Prétérition

Prétérition

La prétérition (substantif féminin), du latin praeteritio (« action de passer sous silence »), du supin praeteritum, est une figure de style consistant à parler de quelque chose après avoir annoncé que l'on ne va pas en parler[1]. Elle permet de ne pas prendre l'entière responsabilité de ses propos et se reconnaît à l'emploi de formules particulières d'introduction comme « Ai-je besoin de vous dire... ».

C'est une figure de rhétorique par excellence, en ce qu'elle influence l'attitude de l'interlocuteur, elle éveille son attention, ou attise sa curiosité, commente un raisonnement.

Sommaire

Exemples

  • « Monsieur de La Rochefoucauld, pour ne pas le nommer... »
  • « Il n'a pas besoin d'un alibi, car il était avec moi au moment des faits. »
  • « Je ne vous ferai pas l'affront de vous rappeler qu'il est nécessaire de posséder un permis pour la conduite d'un véhicule à moteur. »
  • « Je ne parlerai pas de son insolence, encore moins de sa grossièreté. »
  • « Ce n'est pas pour parler de ce que vous me devez, mais ça m'a coûté cher. »
  • « Inutile de vous présenter monsieur Paul. »
  • « Sans commentaire. Ça n'en vaut pas la peine. »
  • « Je ne donnerai pas de noms, pour ne pas faire de peine à Léo et Antoine. »
  • « Il est inutile de vous rappeler que nous sommes ici pour prendre une décision. »
  • « En effet je parlerais de vos jeunes années que vous avez livrées au bon plaisir de tous si je pensais le moment propice. Mais à dessein je n’en parle pas. Je ne dis pas non plus que les tribuns vous ont reproché vos absences aux armées. [...] De tout cela je ne dis rien. Je reviens à ce qui est l’objet du procès. »

Définition

Définition linguistique

La prétérition consiste à interrompre son discours en passant sous silence un fragment d'argumentation ou de récit; elle est proche de la suspension et de la réticence.

Elle se matérialise par un ensemble de signaux et d'indicateurs linguistiques divers : ponctuation (points de suspension, points d'exclamation), figures de style d'appel (apostrophe), déictiques énonciatifs (pronom personnel de première personne, indices spatio-temporels, aspects verbaux), marques introductive de discours (topos de modestie à l'incipit du texte), rupture du récit (digression, ellipse...), la tournure négative (« N'aie-je pas besoin de... ») notamment. La prétérition peut aussi prendre la forme d’une affirmation par laquelle on dit ne pas vouloir faire quelque chose que l’on fait tout de même.

Comme dans l'exemple « Je ne veux pas te décevoir, mais es-tu sûr d'y arriver? », on peut considérer que l'ironie est la figure hiérarchiquement supérieure à la prétérition ; en effet cette dernière vise à passer sous silence une vérité ou une idée sous-entendue, souvent à des fins d'allusion, d'euphémisme, de litote enfin, figures toutes constitutives de l'ironie.

Définition stylistique

La figure a pour but d'attirer l'attention sur un sujet délicat voire conflictuel ou polémique. Les avocats notamment ont souvent recours à ces ressources stylistiques afin d'invoquer le pathos des interlocuteurs. Elle leur permet également d'instaurer une connivence avec le public en insistant sur l'évidence du fait que la figure souligne. Les orateurs également fondent leurs discours sur la prétérition, comme Bossuet dans son Oraison funèbre de Marie-Thérèse d'Autriche :

« Je n'ai pas besoin de vous dire que c'est Dieu qui donne les grandes naissances, les grands mariages, les enfants, la postérité. »

L'effet de la prétérition est ici renforcé par l'utilisation d'une énumération. La figure est en effet adaptable à bon nombres d'autres procédés: métaphores, comparaisons, litotes, euphémismes, etc.

Elle peut également servir pour faire mine de ne pas aborder un sujet, en prétextant son manque de compétence en la matière :

« Je ne suis pas compétent pour vous dire... »

La prétérition est très employée dans les descriptions romanesques: pour évoquer un paysage ou une scène ineffables que l'on se refuse de décrire, n'en étant pas capable.

Enfin la figure peut avoir un effet comique, dépendant du contexte et de la capacité pour l'interlocuteur à décoder le sens masqué par la prétérition, en ce sens elle est une figure privilégiée de l'ironie, que note Philippe Hamon notamment.

Genres concernés

La poésie y a recours :

 Saintes demeures du silence,
Lieux pleins de charmes et d'attraits,
(...)
Quelle assez brillante couleur
Peut tracer la peinture
De votre adorable splendeur?

Les moins éclatantes merveilles
De ces plaintes et de ces bois
Pourraient-elles pas mille fois
Epuiser les plus doctes vieilles?

(Jean Racine, Le Paysage ou Promenade de Port-Royal des champs.)

Il en est de même du roman:

« Nous n'essaierons pas de donner une idée de ce nez tétraèdre. » (Victor Hugo : Quasimodo dans Notre-Dame de Paris)

Et de la publicité:

« Quand on a 4 millions de lecteurs a-t-on besoin de faire de la pub ? »

Historique de la notion

La notion a pour nom premier celui de prétermission en rhétorique classique. On parle aussi de paralipse.

Pierre Fontanier la nomme « figure d'expression par opposition ».

Pour Philippe Hamon, dans Introduction à l'analyse du descriptif, la prétérition se présente comme « la lexicalisation d'un manque, d'un défaut de compétence du descripteur (...) Elle est alors le signal d'une distance, d'une tension ou d'une contradiction entre une intention déclarée et un faire réalisé, entre un refus ou une impuissance à dénommer et un luxe de nominations subséquentes, donc, souvent, signal privilégié d'un effet d'ironie. ».

Figures proches

Notes et références

Voir aussi

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Liens externes

Bibliographie

  • Francisca Snoeck Henkemans, La prétérition comme outil de stratégie rhétorique, Revue Argumentation et Analyse du Discours, n° 2, 2009

Bibliographie des figures de style

  • Quintilien (trad. Jean Cousin), De L’institution oratoire, t. I, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Bude Serie Latine », 1989, 392 p. (ISBN 2-2510-1202-8) .
  • Antoine Fouquelin, La Rhétorique Françoise, Paris, A. Wechel, 1557 .
  • César Chesneau Dumarsais, Des tropes ou Des différents sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue, Impr. de Delalain, 1816, 362 p.
    Nouvelle édition augmentée de la Construction oratoire, par l’abbé Batteux. Disponible en ligne
     
  • Pierre Fontanier, Les figures du discours, Paris, Flammarion, 1977 (ISBN 2-0808-1015-4) [lire en ligne] .
  • Patrick Bacry, Les figures de style : et autres procédés stylistiques, Paris, Belin, coll. « Collection Sujets », 1992, 335 p. (ISBN 2-7011-1393-8) .
  • Bernard Dupriez, Gradus,les procédés littéraires, Paris, 10/18, coll. « Domaine français », 2003, 540 p. (ISBN 2-2640-3709-1) .
  • Catherine Fromilhague, Les figures de style, Paris, Armand Colin, coll. « 128 Lettres », 2007 (ISBN 978-2-2003-5236-3) .
  • Georges Molinié et Michèle Aquien, Dictionnaire de rhétorique et de poétique, Paris, LGF - Livre de Poche, coll. « Encyclopédies d’aujourd’hui », 1996, 350 p. (ISBN 2-2531-3017-6) .
  • Henri Morier, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Grands Dictionnaires », 1998 (ISBN 2-1304-9310-6) .
  • Michel Pougeoise, Dictionnaire de rhétorique, Paris, Armand Colin, 2001, 16 × 24 cm, 228 p. (ISBN 978-2-2002-5239-7) .
  • Olivier Reboul, Introduction à la rhétorique, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Premier cycle », 1991, 15 cm × 22 cm, 256 p. (ISBN 2-1304-3917-9) .
  • Van Gorp, Dirk Delabastita, Georges Legros, Rainier Grutman et al., Dictionnaire des termes littéraires, Hendrik, Honoré Champion, 2005, 533 p. (ISBN 978-2-7453-1325-6) .
  • Nicole Ricalens-Pourchot, Dictionnaire des figures de style, Paris, Armand Colin, 2003, 218 p. (ISBN 2-200-26457-7) .



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