Yiddish

Yiddish
Yiddish
ייִדיש
Parlée aux États-Unis, Israël, Brésil, Belgique, Ukraine, Biélorussie, Russie, Canada, France, Argentine et nombreux autres pays
Région Israël et diaspora juive. Fortes concentrations de locuteurs à New York (États-Unis), et Bnei Brak (Israël) et Anvers (Belgique).
Nombre de locuteurs de 500 000 à 800 000 locuteurs [5] (moins de 300 000 locuteurs premiers)
Classification par famille
Statut officiel
Langue officielle de Drapeau de Suède Suède (langue minoritaire)
Drapeau : Jewish Autonomous Oblast Oblast autonome juif (Russie)
Régi par YIVO de facto
Codes de langue
ISO 639-1 yi
ISO 639-2 yid
ISO 639-3 (en) yid - yiddish (en) yih - yiddish occidental (en) ydd - yiddish oriental
IETF yi
Carte des dialectes yiddish entre le XVe et le XIXe siècle.

Le yiddish (ייִדיש (API: [ˈjɪdɪʃ] ou [ˈjiːdɪʃ]) en yiddish ; également orthographié en français yidish, jiddisch, jidisch ainsi que, selon les rectifications orthographiques du français, yidich, idiche ou yidiche) est une langue germanique dérivée du haut allemand, avec un apport de vocabulaire hébreu et slave, qui a servi de langue vernaculaire aux communautés juives d'Europe centrale et orientale (ashkénazes) du Moyen Âge. Il est également parfois appelé judéo-allemand (yidish-daytsh (yi)ייִדיש-דײַטש)

Le yiddish a été parlé par les deux tiers des Juifs du monde, soit onze millions de personnes à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Depuis le génocide des Juifs par les nazis, au cours duquel la majorité de la population juive d'Europe a été exterminée, il est en voie de disparition[1].

Les linguistes divisent l'histoire du yiddish en quatre grandes périodes : le pré-yiddish, jusqu'en 1250 ; le yiddish ancien, de 1250 à 1500 ; le moyen yiddish, de 1500 à 1750 et, enfin, le yiddish moderne, de 1750 à nos jours.

Sommaire

Lettres

Lettre Nom Translittération Prononciation
א Aleph ' '
אַ Pasekh aleph A a
אָ Kometz aleph O o
ב Beis B b
בֿ Veis V v
ג Gimel G g
ד Dalet D d
ה Hei H h
ו Vav OU ou
וּ Melump vav (toujours après ou avant tsvei vavn) OU ou
װ Tsvei vavn V v
ױ Vav-yod Oy oy
ז Zayn Z z
ח Khes Kh (ou Ch) Kh (guttural)
' Yod I i

Naissance et développement de la langue

Alt Yiddish (1250 – 1500)

Le yiddish est né vers le XIIe siècle dans les communautés juives prospères de Lotharingie (en Rhénanie), autour de Mayence (Magenza), Cologne, Spire (Schapira), Worms (Wormaïza) et Trèves. Cette interprétation est soutenue par le grand linguiste du yiddish Max Weinreich. Cependant, d’autres estiment que le yiddish serait né du côté de la frontière germano-polonaise. Les linguistes ont recherché son origine en utilisant des critères historico-linguistiques, tels que la recherche de sa proximité la plus grande avec les différents dialectes allemands. Cette langue provient de multiples dialectes germaniques, venus se greffer sur des bases d'hébreu, araméen et ancien français. La première inscription en yiddish date de 1272 : il s'agit d’un fragment de prière écrit dans la marge du Mahzor de Worms (livre de prière pour les fêtes juives) qui se trouve actuellement à la bibliothèque nationale d’Israël. Le premier texte littéraire écrit en yiddish est le manuscrit de Cambridge datant de 1382.

Mitl yiddish (1500 – 1700)

Une page du Shemot Devarim, un dictionnaire yiddish-hébreu-latin-allemand et son thesaurus, publié par Élie Bahur Lévita en 1542

À partir du XIVe siècle, les communautés juives d'Europe occidentale migrent massivement en Europe centrale (Bohème-Moravie, Pologne et Lituanie) et vers la vallée du Danube. Le yiddish connaît un nouveau développement en intégrant des locutions en langues slaves : le tchèque, l'ukrainien, le biélorusse, le polonais ou le russe. Le yiddish se transforme en profondeur au contact de ces cultures.

Alors que l'imprimerie se développe, de nombreux textes en yiddish sont édités, principalement des Bibles et ouvrages à caractère religieux.

La littérature yiddish du XVIe siècle comporte aussi des transpositions ou adaptations de textes profanes étrangers : Shmuel bukh, Melokhim bukh (1544), Bovo bukh (1541), etc. Ce dernier texte est l'adaptation en yiddish de l'histoire d'un héros épique italien, lui-même adaptation du chevalier anglo-normand Beuve de Hanstone, le chevalier Buovo. Il est à l'origine de l'expression yiddish, Bove-mayse (« histoire à dormir debout »), devenue ensuite Bobe-mayse (« histoire de grand-mère »)[2]. Le Bovo bukh a été sans cesse réimprimé ou presque pendant plusieurs siècles. À la fin du XVIIIe siècle, des adaptations sont même publiées sous le titre Bove-mayse. La dernière édition date du début du XXe siècle[3]. Quand Bovo a disparu de l'imaginaire ashkénaze, le mot a été remplacé par Bobe, un mot d'origine slave[4].

Au XVIIIe siècle, la population juive d'Allemagne abandonne le yiddish pour la langue allemande en accord avec la tradition de la Haskala[5]. Il en est de même pour de nombreux Juifs de l'Empire d'Autriche. À cette époque, les nombreux textes publiés en langue yiddish s'adressent principalement aux lecteurs populaires. L'immense majorité de la littérature de l'époque est détruite lors de la Seconde Guerre mondiale. Le mouvement hassidique (XVIIIe siècle), argumentant sur la sacralité de la langue hébraïque, donnera le départ d'une littérature d'érudition et de fiction.

Naï yiddish (1700 - )

Les promoteurs de la Haskala méprisent le yiddish, jargon du ghetto, stigmate d’un passé détesté et emblème d’une culture rejetée en bloc comme irrémédiablement obscurantiste. Ils écrivent cependant dans cette langue afin de diffuser leurs idées au plus grand nombre de leurs coreligionnaires et s'en prennent au hassidisme, perçu comme un frein à la modernisation sociale.

Le XIXe siècle

Les bouleversements provoqués par l’industrialisation et par l’urbanisation des populations font du yiddish la langue du prolétariat juif et favorisent considérablement la sécularisation de la culture traditionnelle, voire la critique de la société traditionnelle. La presse écrite et le livre, diffusés en masse et à des prix abordables, deviennent accessibles à l'ensemble de la communauté ashkénaze. Les troupes de théâtre se multiplient.

À la fin du XIXe siècle, la lutte pour le développement du yiddish est entreprise avec ferveur par le mouvement ouvrier juif et, en particulier, par le Bund. Cette langue, parlée par les communautés juives d'Europe centrale et orientale, se répandra dans d'autres régions du monde, principalement aux États-Unis avec les vagues d'immigration de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle ; un autre pôle de la culture yiddish n'est pas à négliger.

À partir du XIXe siècle a été créée une langue standard, la klal shprakh, avec une grammaire normalisée et un enseignement universitaire. Elle est fondée sur le yiddish lituanien. Cette langue gomme en partie les disparités entre les dialectes et donne au yiddish une plus grande uniformité et respectabilité. À cette époque le yiddish intègre dans son vocabulaire de nombreux mots issus du grec ou du latin dans le champ lexical politique, technologique ou scientifique[5]. Ce travail est dû à Samuel Joseph Finn (1820-1890) qui avec d'autres auteurs lituaniens pose les fondations de l'historiographie de la littérature juive en yiddish[6].

Ludwik Lejzer Zamenhof, né le 15 décembre 1859 à Białystok, médecin, inventeur de la langue internationale espéranto est aussi l'auteur d'un essai sur la grammaire yiddish, sans doute rédigé entre 1879 et 1882 quand il était étudiant à Moscou, puis à Varsovie. Le manuscrit de cet essai, écrit en russe est conservé à l'université hébraïque de Jérusalem. Il en existe une traduction en espéranto, due à J. Cohen-Cedek[7].

La littérature yiddish, grâce à une langue stabilisée dans sa forme, devient un outil de création littéraire intimement lié à la tradition religieuse. Mendele Moicher Sforim, Sholem Aleykhem, Isaac Leib Peretz, donnent à la littérature yiddish ses lettres de noblesse. Le yiddish est revalorisé ; sa littérature s'ouvre sur le monde et suit les grands mouvements littéraires internationaux de l'époque.

Le XXe siècle

L'énorme travail pour la constitution d'une langue et d'une littérature a servi de base à la Geshikhte fun der jidisher literatur («Histoire de la littérature juive»), écrite en yiddish par l'historien Israel Zinberg, publiée à Vilnius entre 1927 et 1937. En 1925, un Institut scientifique yiddish (YIVO) est fondé à Berlin. Très vite, il déménage à Wilno/ Vilnius, où il devient le centre d'études de l'histoire des Juifs d'Europe orientale. En 1940, il s'installe à New York, sans toutefois pouvoir transporter sa riche documentation[6].

La Révolution russe de 1917, puis la création de l'URSS en 1921, isolent certaines communautés, tout en permettant un développement culturel majeur (on comptait environ 150 journaux en yiddish et plus de 7 500 livres et brochures). À la fin des années 1920, Staline crée au Birobidjan (région jouxtant la frontière chinoise à l'extrême sud-est de la Sibérie) une Région autonome juive dont la langue officielle est le yiddish. Le Birobidjan existe encore aujourd'hui ; on y enseigne encore le yiddish dans quelques écoles. Mais il n'y reste qu'environ 4 000 juifs ; le projet a donc été un échec. Aux États-Unis, la littérature yiddish commence à se développer après la Première Guerre mondiale. Isaac Bashevis Singer, émigré aux États-Unis en 1935 et prix Nobel de littérature en 1978, en est le plus illustre représentant.

À la fin des années 1930 le nombre de personnes, à travers le monde, dont la langue maternelle était le yiddish dépassait largement les 11 millions. C'est en Europe qu'on trouvait le plus de locuteurs yiddish : 8 millions (dont 3,3 millions en Union Soviétique, 800 000 en Roumanie, 250 000 en Hongrie et 180 000 en Lituanie). Dans la Pologne de l'Entre-deux-guerres, il existait plus de 1 700 titres de livres et journaux. Des recherches partant de 364 ouvrages yiddish publiés en 1923 ont montré la répartition suivante : 24,4 % relevaient des belles-lettres, 13 5 % étaient destinés à de jeunes lecteurs, 11 % étaient des manuels, 8,5 % de la poésie, 8,8 % des pièces de théâtre; 25 titres étaient traduits en d'autres langues ; quant au lieu de publication, plus de 70 % de ces ouvrages étaient parus en Pologne, 13 % en Allemagne, 6 % aux États-Unis et 6 % en URSS[6]. Le yiddish a été presque entièrement anéanti en Europe, en même temps que le monde juif, pendant la Shoah, le khurbn en yiddish (de l'hébreu khurban, destruction)[8]. De plus, le patrimoine issu des 600 ans de culture yiddish lituanienne a été détruit ou démantelé. Cette destruction a commencé dès 1940. Elle a été menée d'abord par M. Pohl, attaché scientifique au musée oriental de Francfort, qui, tout en suivant des instructions du Reichsleiter Alfred Rosenberg, a envoyé à Francfort quatre-vingt-quatre coffres de documents d'une valeur inestimable, dont 20 000 livres rares, 4 incunables, et de nombreuses collections anciennes juives au caractère précieux. En même temps, 80 000 livres de cette bibliothèque et d'autres bibliothèques juives ont été vendus à une usine de papier, comme papier à recycler... Un adjudant allemand a jeté le contenu de six des quatre-vingt-quatre coffres pour transporter des porcs, et vendu les reliures de cuir à une usine de chaussures. En mai 1942, cinq chargements de camions de livres juifs de la bibliothèque de Kaunas sont envoyés dans une usine de papier, tout comme les collections particulières dont on vient de parler[6].

De plus, en URSS entre les années 1940 et 1950, les autorités entreprennent une répression envers les locuteurs et les intellectuels de langue yiddish. En 1948 toutes les institutions culturelles juives sont fermées, y compris les orphelinats, les jardins d'enfants et les classes juives des écoles primaires en Lituanie, en Biélorussie et en Ukraine : toutes les collections de folklore et de dialectologie des institutions académiques juives de Minsk et de Kiev sont détruites, les auteurs yiddish sont interdits[6]. L’écrivain ukrainien yiddishophone Motl Grubian (1909-1972) est déporté sept ans dans un camp de Sibérie. Le poète yiddishophone ukrainien Peretz Markish est exécuté le 12 mars 1952 à Moscou ainsi que Leib Kvitko et Itsik Fefer. Si les Juifs russes et ukrainiens sont aujourd'hui assimilés, on peut l'attribuer à l'histoire soviétique

En Israël le yiddish, langue majoritaire des émigrants d'Europe centrale et orientale (Yiddishland), a souvent été considéré comme un obstacle au développement de l'hébreu moderne, et a du mal à se maintenir. Les autorités ont témoigné à l'égard de la culture yiddish considérée comme un héritage de l'exil, au mieux de l'indifférence et au pire de l'hostilité. D. Galay parle même d’une stigmatisation générale de la langue yiddish. On estime que deux millions de personnes continuent à le pratiquer, du moins en tant que deuxième langue, principalement aux États-Unis et en Israël mais aussi en Europe orientale et occidentale[6].

Le yiddish s'est maintenu en tant que langue principale dans certaines communautés harédies de la diaspora comme en Israël ; ainsi à Kiryas Joel, ville de 13 000 habitants de l'État de New York aux États-Unis, 90% de la population déclare utiliser le yiddish comme première langue[9]. En France aujourd'hui, 60 000 à 80 000 personnes l'utilisent comme langue vernaculaire et 150 000 comme langue maternelle[10].

Actuellement, les jeunes Juifs laïcs issus de la diaspora juive s'intéressent de près au yiddish en tant que mémoire écrite des Ashkénazes. C'est en France que l'on trouve la vie yiddish la plus intense d'Europe occidentale. Paris est le lieu d'activité du sculpteur mondialement connu Chaim Jacob Lipchitz, né à Druskininkai en Lituanie. Paris[11] est la seule ville européenne, avec Varsovie[12], où des émissions sont diffusées en yiddish. Des cours de yiddish pour enfants sont dispensés par diverses organisations juives. Des intellectuels juifs émigrés de Pologne au cours de la période de Gomulka ou d'URSS ont créé le Centre culturel yiddish de Paris[6]. La littérature juive connaît à son tour un regain d'intérêt vis-à-vis de la culture classique dont cette langue est le véhicule. De nombreux personnages des œuvres juives, américaines ou françaises, sont imprégnés de l'humour « typique » du folklore yiddish[13]. Popeck en est un bon exemple.

Une langue originale

Une langue métissée

Le shtetl de Lakhva, en Pologne, en 1926.

Le yiddish s'écrit en alphabet hébreu, même si ce n'est pas une langue consonantique (on y rajoute des voyelles) comme l'hébreu. Sa grammaire repose sur des bases de la grammaire allemande et son vocabulaire se compose d'éléments germaniques (80%), sémitiques (10% à 15%) et slaves (environ 5%). Un aspect intéressant du lexique est la création de mots formés d'emprunts aux multiples composantes de la langue, que ce soit l'allemand, les langues slaves ou l'hébreu. L'expression oysgemutshet un oygemartert montre à elle seule la richesse de la langue. Oys et ge sont des préfixes germaniques ; oys signifiant, "tout le temps, complétement" et ge étant la marque du participe passé. Mutshet est d'origine slave, matert, d'origine germanique. La répétition de deux termes de sens très proches n'est pas rare en yiddish. Il est le résultat d'une influence biblique[14]. Le yiddish ayant des accents et formes dialectales, il peut exister de notables différences entre locuteurs selon les zones linguistiques dont ils sont originaires. Le yiddish existe aussi en écriture latine (translittération) pour ses locuteurs ne lisant pas l'alphabet hébreu. Dans un article écrit en mai 1909 dans un journal de langue Yiddish de Vilno, Lebn un Visnchaft (Vie et sciences) ; Ludwik Lejzer Zamenhof, initiateur de l'espéranto défendait l'usage de l'alphabet latin pour le yiddish[15].

Le yiddish est une langue qui a toujours intrigué les linguistes et les philologues. Ils se demandent comment définir une langue proche de la famille des parlers indo-européens, mais comprenant en même temps un fort pourcentage d'hébraïsmes. Compte tenu de la fragmentation dialectale, il serait d'ailleurs plus juste de parler de yiddishs, au pluriel, plutôt que d'une seule et unique langue. Il existe en effet, une multitude de dialectes. Le yiddish occidental est parlé en Alsace, Suisse, Allemagne et les Pays-Bas. Le yiddish oriental est utilisé dans l'aire géographique de l'Europe de l'Est où l'on distingue trois types de locuteurs: les polakn (Polonais), les litvakes (Lituaniens) et les galitsiyaner (Galiciens)[16]. Les détracteurs du yiddish ont affirmé qu'il ne s'agissait pas d'une langue en tant que telle mais bien de différents patois germaniques. Cependant les linguistes affirment qu'ils s'agit bien d'une langue en tant que telle.

Le yiddish fut dans les années 1920 (possiblement de 1926 à 1937) une des langues officielles de la République socialiste soviétique biélorusse. Il fut également la langue officielle de l'Oblast autonome juif en U.R.S.S.

Une langue imagée

Même si les concordances avec l'allemand sont nombreuses, les différences sont importantes. Elles sont liées au caractère particulier de la pensée juive. Le yiddish comprend des mots hébreux qui n'existent pas dans les langues non-juives comme mikvé (bain rituel). Il regorge aussi d'expressions savoureuses: hak mir nisht kayn tshaynik qui signifie littéralement "ne me cogne pas une théière" est une expression qui peut vouloir dire : arrête de jacasser pour ne rien dire ; elle emploie l'image d'une bouilloire dont le couvercle se soulève et crépite sans arrêt[17]. Les références au monde non-juif sont aussi très présentes. Quelqu'un qui a été oublié ou ignoré va dire: "Ikh hob zikh geshmat?" ce qui signifie:" Est-ce que je me suis converti au christianisme?". C'est l'équivalent du français: "Et moi, je sens le pâté[18]?" Aynredn a kind in boykh, littéralement mettre enceinte par la force de la parole, signifie en fait embobiner, convaincre quelqu'un de quelque chose d'absurde car tous les juifs le savent: fun zogn men nisht trogn, parler ne peut pas mettre enceinte[19], allusion à peine voilée à la conception de Jésus par l'opération du Saint-Esprit.

Les pratiques religieuses ont elles aussi donné naissance à de nombreuses expressions imagées. Le shlogn kapores, (kapparot en hébreu) est une cérémonie traditionnelle aujourd'hui tombée en désuétude sous sa forme originelle sauf chez les Hassidim. Elle consiste à faire tourner un poulet vivant au-dessus de sa tête, la veille de Yom Kippour en récitant une prière[20]. Le poulet se charge alors des fautes de celui qui prie. Le choix du poulet peut s'expliquer ainsi. En hébreu, coq se dit gever, ce qui peut aussi vouloir dire homme. "Œil pour œil", "gever pour gever". Le jeu de mot a induit la pratique rituelle[21]. Le mot kapores, intraduisible en français a été récupéré pour de nombreuses expressions. Zayn di kapore far signifie être amoureux de, aimer quelqu'un au point d'être prêt à se sacrifier pour lui comme un poulet lors du shlogn kapores. Shlogn kapores mit signifie rabaisser, abuser d'une personne, darfn af kapores, littéralement "en avoir besoin pour les kapores" veut dire n'en avoir aucun usage[22]. Les Juifs n'aimant désigner directement les choses horribles ou tristes utilisent volontiers l'antiphrase. Cette tendance qui prépare le terrain à l'ironie et à l'humour juif se retrouve dans les expressions yiddish. Ainsi pour parler d'un cimetière, un yiddish dit "dos gute ort" , le bon endroit ou "beys khayim", la maison de vie[23]. Il est parfois impossible de parler par antiphrase. dans ce cas, on rajoute: nisht far aykht gedakht, que cela vous soit épargné ou rakhmone litslan, que Dieu nous en préserve[24]!. Le yiddish compte un nombre très important de malédictions toutes plus imagées les unes que les autres.

L'imaginaire yiddish

Le juif yiddish pense qu'il est assailli en permanence par des démons : le mazik, un mélange de fantôme et d'elfe malintentionné ; le lets, un esprit frappeur malin et espiègle ; le ruekh, un esprit désincarné qui peut s'installer dans un être humain[25] ; le dibbek, un esprit qui a abandonné un corps et est prêt à s'installer dans un autre pour y faire des ravages. Grâce à la pièce de Shalom Anski, Le Dibbouk de 1920, le dibbek est le plus connu des monstres juifs[26]. La crainte des démons a engendré un certain nombre de superstitions que les rabbins se sont évertués à expliquer de manière "rationnelle". Parmi les coutumes superstitieuses on peut citer celle qui consiste à casser un verre à la fin d'un mariage[27] pour éloigner un démon, sitre-akhre, en lui donnant sa part à la cérémonie. Il peut ainsi aller ailleurs ruiner le mariage d'un autre couple[28].
Parmi les superstitions juives, il y en a une qui dit que compter les Juifs attire le mauvais œil[29]. De ce fait quand un juif ashkénaze doit en compter un autre il dit : "Nisht eins, nisht tsvey, nisht dray", pas un, pas deux, pas trois, ce qui est censé éloigner le mauvais œil. Dans certaines synagogues, on compte les pieds ou on récite une phrase de dix mots en attribuant un mot à chaque personne[24].

La littérature yiddish est une source de première valeur pour connaitre l'imaginaire yiddish. Peretz a su décrire l'imaginaire hassidique dans les contes folkloriques. Les héros de « Miracles en haute mer », « Écoute Israël ou la contrebasse » et « Le Trésor » sont des êtres simples qui endurent les épreuves les plus difficiles et atteignent le salut par leur amour muet de Dieu. Anges et démons jouent un rôle burlesque dans « Au chevet d'un agonisant », ou « Pour une pincée de tabac à priser »[5].
Isaac Bashevis Singer, dans Le Spinoza de la rue du marché publié en 1957, nous montre la communauté juive avec son attente du Messie et du Jugement dernier, mais aussi ses joies et ses peines. Il peut aussi présenter le monde yiddish d'une manière plus amère. « Gimpel l'imbécile », la nouvelle la plus fameuse du recueil, nous raconte l'histoire d'un être simple dont tous abusent au long de sa vie de misère. Dès les premiers mots de la nouvelle il se présente ainsi : « Je suis Gimpel l'imbécile. Personnellement, je ne crois pas être un imbécile, bien au contraire. Mais c'est le surnom qu'on m'a donné alors que j'étais encore écolier. J'avais en tout sept surnoms : idiot, bourrique, tête de linotte, abruti, crétin, benêt et imbécile, et ce dernier me resta ». Moqué par ses compatriotes, trompé par sa femme, il meurt dans la déchéance et la solitude[30].

Du dialecte à la langue d'une culture

« Le yiddish était la langue du cœur, la langue de la souffrance, l’incarnation de l’histoire d’un deuil millénaire[31]. »

Une langue pour la vie quotidienne et la religion

Le yiddish n'est pas seulement utilisé dans la vie quotidienne, il l'est aussi dans le domaine des études et de la liturgie. La lecture biblique ou talmudique se pratique certes dans le texte, c'est-à-dire en hébreu, mais les commentaires oraux, les discussions, les exposés savants se font en yiddish. En fait l'hébreu est une langue exclusivement écrite utilisée aussi parfois dans les contrats, la correspondance privée, alors que le yiddish est à la fois une langue parlée et écrite[5]. Les femmes prient souvent en yiddish car les petites filles n'apprennent pas l'hébreu. Il n’existe pratiquement pas d’écoles pour les filles avant le XIXe siècle ; leur horizon et leur culture se limitent à ce qui est écrit en yiddish. Seules les filles riches ou qui n’ont pas de frères reçoivent exceptionnellement un enseignement traditionnel, pour maintenir le niveau culturel de la famille ; elles ont plus de chances d’apprendre les langues ou la musique. Dans les berceuses yiddish, les cadeaux qu’on promet à la petite fille pour l'endormir sont du linge, des vêtements, une bonne dot. Sa vie future lui est décrite avec le travail de la maison et les enfants[32].

Chaque moment de la vie a donné naissance à des expressions imagées. Ainsi au lieu de circoncire, on emploie parfois yiddishn dos kind, rendre juif[33]. Le mariage occupe une telle place dans la vie que l'expression française "en faire toute une histoire" ou "... toute une montagne" se dit en yiddish : makhn a gantse khasene, en faire tout un mariage[34]

Même les familles juives allemandes, ou issues de l'Empire austro-hongrois, qui ont abandonné le yiddish continuent à garder des expressions de cette langue dans leur vie quotidienne. On continue à dire « ah, c’est un nebich », pour quelqu’un qui n’a pas de chance, ou «  schnorer  » pour quelqu’un d’un peu mendiant, dans les petites bourgades juives d’Europe de l’Est[35].

Les musiciens yiddish populaires les plus anciens sont les Klezmorim, qui jouaient à l'origine du violon. Sans être capable de lire ou d'écrire des partitions ils composent des mélodies imprégnées du folklore régional[6].

En arrivant en France avec des militants du Bund, le yiddish se laïcise dans des organisations d'éducation populaire comme le Socialistischer Kinder Farband (SKIF - Union des enfants socialistes) (1926) devenu en 1963 le Club laïque de l'enfance juive.

La littérature yiddish

Il existe des manuscrits en yiddish, principalement des écrits religieux mais aussi des récits d'inspiration biblique ou profane, généralement tirés du folklore non juif, dans les grandes bibliothèques d'Europe. Dans le temps, le centre de gravité de la création littéraire en yiddish s'est transporté en Europe de l'Est. Cependant à la fin du XIXe siècle, l'émigration des Juifs russes redonne à l'Europe occidentale un rôle important dans la littérature en yiddish. Ces vagues d'émigration se poursuivant aux États-Unis puis plus tard en Israël, entraineront l'internationalisation de la création littéraire en yiddish[36]. Par ailleurs, de nombreuses œuvres classiques ou contemporaines ont été traduites et sont diffusées en yiddish.

Le yiddish joue un rôle fondamental, en tant que langue des exterminés dans la littérature de la Shoah, les survivants choisissant souvent d'écrire en yiddish. Des centaines d'Yizker-bikher sont rédigés. Certains sont publiés, mais la plupart sont déposés dans les archives du musée d'Histoire juive de Varsovie, dans celles du Yivo ou de Yad Vashem.

La littérature yiddish de la Shoah contient aussi des romans. (...)

Le théâtre yiddish

De joyeux convives se déguisent pour la fête de Pourim en Hollande en 1657
Article détaillé : Théâtre yiddish.

Le théâtre yiddish est né au Moyen Âge. Il est fortement influencé par les formes artistiques du monde chrétien : troubadours, bateleurs, mystères, moralités et plus tard Commedia dell'arte.

Dans la seconde moitié du XIXe xiècle, les auteurs écrivent des dénonciations sociales sur le mode comique et satirique. Avrom Goldfaden (1840-1908) est le principal dramaturge de cette nouvelle tendance. Avec l'émigration des Juifs d'Europe centrale, le théâtre essaime dans de nouveaux lieux : à Londres dans Whitechapel, Paris où Goldfaden établit une troupe et une école dramatique pendant peu de temps et surtout à New York dans le Lower East Side où un vrai théâtre populaire s'installe. L'écrivain Mendele Moicher Sforim se lance lui aussi dans le théâtre avec des pièces originales ou des adaptations de ses récits et de ses romans. Il est imité par Isaac Leib Peretz. Ils suscitent des disciples. Le théâtre yiddish de l'entre-deux-guerres regorge de pièces de qualités. À côté du théâtre commercial un théâtre avant-gardiste mettant l'accent sur la mise en scène et la cohésion de l'ensemble se développe. Il est initié par des jeunes amateurs issus du mouvement ouvrier. À leur suite, des théâtres d'art professionnels voient le jour à New York dès 1918[36].

Après la révolution russe est créé à Moscou, le G.O.S.E.T., dirigé par Alexis Granowsky[37].

Pendant la Seconde Guerre mondiale, les activités théâtrales se poursuivirent dans les ghettos et même dans les camps. (...)

Il faut aussi ajouter qu'à Varsovie existe un théâtre juif (Teatr Żydowski w Warszawie) où de nombreuses pièces en yiddish sont présentées.

Le cinéma yiddish

Le cinéma yiddish comprend une centaine de films environ, souvent des adaptations de pièces de théâtre ou du folklore juif que ce soit des vaudevilles, opérettes et mélodrames, des pièces du répertoire classique. Ces films marquent la « comédie musicale » américaine. Granovski, l'animateur du studio de Moscou, réalise, après son départ d'URSS, Vivre, ou la Chanson (1932), Les Aventures du roi Pausole (1936). L'adaptation la plus connue, la seule qui soit vraiment passée dans l'histoire du cinéma, Le Dibbouk, réalisée par Michal Waszynski en 1938, qui reste le chef-d'œuvre du cinéma yiddish.

Notes et références

  1. Rapport sur la culture yiddish.
  2. Michael Wex, Kvetch, Denoël, 2008, p 45
  3. Michael Wex, p 46
  4. Michael Wex, Kvetch, Denoël, 2008, p 47
  5. a, b, c et d Ytzhok Niborski, Les contes folkloriques d'I L. Peretz, Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007
  6. a, b, c, d, e, f, g et h Conseil de l'Europe, « Le yiddish : langue et littérature » sur [1]. Consulté le 27 juin 2008
  7. ISBN 951-9005-48-X
  8. Rachel Ertel, La littérature de la Shoah, EncyclopaediaUniversalis, DVD, 2007
  9. Modern languages association
  10. Maison de la Culture, Grenoble, « Journées de la culture yiddish » sur [2]. Consulté le 21 avril 2008
  11. Di yidishe sho sur Radio J
  12. Podcasts des émission yiddish de Polskie Radio.
  13. George Lévitte, Sociologie du judaïsme contemporain, Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007
  14. Michael Wex, p 57
  15. (ISBN 951-9005-48-X)
  16. Michael Wex, p 59
  17. Michael Wex, p 49
  18. Michael Wex, p 77
  19. Michael Wex, p 209
  20. Michael Wex, p 91
  21. Michael Wex, p 93
  22. Michael Wex, p 96
  23. Michael Wex, p 114
  24. a et b Michael Wex, p 116
  25. Michael Wex, p 104
  26. Michael Wex, p 105
  27. L'explication officielle est que casser un verre veut dire que tant que le temple de Jérusalem n'est pas reconstruit, la joie ne peut pas être complète
  28. Michael Wex, p 106
  29. Rachi dit lui même que compter est soumis au mauvais œil.
  30. Jean François Périn, Le Spinoza de la rue du marché, Isaac Bashevis Singer, Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007
  31. Leo Rosten, cité par Salcia Landmann in Jiddisch, das Abenteuer einer Sprache, p. 112
  32. Mireille Natanson, « Berceuses yiddish, images d’enfances et miroir d’une culture perdue » sur [3]. Consulté le 20 avril 2008
  33. Michael Wex, p. 212
  34. Michael Wex, p. 254
  35. Ivan Jablonka, Rencontre avec Saul Friedländer et Pierre-Emmanuel Dauzat, « Langue des bourreaux, langue des victimes » sur [4]. Consulté le 20 avril 2008
  36. a et b Rachel Ertel, Article yiddish, Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007
  37. Béatrice Picon-Vallin, Le théâtre russe au XXe siècle, Encyclopaedia universalis, DVD, 2007

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • Jean Baumgarten, Rachel Ertel, Itzhok Niborski et Annette Wieviorka : Mille ans de cultures ashkénazes , Liana Levi, 1998
  • Sous la direction de David Biale : Les Cultures des juifs, une nouvelle histoire, Éditions de l’Éclat,
  • C Dobzynsky, Le monde yiddish, Paris, L’Harmattan, 1998.
  • Rachel Ertel :
    • Une maisonnette au bord de la Vistule, Albin Michel, Paris, 1988
    • Dans la langue de personne, Seuil, Paris, 1993
  • Yitskhok Niborski, Dictionnaire des mots d'origine hébraïque et araméenne en usage dans la langue yiddish, Paris, Bibl. Medem, 1997, (ISBN 2-9511372-0-6)
  • Yitskhok Niborski et Bernard Vaisbrot avec le concours de Simon Neuberg, Dictionnaire yiddish-français, Paris, Bibl. Medem, 2002, (ISBN 2-9511372-7-3)
  • P. Picon-Vallin, Le Théâtre juif soviétique pendant les années vingt, Lausanne, 1973
  • M. Pinès, Histoire de la littérature judéo-allemande, Paris, 1911
  • Régine Robin, L'amour du yiddish. Écriture juive et sentiment de la langue (1830-1930), Éditions du Sorbier, Paris, 1984 (ISBN 2-7320-0019-1)
  • Leo Rosten, Les Joies du Yiddish, 1968, édition française 1994 (traduction française par Victor Kuperminc), éditions Calmann-Lévy, (ISBN 2-7021-2262-0), Livre de Poche
  • Michael Wex, Kvetch! Le yiddish ou l'art de se plaindre, Denoël, 2008, (ISBN 978-2-207-25853-8)
  • Cécile Cerf, Regards sur la littérature yidich (Introduction consacrée à la langue yidich), Académie d'Histoire, 1974
  • Paul Fuks, Parler yiddish - Manuel pour débutants, Éditions Fuks, Paris, 1980, 3ème édition.
  • Gilles Rozier, D'un pays sans amour, Éditions Grasset, Paris, 2011. Ce roman relate la vie de trois poètes yiddish : Peretz Markish, Uri-Zvi Grynberg et Melekh Rawicz.

Wikimedia Foundation. 2010.

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