1921, 55,8% des appelés sont considérés comme apte au service, le niveau le plus bas jamais atteint, en 1923 une pétition pour l'introduction du service civil recueillit 39000 signatures et en 1927, le Parlement décide de geler les dépenses militaires à 85 millions par année, en particulier les travaux entrepris dans les différents forts du pays. L'attitude générale de la population face à un nouveau conflit armé ainsi que les différentes mesures entreprises envers l'armée confère à celle-ci, au début des années 1930, une structure et une organisation quasi identique à celle qu'elle connue en 14-18. Elle se caractérisait par une armée d'infanterie dont la mobilité repose essentiellement sur les chevaux (un pour cinq hommes), marquée par la quasi-inexistence de véhicules à moteur, sans couverture aérienne ni protection antiaérienne sérieuse.
Néanmoins, les événements européens de l'époque, particulièrement la menace perçue par la Suisse devant la montée du national socialisme et du fascisme des pays voisins, allaient bientôt permettre un changement de virage opéré entre autres par la politique et les idées de Rudolf Minger, conseiller fédéral et fin orateur. Grâce au ralliement progressif du parti socialiste au programme de défense nationale, les chambres allaient ainsi pouvoir accorder une succession de crédits à l'armée, lui octroyant au total un budget de près de 800 millions de francs entre 1935 et 1939. Si ce changement de virage allait faire tomber la tension politique intérieure et permettre une relance économique largement provoquée par l'industrie militaire, permettant au pays d'opérer sur des bases plus fermes[nhss 1], il n'en fut pas moins que l'armée allait également connaître une profonde mutation aussi bien sur le plan matériel qu'opérationnel.
- Sur le plan matériel, l'armée se dota d'une nouvelle aviation comprenant une série de Dewoitine D-27 et de Fokker C.V et l'infanterie de différentes armes lourdes, comme le lance-mines de 8,1 cm et le canon d'infanterie de 4,5 cm destiné à lutter contre les chars. De son côté, l'artillerie se modernisa en remplaçant les canons de montagne 1906 par des canons Bofors 10,5 cm et 12 cm et 24 blindés "Praga" de la marque Skoda furent achetés. En 1939, l'armée consolide son aviation et acquiert alors une série de 89 chasseurs Messerschmitt Me-109 E-3 "Emil" puis dès 1940 une série de 74 D-3800 Morane-Saulnier. Néanmoins, privée d’une part importante des moyens qu’elle avait commandé en raison de retards de livraison ou d’achats trop tardifs, la troupe d’aviation suisse, à la veille du conflit, ne disposait que de 86 chasseurs et 121 appareils de reconnaissance et d’appui aérien (56 Dewoitine D-27, 28 Me 109E et 10 Me 109D, 60 Fokker CV et 78 K+W C-35)[1].
- Sur le plan opérationnel, le bureau des fortifications, qui avait été dissous en 1921, est réactivé dès 1935 et lance dès l'année suivante plusieurs travaux de réalisation de fortins et de renforcements de terrain dans le nord du pays[rapin 1]. En parallèle, une nouvelle loi fédérale augmente la durée de l'école de recrues de 67 à 90 jours en 1935 puis à 118 en 1939[2]. En 1938 la structure de l'armée fut modifiée et se composa désormais de trois corps, avec neuf divisions, dont trois de montagne plus trois brigades de montagnes. On instaura également des troupes de couverture frontière ainsi qu'une troupe permanente de professionnels disposant d'une escadrille de surveillance. Finalement dès le 30 août 1939 le rétablissement des pleins pouvoirs fut accordés au Conseil fédéral.
Au final, suite aux préoccupation militaires devant la montée en puissance des pays fascistes, l'armée suisse pouvait, à la veille de la guerre, faire figure honorable dans différents domaines, notamment celui de l'aviation. Néanmoins, beaucoup lui manquait encore, particulièrement les moyens de transmission et de guidage, des chasseurs de nuit, des projecteurs, la quasi-inexistence de blindés, le pays ne possédant alors que trente chars.
Chronologie
Articles connexes : 1939 en Suisse, 1940 en Suisse, 1941 en Suisse, 1942 en Suisse, 1943 en Suisse, 1944 en Suisse et 1945 en Suisse.Première mobilisation et guerre de position
Dès le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale confirmé, l'Assemblée fédérale élit le colonel vaudois Henri Guisan au titre de général de l'armée suisse avant d'adresser, comme de coutume, une déclaration officielle de neutralité aux puissances belligérantes. La mobilisation de l'armée s'effectue sans grande difficulté entre le 3 et le 5 septembre 1939, sans que les dirigeants militaires n'aient encore arrêté de plan opérationnel[nhss 2]. Une ligne de défense est mise en place le long de la Limmat où trois corps d'armée avec sept divisions et une brigade de montagne assurait la protection du pays de l'est de Bâle jusqu'à Sargans. Ce dispositif ("dispositif Limmat") partait de l'hypothèse que la France ne tenterait rien contre la Suisse pour prendre l'Allemagne par surprise, cette-dernière étant occupée en Pologne et n'ayant laissé à la frontière franco-germanique que de faibles forces, permettant à la France de passer à l'offensive sur n'importe quel point du front[falg 1]. Par la suite, devant le peu d'action sur le front franco-germanique, les effectifs mobilisés sont progressivement réduits afin de libérer des hommes pour l'agriculture et l'industrie[3].
Cette période de près de huit mois, où la France et l'Allemagne s'observent mutuellement sera bénéfique à la Suisse, lui permettant notamment de pousser l'entraînement des hommes, la formation des officiers et d'accélérer la production du matériel, bien que celui-ci ne parvint aux troupes que plus tard, après la victoire allemande en France[falg 2]. Ce sera finalement dans le domaine de la fortification de campagne que la progression durant cette période sera la plus significative. Si en juin 1939, 132 ouvrages d'infanterie étaient terminés, on en dénombra 207 en octobre 1939 puis 249 en mai 1940. Parallèlement 1150 ouvrages allaient être minés, le tout étant destiné à couvrir, pendant 4 à 6 jours, une éventuelle mobilisation des troupes[falg 3].
Un autre fait notable de cette période concerne les négociations entreprises par la Suisse pour définir une coopération militaire avec la France et la Grande-Bretagne dans le cas où l'Allemagne attaquerait la Suisse. Si des contacts avaient déjà été entrepris avant la guerre, ils ne se sont qu'intensifiés durant cette période critique. Ainsi, le chef de l'état-major du Général, le major EMG Barbey, fit plusieurs voyages en France pour y rencontrer son homologue, le lieutenant-colonel Garteiser qui à son tour se rendit en Suisse en novembre 1939 afin d'inspecter la zone prévue pour la jonction des deux armées[falg 4]. Si un plan stratégique semble avoir été établi[4], il tombera par la suite entre les mains allemandes lors de la débâcle française de 1940 et sera par la suite utilisé par ces derniers comme moyen de pression[bouquet 1].
- haut commandement de l'armée lors de la première mobilisation
Unité Commandant Zone 1er corps d'armée Colonel Commandant de Corps Lardelli Ouest et Sud-Ouest 1re Division Colonel-divisionnaire Combe Vaud 2e Division Colonel-divisionnaire Borel Bieler und Neuenburger Jura 3e Division Colonel-divisionnaire von Graffenried Bern / Murten 8e Division Colonel-divisionnaire Gübel Wiggertal 9e Division Colonel-divisionnaire Tissot Gotthard 1re Leichte Brigade Oberst Charrière Morges Jura 2e Leichte Brigade Oberst Koller Freibergen 10e Gebirgsbrigade Oberstbrigadier Schwarz unterer Lauf der Rhone und Dranses 11e Gebirgsbrigade Oberstbrigadier Bühler Simplon (oberes Rhonetal) 2e corps d'armée Colonel Commandant de Corps Prisi Nord 4e Division Colonel-divisionnaire Scherz Solothurner Jura 5e Division Colonel-divisionnaire Bircher Aargau / Fricktal 3e corps d'armée Colonel Commandant de Corps Miescher Est et Nord-Est 6e Division Colonel-divisionnaire Constam Zurich / Winterthur 7e Division Colonel-divisionnaire Flückiger Toggenburg 3e Leichte Brigade Oberst Wirth Frauenfeld 12e Gebirgsbrigade Oberstbrigadier Hold Grisons Festung Sargans Oberstbrigadier Gubler Sargans Aviation et Défense anti-aérienne Oberstdivisionär Bandi Sources : [1] [2] Seconde mobilisation et défaite de la France
Lorsque la drôle de guerre s'achève le 10 mai 1940 pour laisser place à la bataille de France, avec l'invasion allemande des Pays-Bas, du Luxembourg et de la Belgique, une seconde mobilisation générale, appelant 700 000 hommes sous les armes dont 450 000 troupes combattantes, est ordonnée le lendemain du 11 mai pour protéger la région du Jura entre Genève et Bâle[falg 5]. Dans la soirée du 11, des bruits, répandus par les civils mais également par quelques militaires de haut rang firent état d'une attaque imminente, portant sur le pays un effet de panique. En réalité, les allemands avaient décidé, avant d'attaquer à l'ouest, de mettre sur pied une manœuvre d'intoxication destinée à faire croire à l'état-major français qu'ils porteraient leur effort sur la Suisse espérant créer une brèche au travers de la Ligne Maginot[falg 6].
Suite à la percée allemande, 43 000 hommes du 45e corps français (29700 français ainsi que 12000 polonais de détachements belges et anglais) qui tenaient la place de Belfort seront acculés contre la frontière suisse puis internés le 19 juin avant d'être rapatriés en janvier 1941[5]. Après l'entrée en guerre de l’Italie contre la France et la Grande-Bretagne le 10 juin 1940 et l'armistice signée part la France le 22 juin 1940, la Suisse se retrouve cernée par les forces de l'Axe conduisant le moral des troupes et de la population au plus bas.
Article détaillé : Incidents aériens en Suisse de 1940.Si l'arrivée des Allemands à la frontière ne donna lieu à aucun incident, il n'en fut de même dans l'espace aérien. Alors que la France était sous les feux allemands, l'Allemagne souhaite profiter de la faiblesse de la défense anti-aérienne et de la chasse française de Lyon et Saint-Étienne en empruntant un couloir aérien au travers de la Suisse. Les engagement allemands dans cette optique amèneront à de véritables conflits aériens avec les aviateurs suisses, en dépit de l'interdiction faite par Berlin, dont le 4 juin marquera l'apogée des affrontements[falg 7]. À cette date, Goering souhaitant donner une correction à la Suisse, engagea une trentaine de Me 110 qui entrèrent en conflit avec des Me 109E suisse au-dessus de La Chaux-de-Fonds. Face à la détermination des pilotes suisses, pourtant en infériorité numérique, les allemands abandonnèrent l'engagement après avoir essuyé plusieurs pertes. De retour à Berlin, la nouvelle parvint jusqu'à Hitler qui mis alors sous pression le gouvernement helvétique, face à une éventuelle invasion du pays[6].
Premières menaces allemandes
Article connexe : Opération Tannenbaum.Face aux menaces de Berlin sur la violation de l'espace aérien suisse par la Luftwaffe, le général Guisan ordonna le 20 juin la cessation des combats aériens dans tout l'espace aérien suisse. La tension diplomatique entre les deux pays allait néanmoins conduire à des prises de position rigoureuses. Du côté allemand, plusieurs plans d'invasion de la Suisse sont mis sur pied à l'état-major, notamment l'opération Tannenbaum qui heureusement ne fut jamais réellement envisagée. Du côté Suisse, on se rendit compte qu'il devint urgent de développer une politique de défense et d'autosuffisance envers le danger principal que représentait alors l'Allemagne.
Ainsi, le 25 juin 1940, le président de la confédération, dans un discours radiodiffusé, promet aux Suisses du travail à tout prix et quoiqu'il en coûte. Or pour faire tourner ses usines, le pays importe 5000 wagons de fer et 30000 wagons de charbon, surtout en provenance d'Allemagne. Face aux relations diplomatiques difficiles entre Berne et Berlin, la Suisse met en place un plan d'approvisionnement. Rien que dans le canton du Valais, on ouvre ou remet en activité 21 mines[mob 1].
À partir de septembre 1940, des Gardes locales (GL) sont incorporées dans les complémentaires de l'armée. Celles-ci avaient pour mission de rassurer la population de l'arrière pays, face à la menace de sabotages, des parachutistes ou d'éventuels détachements motorisés qui auraient percé le front. Si l'obligation de servir dans la GL cessait à 60 ans, beaucoup restaient néanmoins par la suite comme volontaires remontant ainsi le moral des troupes aux frontières. Son effectif atteignit 127563 hommes en 1941 puis se stabilisa aux alentours de 115000[mob 2].
Le réduit
Articles détaillés : Réduit national et Rapport du Grütli.Le 12 juillet 1940, le général Guisan écrit au chef du Département militaire fédéral pour lui faire part de ses décisions devant la situation[7] : il préconise un échelonnement de la protection en profondeur, basé sur trois niveaux de protection principaux ; le premier niveau consiste à maintenir des troupes aux frontières, le second niveau à barrer les axes de pénétration du pays alors que le dernier niveau, celui des troupes de position dans les Alpes, doit tenir « sans esprit de recul ». Il réintroduit là l'idée de réduit national[rapin 2], qu'il présente en particulier à ses officiers supérieurs réunis le 25 juillet 1940 lors du rapport du Grütli. Dès le début du mois d'août, un tournus (systéme de rotation, en Français de Suisse) est mis en place entre les troupes assurant une mobilisation de 120 000 hommes[8].
Le réduit national est centré sur le massif du Saint-Gothard contrôlant les cols ouvrant le passage entre le nord et le sud des Alpes. Il s'articule autour de trois éléments essentiels, à savoir les fortifications présentes dans le massif du Saint-Gothard, les forts de Saint-Maurice donnant accès à l'Italie par les cols du Grand-Saint-Bernard et du Simplon, et les fortifications de Sargans protégeant la route vers le massif du Saint-Gothard par la vallée du Rhin. Les différents accès au réduit national sont aussi protégés : le lac de Thoune, le lac des Quatre Cantons, le Jaunpass et le Pays-d'Enhaut au nord, le lac Majeur et Bellinzone au sud et les cols de la Furka et de Oberalp pour l'axe ouest-est[rapin 3].
Au sujet du rôle joué par ces fortifications pendant la guerre, le chef de l'état-major général écrit dans un rapport daté de 1945 : « Je suis persuadé qu'à partir de 1943, nos fortifications jouèrent dans les plans allemands un rôle appréciable et il est vraisemblable qu'elles ont contribué dans une certaine mesure à écarter une attaque de la Suisse ». Si le plan d'attaque conjoint de l'Allemagne et de l'Italie, baptisé « opération Tannenbaum », ne semble jamais avoir été envisagé très sérieusement par les autorités allemandes[nhss 3], Klaus Urner et Georges-André Chevallaz évoquent de réels projets allemands relatifs à une attaque de la Suisse. Klaus Urner cite un document allemand d'août 1940, précisant les difficultés d'une attaque liés au relief et aux fortifications des Alpes, alors que Georges-André Chevallaz fait mention d'un document allemand datant de mai 1941, parlant des « directives de l'État-major (allemand) pour les opérations contre la Suisse »[rapin 4].
Le repli allemand (1943-1945)
Alors que l'Allemagne essuie sa première défaite à Stalingrad en 1943, la probabilité d'un débarquement des Alliés en Italie se fait de plus en plus sentir. À cet effet, le Standartenführer (colonel) SS Schellenberg, obtient le 3 mars 1943 une entrevue secrète avec le général Guisan, dans une auberge de Bingen. L'objectif de cette rencontre visait à obtenir du général l'assurance que si les alliés, qui allaient probablement débarquer en Italie, tentaient de monter une opération à travers la Suisse, celle-ci s'y opposerait alors farouchement. La lettre manuscrite appuyant cet accord fut transmise au général SS le week-end du 6-7 mars à Arosa[falg 8].
Le 18 mars, le service de renseignement suisse informa qu'une action de l'Allemagne contre la Suisse était probablement attendue avant le 6 avril. L'état major prit l'avertissement au sérieux et ordonna différentes mesures avant que la "ligne Viking" informa le 22 mars que la décision d'invasion était tombée au quartier général du Führer[9]. Si l'avertissement semble être le produit d'une manœuvre d'intoxication, elle met néanmoins en évidence l'importance stratégique de la situation de la Suisse face à un débarquement allié imminent en Italie.
Suite à la Campagne d'Italie, débutée en juillet 1943, l'Allemagne se voit contrainte de placer ses troupes au Sud pour parer l'avancée des alliés le long de la péninsule. La Suisse se retrouve alors dans une nouvelle configuration stratégique où l'Allemagne, devant l'avancée rapide des alliés, pourrait être tentée d'emprunter le "corridor helvétique". Ce réel danger se trouvait néanmoins amoindri par la possibilité pour les Allemands de faire transiter leurs troupes par le Brenner ou encore la ligne du Semmering, menant vers Udine[falg 9].
Suite au débarquement de Normandie en juin 1944 suivie en août du débarquement de Provence, de nouvelles questions stratégiques se posaient à la Suisse au fur et à mesure que l'Allemagne nazie cédait du terrain en France. En effet, la question de la hauteur à laquelle la résistance allemande allait se fixer ainsi que celle liée aux mesures d'internement des soldats allemand acculés à la frontière helvétique allaient certainement être lourd de conséquence dans la nouvelle configuration de l'échiquier européen. Dans son discours d'après guerre le général Guisan résumait ainsi : « Voici quelques questions que nous nous posions alors. Que va faire l'armée du général Blaskowitz, chargée de s'opposer au débarquement dans le Sud ? Va-t-elle être prise en tenaille avant d'arriver à notre frontière ? Sera-t-elle prise, au contraire en tenaille, en arrivant à cette frontière ? Si elle échappe à cette tenaille, sur quelle ligne se rétablira-t-elle et fera-t-elle front ? Si les combats se déroulent à proximité de notre frontière, quels risques pouvons nous courir, soit lors de manœuvres de débordement de petite ou grande envergure, soit dans le cas de troupes refoulées sur notre territoire, qui éventuellement ne voudraient pas se laisser interner? »[10]
Face à la situation, le conseil fédéral accepta en août 1944 de mettre sur pieds trois divisions et trois brigades légères ainsi qu'une quatrième et une cinquième division dès le mois de septembre, mobilisant ainsi l'ensemble des troupes frontières et forçant plusieurs contingents à sortir du réduit en prévision des conflits inévitables qui allaient se produire à la frontière. Bientôt les alliés arrivèrent au nord du Jura pour atteindre le Rhin le 20 novembre 1944 et s'emparer de Huningue quinze jours plus tard. Si les allemands allaient lancer une offensive surprise dans les Ardennes en décembre, les unités de la Wehrmacht et de la SS seront néanmoins contenues et repoussées par les Anglo-Américains, avant que ceux-ci effectuent la traversée du Rhin. Au sud du pays, les premiers chars américains venant de Domodossola arrivèrent à la frontière le 28 avril 1945, quelques jours seulement avant que le Reich ne capitule le 7 mai[falg 10].
Aspects politiques
Les relations diplomatiques et économiques
Dès le début de la guerre, l'économie de la Suisse s'aligne sur ses deux voisins de l'Axe qui absorbent les deux-tiers de son commerce extérieur, alors qu'un dixième seulement de ses échanges sont réalisés avec les Alliés et le reste avec les pays neutres. Plus significatif encore, 84 % des exportations d'armes et de munitions depuis la Suisse le sont en direction de l'Axe, contre 8 % seulement pour les Alliés[11].
Les relations diplomatiques entre la Suisse et l'Allemagne sont souvent entachées de points de frottement pendant la période de la Seconde Guerre mondiale, en particulier suite à la décision prise dès septembre 1939 de ne pas reconnaître les nouveaux États ou régimes tout en conservant des relations diplomatiques avec ceux existants avant le début du conflit, tels que la Pologne, la Belgique et la Yougoslavie[12].
À la mort de Giuseppe Motta en 1940, c'est le Vaudois Marcel Pilet-Golaz qui lui succède à la tête du Département politique, l'année même où il exerce la présidence de la Confédération. Il prononce, le 25 juin 1940, un discours radiophonique controversé dans lequel il préconise une nécessaire « adaptation » à la situation nouvelle et admet la fin de la guerre[13]. Dans le même temps où il accorde un entretien privé aux responsables du Mouvement national, il ne remercie pas les militaires et l'armée suisse pour leur travail et ne prononce pas les termes de démocratie ou de neutralité[14].
C'est principalement sur le plan de la politique monétaire que les relations entre la Suisse et l'Axe vont se développer. Avant la guerre, le franc suisse fait partie, avec le dollar américain, la livre sterling anglaise et l'or, des moyens de payements internationaux. Dès 1941, le franc suisse se retrouve comme seule monnaie stable non belligérante ; de plus, le gouvernement n'introduit pas de contrôle des changes et oblige la Banque nationale suisse à maintenir le franc à un niveau constant par rapport à l'or et aux principales monnaies. L'Allemagne va ainsi acquérir, entre 1940 et 1945, du franc suisse auprès de la banque nationale en contrepartie de plus de 1,2 milliard en or, en provenance des réserves allemandes, mais également de l'or cédé dès 1940 par la Banque de Hollande et la Banque de Belgique à la Reichsbank sous la pression des forces occupantes[16].
Enfin, les autorités fédérales acceptent, sous la pression des négociateurs allemands, de fournir des avances en matériel sous forme de crédit de compensation dont le montant va sans cesse croissant tout au long de la guerre pour atteindre 119 millions de francs lors de l'année 1943 où la Suisse va progressivement réduire ses exportations vers l'Allemagne sous la pression des Alliés[nhss 4].
En réaction à cet appui financier, la Grande-Bretagne, estimant le pays « inféodé » à l'Allemagne, va à trois reprises imposer un blocus qui aura pour effet de tarir totalement les importations de blé[bouquet 2].
La politique intérieure
Dès juillet 1940, d'anciens mouvements fascistes ressurgissent alors que de nouveaux se créent comme la Ligue du Gothard fondée au mois de juin[17] ; tous proposent différentes révisions des institutions sur le modèle national-socialiste tout en préconisant un rapprochement avec l'Allemagne. Le général Guisan lui-même va, le 9 novembre 1940, proposer au gouvernement d'envoyer un émissaire à Berlin pour négocier. Devant les réactions très critiques de la presse et des partis politiques, le Conseil fédéral réagit en interdisant le Mouvement national suisse et le Parti communiste suisse et étend la peine de mort, alors réservée au Code pénal militaire, au service actif : 17 personnes sur 33 condamnées sont ainsi exécutées pour trahison[nhss 5].
En 1943, les élections fédérales voient une forte progression des socialistes, alors figures de l'opposition car ne faisant pas partie du gouvernement fédéral. La majorité de l'Assemblée fédérale va élargir le système de concordance à la gauche en élisant en décembre Ernst Nobs comme premier membre socialiste du Conseil fédéral. Également dans cet esprit d'« unité nationale », un corps volontaire non-combattant de 20 000 femmes est mise sur pied dès février 1940 par les autorités fédérales qui donnent ainsi pour la première fois une charge officielle aux femmes ; cette première reconnaissance d'une forme d'égalité va pousser les premiers mouvements féministes à réclamer (sans succès) des droits politiques. Une première proposition de loi échoue en décembre 1945 devant l'Assemblée fédérale[nhss 6].
La politique économique et sociale
Sur le plan économique et social, les autorités veillent à ne pas répéter les erreurs de la Première Guerre mondiale. Les bases juridiques de l'économie de guerre sont en place dès 1938[bouquet 3] : le rationnement progressif des biens de consommation est mise en place en septembre de la même année, couplé avec la constitution de stocks de céréales et l'invitation faite aux citoyens de constituer des réserves pour deux mois[18], un régime d'indemnité pour perte de gain voit le jour en décembre[nhss 7]. Malgré des mesures visant à contrôles les prix, la presse et les syndicats s'en prennent aux paysans qui sont accusés de s'enrichir grâce au marché noir alors que, dès 1940, on assiste à une pénurie de main d'œuvre poussant certaines femmes à travailler, en particulier dans l'agriculture[19].
De toutes les initiatives prises par le gouvernement pour assurer une mobilisation économique et psychologique de l'intérieur du pays, c'est certainement le plan Wahlen qui tient un rôle primordial[nhss 7] : du nom de l'agronome Friedrich Traugott Wahlen préposé à l'extension des cultures, ce plan d'extension des cultures et d'augmentation de la production agricole devait permettre au pays d'assurer son autarcie alimentaire durant la période de la guerre[20] ; « On désempierra, on assainit, on draina ; on rasa tous les boqueteaux, les buissons et les taillis, quitte à priver le pays d'une grande partie de son charme » : les jardins potagers se multiplient dans les banlieues alors que les parcs publics et les terrains de sport sont plantés de pommes de terre[18].
Bien que le plan ait permit d'augmenter la surface cultivée de 183 000 à 352 000 hectares, il reste encore en deçà des 500 000 hectares initialement prévus. Le niveau d'auto-ravitaillement du pays passe de 52 % au début de la guerre à 59 % en 1945[20]. Le tournant de la guerre en 1942-1943 ravive les questions politiques et sociales, jusqu'alors mises en sommeil devant le « totalitarisme helvétique », et relance le jeu politique : cinq initiatives populaires sont déposées en 1942 et 1943 en Suisse[21] : sur la protection de la famille (dont le contre-projet proposé par le gouvernement est accepté par 76,3 % des votants le 25 novembre 1945[22]), sur l'assurance vieillesse (acceptée par plus de 80 % des votants le 6 juillet 1947[23]), sur le droit au travail (également acceptée le 8 décembre 1946[24]), sur les droits du travail (rejetée le 18 mai 1947[25]) et enfin sur la mise en place de mesures contre la spéculation.
Dès décembre 1942, le Parti socialiste suisse publie son nouveau programme, intitulé « La Suisse nouvelle » et qui prône un régime d'économie mixte dans lequel les banques et les grandes industries sont nationalisées tout en conservant les notions de propriété privée et d'économie de marché. En réplique, le Parti radical présente son propre programme très orienté sur les mesures sociales en avril 1943, alors que le Parti catholique-conservateur préfère combattre directement les propositions socialistes jugées irréalistes[nhss 8].
Controverses
Articles connexes : Jean-Marie Musy et Saurer.La neutralité
Même si la Suisse était officiellement neutre depuis 1848, elle a cependant été impliquée dans quelques escarmouches et erreurs qui ont mené au décès de citoyens et soldats suisses. Parmi ces incidents, on nommera les "erreurs" de Bâle, Courrendlin, Genève, Renens, Schaffhouse et Zurich, ainsi que divers combats entre avions suisses et allemands. Bien que ces faits soient pratiquement méconnus, la Suisse a été bombardée. Du côté sud de la Suisse, suite à une erreur de navigation lors de la nuit du 11 au 12 juin 1940, la gare de Renens est bombardée par erreur par des bombardiers anglais de retour d'une mission sur les usines Fiat de Turin. Ces mêmes bombardiers, toujours par erreur, largueront aussi quelques bombes sur Genève en confondant Genève (Geneva) et Gênes (Genoa)[3]. On fera alors état de 2 morts et 8 blessés à Renens ainsi que 4 morts à Genève. Du côté nord, le sujet fait toujours débat car on est incertain du niveau de préméditation des bombardements de Bâle, Schaffhouse et Zurich. Certains pensent que c'étaient de parfaites erreurs, tandis que d'autres estiment que ces attaques visaient à affaiblir les exportations de matériel vers l'Allemagne. On rappellera cependant que, vers le début de la guerre, Churchill ironisait totalement le statut neutre de la Suisse qu'il jugeait obsolète.[4] Du côté des allemands, on constatera un bombardement par erreur de Courrendlin, anciennement dans le canton de Berne (maintenant dans le canton du Jura), par un avion allemand égaré. Puis on constatera plusieurs accrochages entre appareils suisses et allemands lors de l'année 1940.
La Suisse servit également de base pour espions britanniques, américains et allemands pendant cette époque. Les services secrets Suisse via le colonel Masson utilisaient également les services de renseignement clandestin du Saint-Gallois Hans Hausamann pour relayer les informations du front de l'Est à Londres. [5]
La question juive
Article connexe : Commission Bergier.Si, pendant plusieurs années, l'opinion publique a apprécié le comportement de la Suisse pendant la guerre suite à l'hébergement de réfugiés civils et d'internés militaires français, polonais puis italiens, ainsi qu'à l'accueil pour quelques mois par an de près de 150 000 enfants venant principalement de France, des critiques se font rapidement entendre : on découvre tout d'abord que c'est suite à une démarche des autorités suisses que la lettre « J » a été apposée sur le passeport des juifs allemands dès 1938 ; c'est ensuite des États-Unis et du Congrès juif mondial que viennent de nouvelles accusations selon lesquelles la Suisse aurait, par son aide économique, « prolongé la guerre ». Les critiques les plus virulentes s'adressent toutefois dès 1995 aux banques qui conserveraient des avoirs juifs en déshérence[bouquet 4].
En décembre 1996, une commission appelée officiellement Commission Indépendante d'Experts et familièrement « commission Bergier », du nom de son président Jean-François Bergier, est nommée par l'Assemblée fédérale pour « examiner sous l'angle historique et juridique l'étendue et le sort des biens placés en Suisse avant, pendant et immédiatement après la Seconde Guerre mondiale »[26] ; la commission va publier une vingtaine de rapports pendant les quatre ans que durent ses travaux. Son rapport final (appelé « Rapport Bergier »)[27] est rendu public le 19 décembre 2001 et marque la dissolution de la commission.
La commission s'est penchée sur l'attitude de la Suisse et de ses officiels pendant la Seconde Guerre mondiale à propos des fonds en déshérence, des transactions d'or et de la provenance de celui-ci, et enfin de la politique d'accueil ou de refoulement à l'égard des réfugiés qui ont cherché à s'abriter en Suisse[28] ; elle conclut en particulier que la politique des autorités suisses avait contribué à la réalisation de l'Holocauste[29]. La publication de ce rapport, ainsi que le travail de la commission, ont été vivement critiqués, en particulier par le mouvement « histoire vécue », composé de personnes ayant vécu la guerre et qui dénonce l'« obsession de la culpabilité et du soupçon » dont fait preuve la commission dans ses travaux[30].
Comme effet secondaire des travaux de la commission et suite aux recherches menées par la commission Volker dont le rôle est d'identifier les comptes dormants[31], les banques suisses doivent conclure en 1998 un accord global avec les plaignants aux termes duquel elles payent près d'un 1,25 milliard de dollars à titre de dédommagement pour rembourser les fonds juifs en déshérence[bouquet 5].
Bilan
Si au début du conflit, la mobilisation de l'armée est principalement marquée par des lacunes matérielles, celles-ci seront essentiellement comblées par la suite dans le domaine de la fortification, plus particulièrement avec la mise en place du réduit. Cette défense basée sur une "tactique de l'hérisson" comprenait pas moins de 68 ouvrages d'artillerie, 10 batteries de casemates non armés, 1410 ouvrages et positions d'artillerie, 1545 positions d'infanterie et d'artillerie non armés, 995 abris, postes d'observation et postes de commandements, 3263 barrages antichars, 1500 kilomètres de barbelés. À ces chiffres on peut ajouter un armement comprenant 140 pièces entre 15 cm et 10,5, 180 pièces entre 8,5 cm et 23 cm avec une large dotation en lance-mines et canons antichars pour l'infanterie, qui disposait de près de 3000 mitrailleuses lourdes et 1800 mitrailleuses légères[32].
Annexes
Notes et références
- H.-U. Jost, Nouvelle histoire de la Suisse et des Suisses (chapitre 9), 1982
- p 745-746
- p 748
- p 749
- p 753
- p 755-756
- p 758
- p 750
- p 760-761
- J.-J. Bouquet, Histoire de la Suisse, 2005
- p 109-110
- p 111
- p 111
- p 112
- p 113
- J.-J. Rapin, L'esprit des fortifications « Le savoir suisse », 2004
- p. 83-84
- p. 87
- p. 91
- p. 97
- Jean-Jacques Langendorf et Pierre Streit, Face à la guerre : l'armée et le peuple Suisses 1914-1918 / 1939-1945, Gollion, Infolio, 2007, 330 p. (ISBN 978-2-88474-033-3)
- p 207
- p 215
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- p 217-218
- p. 219
- p. 222
- p. 229-230
- p. 287-289
- p. 292
- p. 293-298
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- p. 93
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- Le rapport Volcker sur FGPF. Consulté le 5 novembre 2008
- Hans Senn, "Entre-deux-guerres et Seconde Guerre mondiale" in Max Mittler éd., Forts et fortifications en Suisse, Lausanne, p. 184-185.
Articles connexes
- Armes utilisées pendant la Seconde Guerre mondiale
- Incidents aériens en Suisse de 1940
- Opération Tannenbaum
- Affaire de La Charité-sur-Loire
Liens externes
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