Jacques Antoine Marie de Cazales

Jacques Antoine Marie de Cazales

Jacques Antoine Marie de Cazalès

Jacques Antoine Marie de Cazalès
Gravure de Delpech
Gravure de Delpech

Naissance 1er février 1758
Grenade
Décès 25 octobre 1805 (à 47 ans)
Angalin
Nationalité France France
Profession(s) Homme politique

Jacques Antoine Marie de Cazalès, 1er février 1758 à Grenade (Haute-Garonne) et mort le 25 octobre 1805 à Angalin, près de Mauvezin, est un homme politique français, qui fut député de la noblesse des pays de gaure, Verdun, bailliage de Rivière-Verdun aux États généraux de 1789.

Il est passé pour être le plus grand orateur de la droite parlementaire à lAssemblée constituante, et émigré sous la Terreur et le Directoire, il a été lun des agents secrets les plus actifs et le conseiller écouté du futur Louis XVIII.

Sommaire

Origines

Issu dune famille anoblie par le capitoulat, fils dun conseiller au parlement de Toulouse, Jacques Antoine Marie Cazalès ou plus exactement « de Cazalès », seigneur de Lastours et de Saint-Martin dAntéjac, est le 1er février 1758 à Grenade-sur-Garonne, près de Montauban[1]. Son grand-père, conseiller du roi et capitoul de Toulouse, avait été anobli sous la Régence, et son père, Simon, avait épousé[2] Françoise Maury, fille dun conseiller du roi, chevalier de Saint-Louis, Prévôt général de la Maréchaussée et commissaire inspecteur des haras de Quercy. Riche héritière, elle acheta en 1773 la terre et le château de Lastours à Montet, furent élevés son fils unique et ses deux filles[3]. La famille résidait lhiver en son hôtel de la rue Sainte-Scarbe à Toulouse le jeune Cazalès reçut une instruction militaire.

Le 20 février 1774, le conseiller Simon de Cazalès obtint pour son jeune fils de quatorze ans un brevet de sous-lieutenant sans appointement dans les Dragons de Jarnac[4]. Un de ses biographes, bienveillant par ailleurs, M. dEnrouzet assure que le jeune homme, après avoir fait des études sérieuses, sembla « faire de la débauche le but unique de sa vie », ajoutant que son existence de garnison se passait à travers les intrigues et les duels, mouvementée et pleine dimprévus, bruyante et houleuse, émaillée daventures souvent lidylle se finit par le drame. En écho, le comte de Montlosier qui lavait longuement fréquenté à Paris et à Londres, disait Jai connu un grand nombre des officiers du régiment de Cazalès, ce quils mont dit de paresse, se son insouciance, de son amour de la dissipation et des plaisirs est inimaginable. Il était atteint par la passion du jeu, dont il ne se défit jamais complètementpassion qui la conduit, assure son contemporain Dulaure, à vendre « un régiment dont il était pourvu » [5]-, celle des femmes, mais cependant, son dilettantisme éclairé sétait nourri de lectures sérieuses - et en premier lieu Montesquieu qui inspira son « libéralisme aristocratique » -, et sa passion pour ce quil croyait être de justes causes sest toujours conciliée avec ses goûts de libertin. Le rencontrant en émigration à Coblence, le chevalier de Moriolles lentendit dire : Mon cher, vous mavez vu autrefois en garnison à Stenay pendant le jour, mais vous ne my avez pas vu pendant la nuit, me livrant à létude avec plus dardeur encore que jen mettais à jouir de certains plaisirs qui, je lavoue, ne me faisaient guère dhonneur.

Ceux qui le connaissaient mal éprouvèrent donc une certaine surprise lorsque, à la veille de la convocation des Etats généraux, il fut choisi par les nobles du Quercy pour représenter la noblesse des pays et jugerie de Rivière-Verdun, Gauné, Léonac et Marestaing, villages de la Généralité dAuch en Haute-Garonne. Ses adversaires supposent que cest « par ses dispositions à soutenir habilement les vieux préjugés, les droits usurpés des nobles de son pays, quil a mérité dêtre leur représentant, et, il faut lui rendre justice, il na pas trompé leur attente ». Il sest en effet signalé comme le champion de la réaction, partageant le siège de la droite extrême de lhémicycle avec son ami Jean-Jacques Duval d'Eprémesnil qui finit guillotiné, et labbé Maury qui. pour sa part, nuança ses positions par la suite. Cazalès ne changea jamais : il fut le type même du parlementaire ultra, peu enclin au compromis, ne reniant jamais ses convictions, et mit son magnifique talent dorateur à défendre sa cause, celle dun gouvernement essentiellement monarchique avec un poids parlementaire assez faible. Car son positionnement politique que lon pourrait croire logique ne la pas été. De nuance en nuance, Cazalès a varié au fil du temps - et particulièrement après la réunion des trois ordres - pour se trouver bien en deçà des idées réformatrices quil semblait vouloir défendre en 1788, notamment lors des troubles parlementaires qui avaient suivi lassemblée des notables[6]: souveraineté du peuple et liberté parlementaire (laccès aux fonctions parlementaires étant réservée à une oligarchie foncière comme en Angleterre) ou monarchie de droit divin ? Il disait que, pour rajeunir une vieille monarchie, il suffisait de remettre en vigueur ses vieilles institutions[7]. Pourtant, lors des débats à lAssemblée constituante, les choses nétaient pas claires aux yeux de ses contemporains tant Cazalès mettait dénergie à défendre les prérogatives royales, et les « Monarchiens » - à savoir les frères Lameth et Antoine Barnave dont on aurait pu le croire proche - ont compté parmi ses plus virulents détracteurs.

Le député

Avec Jean-Jacques Duval d'Eprémesnil auprès de qui il siégea sans discontinuer sous la Constituante, il fut introduit dans le salon ultra conservateur de la duchesse de Polignac , daprès le comte dEspinchal, il fut fort bien reçu. Beau, élégant, plein desprit, rempli dune conviction ardente, enthousiaste, il subit linfluence de lentourage du comte dArtois pour devenir dès le début de la Révolution le plus chevaleresque champion de la monarchie absolue. Devant la faiblesse de Louis XVI, il réaffirma souvent quil fallait sauver la monarchie malgré le monarque. Louis Blanc et dautres ont souligné ses dispositions à lart de parler en public, rappelant quil « improvisait ses harangues que sa mémoire colorait de citations héroïques, et, ajoutait-il, quoique sa déclamation ressemblât souvent à une harmonie préparée, elle nétait en réalité que la musique naturelle aux dictions méridionales ». Ses discours excitaient ladmiration et la surprise : un principe de vie anime tous ses discours, écrit son biographe Chare, son éloquence est véhémente et désordonnée, comme les événements qui se succédaient avec tant de fracas sur la scène politique; et lon dirait que la force qui abandonnait la monarchie, sécroulant de toutes parts, passait dans lâme du plus éloquent de ses défenseurs[8]

À peine les États étaient ils rassemblés à Versailles que Cazalès, dont le masque constitutionnel tomba assez vite, sopposa à la vérification des pouvoirs, comme si son objectif était que la situation senlise, une attitude qui, mois après mois, devait se révéler une stratégie. Pour des raisons que lon ignore, dans les derniers jours de juin alors quune partie de la noblesse sétait réunie au Tiers, il quitta discrètement Versailles et sachemina vers son Languedoc natal. Il était sur le point darriver à Grenade lorsquil fut arrêté à Caussade on lui remit un ordre de lassemblée qui le rappelait. Ce mouvement dhumeur, du moins interprété comme tel, lui fut beaucoup reproché.

De retour à lAssemblée, il se fit remarquer puis critiquer pour ses discours enflammés et ses interventions habilement provocantes sur tous les sujets hautement politiques, particulièrement ce qui touchait à la réduction des pouvoirs et à limage du monarque. En certaines occasions, les affrontement dégénérèrent, en particulier avec les députés qui, les mois qui suivirent, formèrent le groupe des Feuillants quil exaspérait par ses prises de positions outrées, notamment le débat sur la place de la religion catholique le 13 avril 1790[9]. Cest à lui que Germaine de Staël pensait lorsquelle écrivait : Les opinions extrêmes fatiguent mon esprit comme une folie monotone[10]. Ce à quoi il répondait: La raison, la modération, sont le partage des pauvres gens[11].

Il sétait battu en duel au mois daoût 1789, avec le duc d'Aiguillon qui avait raillé le groupe ultra dit des « Noirs ». dont les propositions, disaient certains députés, ne pouvaient quêtre renvoyées au « comité daliénation ». Blessé, Cazalès se battit néanmoins encore lannée suivante, le 25 mai 1790 avec Charles de Lameth qui le blessa lui aussi dun coup dépée. Et à nouveau la même année, cette fois avec Antoine Barnave quil affronta au pistolet le 12 août 1790, et qui le blessa encore. Diverses fois, avec ses amis, ils furent pris à partie à la sortie de lassemblée, et une fois, notamment, ils venaient de mettre en cause lutilité de la garde nationale... grâce à laquelle ils échappèrent au lynchage.

Il fut au centre de plusieurs séances houleuses, notamment au cours du débat précédant le vote de la loi sur la résidence des fonctionnaires publics, et le premier dentre eux, Louis XVI dont il voulait faire une exception : Si vous rendez le roi justiciable, vous le rendez dépendant ; sil est dépendant, le pouvoir exécutif est asservi. Il ne voulait rien céder et employa tous les moyens directs ou indirects pour empêcher le vote de cette loi: Si par une ivresse de pouvoir qui la souvent égarée, lassemblée voulait soccuper de cette question, je lui déclare que je ne prendrai nulle part à cette délibération; je jure de lui désobéir, je jure de rester constamment fidèle au sang de Henri IV et de saint Louis[12]. Dans les semaines qui suivirent, il sopposa constamment à lempiètement du cors législatif sur le pouvoir exécutif, et il intervint bruyamment dans la discussion relative à lexercice du droit de la guerre et de la paix, à la nomination des juges, etc.

Il fut membre du club des Amis de la Constitution monarchique, le club rassemblant le plus grand nombre de représentants de la vieille noblesse qui considéraient, pour certains dentre eux, que lémigration nétait pas le meilleur moyen de défendre le trône. Mais Cazalès, surtout après lépisode de Varennes, changea ouvertement dattitude et il fut accusé à lAssemblée de lancer des appels à létranger pour rétablir lordre ancien en France.

Depuis 1789, il fréquentait le salon de Mme Duval d'Eprémesnil, née Sentuary, et il y rencontra la sœur de cette dame, Madame de Bonneuil, quil séduisit et qui sattacha à lui. Il était également très lié avec le baron Jean-Pierre de Batz qui venait chez lui pour partager de somptueux repas et des parties de whist. À lépoque il logeait quai des Théatins[13], le comte de Ferrières-Sauvebeuf, qui logeait dans le même immeuble que Cazalès, apercevait non seulement Batz mais aussi Madame de Bonneuil « encore plus aristocrate », disait-il, que Mme Duval d'Eprémesnil sa sœur, et qui fut « fouettée au Palais-Royal lorsquelle était la maîtresse de Cazalès »[14].

Premier voyage en Allemagne et à Londres

Lorsquon décida que les membres de la législature ne pourraient pas être réélus à la suivante, il en conçut un grand dépit et émigra à Coblence autour du 9 juillet 1791, avant lachèvement des travaux de lAssemblée. Daprès une note de Félix Le Peletier, il fut reçu « avec froideur et mépris à Coblence, parce qu'il avait reconnu à la tribune le principe éternel et incontournable de la souveraineté du peuple »[15]. Il y croisa le fils de Edmund Burke avec lequel il se rendit en septembre 1791 à Londres[16]. Il rencontra pour la première fois Edmund Burke le père quil connaissait de réputation et qui linvita à Beaconsfield. La sympathie fut réciproque et leur amitié fut durable. Comme Edmund Burke, Cazalès soutenait que le système anglais était le meilleur qui fut et que le gouvernement français devrait se doter dune chambre haute et dune chambre des Communes[17]. Grâce à son ami, il rencontra William Pitt et quelques ministres dont le duc de Portland. Edmund Burke joua un rôle très important dans sa vie, en lui donnant la possibilité dêtre entendu, sans intermédiaires, par les membres du gouvernement britannique ce qui lui donna une sorte dinfluence au sein de lémigration.

A la mi mars, Cazalès revint à Paris pour éviter les effets de la nouvelle loi sur les biens démigrés. Bertrand Barère de Vieuzac dans Les Hommes de mon temps insinue quil fit partie du comité autrichien fondé par le comte de La Marck, Clermont-Gallerande et Mercy-Argenteau. Roques de Montgaillard affirme aussi quon lui aurait fait des propositions pécuniaires par la voie de Lorimier de Chamilly ou de Arnault de Laporte, chargé de la distribution des fonds de la Liste civile[18]. Il nest pas douteux que Cazalès, tout le temps quil fut à Paris, après la déclaration de guerre avec la Prusse et lAutriche, coopéra avec Jean-Jacques Duval d'Eprémesnil et dautres comme Malouet et Mallet du Pan, aux entreprises aléatoires des conseillers secrets de Louis XVI qui doublaient la diplomatie officielle ou pratiquaient lembauchage.

Départ en émigration

En juillet 1792, il partit définitivement en émigration par la Suisse, vraisemblablement Lausanne Madame de Bonneuil laccompagna sous le prétexte dy aller « prendre les eaux ». Il rencontra le baron de Breteuil puis il retourna en Angleterre il vécut plusieurs mois chez Edmund Burke à Beaconsfield. A South-Wold, le 30 novembre 1792, il écrivit à Louis XVI, au président de la Convention et maire de Paris pour quil puisse participer à Paris à la défense de Louis XVI[19].

Après la mort de Louis XVI et lentrée en guerre de lAngleterre, des Pays-Bas et de lEspagne, la Vendée et la ville de Lyon se soulevèrent, et le port de Toulon tomba aux mains des Anglais. Cazalès fut, à la demande de Burke, chargé par le gouvernement anglais de se rendre à Toulon avec sir Gilbert Elliott, mais il ne put exercer ses fonctions de commissaire-adjoint, les troupes françaises ayant repris la ville. À cette occasion, des déclarations officielles des Anglais avaient fait prendre en compte que la participation des anglais au rétablissement de la monarchie en France se ferait sous condition, cest-à-dire des compensations territoriales importantes. Dans ses correspondances avec le président de Vézet, Cazalès assurait que « Pitt que voulait bien aider au rétablissement de la monarchie en France et que la forme de cette monarchie lui importait peu pourvu que lAngleterre pût traiter avec elle ».[20]

Il se rendit en Italie et notamment à Vérone il vint se mettre à la disposition du Prétendant ex-comte de Provence et futur Louis XVIII. Il existait déjà à ce moment une rivalité entre les ex-comtes de Provence et dArtois, ce dernier, Lieutenant général du « royaume », dit « Monsieur » depuis le 21 janvier 1793, cherchant à rallier à lui les agents français émigrés payés par lAngleterre. Il avait donc ses propres agents inconnus ou rivaux de ceux de son frère. Le prince de Condé, leur cousin, avait les siens propres, et William Wickam, le nouveau coordonnateur de lespionnage britannique en Europe avait lui aussi les siens qui bénéficiaient de subsides importants pour alimenter le trouble dans les provinces de la République, notamment en Vendée et dans le Midi. Entre ces différents leviers, Cazalès na jamais pris un parti tranché. En 1795, on le vit passer successivement à Trente, Venise, Ferrare, Bologne et Pise. Bientôt, il éprouva des embarras financiers et il dut solliciter lappui de Edmund Burke qui lui promit de lui faire obtenir des subsides de son gouvernement s'il voulait bien revenir en revenir en Angleterre.

Cet émigré, écrit Roques de Montgaillard, paraît irréconciliablement brouillé avec le système républicain. Il est très bien vu du Prétendant et très mal, par conséquent, du ci-devant prince de Condé qui ne pardonne pas ce quil appelle les principes monarchiens. M. William Pitt fait cas de léloquence de M. Cazalès, mais ce ministre paraît en faire peu de ses moyens politiques. M. Windham, ministre de la guerre, dont lopinion est si prononcée quon ne lappelle que le « Vendéen » a, dit-on, la plus haute estime pour M. Cazalès, et cest vraisemblablement M. Burke dont Cazalès était lami intime, qui lui a inspiré ce sentiment en faveur de cet émigré. Il a une pension de 200 guinées du gouvernement anglais.

M. Cazalès possède souverainement lesprit dintrigue. Si on se permet cette assertion sur son compte, cest parce que des preuves positives la fondent. Il aime largent et fait rarement des courses sans en retirer un certain profit. Son caractère bizarre et lexcessive inégalité de son humeur le rendent peu propre à des négociations dune certaine importance; mais il se transporte dun bout à lautre de lEurope à lautre, avec une facilité dont sa grosse corpulence ne paraissait pas devoir le rendre susceptible.[21]

On lui offrit une place de commissaire des établissements anglais à Saint-Domingue aux Antilles quil semble avoir accepté un temps mais, pas « assez vite », il fit savoir quil navait pas voulu se mettre davantage dans la dépendance du gouvernement britannique[22]. En avril 1796, il était à Penn Edmund Burke venait de fonder une école pour les jeunes orphelins des gentilshommes guillotinés pendant la Terreur ou tués sur les champs de bataille en Allemagne, en Vendée, à Quiberon, etc. on dit quil fut attaché à cette école en tant quinstructeur militaire dès sa fondation. Il y rencontra alors sa future épouse, la baronne de Roquefeuil, veuve de son cousin Charles de Roquefeuil, fusillé à Auray après laffaire de Quiberon, qui y enseignait. Mais son séjour à Penn dut être de très courte durée car il fut chargé dune mission secrète en Espagne les Républicains négociaient avec Manuel Godoy les articles secrets de la paix franco-espagnole.

Missions en Espagne et en Suisse

Il se mit en route dans le courant du mois de novembre ou décembre 1796, et il était arrivé « secrètement » à Madrid se trouvait déjà Madame de Bonneuil, son amie, qui sétait attaché les bonnes grâces de lambassadeur républicain Catherine-Dominique de Pérignon. Elle sétait fait connaître sous le nom de « Riflon » tel quil était inscrit sur son (faux) passeport, mais le duc de Croy dHavré, représentant local du Prétendant, savait quelle nétait pas ici sous son véritable nom et quil était essentiel pour elle, que son identité ne fût pas divulguée[23]. Elle lui communiqua des nouvelles importantes, lui racontant avoir gagné la confiance de lambassadeur de la République en Espagne, Catherine Dominique de Pérignon à qui elle cherchait à soutirer des informations sur le cours des négociations dont il était chargé avec Manuel Godoy, négociations importantes concernant la garantie, par la République, des possessions espagnoles en Italie du nord, contre une cession de la Louisiane et de la Floride aux Français. Cest elle apparemment qui entraîna alors Pérignon à participer, début janvier 1797, à un dîner dambassade donné « en lhonneur de Cazalès » par le prince Masserano, en présence, notamment, du banquier Cabarrus, père de Theresa Tallien et du neveu de celui-ci, Galabert. Or Cazalès et Pérignon, tous les deux issus de Grenade-sur-Garonne se connaissaient. En se rendant à cette invitation, Pérignon se mettait dans la situation de subir des pressions de la part des royalistes. Or laffaire du dîner fut ultérieurement ébruitée[24] et révélée plus tard, en avril suivant, dans le journal Le Messager du Soir. Fort embarrassé, Pérignon eut à répondre de ce fait auprès de Delacroix. Il expliqua tant bien que mal son imprudence en admettant avoir été trompé par la prétendue « Mme Riflon » qui, de son côté, nia les faits.

Dans une lettre du 7 pluviôse an V (fin janvier 1797) à Charles Delacroix, ministre des affaires étrangères, Champigny-Aubin, membre de la légation française, qui suspectait Pérignon, avait cru bon signaler la présence de Cazalès à Madrid: « Il est arrivé de Londres avec cinq ou six autres émigrés[25] et ont été présentés à « des personnages importants »: « De concert avec tous les autres émigrés et les partisans de lAngleterre, ajoute-t-il, ils se disposent à ourdir secrètement des trames contre la République ». On savait quil logeait rue Hortalesa et quil avait retiré une somme très importante évaluée à 8000 livres sterling sur la banque irlandaise Jayes et fils[26]. Il toucha en outre 3500 louis chez diverses personnes par lintermédiaire de la banque Saint-Charles que dirige Cabarrus[27]. Le citoyen J.-G. Labène lui fait écho, et ajoutait le 10 pluviôse an V que « la Riflon, qui a vécu dans une intime familiarité avec lambassadeur Pérignon et les adjudants, avait des conférences secrètes avec le duc de Croy d'Havré à qui elle dévoilait tous les secrets de la légation ». Quant à Madame de Bonneuil à qui Pérignon reprochait ses relations avec un « émigré marquant » (Jacques Antoine Marie de Cazalès), elle avait quitté Madrid dans les derniers jours de janvier pour un voyage à Paris qui était certainement à mettre en relation avec les fonds retirés par Cazalès et les préparatifs du complot royaliste visant à renverser le Directoire. Ce complot, dont apparemment une partie du financement avec des fonds anglais, relayé par Cabarrus qui disposait de relais commerciaux à Paris, allait être balayé par la contre-réaction du 18 fructidor an V.

À la fin de lhiver, Cazalès entreprit un voyage dans différents coins de lEspagne, visita les jardins dAranjuez et se rendit dans le sud à Cadix pour favoriser, croit-on, les projets hostiles des Anglais[28]. Il atteignit Séville quil visita puis remonta à Madrid. En juillet il quitta lEspagne par le Portugal, probablement en compagnie de Michelle de Bonneuil dont il se sépara à Londres pour éviter les indiscrétions.

Il poursuivit sa route vers lAllemagne et obtint, en octobre, un entretien particulier avec le Prétendant à Frauenfeld. Celui-ci le chargea de nouvelles missions, malgré les avis défavorables du comte dAvaray, favori en titre, qui filtrant les communications du Prétendant, mettait en cause ses qualités de négociateur[29]. Parti à la rencontre du Président de Vezet, Cazalès lui remit quatre notes signée du Prétendant: la première portait sur la nécessité dengager les évêques à envoyer des missionnaires en France; une note sur lapostolat de la royauté; une autre sur la nécessité dunion de tous les partis royalistes de France (se référant aux promesses faites à Mounier sur le « pardon des crimes et le maintien des libertés politiques »); une quatrième note sur une déclaration à faire aux députés sortis de France après le 18 fructidor, déclaration publique contre le maintien du gouvernement républicain propre à perpétuer les malheurs, et reconnaissance de Louis XVIII pour leur roi.[30]

Cazalès discuta également avec M. de Vezet dorganiser le financement de la nouvelle agence royaliste dite « de Souabe » destinée à la correspondance avec les « agents de lintérieur »[31]. Autour du président de Vezet, des responsabilités importantes furent confiées au sieur dAndré, ancien constituant, à labbé André de La Marre, au comte de Précy.

Puis il se rendit en Suisse à la rencontre des exilés du 18 fructidor an V stationnés à Neuchâtel. Les correspondances signalent son passage dans les villes de Nyon, Constance, Zurich, Berne puis Lausanne. Les propositions de ralliement aux intérêts dune restauration des Bourbons furent acceptées par certains anciens députés comme Quatremère de Quincy et Royer-Collard, et repoussées par dautres comme Lazare Carnot.

Cazalès retourna à Blankenberg en janvier 1798 pour rendre compte de sa mission[32] et le Prétendant lui demanda de remplacer à Londres son correspondant local, le sieur Dutheil. Il y retrouva Mme de Bonneuil qui lui rendit compte des mauvais procédés de dAvaray envers elle. Dans quelques unes de ses lettres, Cazalès se plaignit de lobstruction de la garde rapprochée du Prétendant, notamment dAvaray, et il songea dès lors à préparer les conditions de son retour en France sans que cela parût être une trahison[33].

Pendant lhiver 1798-1799, il mena une existence mondaine et aperçue, à Londres, en compagnie de Michelle de Bonneuil qui faisait les honneurs de sa maison située au 6, High Street-Mary-le-Bone. Le duc de Bourbon et de nombreux émigrés furent reçus par eux[34].

Le 26 août 1799, Cazalès composa à lattention du Prétendant un mémoire en suite duquel il obtint la croix de Saint-Louis pour services rendus. Puis il commença à sentretenir avec le comte de Saint-Priest et ceux en qui il avait confiance, de son désir de rentrer en France pour la bonne cause. Le Prétendant ne sy montra pas défavorable et lui demanda pour la forme de lui faire un rapport « sur létat de la France » : Si qui que ce soit au monde, disait-il, trouve mauvais que jemploye M. de Cazalès, quil ose indiquer mieux ».[35]. Daprès dépêches adressées à M. de Sérent, Cazalès semblait très informé de lévolution de la situation en Russie et il fut lun des premiers à savoir que le futur Louis XVIII avait été chassé des territoires du tsar et avait trouver refuge avec sa suite en Suède.

Le retour en France

Pendant ce temps à Paris, la famille et les amis de Mme de Bonneuil - Michel Regnaud de Saint-Jean d'Angély, Antoine-Vincent Arnault, Charles Maurice de Talleyrand, Jean-Frédéric Pérrégaux - qui avaient activement participé aux événements décisifs du 18 brumaire an VIII, exposèrent à Bonaparte lintérêt quil y aurait à laisser rentrer en France certaines personnalités comme Cazalès ou Montlosier. Mme de Bonneuil qui avait été envoyée par Talleyrand en mission à la cour de Paul Ier de Russie, détermina sans doute la radiation de Cazalès, sans que celle-ci soit conditionnée pour lui à un ralliement au régime consulaire. À son retour Cazalès fut dabord accueilli à Eaubonne, dans la propriété des Regnaud de Saint-Jean dAngély[36]. Un certain nombre de rapports de police le concernant montrent quil avait été placé sous surveillance. Bonaparte qui ne méconnaissait pas la réputation flatteuse de Cazalès voulut, paraît-il, le séduire et lui offrit un siège de sénateur. Lancien Constituant refusa. Il avait, semble-t-il, maintenu des contacts avec lémigration, par lintermédiaire de labbé André de La Marre, et, ne sachant ce que serait lavenir, il avait conservé sa maison de Londres. En 1802, à lannonce du Consulat à vie, il se savait toujours étroitement surveillé, particulièrement depuis le départ de Fouché[37] aussi décida-t-il de séloigner de Paris.

Il épousa sur le tard Mme de Roquefeuil (maison de Roquefeuil-Blanquefort), qui était veuve de son cousin le capitaine de vaisseau de ce nom fusillé près de Quiberon, et il se retira avec elle dans le Gers, à Engalin, non loin de Mauvezin, deux ans plus tard, il mourut dapoplexie (une crise de « goutte remontée »), le 29 novembre 1805 (3 brumaire an XIV). Sa femme venait de lui laisser un héritier, le futur abbé Edmond de Cazalès[38].

On dit que vers 1824 la duchesse dAngoulême serait venue se recueillir sur sa tombe.

Notes

  1. « La Jeunesse de Cazalès », Revue de lAcadémie du Tarn et Garonne, 1983.
  2. Saint-Jacques de Montauban, le 10 juin 1755
  3. Dont Marie-Louise, qui épousa M. de Castelbajac, et une autre sœur qui épousa M. Finot
  4. En 1779, il était capitaine « à la suite » dans le Régiment des dragons de Jarnac, en 1786 il était capitaine en second de la compagnie du chevalier de Lescure; en mai 1788, il acquit le commandement de la première compagnie du troisième escadron des chasseurs à cheval de Flandres. Voir J. de Saint Victor, Bulletin de lAcadémie du Tarn et Garonne, 1985, p. 82.
  5. Nougarède de Fayet, dans le règne de Louis XVI, p. 141, donne la même information
  6. . Il avait ouvertement pris la défense de lavocat général frondeur de Catellan emprisonné au château de Lourde, et lui même fut prié de rejoindre son régiment en Alsace
  7. Chare, Discours et opinions de Cazalès, Paris, 1821, p.12
  8. Chare, op. cit., p.19
  9. S. Lacroix, Actes de la Commune, V, p.40; Courrier de Gorsas, n°17, le 22 avril 1790
  10. Baron Malouet, Mémoires, p.110
  11. Malouet, op. cit. p.517
  12. Chare, op. cit. p. 21.
  13. Chez Mme dAsnières née Richetot des Granges, veuve en premières noces du marquis dAsnières et épouse ensuite du marquis de Ferrières-Sauvebeuf
  14. AN, F/7/4608 (rapports de Ferrières-Sauvebebeuf au Comité de sûreté générale
  15. BHVP, Ms.881, f°332
  16. Correspondance de Burke pour mai 1792, octobre-décembre 1793, mars et juin 1794, etc
  17. Comte de Montlosier, Mémoires,II, p.263
  18. Offre de 100 000 francs daprès Montgaillard, Souvenirs, p.156
  19. Chare, op.cit.pp.34-35: lettres adressées le 30 novembre 1792 au roi, au président de la Convention et au maire de Paris
  20. Marquis Dugon, le Président de Vezet, Paris, 1968
  21. AN, AFIII/70, dos.286 (extrait dun travail de Roques de Montgaillard transmis au directoire par Champigny-Aubin, brumaire-nivôse an VII
  22. Le poste fut, daprès le biographe Chare, confié à M. de Bruges qui en retira 100 000 livres sterling en deux ans
  23. Dans ses correspondances au futur Louis XVIII, dHavré lappelait communément, « linconnue »: Linconnue, écrivait-il, nest pas ici sous son véritable nom, mais Sa Majesté voyant sa figure, naurait aucun doute sur son attachement à la famille des Bourbons
  24. Par lindiscrétion de Melle Poyane, une domestique de Mme de Bonneuil, que Labène, secrétaire dambassade, avait menacée
  25. Dont le comte de Barbotan de Saint-Server
  26. Environ 200 000 livres en monnaie républicaine. A.E., Correspondance politique avec lEspagne, Dépêche de Dhermand, vol.646, f°16
  27. AE, dépêche de Labène, vol 645, f°300
  28. « Le citoyen Roquesante informe le gouvernement de Cadix de larrivée de Cazalès le jour lescadre anglaise a paru dans les parages »
  29. Dugon, op. cit., p.125; voir aussi Saint-Priest, Mémoires, p.168: « Le comte dAvaray (...) ne sest jamais proposé quun but, celui de savancer dans les charges, dans la faveur de la cour, en un mot devenir un seigneur »
  30. Dugon (marquis), Au service du roi en exil. Le président de Vézet,Paris,1968, p.125
  31. Lagence de Paris de Brottier, Duverne de Presle et La Villeheurnois avait été démantelée un an plus tôt, et beaucoup des clubs (ou « instituts » ) royalistes infiltrés et leurs membres arrêtés à la veille du 18 fructidor an V
  32. Au début de février 1798 le Prétendant fut contraint par le duc de Brunswick de quitter Blankenberg et il trouva refuge en Russie, à Mittau
  33. Après le duc de La Vauguyon et Cazalès, le comte de Saint-Priest avait lui aussi été évincé par dAvaray : Je ne pus mempêcher de dire à Sa Majesté quil métait impossible de servir sous dAvaray. Je ne fis assurément pas ma cour par ma déclaration, mais du moins, je me respectai moi-même...Je prenais quelquefois la liberté de faire des observations aux « monarques du roi », ou plutôt au comte dAvaray, mais elles étaient rarement adoptées. Je dis avec douleur quil ny avait plus rien à faire, je résolus de quitter Mittau Comte de Saint-Priest, op. cit., p.187
  34. Montlosier, Souvenirs dun émigré, Paris, 1951, p. 282-3.
  35. Correspondance de labbé André de La Marre, AN, 444API, p. 82.
  36. Sur la radiation, voir AN, F/7/5618 et F/7/6253, dos.5053 (pluviôse-prairial an IX)
  37. Fouché fut remplacé un an par la grand juge Régnier qui ne brilla pas, dit-on, par son efficacité
  38. à Grenade-sur-Garonne, rue Notre-Dame, le 31 août 1804, page à la cour de Louis XVIII, Edmond de Cazalès abandonna la carrière militaire pour faire du droit, fut nommé juge-auditeur à Provins et co-fondit le Correspondant, périodique bihebdomadaire « pour la défense de la religion catholique ». voir la notice de Pierre Gayne publiée dans le Bulletin de la société archéologique du tarn et garonne, 1970-71, pp.816104

Bibliographie

  • D'André de Raynouard, Éloge de Cazalès, Paris, 1820.
  • Alphonse Aulard, Les Orateurs de l'Assemblée Constituante, Paris, 1882, pp.263-322.
  • Olivier Blanc, Madame de Bonneuil (1748-1829), préface de Jacques Godechot, Paris, Laffont, 1987.
  • Chare, Discours et opinions de Cazalès, Paris, 1821.
  • Jacques-Antoine Dulaure, Liste des noms des ci-devant nobles, n°18, p. 68-72.
  • D'Enrouzet, « Cazalès », Les Contemporains, Paris, sd.
  • Jacques Godechot, La Contre-révolution, Doctrine et Action, PUF, 1984, p. 28-32.
  • Paganel, Essais sur la Révolution, 1810, I.
  • Jacques de Saint-Victor, « Jacques de Cazalès, député de la noblesse de Rivière-Verdun aux États-généraux et la pré-révolution », Bulletin de la Société archéologique du Tarn et Garonne, 1985, tome CX, pp.75-86.
  • Mémoires et/ou correspondance de Burke, Grenville, Montlosier, Malouet, Précy, Lamare (AN), Sérent (AN), Vézet, Soyer-Dutheil (AN), Saint-Priest, Ferrières, Weber, Lévis, Campan.
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