Métalepse

Métalepse

La métalepse (du grec metalêpsis : « changement, échange »[1]) est une figure de style qui consiste à prendre la cause pour la conséquence. Par exemple, l'expression « Il a perdu sa langue » (le mot « langue » renvoyant en réalité à la « parole ») est une métalepse. Elle constitue donc une substitution d'un mot par un autre, en raison du rapport qui existe entre les deux choses qu'ils désignent, le cas échéant le rapport de cause à conséquence ; la métalepse est donc un type de métonymie.

Sommaire

Nature et définition

La métalepse est un trope considéré comme une variante de la métonymie, et qui signifie littéralement permutation. Elle consiste à remplacer une chose par une autre qui la précède, la suit ou s'y rattache d'une manière ou d'une autre[2]. La langue parlée comporte des métalepses, comme par exemple utiliser le verbe « entendre » au sens de « comprendre » ou le verbe « écouter » dans le sens d’« obéir »[3].

César Chesneau Du Marsais la définit comme « une espèce de métonymie, par laquelle nous pouvons exprimer ce qui suit pour faire entendre ce qui précède ; ou ce qui précède pour faire entendre ce qui suit ; elle ouvre, pour ainsi dire, la porte, dit Quintilien, afin que vous passiez d'une idée à une autre, ex alio in viam præstat, c'est l'antécédent pour le conséquent, ou le conséquent pour l'antécédent, et c'est toujours le jeu des idées accessoire dont l'une réveille l'autre[4]. »

Selon Pierre Fontanier, la métalepse est une variante de la métonymie, excepté qu'elle ne porte que sur une proposition. Elle est également constituée que d'un seul morphème lexical (comme « table », « chaise », « pied »), au contraire de la métonymie et, en ce sens, elle est un type d'allusion[5].

Selon Olivier Reboul, la métalepse est une figure consistant à remplacer le nom d’une chose ou d’une personne par une suite de métonymies :

EX : « Quand la porte est fermée sur la rue, quand tombe la voix du moulin, quand se tait le chant de l’oiseau (...), quand on redoute la montée et qu’on a des frayeurs en chemin... »[6]

Dans cet exemple, la métalepse cumule les métonymies pour exprimer l'idée de la vieillesse, qui est nommée implicitement par ses effets comme la cécité, la surdité, ou la fatigue[3].

Métalepse narrative

La narratologie désigne de métalepses les diverses façons dont le récit de fiction peut enjamber ses propres seuils, internes ou externes. Gérard Genette y voit une « figure par laquelle le narrateur feint d'entrer (avec ou sans son lecteur) dans l'univers diégétique[7]. »

Litote de politesse

Selon Henri Suhamy, la métalepse est davantage une litote particulière, dite « de politesse » (ou « de diplomatie »), par exemple : « Je ne veux pas vous déranger plus longtemps » pour signifier : « Je m'en vais ».

Cependant, les deux sens à la phrase sont sans doute signifiés simultanément[8].

Usage stylistique

Rapprochement

La métalepse est utilisée pour créer une hyperbole, comme dans : « Vous avez bu » (pour exprimer en réalité : « Vous dites des sottises ») ou, à l'inverse, pour constituer un euphémisme, par exemple dire : « Il ne souffre plus » (pour une personne morte)[2]. Plus généralement, la métalepse fait « entendre une chose par une autre, qui la précède, la suit ou l'accompagne. Cette chose rattachée à la première s'y rattache ou s'y rapporte de manière à la rappeler aussitôt à l'esprit[5]. »

Raccourci

La figure constitue un raccourci, référentiel et énonciatif, car elle « associe deux idées sur la base d’une double manipulation : une des deux idées est effacée au profit de l’autre et le passage entre les deux est assuré par un lien – temporel ou logique – nécessaire certes mais implicite, d’où l’effet de raccourci produit par cette figure »[9]. Par là, elle opère un « changement de point de vue sur l’objet du discours », et dont elle naît. La métalepse permet au destinataire d'« inférer quelque chose à partir d’autre chose qui lui est lié par une relation temporelle et/ou logique », ce qui produit un effet de surprise de dimension poétique[10].

Genres concernés

Théâtre

Pierre Fontanier distingue une métalepse dans la permutation de personnages. Phèdre déclare son amour à Œnone, absent du dialogue, mais le destine en fait à Hippolyte :


Quand pourrai-je, au travers d'une noble poussière,
Suivre de l'œil un char fuyant dans la carrière !

(Jean Racine, Phèdre, acte I, scène 3[11].)

Ce n'est qu'après que Phèdre ait évoqué une comparaison entre le père et le fils, destinée à dévoiler que c'est Hippolyte le véritable destinataire de son amour que la permutation est reconnue[2] :


PHEDRE.
Oui, Prince, je languis, je brûle pour Thésée.
Je l'aime, non point tel que l'ont vu les enfers,
Volage adorateur de mille objets divers,
Qui va du Dieu des morts déshonorer la couche ;
Mais fidele, mais fier, et même un peu farouche,
Charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi.
Tel qu'on dépeint nos Dieux, ou tel que je vous voi ;

(Jean Racine, Phèdre, acte II, scène 5.)

Notes et références

  1. Dictionnaire des termes littéraires, 2005, Entrée « Métonymie », p. 303-304.
  2. a, b et c Robrieux, 2004, p. 34-35.
  3. a et b Tropes et Figures (de G à Z), entrée « Métalepse » sur hku.hk. Consulté le 11 mars 2011.
  4. César Chesneau Dumarsais, 1816, p. 82, 11.
  5. a et b Dupriez, 2003, Entrée « Métalepse », p. 284-285.
  6. Ecclésiaste, 12, 4.
  7. Gérard Genette, Figures II, Paris, Seuil, 1972 .
  8. Suhamy, 2004, p. 55.
  9. Salvan, 2009, p. 13.
  10. Salvan, 2009, p. 83-84.
  11. Jean Racine, Phèdre, Œuvres complètes, tome I, Bibliothèque de la Pléiade, p. 754.

Annexes

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Articles connexes

Figure mère Figure fille
Métonymie
Antonyme Paronyme Synonyme

Bibliographie

Bibliographie générale

  • (fr) César Chesneau Dumarsais, Des Tropes ou Des diferens sens dans lesquels on peut prendre un mème mot dans une mème langue, Imprimerie de Delalain, 1816, 362 p.
    Nouvelle édition augmentée de la Construction oratoire par l'abbé Batteux. Texte intégral en ligne
     
  • (fr) Bernard Dupriez, Gradus, les procédés littéraires, Paris, 10, coll. « Domaine français », 2003, 540 p. (ISBN 978-2-264-03709-1) Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article 
  • (fr) Van Gorp, Dirk Delabastita, Georges Legros, Rainier Grutman, et alii, Dictionnaire des termes littéraires, Hendrik, Honoré Champion, 2005, 533 p. (ISBN 978-2745313256) Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article 
  • (fr) Jean-Jacques Robrieux, Les Figures de style et de rhétorique, Paris, Dunod, coll. « Les topos », 2004, 128 p. (ISBN 2-10-003560-6) Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article 
  • (fr) Henri Suhamy, Les Figures de style, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? » (no 1889), 2004 (ISBN 2-13-044604-3) Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article 

Bibliographie spécialisée

  • Jean-Pierre De Giorgio (dir.), Sandrine Dubel (dir.), La métalepse dans les textes et les images antiques : Colloque organisé par l'équipe Littératures et représentations de l'Antiquité et du Moyen Âge et par le Centre de Recherches sur les Littératures et la Sociopoétique, MSH Clermont-Ferrand, Université Blaise Pascal - Clermont-Ferrand II, 22 janvier 2010 [présentation en ligne] 
  • John Pier (dir.), La métalepse, aujourdhui : Colloque international, Institut Goethe, Paris, Centre de recherches sur les arts et le langage (EHESS-CNRS), Département de Littérature Comparée de lUniversité de Paris III et le Groupe de Recherche en Narratologie de l'Université de Hambourg, 29 et 30 novembre 2002 [présentation en ligne] 
  • Dorrit Cohn, « Métalepse et mise en abyme », dans Vox Poetica, 2003 [texte intégral] 
  • Gérard Genette, Métalepse : De la figure à la fiction, Seuil, coll. « Poétique », 2004 (ISBN 978-2020601306) 
  • Michèle Bokobza Kahan, « Métalepse et image de soi de l’auteur dans le récit de fiction », dans Argumentation et Analyse du Discours, no 3, 2009 [texte intégral (page consultée le 9 mars 2011)] 
  • Geneviève Salvan (dir.), « Dire décalé et sélection de point de vue dans la métalepse », dans Langue Française, vol. 160 « Figures et points de vue. Argumentation et Analyse du Discours », no 2, 2009  Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • John Pier, Jean-Marie Schaeffer, « La métalepse, aujourdhui », dans Vox Poetica, 2005 [texte intégral] 

Wikimedia Foundation. 2010.

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  • MÉTALEPSE — n. f. T. de Rhétorique Figure par laquelle on prend l’antécédent pour le conséquent, ou le conséquent pour l’antécédent. Il a vécu, pour dire Il est mort : c’est l’antécédent pour le conséquent. Nous le pleurons, pour dire Il est mort : c’est le… …   Dictionnaire de l'Academie Francaise, 8eme edition (1935)

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