Michelle de Bonneuil

Michelle de Bonneuil
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Michelle de Bonneuil
Michelle de Bonneuil.jpg

Naissance 7 mars 1748
Île Bourbon
Décès 30 décembre 1829 (à 81 ans)
Paris
Nationalité Drapeau de France France

Michelle Sentuary, par son mariage Madame Guesnon de Bonneuil, née le 7 mars 1748 à Sainte-Suzanne, sur l’île Bourbon, et morte à Paris le 30 décembre 1829, fut un agent d’influence et de renseignements pendant la Révolution et l’Empire.

Inspiratrice, entre autres, d'André Chénier, elle fut une femme « célèbre pour sa beauté et les agréments de son esprit » selon la formule de Charles de Lacretelle, lui-même un ami de Chénier[1]. Elle caractérise assez bien ces milliers de femmes discriminées par les historiographies anciennes et contemporaines, et qui, juste retour des choses, devraient bénéficier de notices détaillées dans les dictionnaires biographiques[2].

Sommaire

Les origines créoles

Née le 7 mars 1748 à Sainte-Suzanne, sur l’île Bourbon, Michelle Sentuary était la fille cadette de Jean Sentuary et de Marie-Catherine Caillou[3]. Elle fut élevée à Sainte-Suzanne où son père avait une plantation, et à Bordeaux où elle se maria en 1768 avec Jean-Cyrille Guesnon de Bonneuil qui avait une charge anoblissante dans la maison de la comtesse d’Artois.

Elle vint à Paris où, par sa beauté et son charme personnel - sa conversation et ses talents pour le chant et la peinture[4] -, elle se rendit célèbre dans les milieux artistiques et intellectuels. Élisabeth Vigée Le Brun, qui devint son amie, qui la disait la « plus jolie femme de Paris », le peintre Alexandre Roslin qui la peignit en « habits d’africaine », la pastelliste Rosalie Filleul[5], le sculpteur Jean-Baptiste Lemoyne[6], d’autres encore, ont laissé d’elle de très beaux portraits[7].

Amie des poètes, elle appartint au Cercle anacréontique dit de « la Caserne », à Marly, institution fort libre inspirée de la maçonnerie, animée par le chevalier Évariste de Parny, auteur de poésies érotiques, le chevalier Antoine Bertin qui célébra sa sœur Marie-Catherine sous le nom d’Eucharis[8], et le chevalier Michel de Cubières, tous les trois poètes à la mode. Pour financer de nouvelles charges vénales de son mari dans la maison des princes, Michelle de Bonneuil compta, avec Marie-Catherine et leur autre sœur Augustine-Françoise, la jolie Mme Thilorier[9] - future Mme Jean-Jacques Duval d'Eprémesnil[10] - parmi les « berceuses » du riche financier Nicolas Beaujon, résidant quelque temps à l’hôtel d’Évreux. C’est sans doute à cette époque d’extrême dissipation qu’elle connut le banquier suisse Jean-Frédéric Perregaux qu’elle revit à intervalles réguliers jusque sous l’Empire[11] À sa mort, Nicolas Beaujon lui légua les 100 000 livres qu’il lui avait avancées de son vivant. Selon le peintre John Trumbull en voyage à Paris, elle évoluait dans les hautes sphères de la société française, se faisait appeler « comtesse de Bonneuil » - il écrit « de Bonouil » - et elle était une des femmes les plus splendides qu’il ait jamais rencontré[12].

Amie d’Anne de Caumont-Laforce, comtesse de Balbi, qu’elle côtoyait au Palais du Luxembourg où son mari, plus âgé qu’elle, était devenu premier valet de chambre du comte de Provence, Mme de Bonneuil eut des relations diverses avec l’amiral John Paul Jones qui fut un amant éphémère, le comte de Vaudreuil qui resta un vieil ami, le baron de Bruny de La Tour d’Aygues qui lui dédia la gravure d’un satyre jouant de la flûte, l’érudit marquis de Cubières, propriétaire de l’Ermitage de la rue de Maurepas à Versailles[13], qui lui donna un fils[14], le comte Charles de Sartines, fils du ministre, qui, pour la promenade de Longchamp, lui offrit un carrosse à ses armes – le blason est formé d’un œil ouvert surmonté d’une couronne comtale, posé sur une corne d’abondance, encadré de renards dont l’un, issant, paraît être « éventré »[15] -, le comte de Caylus qui prétendit l’endoctriner à l’illuminisme. Elle raconta plus tard à l’abbé Augustin Barruel qu’elle avait été « une de ces jeunes dames dont les sophistes cherchaient à faire des adeptes, des apôtres femelles ». Dans des déjeuners hebdomadaires, l’abbé Raynal cherchait surtout à leur insinuer l’athéisme. Il leur disait « Non, il n’y a pas de Dieu et il faut le dire, il faut que vous le disiez, le répétiez ailleurs, dans des conversations, dans les cercles, il faut que cette vérité soit connue et devienne commune »[16]. Esprit libre et aventureux, Mme de Bonneuil, fut également initiée aux mystères de Cagliostro et aux rites de la maçonnerie égyptienne dont son beau-frère, Jean-Jacques Duval d'Eprémesnil, était l’un des maîtres. Les deux maris de sa sœur – Jacques Thilorier et Jean-Jacques Duval d'Eprémesnil –, avaient appartenu l’un et l’autre à la loge des Neuf Sœurs, et il est très possible que Mme de Bonneuil ait été elle-même initiée dans une des loges d’obédience féminine, avant de tourner le dos aux idées nouvelles et aux principe de la philosophie dont elle pensait sincèrement, après la Terreur, qu’ils avaient amené le « règne des Jacobins ». Dans ses dépêches écrites en Espagne, elle fait souvent allusion aux Jacobins qu'elle tenait pour responsables des horreurs de la Terreur, car non seulement elle faillit être exécutée mais perdit sa sœur, son beau-frère et beaucoup de ses amis. L’un de ces derniers, le plus célèbre, est le poète André Chénier qui la célébra magnifiquement dans ses Élégies sous le nom de Camille (anagramme de « Micaëlle » ou Michelle) ou « d.z.n » (de « Sentuary d’Azan »).

La Révolution

Michelle de Bonneuil.

La Révolution venue, Mme de Bonneuil partagea les idées ultra-conservatrices de Jacques Antoine Marie de Cazalès, son dernier amant en date[17], et de Jean-Jacques Duval d'Eprémesnil, députés de la noblesse, qui siégeaient, avec l’abbé Jean-Siffrein Maury, à la droite extrême de l’hémicycle, à l’Assemblée constituante. Dès 1791, elle s’impliqua dans les projets contre-révolutionnaires, dont certains aussi mal conçus qu’exécutés de fuite de la famille royale, celui entre autres, élaboré à l’hôtel d’Esclignac et qui se finit par l’arrestation des conjurés le 18 avril 1791. Elle était liée d’amitié avec les plus célèbres contre-révolutionnaires dont Louis-Alexandre de Launay comte d’Antraigues qu’elle prétendait entraîner au Scioto, aux États-Unis, avec « un seul de ses cheveux »[18], ou surtout le baron Jean de Batz, membre du comité de liquidation à l’Assemblée, qui devint une sorte d’épouvantail commode pour les comités de l’an II qui voulaient donner un visage au prétendu « grand complot de l’étranger » dont on prétendait qu’il actionnait tous les ressorts[19].

Lorsque Jacques Antoine Marie de Cazalès, dont elle attendait une fille, voulut émigrer et échapper à la proscription, Mme de Bonneuil l’aida à passer les frontières en l’accompagnant en juillet 1792 jusqu’à Lausanne. D’après le registre de sa section, elle se serait ensuite rendue à Coblence puis Londres. D’après les membres du comité de surveillance de la section de l’Homme armée dont dépendait son domicile en 1793, on lui connaissait des liaisons avec Cazalès, l’abbé Maury, d’Eprémesnil, son beau-frère, (Le Peletier) de Mortfontaine, ancien prévôt des marchands, le comte de Vaudreuil, M. et Mme Lebrun-Pintras (Lebrun-Pindare), et autres, ainsi qu’avec le marquis d’Yères (sic), grand conspirateur, émigré, qu’elle alla « rejoindre à Coblence et de là en Angleterre, ainsi que Cazalès et Boutin, ancien Trésorier de la Marine.

Lorsqu’elle revint en aout, elle éprouva des difficultés à faire lever les scellés apposés sur sa petite maison de la rue Grange-Batelère, qu’elle abandonna pour retourner dans l’appartement familial du Marais[20]. À la veille des massacres de septembre 1792, elle avait sollicité, très inquiète, l’aide de Jean Claude Hippolyte Méhée de La Touche[21], alors membre de la Commune, qui lui fit obtenir des passeports permettant à son mari en grand danger en tant qu’ancien serviteur du comte de Provence et dépositaire d’archives lui appartenant, de sortir de Paris, de se réfugier chez une nièce à Saint-Leu et d’échapper aux massacres de septembre[22].

Jusqu’à son arrestation le 11 septembre 1793, Mme de Bonneuil s’était mêlée aux malheureuses tentatives des royalistes pour sauver Louis XVI, puis Marie-Antoinette, de l’échafaud. Une de ses filles a donné quelques détails sur les manœuvres des royalistes pour communiquer depuis un appartement de la rue de la Corderie avec les prisonnières du Temple. Mme de Bonneuil, comme d’autres femmes royalistes (Mmes de Beaufort, de Pompignan, de Bonneval d’Abzac, de Damas, de Langeron, de Saint Maurice, de Laubespin et de Janson) avait essayé de circonvenir des conventionnels, tel Charles-Nicolas Osselin alors membre du Comité de sûreté générale qu’elle avait attiré chez elle. On la dénonça en juillet 1793 pour avoir donner à danser à l’annonce d’un revers des armées républicaines, et ce jour là, Osselin, Mme d’Eprémesnil sa sœur et Michel de Laumur, ancien gouverneur de Pondichéry guillotiné avec les Exagérés se trouvaient chez elle.

Elle fut arrêtée dans les premiers jours de septembre 1793. Bénéficiant de protections mystérieuses, elle avait obtenu, quelques jours après son arrestation, de revenir passer un long moment chez elle, seule – le gendarme la laissant faire –, et en avait profité pour faire disparaitre des pièces extrêmement compromettantes, qui étaient toujours sous scellés, notamment des registres provenant de la maison du comte de Provence que son mari, premier valet de Chambre du prince, avait conservés[23]. Cette opération terminée, elle avait réintégré sa prison Sainte-Pélagie où elle correspondit un temps avec le poète Jean-Antoine Roucher, qui lui dédia des Stances sur les fleurs.

Ayant elle-même miraculeusement réchappé à la guillotine, contrairement à sa sœur et son beau-frère d’Eprémesnil, qui furent décapités, elle fut libérée de prison après une incarcération d’un an (octobre 1794) au couvent devenu prison Sainte-Pélagie puis au couvent des Anglaises de la rue de l'Oursine où elle avait été transférée en pluviôse an II.

Quelques mois après sa libération, sa fille cadette, Laure de Bonneuil épousait à Saint-Leu-Taverny un ancien constituant devenu homme d’affaires, Michel Regnaud de Saint-Jean d'Angély, qu’elle accompagna en 1796 à Milan, où le couple rencontra Napoléon Bonaparte dont il partagea la fortune et l’infortune[24]. À la veille du coup d’État de vendémiaire an V, Mme de Bonneuil – qui écrivit plus tard dans un long rapport au futur Louis XVIII être entrée, sous une fausse identité, dans la clandestinité depuis le début de la Révolution, et y avoir consacré toute son énergie et risqué sa vie –, semble avoir rejoint un réseau chouan, accomplissant quelques voyages entre Paris et Orléans[25] où on distribuait facilement des faux papiers (entre autres des certificats de résidence pour les émigrés rentrés clandestinement). En prévision d’un voyage à l’étranger, elle se fit établir par l’administration du Loiret, en tant que négociante – seule façon de contourner la loi sur l’émigration – un passeport au nom de « Jeanne Riflon ». C’était celui d’une jeune femme de condition modeste, nullement formée à l’exercice de la diplomatie secrète sur de nombreuses années, qu’elle pourrait avoir connue ou employée à son service et dont elle emprunta plusieurs fois l’identité, du moins sur le papier, y compris après le mariage en 1799 de cette Mlle Riflon avec Jacques Théodore Ancellin[26]. Lorsqu’elle ne voulait pas apparaître, Mme de Bonneuil eut donc apparemment recours à quelques subterfuges d’identité, prenant ainsi une fois celle d’une autre de ses femmes de chambre, Angélique, pour ses billets à John Paul Jones en mai et juin 1780, ou d’une servante (Henriette Le Baille, dame Pillot) de sa sœur lorsqu’elle déclara la naissance d’Amédée-Louis Despans, son fils adultérin. Sur ce passeport établi à un nom autre que le sien, avec un âge différent[27], un visa fut apposé à la date du 16 prairial an IV.

Missions en Espagne

Guidée par Jacques Antoine Marie de Cazalès basé à Londres, devenu un des chefs de l’émigration royaliste, Mme de Bonneuil, qui était ruinée par les évènements, avec à sa charge son mari malade[28], s’improvisa agent d’influence et de renseignements. Elle accomplit, comme négociante en dentelles, une première mission secrète en Espagne où elle arriva en compagnie de Johan Valckenaer, ambassadeur de la République batave, à la fin de juillet 1796[29]. De nombreux rapports rédigés de sa main et autres dépêches conservés aux archives du quai d’Orsay sur la situation politique de l’Espagne révèlent non seulement la qualité de son style, mais son haut niveau de connaissance des affaires internationales. Ils dénotent une éducation aristocratique, une personnalité forte, une élégance dans le ton et une intelligence brillante. Il s’avère aussi que tout ce qu’elle a raconté à Pérignon, puis au Directoire est faux, à commencer par les raisons véritables de sa présence à Madrid[30]. Il semble que sa mission principale fût celle dont était précisément chargé Cazalès, consistant à recueillir, auprès de l’ambassadeur Pérignon, des informations sur l’état des négociations entre l’Espagne et le Directoire, et à faire valoir, auprès de Godoy, l’intérêt d’un rapprochement de l’Espagne avec l’Angleterre, malgré le dossier sensible du Mexique espagnol. Par ailleurs – et c’est une chose dont l’intéressé ne se vanta pas par la suite – elle réussit à circonvenir l’ambassadeur républicain Catherine-Dominique de Pérignon qui était né, comme Cazalès, à Grenade, et dont il était par conséquent un « pays ». En janvier, un dîner avait été donné « en l’honneur de Cazalès » par le prince Masserano, et Pérignon, sous le charme de Mme de Bonneuil, s’y était laissé entrainer. Cette affaire fit grand bruit et contraria fortement la légation française – Mangourit et Labène avaient senti que leur ambassadeur était le jouet d’une intrigue – qui réprouva ce faux-pas de l’ambassadeur à un moment où l’on prévoyait de négocier des articles secrets portant sur la cession éventuelle de la Floride et de la Louisiane à la France contre la garantie, par le Directoire, des possessions espagnoles en Toscane.

Depuis son arrivée en Espagne, Mme de Bonneuil intriguait donc simultanément auprès de Catherine-Dominique de Pérignon qu’elle avait séduit et à qui elle cherchait à soutirer des informations sur ses négociations en cours avec Godoy, du duc de Croy d’Havré, représentant des intérêts des Bourbons en Espagne dont elle se fit le plus sûr allié et dont elle déplorait la faiblesse des moyens, et Manuel Godoy, prince de la Paix, principal ministre du roi d’Espagne avec lequel elle eut de nombreux entretiens qu’elle a soigneusement notés dans un rapport conservé aux archives du quai d’Orsay[31].

Chargée de dépêches et probablement de fonds destinés aux royalistes de l’intérieur qui, s’appuyant sur les « instituts philanthropiques » (clubs royalistes), préparaient le renversement du Directoire, elle annonça, fin janvier 1797, à Pérignon qu’elle comptait se rendre en France, gagnant en effet Irun, et embarquant fin janvier 1797 pour Le Havre et Paris car, écrivait-elle, « il est extrêmement essentiel que je conserve des droits de citoyenne en France » (allusion à son inscription sur le grand livre de la rente viagère consolidée qui l’obligeait à venir signer à échéances fixes)[32]. Elle semble alors s’être rendue à une fête donnée « à l’époque de la prise de Mantoue » (15 février 1797), et parle d’un malintentionné ayant accroché au dos de la robe de Thérésa Tallien un papier sur lequel était inscrit « propriété nationale », ce qui avait causé un scandale. Ayant réglé les affaires pour lesquelles elle avait fait ce voyage, elle se rendit ensuite à Londres où l’épouse du peintre Danloux note, le 10 mars, qu’elle arrive « de Paris », amenant avec elle sa fille, Nina, née de ses amours avec Cazalès[33] : « Elle a cinquante ans, écrit-elle, et n’en parait pas plus de trente. Elle est encore très jolie. Sa fille âgée de quatre ans et demi sera elle aussi très jolie[34] ». Mme de Bonneuil laissa sa fille à Londres et retourna fin mars en Espagne où chacun, à l’exception de Pérignon qui lui tourna le dos avec mépris[35], manifesta sa satisfaction de revoir celle qu’on appelait « l’inconnue ». On voit, admettait Bernard de Mangourit, qu’« elle a plutôt la tournure d’une femme du grand monde que d’une Laïs, s’exprime bien, annonce de l’esprit et de l’usage »[36], bien différente de la classe à laquelle certains auraient voulu pouvoir l’assimiler[37]. Nullement indifférente à Manuel Godoy, le ministre ami de Talleyrand, elle fut reçue à l’Escurial et présentée au roi et à la reine d’Espagne (juillet 1797).

Le duc de Croy d’Havré la chargea bientôt de lettres particulières pour le Prétendant, futur Louis XVIII qui résidait encore en Allemagne, et elle se mit en route, voyageant peut-être avec Cazalès par le Portugal, et gagna Londres où le peintre Danloux l’aperçut à la fin du mois d’août 1797. Elle se remit en route vers Calais, Hambourg et enfin Blankenberg où elle stationna à proximité de la résidence du Prétendant et de sa cour. Éconduite par le comte de Bésiade d’Avaray, favori du prince qui, se rappelant ses frasques et de sa sulfureuse réputation d’autrefois, la considérait lui-même comme une « coureuse d’aventures », elle retourna avec dépit à Hambourg d’où elle embarqua aussitôt pour Paris au début de décembre 1797[38].

Pendant l’hiver qu’elle passa à Paris, elle rencontra Charles-Maurice de Talleyrand, nouveau ministre des Relations extérieures, qu’elle avait autrefois connu dans les milieux libertins, notamment chez le comte de Vaudreuil et qui était alors invité à Saint-Leu-Taverny chez sa nièce Mme Hutot de Latour. Selon l’adage « il faut faire marcher les femmes », le ministre la reçut à l’hôtel Gallifet, rue du Bac, décidant d’employer cette « beauté diplomatique », accessoirement sa partenaire au whist[39]. Elle retourna à Londres, et le 18 novembre 1798, le comte de Thauvenay écrivait à ce sujet au comte de Saint-Priest :

« Il est singulier que madame de Bonneuil ait été si réservée sur les détails de la situation de la France et qu’elle les porte à M. de Cazalès. Elle les devrait, ce me semble, au Roy… »[40].

Elle passa plusieurs mois chez Jacques Antoine Marie de Cazalès y faisant les honneurs de sa maison High Street Mary-le-Bone près de Hyde Park. Ils recevaient tout ce que l’émigration comptait de considérable, raconte le comte de Montlosier, notamment le comte d’Artois et le duc de Bourbon. Le peintre américain John Trumbull, qui la connaissait fort bien pour l’avoir déjà rencontrée en 1786 chez Élisabeth Vigée Le Brun et revue à Paris sans un sou à sa sortie de prison en 1795, la croisa à nouveau à Londres en 1799, rapportant qu’elle y vivait très à l’aise, peu avant d’être envoyée, dit-il, en mission à Saint-Pétersbourg[41]

Au printemps 1800, elle était à Hambourg, alors la plaque tournante de l’espionnage international, cherchant à se faire recevoir par le comte de Movravieff, ambassadeur du tsar Paul Ier, afin qu’il lui délivre un visa pour entrer en Russie. Elle disposait de fonds importants que seuls une organisation puissante ou un État pouvaient lui fournir. Sa couverture était toujours celle du négoce de dentelles fines, elle disposait de faux passeports à des noms différents (« Mme de Nieulant », « Mme Riflon » mais passait en société pour « comtesse de Bonneuil »), et c’est Jean-Frédéric Perregaux, le célèbre banquier international, qui approvisionnait ses comptes. Ce banquier, un des personnages les plus importants de cette époque, un des auteurs du 18 brumaire, co-fondateur de la Banque de France, était le beau-père du général Auguste Frédéric Louis Viesse de Marmont, futur duc de Raguse, lui-même ami intime des Michel Regnaud de Saint-Jean d’Angély, il était l’oncle par alliance de Pierre-Marie Desmarets, directeur de la police secrète du Consulat[42], et enfin le conseiller chargé de la logistique financière des agents de Charles-Maurice de Talleyrand à l’étranger.

Mission en Russie

En juin, Mme de Bonneuil, qui avait obtenu un visa pour entrer en Russie, se fit remettre des lettres de créance par Charles-Maurice de Talleyrand qui, sans doute à cet effet, avait envoyé Mme Grant à Hambourg. Embarquée à Husum, elle parvint quelques jours plus tard à Saint-Pétersbourg où sa mission était de favoriser les préliminaires de paix entre la France et la Russie. Très vite, elle trouva un appui de poids en la personne du comte Fédor Rostoptchine, père de la future comtesse de Ségur, qui prépara avec elle un rapport circonstancié démontrant l’intérêt, pour les deux pays, d’un rapprochement franco-russe. Le tsar Paul Ier fut convaincu et elle fut reçue à la cour et à Gatchina où la vit l’écrivain anglais Robertson. Elle eut à combattre l’influence anti-française du comte Nikita Panine, du duc de Serra-Capriola, des Zouboff et de la coterie anglophile. Le tsar eut, par elle, connaissance de dépêches du comte d’Avaray au duc d’Havré, représentant les intérêts du Prétendant, futur Louis XVIII à Madrid puis Hambourg, dans lesquelles il était critiqué. Il en fallait moins pour que le comte de Caraman, représentant des Bourbons à Saint-Pétersbourg, puis le Prétendant lui-même, fussent expulsés du territoire russe (le futur Louis XVIII avait en effet, depuis quelques mois, quitté Blankenberg pour Mittau) en Courlande, c’était d’ailleurs un préalable à une négociation avec la République -[43]. La saisie des papiers du comte de Caraman entraînèrent en chaîne la disgrâce du comte Pahlen, chef de la police secrète, celle de Nikita Panine que remplaça Fédor Rostopchine, et enfin l’expulsion de l’ambassadeur danois Rosencranz, beau-frère de Serra-Capriola, jugé anglophile. Les préliminaires de paix devant aboutir au traité de Lunéville furent engagés[44], mais, face au danger d’un projet de descente franco-russe aux Indes que caressait le tsar et à une occupation du Bengale par les Français, le parti anglophile de la cour fit assassiner Paul Ier. À la cérémonie du 12 mars 1801 qui suivit son enterrement en grande pompe et l’intronisation d’Alexandre Ier alors entouré des Zouboff et d’Ouvaroff, Mme de Bonneuil qui se trouvait place de la Parade, écrivit à Jean-Frédéric Perregaux qui recevait et transmettait son courrier à Talleyrand : « Je l’ai vu partir en procession du palais d’hiver pour se rendre à la cathédrale où l’attendait l’archevêque Plutow. Devant lui, marchaient les assassins de son grand-père, à côté de lui, ceux de son père, et derrière lui, les siens »[45]. Mais ce courrier fut saisi par le comte Pahlen et elle fut expulsée de Russie. Elle atteignit Koenigsberg puis Berlin où elle conta quelques-uns des aspects de son séjour à la cour de Paul Ier de Russie au général de Pierre Riel de Beurnonville qui lui donna un visa pour rentrer en France[46] À Paris, elle rencontra Charles-Maurice de Talleyrand qu’elle semble avoir suivi, cet été-là, à Bourbon l’Archambault où le ministre allait prendre les eaux[47]. C’est plus tard chez Talleyrand et Catherine Noël Worlee, Mme Grant, sa maîtresse, donc probablement fin 1801 ou début 1802, que Lewis Goldsmith la croisa un jour sans s’expliquer ce qu’elle faisait à un diner d’ambassadeurs réunissant le comte bavarois Cetto, le Prussien Girolamo Lucchesini, le marquis napolitain de Gallo, Arcadi-Ivanowitch comte Markoff, Philippe Cobentzel, Quentin Crawfurd, le comte de Bougainville, Louis-Philippe de Ségur et autres diplomates européens[48]. À la fin de 1801, elle fréquentait la société aristocratique des anciens royalistes qui, malgré les apparences, ne s’était majoritairement pas ralliée au bonapartisme. Elle renoua avec ses amis d’autrefois, favorisa la radiation de ceux d’entre eux qui désiraient revenir d’émigration[49] et ne pouvait manquer d’être informée de l’existence d’un comité royaliste qui correspondait secrètement avec les Bourbons. Le projet couramment évoqué était celui d’un remplacement de Bonaparte par le général Moreau. Or Mme de Champcenetz[50], ancienne co-détenue de Mme de Bonneuil sous la Terreur, se chargeait alors des correspondances entre le comité Moreau et le comte de Vaudreuil, confident du comte d’Artois alors en Angleterre. Par ailleurs, Mme de Bonneuil fréquentait la famille Moreau et notamment la belle-mère du général, Mme Hulot d’Osery, sa compatriote de l’île Bourbon, propriétaire du château des Grimod à Orsay[51], ou encore et surtout Hyacinthe Bouvet de Lozier, adjudant général de l’armée royale, tête pensante et coordonnateur du complot à Paris, qui avait, lui aussi, des attaches avec l’île Bourbon[52].

Son rôle dans l’affaire Jean-Charles Pichegru

Au printemps 1802, profitant de la trêve d'Amiens et de l’ouverture des frontières avec l’Angleterre – la fermeture ne l’avait pas gênée en 1797 pour entrer et sortir de ce pays[53] –, Mme de Bonneuil partit pour LondresOtto, nouvel ambassadeur, visa son passeport en juillet 1802[54]. En septembre elle atteignait Édimbourg où le comte d’Artois, qu’on approchait difficilement, la reçut en audience privée, peut-être en présence de son confident le comte de Vaudreuil. Puis le prince lui donna des lettres de recommandation et, par l’intermédiaire du baron de Vioménil, elle rencontra un peu plus tard le général Pichegru encore stationné à Londres[55]. Auprès du général qui méditait un « coup » contre Napoléon Bonaparte promu consul à vie, elle se posa comme franche et décidée royaliste, malheureuse que l’usurpateur Bonaparte n’ait pas joué le rôle que l’on attendait de lui, celui d’un George Monck. L’annonce du Consulat à vie laissait au contraire augurer une occupation du pouvoir napoléonien dans la durée. Le projet d’assassinat, avec un financement par l’Angleterre, était décidé, et Mme de Bonneuil assura le général Pichegru d’un soutien entier des royalistes de Paris. Puis, ayant donné des assurances diverses, elle reprit sa route vers la France en compagnie d’un Anglais fort connu, sir Walter Spencer, apparemment fort impliqué dans les « conspirations anglaises[56]. Une indiscrétion – en fait son passeport établi au nom de « Jeanne Riflon » indiquant qu’elle avait… « 29 ans » ! excita la méfiance d’un fonctionnaire de l'ambassade de France qui, rectifiant en marge : « Elle a plus de cinquante ans », la fit désigner comme étant Mme de Bonneuil (qui avait bien cinquante-cinq ans mais en paraissait vingt de moins, comme en ont témoigné le peintre Danloux, Melle Avrillon et d'autres contemporains frappés par sa conservation exceptionnelle)[57].

Un journal local se fit peu après l’écho du passage à Rotterdam puis Amsterdam de l’amie de Jacques Antoine Marie de Cazalès et belle-mère d’un conseiller d’état, en compagnie d’un Anglais qu’on disait membre du Parlement d'Angleterre. Michel Regnaud de Saint-Jean d'Angély fut évidemment obligé d’apporter un démenti formel sur l’identité de cette voyageuse et la présence de sa belle-mère aux Pays-Bas en compagnie d’un Anglais suspect – tandis qu’on parlait déjà d’une reprise de la guerre –, et, pour faire bonne mesure, l’ambassadeur Charles-Louis Huguet de Sémonville déclara publiquement qu’il ferait arrêter la « fausse Mme de Bonneuil », tout en lui accordant cependant, à La Haye, le visa nécessaire pour rentrer discrètement en France (30 janvier 1803). Mme de Bonneuil aurait séjourné peu de temps à Paris ( »trois jours » selon son domestique qui était du voyage) car, si l’on en croit les curieux rapports rédigés sur cette partie assez obscure de sa vie, elle serait retournée en mars aux Pays Bas, où elle - à moins qu’il ne s’agît d’une doublure - se présenta cette fois sous le nom de « Mme de Bellegarde »[58], à Bréda précisément où un envoyé de la police du Grand Juge Régnier était censé la rencontrer. La chose pourrait paraître étrange si l’on ne savait que l’envoyé de la police n’était autre que le gendarme d’élite de Meckenheim d’Artaize, ancien chef d’escadron au Colonel général cavalerie – avec son ami Jean-Baptiste de Paty de Bellegarde lui-même cornette blanc dans le même régiment – qui, selon Lewis Goldsmith, était un agent secret de Charles Maurice de Talleyrand (la police secrète du Grand Juge Régnier, pour la partie diplomatique, ne se superposait pas exactement à celle de Talleyrand et leurs agents comme leurs directives, inconnus les uns aux autres, se court-circuitaient parfois)[59]. L’envoyé Meckenheim d’Artaize, que l’on chargeait des missions délicates ou périlleuse, joua une espèce de comédie consistant à couvrir l’incognito de Mme de Bellegarde, à transmettre des rapports laissant supposer qu’il s’était correctement acquitté de sa mission[60] – qui, pour sa sécurité et l’avenir politique de Regnaud, ne devait pas être reconnue par l’administration du Grand Juge Régnier –, tout en recueillant et accréditant en haut lieu les informations qu’elle avait recueillis auprès de Jean-Charles Pichegru et de ses amis sur les projets criminels en préparation[61].

Fin mai 1803, Michelle de Bonneuil était du moins à Paris chez sa fille, y rencontrait Mmes de Vaudreuil[62] et Armand de Polignac dont les maris étaient partie prenante dans les projets de Pichegru, et elle poussait l’obligeance jusqu’à recommander aux conspirateurs d’aller loger dans sa maison de la rue Carême-Prenant, vide depuis la mort dans les lieux, le 24 mars 1803, de M. Guesnon de Bonneuil qu’avaient assisté les citoyens Sauzade et Taillardat qui furent compris dans le procès de 1804[63].

C’est ainsi que, lorsqu’il vint à Paris, en septembre 1803, Georges Cadoudal, suivi et filé depuis son arrivée en France par Saint-Leu-Taverny, logea un temps dans l’appartement inoccupé de Michelle de Bonneuil[64]. Cette dernière, qui ne voulait pas risquer des indiscrétions laissant supposer qu’elle avait trahi la cause des royalistes, aurait passé quelques jours dans la ville d’eau de Pyrmont où elle fut reçue par le prince de Waldeck, le prince de Brunswick et l’Électrice palatine de Bavière. Toujours officiellement – ou soi-disant – recherchée par l’officier de Meckenheim d'Artaize sous le nom « Mme de Bellegarde », elle quitta Pyrmont fin juillet 1803, cachée dans le carrosse de la comtesse de Provence qui, revenant d’Italie, passait justement dans la ville d’eau, accompagnée de son écuyer, le duc d’Havré. On dit à Meckenheim d'Artaize qu’elle s’était rendue à Gotha, à Ludde et de là Altona (à la sortie de Hambourg mais en territoire danois), logeant dans une maison que lui avait prêtée le duc d’Havré. Elle raconta en septembre et octobre 1803, dans des courriers cette fois signés « Mme Smith », ses malheurs prétendus à l’ambassadeur anglais George Rumbold, lui demandant un visa pour se réfugier en Angleterre. Rumbold s’en remit à lord Castlereagh qui, n’ajoutant pas foi aux demandes de la fausse Mme Smith, pria Rumbold de rejeter ses demandes. Dans une position ambiguë, indésirable en Angleterre et renonçant apparemment à retourner en France par prudence, la mystérieuse « Mme de Bellegarde » se retira, semble-t-il – car personne ne peut alors la localiser avec certitude –, « dans une campagne » à Wandsbeck[65]. La question est de savoir si, dans un premier temps, Mme de Bonneuil et elle seule, qui rencontra effectivement le comte d’Artois à Édimbourg, n’avait pas cherché à aider, du point de vue logistique, les conspirateurs anglais et émigrés – elle avait des liens d’amitié anciens avec, notamment, le comte de Vaudreuil et sa famille, avec Charles Riffardeau de Rivière[66]également avec Charles Bouvet de Lozier[67] – et si, ayant été démasquée à Rotterdam en décembre 1802, elle n’avait pas été obligée de se « retourner » sous peine d’exil[68], en révélant à Meckenheim d’Artaize, Talleyrand et Regnaud de Saint-Jean d’Angély son gendre tout ce qu’elle avait appris du comte d’Artois et de Pichegru. Peut-être même fut-elle contrainte de seconder la police secrète, tout au moins Jean-Baptiste Desmarets[69], qui contribua à mettre en place la souricière au terme de laquelle Pichegru, Cadoudal, le marquis de Rivière[70] et Armand de Polignac, tous familiers des comtes de Vaudreuil et d’Artois, avaient été arrêtés.

L’Empire et la Restauration

Entre le début de l’Empire et 1809, Michelle de Bonneuil était à Paris puis elle voyagea à Berlin - peut-être dans la suite de Talleyrand qui fit un grand voyage en Allemagne et en Prusse -, puis on la retrouve à Cassel où, d’après Pigault-Lebrun dans une lettre à Réal, avec Mme de Rietz, comtesse de Lichtenau, ancienne maîtresse de Frédéric Guillaume II, roi de Prusse, dite la « princesse ananas »[71], elle joua un rôle de surveillance et d’influence, pour le compte de la police secrète[72], à la cour de Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie, et de Catherine de Wurtemberg.

En 1814, Jacques Barthélémy Salgues est le premier à avoir révélé publiquement en France le rôle secret joué par Mme de Bonneuil et cette nouvelle alimenta les conversations de la nouvelle cour : Buonaparte n’avait point négligé un autre genre de séduction. Il avait mis dans ses intérêts et envoyé en mission des femmes d’une beauté et d’un esprit propres à corrompre le cœur même des rois. Nouvelle Judith, Mme de B…, belle-mère d’un des conseillers d’État de Napoléon, se rendit de Paris à Hambourg et de Hambourg, parvint jusqu’à Sa majesté Impériale où elle acheva, dit-on, la conversion de ce prince commencée par une actrice française[73] (…) Ce changement si prompt et si public inquiéta toute l’Europe et l’inquiétude devint bien plus grande encore quand on vit le même esprit se répandre tout à coup dans le Nord de l’Europe[74]. Naturellement, le prince de Talleyrand couvrait Mme de Bonneuil de son ombre tutélaire, et d’ailleurs, le nouveau roi ne songea jamais à lui faire reproche de ses actes. Au contraire, en 1815, elle fut l’une des premières personnes de l’ancienne cour à être pensionnée par Louis XVIII. Elle obtint en 1817 que sa fille la comtesse Laure Regnaud de Saint-Jean d'Angély ne soit pas jugée pour complot contre l’autorité royale et sorte de la Conciergerie où elle avait été envoyée pour activisme pro-bonapartiste[75]. Sous Charles X, Mme de Bonneuil vécut principalement chez ses filles Mmes Buffault[76], Arnault[77], Regnaud de Saint-Jean d’Angély et Cardon[78], tant à l’abbaye du Val (près Mériel) qu’au manoir d’Antiville en Normandie et dans le quartier de la Nouvelle Athènes à Paris où habitaient la plupart de ses enfants et petits enfants. La comtesse Laure Regnaud de Saint-Jean d'Angély, qui avait perdu son mari, l’ancien conseiller d’État et ministre de Napoléon[79]Il n’avait pas renoncé à ses convictions bonapartistes et sans doute s’opposa-t-elle souvent à sa mère qui, comme Élisabeth Vigée Le Brun[80] et d’autres vieilles amies, était restée fidèle aux Bourbons.

Après cette existence à la fois trépidante et romanesque, qui n’est pas sans zones d’ombre, Mme de Bonneuil mourut paisiblement rue Blanche, à Paris, le 30 décembre 1829, et elle fut enterrée sans bruit au cimetière de Montmartre. Comme les grands agents secrets, elle s’est fait oublier et n’a surtout pas écrit de mémoires ou de souvenirs comme c’était alors la mode. Sa fille Laure Regnaud de Saint-Jean d'Angély a, en outre, détruit tous ses papiers[81]. Dans une biographie récente d’Augustin Barruel[82], Mme de Bonneuil, qui avait souffert de la Révolution puis consacré son existence à s’opposer sourdement à ceux qu’elle tenait pour responsables des malheurs de sa famille, est citée comme ayant été une des sources de l’auteur de l’Histoire du jacobinisme.

Les identités multiples de Mme de Bonneuil

Dans le numéro de juillet-août 1991 du périodique L’Intermédiaire des Chercheurs et des curieux, M. Georges Renard, un lecteur qui s’était intéressé à Madame de Bonneuil née Michelle Sentuary, a exposé les raisons pour lesquelles il ne croyait pas que l’on puisse identifier celle-ci avec Jeanne Riflon car il s’agit, selon lui, de deux personnes différentes. La thèse d’Olivier Blanc est que Jeanne Riflon est une identité empruntée par Mme de Bonneuil lorsqu’elle ne voulait pas que son nom apparaisse directement, chose possible à une époque où l’état civil n’était pas fixé. Il avance des preuves matérielles convaincantes comme – d’après les Mémoires secrets de février 1787 –, le blason peint sur le carrosse de « Jeanne Riflon » qui passe pour avoir eu une liaison avec Charles de Sartines, appartenait véritablement à Michelle Sentuary ainsi qu’il apparaît apposé sur la cire dans un document de police de 1793. Ces armoiries surmontées d’une couronne comtale étaient donc celles de Michelle Sentuary qui, en société, passait pour comtesse de Bonneuil (voir le journal du peintre américain John Trumbull pour 1786).

À cela s’ajoute le fait que, de 1787 à 1803 au moins, il y a une relation constante entre les deux identités, même si elles ne se superposent pas toujours, loin s’en faut, car l’on a affaire à deux personnes distinctes. Quels étaient les rapports exacts entre l’une et l’autre ? On l’ignore. Mais il est difficile d’imaginer qu’elles ne se connaissaient pas. L’hypothèse la plus plausible est qu’il y ait eu, entre l’une et l’autre, une entente. En 1792 et 1793, il a été souvent rapporté que des voyageurs circulaient avec des passeports appartenant à d’autres personnes. Germaine de Staël, par exemple, a fait sortir de France un certain nombre de proscrits français avec des passeports appartenant à des citoyens suisses qu’elle envoyait en personne, à cet effet, en France et qui, en quelque sorte, se « dédoublaient ». Le baron Jean de Batz, fort lié avec Madame de Bonneuil-Sentuary, est lui aussi sorti de France sous le nom de « Vallier, négociant de Soleure », qui existait véritablement.

Il est difficile d’admettre que sur une longue période Mlle Jeanne Riflon, issue d’un milieu modeste (fille d’un écorcheur des abattoirs de Bourges), qui épousa M. Jacques-Théodor Ancellin (Ville d’Avray, juillet 1799), ait eu les moyens d’usurper impunément l’identité de Mme de Bonneuil-Sentuary, femme libre aux relations étendues et aux amis puissants, et à faire constamment illusion auprès de dizaines de personnes appartenant aux élites politiques de l’Europe en guerre. La personnalité forte de Mme de Bonneuil-Sentuary, ses relations avérées avec Jacques Antoine Marie de Cazalès et avec Charles Maurice de Talleyrand eux-mêmes rodés aux pratiques du secret et de l’espionnage, constitue à ce jour la meilleure solution à cette énigme historique.

Elle est présentée par Balzac dans Illusions perdues sous le nom de Camille qu'André Chénier lui donnait dans ses pièces poétiques[83].

Notes

  1. Charles-Dominique de Lacretelle, Histoire du Consulat et de l’Empire, 1846, I, p.312).
  2. La Société internationale d’étude des femmes de l’Ancien Régime (SIEFAR) s’emploie depuis quelques années à revoir dans un sens critique les notices existantes concernant les femmes de l’Ancien Régime et à exhumer le souvenir de celles, oubliées, dont les actes ou les écrits valent bien ceux de leurs compatriotes masculins.
  3. Cette dernière était nièce du modèle de « Virginie » du roman Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre, qui, revenant de France, périt noyée au large de l’île de France.
  4. Élève d’Élisabeth Vigée Le Brun et de Hubert Robert qui lui donna des cours de peinture à la prison de Sainte-Pélagie, elle exposa des natures mortes aux fleurs au Salon national de peinture de 1795.
  5. Ancienne collection de la comtesse de Termont, descendante du modèle.
  6. Portrait dit « la princesse (sic) de Polignac » au musée Jacquemart-André.
  7. Olivier Blanc, Portraits de femmes, artistes et modèles à l’époque de Marie-Antoinette, Paris, Didier Carpentier, 2006.
  8. Elle épousa le négociant bordelais Jean-Louis Testart, et mourut prématurément en 1783.
  9. Augustine-Françoise Sentuary, née en 1749 à l’île Bourbon, peut-être un modèle de l’« Eléonore » de Parny, femme de l’avocat au Parlement et Maître des requêtes de ce nom qui était membre de la Loge des Neuf Sœurs et mourut en 1784, et belle-sœur de l’avocat de Cagliostro. Elle était « jolie à peindre » selon le comte d’Espinchal.
  10. Elle épousa Jean-Jacques Duval d’Eprémesnil en 1786 après une liaison de plusieurs années – dont plaisantait Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort – qui la connaissait, d’où une fille née en 1786, future marquise de Nogaret de Calvisson, et deux fils tués sur le front russe en 1812. Voir Olivier Blanc, Les Libertines, Plaisir et liberté au temps des Lumières, Paris, Perrin, 1997 (biographie et références p. 89 à 104).
  11. Mme de Bonneuil qui ne voulait pas être solidaire des dettes de son mari avait – avant sa séparation de biens officielle en 1787 – ouvert un compte privé dont Perregaux était apparemment chargé.
  12. John Trumbull, Autobiography, Reminiscences and letters of John Trumbull from 1756 to 1841, p. 118-120.
  13. Autrefois créé en lisière du parc du château pour Mme de Pompadour, le marquis de Cubières en avait fait un extraordinaire jardin paysager y acclimatant des espèces végétales rares.
  14. Amédée-Louis Despans qui porta le nom de « Cubières » en 1803, joua à l’Ermitage de Versailles, célèbre pour ses jardins, le rôle de l’Amour à une fête donnée en 1789 par le marquis de Cubières et Michelle de Bonneuil en l’honneur de Marie-Antoinette. Amédée Despans-Cubières, adopté en 1803 par son père naturel, futur général de l’Empire et ministre de la Justice sous Louis-Philippe Ier, fut impliqué dans un grave scandale politico-financier au terme duquel il fut jugé et condamné par la chambre des Pairs en 1847. Victor Hugo, dans Choses vues, le croit fils de Cazalès. C’est sa sœur Evelina, future Mme Cardon, née le 11 avril 1793, qui était fille de Cazalès).
  15. Ces armes parlantes, découvertes chez elle et reproduites à l’identique au cours d’une perquisition en sa présence (rue Neuve-Sainte-Catherine), reproduites dans les illustrations de la biographie d’O. Blanc, L’Éminence grise de Napoléon, Regnaud de Saint-Jean d’Angély, Paris, 2003, identifient Michelle de Bonneuil née Sentuary avec le pseudonyme « Jeanne Riflon » – nom sous lequel a été passé en juillet 1786 un contrat viager avec Charles de Sartines –, sont décrites dans les Mémoires secrets du mois de février 1787, comme ornant un carrosse offert par le même Sartine (AN, F74608/II). Il devient alors difficile de ne pas faire un rapprochement entre Mme de Bonneuil et « Jeanne Riflon » qui, en de nombreuses circonstances,pendant au moins dix-sept ans, vont comme se superposer, se croiser sans cesse, échanger les rôles, même si elles ont été deux personnes différentes.
  16. Cité par Michel Riquet, Augustin de Barruel, un jésuite face aux jacobins francs-maçons, 1741-1820, Beauchesne, 1989, p. 87.
  17. Il est le père d’Evelina, leur fille, née en avril 1793, adoptée par la suite par M. Guesnon de Bonneuil et légitimée par lui.
  18. Son beau-frère d’Eprémesnil était l’un des plus actifs promoteurs de la société dite compagnie du Scioto qui s’avéra être une catastrophe pour ceux qui crurent à son avenir.
  19. Plus tard, en 1808, Jean de Batz – à qui Élie Lacoste puis G. Lenotre ont prêté un rôle démesuré –, épousa Augustine-Françoise, dite « Désirée », Thilorier, fille de Jacques Thilorier et Françoise-Augustine d’Eprémesnil, née Sentuary, longtemps sa maîtresse, qui le protégea lors des événements de vendémiaire an IV.
  20. Son mari malade était parti à la campagne et elle-même était enceinte de la fille de Cazalès : elle fit ses couches en avril rue Neuve-Sainte-Catherine.
  21. Ancien agent secret en Russie et futur agent double de Napoléon Bonaparte pendant les conspirations anglaises.
  22. .M. de Bonneuil vécut dorénavant à Saint-Leu-Taverny où sa nièce Mme Hutot de Latour lui donna des soins. Voir Méhée de Latouche, Mémoire sur procès, Paris, 1814 (avec lettre de remerciement de Mme de Bonneuil).
  23. M. de Bonneuil avait été arrêté quelques jours au lendemain de la fuite du comte de Provence et de son favori, le comte d’Avaray, à l’étranger. L’animosité de d’Avaray à l’égard de Mme de Bonneuil peut avoir un rapport avec cette affaire d’archives.
  24. Françoise-Augustine-Eléonore dite « Laure » Guesnon de Bonneuil, née en 1776 et morte sous le Second Empire, célèbre modèle du peintre François Gérard. Voir Olivier Blanc, Michel Regnaud de Saint-Jean d'Angély, L’Éminence grise de Napoléon, Paris, 2003.
  25. C’est à Orléans que, plus tard,, en 1802, Cadoudal établit Charles d'Hozier, l’un des principaux acteurs du complot contre Bonaparte.
  26. Cette personne avait peut-être été à l’origine une domestique, car une famille de ce nom « Riflon », dans le Cher, près de Bourges, comptait avant 1789 des « servantes » (voir le moteur geneanet). De condition modeste, de dix-sept ans plus jeune que Mme de Bonneuil, elle devait épouser en juillet 1799, à Ville-d'Avray, le citoyen Jacques Théodor Ancellin, issu d’une famille modeste de Boulleurs (un Ancellin né à Boulleurs est « berger » au début du XIXe siècle). On peut se demander si cette jeune femme, qui devait quand même connaître intimement Mme de Bonneuil, ne lui aurait pas servi dans certains cas - peut-être en 1803 -, de « doublure ». C’est toujours le même passeport à ce nom de « Jeanne Riflon », avec le même âge de 29 ans ! - qu’elle utilisa encore à la fin du Consulat où il n’est jamais question de « Mme Ancellin » comme cela aurait dû être le cas autrement.
  27. À cinquante ans, écrivait le peintre Danloux, Mme de Bonneuil en paraissait trente à peine. Tous ses contemporains, que ce soit Charles Briffault, la duchesse d’Abrantès, Mlle Avrillon, Villemarest, Boucher de Perthes, etc. ont été frappés par son apparente jeunesse à un âge très avancé : c’était, disent ils tous, « phénoménal ».
  28. Il souffrait d’une maladie évolutive, paralysante, depuis 1789.
  29. Elle se présentait comme négociante en objets de luxe et raconta être arrivée à Madrid « par hasard », après s’être arrêtée à Bordeaux et Bayonne où un négociant fort connu par son crédit l’avait, dit-elle au Directoire, engagée à se rendre en Espagne.
  30. Ces documents et l’affirmation de l’inconnue qui disait « ne pas porter son vrai nom », ne permettent pas de conserver l’hypothèse ancienne d’Ernest Daudet selon laquelle elle était « Melle Jeanne Riflon », âgée de vingt-neuf ans, « fille d’un vidangeur équarrisseur » des abattoirs de Bourges.
  31. Le fonds Bourbon dont la libre consultation a été très tardive (après la seconde guerre mondiale), est resté inconnu à de nombreux historiens qui n’ont jamais eu connaissance des affaires diplomatiques de la France qu’à travers les correspondances politiques officielles. L’étude comparée de ces deux sources révèle la difficulté qu’il y a à interpréter les faits concernant l’espionnage et à les restituer. La consultation des sources politiques étrangères devient parfois indispensable.
  32. AE, Fonds Bourbon, rapports et lettres de Mme de Bonneuil où elle dit se retirer sur la frontière. Pour des raisons de confort, de grande rapidité et de sécurité par rapport aux transports terrestres, les transports maritimes et fluviaux avaient la préférence des voyageurs et étaient très développés avant l’apparition du chemin de fer. Le temps nécessaire pour relier La Corogne à Plymouth était de cinquante heures. Même chose pour la liaison Bayonne-Le Havre, et un peu moins pour relier Londres à Hambourg.
  33. Simplicie Evelina ne sera agrégée à la famille Guesnon de Bonneuil qu’en août 1803 (Registres paroissiaux de Saint-Leu Taverny).
  34. Danloux, Journal, publié par le comte Portalis.
  35. Il s’était fait tancer par le Directoire qui recevait des rapports incendiaires des conseillers Mangourit, Labène et Champigny-Aubin sur les intrigues de « la Riflon » avec l’ambassadeur.
  36. dépêche du 15 thermidor an V, Arch. du min. des Affaires étrangères, Cor. pol. Espagne, vol. 644-648.
  37. L’historien Ernest Daudet, suivi en cela par le duc de Castries, a apparemment pris un certain plaisir à déformer sa personnalité et à en faire une héroïne de fantasme dans son Histoire de l’émigration puis dans un roman intitulé L’Espionne, Paris, 1905.
  38. Le comte d’Avaray n’était pas plus tendre lorsqu’il s’exprimait au sujet de Mme de Balbi et de Mme de Gourbillon qui avant 1789, avaient eu une sorte d’importance au palais du Luxembourg, résidence parisienne du comte et de la comtesse de Provence.
  39. Georges Touchard-Lafosse, Histoire politique et vie intime de Ch.-M. de Talleyrand, p. 162.
  40. Archives des affaires étrangères, Fonds Bourbon, vol. 607, 254, f°180.
  41. John Trumbull, Autobiography, 'op. cit., p. 119-120.
  42. Sa femme, née Melle Lhardy était de Neufchâtel, nièce de Jean-Frédéric Perregaux.
  43. D’après Ernest Daudet, qui, dans ses études sur l’émigration, méconnaît le contexte particulier et les attaches de Mme de Bonneuil, qu’il n’identifie pas, avec la maison du comte de Provence, et est en outre aveuglé par une envahissante misogynie « Belle époque » à laquelle le duc de Castries et d’autres firent écho plus tard et qui les a conduits à de nombreuses erreurs d’appréciation ou d’interprétation : ainsi Mme Jenny Chevalier, cantatrice fétiche du tsar, et Mme Marguerite de Gourbillon, lectrice et maîtresse de la comtesse de Provence, deux françaises émigrées en Russie, étaient, selon eux, elles aussi dans « l’intrigue », ce qui n’est pas prouvé par les documents. D’emblée, ces femmes sont renvoyées par eux à l’univers des intrigantes et des catins.
  44. Signé en octobre 1801.
  45. Bignon, Histoire de France, 1829, I, p. 445 ; dans sa version, Bignon cite Fouché comme destinataire de cette lettre, mais Peltier, qui s’appuie sur des témoignages plus proches de l’événement parle bien de Talleyrand comme employeur de Mme de Bonneuil.
  46. Tous les ambassadeurs de l’époque avaient pour règle de protéger l’incognito des agents secrets de leurs gouvernements. Pour ce qui la concerne, Michelle de Bonneuil, malgré ses précautions et les protections exceptionnelles dont elle bénéficiait pour entrer et sortir de France, ne pouvait faire autrement que de se présenter sous son vrai nom (Mme de Bonneuil) dans les milieux de l’émigration où elle était connue : une anecdote rapportée dans le Moniteur du 9 messidor (repris du Journal du Commerce) et du 22 thermidor an IX, peu avant le contrôle de la presse, attesta ainsi sa présence en Russie à la veille de la mort de Paul Ier, ce qui ne put être démenti publiquement.
  47. Maxime de Villemarest, Monsieur de Talleyrand, II, p. 48 : il tenait les informations de M. de Borne de Saint-Étienne, son oncle, qui, avec Michelle de Bonneuil, était dans la suite de Charles-Maurice de Talleyrand.
  48. Goldsmtith ignorait encore tout de ses connaissances et de son expérience en matière diplomatique. Regnaud de Saint-Jean d’Angély avec lequel il avait maintenu de bonnes relations encore à la fin de l’Empire, avait obtenu de lui une entière discrétion sur les voyages à l’étranger de sa belle-mère. Lewis Goldsmith, Antigallican monitor, 15 novembre 1812.
  49. Ainsi Cazalès qui rentra avec Montlosier.
  50. Albertine-Elisabeth van Nyvenheim, baronne de Nieukerque, d’une noble famille hollandaise, protestante convertie, divorcée de M. Pater, fort riche de plantations au Surinam, fort belle, avait été pressentie pour remplacer Madame du Barry dans le cœur de Louis XV et épousa M. de Champcenetz.
  51. Née Perrine-Jeanne Lory des Landes, à la tête d’une grande fortune mise à disposition des conspirateurs : elle recevait par exemple Louis Fauche-Borel lors de ses passages à Paris.
  52. Il fut arrêté en 1804, ainsi que sa maîtresse, Mme Costard de Saint-Léger, née Turgot.
  53. Voir le Journal de Henri-Pierre Danloux, publié par le comte Portalis, qui signale son passage à Londres à deux reprises.
  54. Passeport délivré à la préfecture de police par le ci-devant chevalier de Piis. Elle était accompagnée de son secrétaire, Paul Vallon – dont la sœur Annette fut aimée du poète Wordsworth, le Chénier anglais –, et de sa nièce que l’on peut identifier avec sa filleule Clémentine d’Eprémesnil, orpheline depuis l’exécution de sa mère en 1794.
  55. Le comte d’Artois a raconté cette singulière visite de Mme de Bonneuil dans une lettre au baron de Vioménil – futur maréchal – et une autre lettre au duc de Bourbon : voir O. Blanc, L’Éminence grise de Napoléon, Paris, 2003, p.140-141.
  56. M. E. Daudet l’avait identifié avec John Spencer-Smith, le diplomate frère de l’amiral Sydney Smith, mais il pourrait s’agir, plus certainement, de Walter Spencer-Stanhope l’ami de Edmund Burke, très engagé dans la politique menée par William Pitt.
  57. Alexander Augustus Smets, Catalogue raisonné of curious manuscripts early printed and others, 1860, p. 16-17.
  58. Ce nom semble avoir été emprunté à son compatriote bordelais Jean-Baptiste de Paty de Bellegarde, cornette blanc au Colonel général en 1789, sorte de bourreau des cœurs qu’elle avait fréquenté autrefois à Versailles avec les frères Trudaine et André Chénier. Elle l’avait revu en Russie où, poussé par Talleyrand, il s’était mis au service de Constantin, frère de Paul 1er. Convaincu d’espionnage en Russie où il était retourné en 1807, il finit déporté en Sibérie.
  59. Meckenheim d'Artaize devait rendre compte officiellement de ses missions auprès de « Mme de Bellegarde » au général Moncey, inspecteur général de la gendarmerie, qui « n’était pas employé pour ce qui demandait du secret », et qui s’en tint, comme le reste de l’administration, à l’apparence des choses. Talleyrand avait, quant à lui, une autre lecture d’une situation qu’il contrôlait sans doute.
  60. Sans cesse allusif, il dit avoir rencontré cette dame à Versailles sous l’Ancien Régime, fréquentant Jean-Baptiste de Paty de Bellegarde, et alors connue pour ses talents d’intrigante. Mais à aucun moment, il ne l’identifie formellement sur le papier, laissant planer un doute sur l’identité de cette voyageuse qu’il ne désigne jamais comme la belle-mère de Regnaud ou l’amie de Talleyrand. Il annonce l’avoir suivie à la trace mais ne l’arrête jamais comme il en avait reçu l’ordre.
  61. D’après les rapports plus allusifs qu’explicites de Meckenheim d'Artaize qui sont des copies d’originaux, contradictoires souvent, il semble que son interlocutrice qui parle de son mari malade, ait cherché à négocier les informations qu’elle avait recueillies contre la promesse que son fils naturel – donc le jeune Amédée Despans ?, qui en effet n’avait pas encore d’état civil –, pourrait être reconnu par son père, ce qui fut le cas, et qu’il pourrait ensuite accéder à la carrière d’officier, ce qui arriva également la même année: le jeune homme entrait au Prytanée militaire de Saint-Cyr sous le nom d'Amédée-Louis Despans-Cubières, fils adoptif du marquis de Cubières qui n’en fit cependant pas son héritier. Il fut définitivement agrégé à sa famille maternelle par son mariage en 1813 avec Aglé Buffaut, fille de sa demi-sœur maternelle. La fille de Cazalès, Evelina dite Nina, mariée la même année 1813, avait été légitimée en 1803, peu après la mort de M. Guesnon de Bonneuil, et baptisée à Saint-Leu-Taverny sous le nom de « Guesnon de Bonneuil ».
  62. Voir les Mémoires de Victorine de Chastenay.
  63. Mort le 24 mars 1803, rue Carême Prenant, n° 22, maison sous louée par les Bonneuil au sieur Taillardat (témoin déclaré avec son ami Sauzade au décès de M. de Bonneuil, en l’absence de sa femme, et cités l’un et l’autre, quelques mois plus tard, dans l’instruction du procès Cadoudal-Pichegru). Cette maison au vaste jardin appartenait à Kornmann, célèbre pour son procès en séparation contre sa femme où tout Paris, y compris Mme de Bonneuil et Beaumarchais avaient pris position (voir Mémoires d’un sexagénaire).
  64. Lorsque, pendant l’été 1803, il stationna à Saint-Leu-Taverny avant d’entrer en à Paris, Georges Cadoudal semble avoir été hébergé dans la propriété familiale des Chaumette, celle du clan Regnaud de Saint-Jean d’Angély, tenue par la cousine de Mme de Bonneuil, Mme Hutot de Latour (qui était aussi la belle-sœur de Marie-Michelle Buffault, fille ainée de Mme de Bonneuil). C’est dans cette même maison que Germaine de Staël s’était réfugiée lorsque Bonaparte avait ordonné à Fouché de l’arrêter en 1803. Comment Regnaud pouvait-il ignorer la présence de Cadoudal dans le village de Saint-Leu, d’autant qu’il s’y trouvait lui même pendant l’été 1803 ? (Registres paroissiaux).
  65. . Elle « affecte de se tenir cachée », indiquent les derniers rapports concernant cette dame, dont tout le monde a apparemment entendu parler, si l’on s’en tient aux rapports de l’administration policière et diplomatique française, mais que personne ne semble avoir vue réellement. C’est, dit-on alors, un « véritable Protée ». Elle se volatilise en effet, du moins sous ce pseudonyme, dans le courant de l’année 1803, sans que l’on sache si cette « Mme de Bellegarde » était Michelle de Bonneuil ou une doublure chargée de concentrer sur elle l’attention de la police du Grand Juge.
  66. Ils fréquentaient autrefois la société de Mme Vighée-Lebrun. Dans ses Mémoires, Rivière évoque aussi à demi-mot l’intervention de Regnaud de Saint-Jean d’Angély en sa faveur après qu’il eut été condamné à mort.
  67. Originaire comme elle de l’île Bourbon où son père avait été gouverneur.
  68. Plusieurs conspiratrices comme elle avaient été arrêtées et exilées peu après la rupture de la paix d'Amiens, ainsi la comtesse de Damas et la marquise de Champcenetz rescapées comme elle de l’échafaud révolutionnaire.
  69. C’est l’oncle par alliance de Pierre-Marie Desmarets, le baron Jean-Frédéric Perregaux, qui, en tout temps, a été le correspondant de Michelle de Bonneuil et le relais financier de ses missions à l’étranger.
  70. Condamné à mort, il fut gracié grâce à Regnaud de Saint-Jean d’Angély et Mme Maximilien Titon, née Camille du Bouzet, petite-fille de Mme de Bonneuil.
  71. Née Wilhelmine Encke en 1753, morte en 1820. On l’a comparée avec la comtesse du Barry.
  72. Dirigée par son neveu par alliance, Claude Armel Legras de Bercagny, qui avait épousé l’aînée de ses nièces, Marie-Antoinette Thilorier, fille de Jacques Thilorier et François-Augustine Sentuary.
  73. Il s’agit de la célèbre cantatrice européenne Madame Jenny Chevalier qui, chassée de Russie à la mort de Paul Ier, vécut plusieurs années à Koenigsberg puis à Berlin dans l’intimité du baron Bignon, le diplomate et mémorialiste de Napoléon.
  74. Jacques-Barthélémy Salgues, Mémoires pour servir à l’Histoire de France sous le gouvernement de Napoléon Buonaparte et pendant l’absence de la maison de Bourbon, Paris, 1814, p.595.
  75. La comtesse Regnaud fut expulsée et se réfugia à Bruxelles où la police secrète chercha à l’impliquer dans une tentative d’assassinat contre Arthur Wellesley, lord Wellington Voir O. Blanc, L’Éminence grise de l’Empereur, Regnaud de Saint-Jean d’Angély, Paris, 2003.
  76. Marie-Michèle avait épousé le vicomte du Bouzet d’où une fille, Bathilde du Bouzet, Mme Max Titon, puis, en messidor an II, Philippe Buffault, fils de Jean-Baptiste Buffault, l’homme d’affaires de la comtesse du Barry, d’où Aglaé (la générale Despans-Cubières, femme de lettres) et Blanche (Mme Sampayo).
  77. Jeanne-Catherine dite « Sophie », épouse de l’auteur dramatique et académicien Antoine-Vincent Arnault.
  78. Augustine-Simplicie-Evelina, fille naturelle de Jacques Antoine Marie de Cazalès, qui épousa le manufacturier Jean Édouard Cardon.
  79. Le comte Regnaud, apprenant les malheurs de sa femme, était revenu des États-Unis où il s’était exilé depuis 1815. ils furent autorisés à revenir en 1821, et le comte Regnaud mourut en arrivant à Paris
  80. Dans les mémoires parus sous son nom et rédigés à partir de notes qu’elle a bien voulu donner, Mme Le Brun n’a pas voulu évoquer la présence de Mme de Bonneuil à la cour de Russie. Sur ce sujet comme d’autres assez nombreux qui concernent son entourage, elle est restée extrêmement discrète.
  81. On connait son écriture grâce au post-scriptum d’une lettre écrite par Mme de Brack à son fils le futur général Antoine Fortuné de Brack, alors en Russie avec Amédée Despans-Cubières, le fils naturel de Mme de Bonneuil (papiers Bro de Comères) .
  82. Citée par Michel Riquet, Augustin de Barruel 1741-1820), Beauchesne, 1979, p. 87 et 112.
  83. Illusions perdues, La Pléiade, 1976, t. V, p. 148 et 208

Annexes

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Liens externes

Bibliographie

  • Alain d'Anglade, « Trois Sœurs créoles : Mesdemoiselles de Sentuary », in : Revue historique de Bordeaux et du département de la Gironde,n° 4 octobre-décembre 1957, p. 295-321 et n° 1er janvier-mars 1962, p. 5-23.
  • Olivier Blanc, Madame de Bonneuil, femme galante et agent secret (1748-1829), préf. de Jacques Godechot, Paris, Robert Laffont, 1987.
  • Olivier Blanc, Les Espions de la Révolution et de l’Empire, Paris, Perrin, 1995.
  • Olivier Blanc, Regnaud de Saint-Jean d'Angély, éminence grise de Napoléon, Paris, 2003.

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