Histoire de l'Italie pendant la Première Guerre mondiale

Histoire de l'Italie pendant la Première Guerre mondiale

Lorsque la Première Guerre mondiale éclate en 1914, l'Italie qui jusque là était alliée de la Triplice (Autriche-Hongrie, Allemagne, Italie) décide de rester neutre avant de s'engager auprès de la Triple-Entente (France, Russie, Royaume-Uni) qui lui consent de nombreuses concessions territoriales en cas de victoire. Les opérations italiennes resteront limitées à un front qui les oppose, la plus grande partie de la guerre, à l'Autriche-Hongrie. De 1915 à 1917 l'armée italienne, mal équipée et mal commandée, arrive néanmoins à pénétrer de quelques kilomètres en territoire ennemi, les Autrichiens restent en général sur la défensive. Cependant à l'automne 1917 les Italiens subissent une cuisante défaite à Caporetto avant d'obtenir la victoire à Vittorio Veneto en novembre 1918 qui amène l'empire austro-hongrois à demander l'armistice qui met fin au conflit.

Sommaire

Prélude: la négociation du pacte de Londres

Dans les années qui précèdent la guerre, le Royaume d'Italie intensifie ses rapports avec la France et le Royaume-Uni, bien qu'elle soit membre de la Triple Alliance, un traité défensif qui la lie à l'Allemagne et à l'Autriche-Hongrie. Rome est en effet conscient de ne pouvoir obtenir le soutien de l'Autriche pour l'expansion de son territoire vers le Trentin-Haut-Adige, Trieste, Istrie et la Dalmatie, les terres irredente.

Peu de jours avant la déclaration de la guerre de l'Allemagne, le 3 août 1914, le gouvernement conservateur d'Antonio Salandra déclare que l'Italie ne prendrait pas part au conflit, puisque le caractère défensif de la Triple Alliance ne l'y oblige pas. Les interventions diplomatiques du pape Benoit XV et des prélats du Saint-Siège, craignant une guerre catastrophique entre deux nations catholiques que sont l'Italie et l'Autriche-Hongrie, ne sont probablement pas non plus étrangères à cette décision.

Le 26 avril 1915, au terme d'une longue négociation, le ministre des Affaires étrangères Sidney Sonnino signe le pacte de Londres (sans l'approbation du parlement) avec la Triple-Entente (France, Royaume-Uni, Russie). Celui-ci promet à l'Italie, en cas de victoire, Trente et le territoire jusqu'au Brennero, les villes de Gorizia, Trieste et Gradisca d'Isonzo, l'Istrie (à l'exclusion de Fiume) jusqu'à la baie de Kvarner et une partie de la Dalmatie. A ceci s'ajoute les accords sur la souveraineté sur le port albanais de Vlora, la province de Adalia en Turquie, et une partie des colonies allemandes en Afrique.

La campagne des « interventionnistes »

Le 3 mai, l'Italie se désengage de la Triple alliance et dans les jours qui suivent, Giovanni Giolitti et le parlement essaient de sauver l'Italie du conflit, pendant que les nationalistes manifestent pour l'entrée en guerre de l'Italie. L'Italie se divise alors entre « interventionnistes », partisans de l'entrée en guerre et largement minoritaires[1], et « neutralistes ». Une partie de la gauche se rallie à l'interventionnisme, composant les « interventionnistes de gauche », qui mettent en avant le caractère monarchique des puissances de la Triple Alliance et l'aspect démocratique des puissances de l'Entente.

Le camp interventionniste regroupe les nationalistes de Enrico Corradini et de L'Idea nazionale, soutenus par certains milieux industriels[1], quelques syndicalistes révolutionnaires (Alceste De Ambris, Filippo Corridoni), qui bénéficient d'une audience restreinte[1], ou encore des « renégats du socialisme comme Mussolini » [1], qui est exclu du Parti socialiste italien (PSI). Ayant participé à l'insurrection de juin 1914 (la « Semaine Rouge »), en Émilie et Romagne, contre la guerre, Mussolini est en effet brutalement passé des neutralistes aux interventionnistes, en publiant dans l' Avanti!, le 18 octobre 1914, un article intitulé « De la neutralité absolue à la neutralité active et opérante », ce qui lui vaut d'être écarté deux jours plus tard de la direction de l'organe de presse du Parti socialiste italien (PSI), puis d'être exclu du parti le 24 novembre[2].

Dès 1914, certains interventionnistes se regroupent autour du manifeste des Faisceaux d'action internationaliste, signé par Michele Bianchi, qui participera au quadriumvirat de la Marche sur Rome, Angelo Olivetti, ou encore Filippo Corridoni, qui rejoindra plus tard les Arditi del Popolo anti-fascistes.

Le 11 décembre 1914, les Faisceaux d'action internationaliste fusionnent avec les Fasci autonomi d'azione rivoluzionaria (Faisceaux autonomes d'action révolutionnaire), fondés par Mussolini, qui participe à la campagne interventionniste pour l'entrée en guerre de l'Italie. Mais le véritable coup d'envoi de la campagne interventionniste est lancé par le poète Gabriele D'Annunzio, lors de son discours du 5 mai 1915 au Quarto, près de Gênes[1].

L’Italie entre en guerre

Le 23 mai 1915, après avoir négocié le Pacte de Londres, l'Italie entre en guerre aux côtés de la Triple-Entente, décision lourde de conséquences, prise par trois hommes: le roi d'Italie, Victor-Emmanuel III, le président du Conseil, Antonio Salandra, et le ministre des Affaires étrangères, Sidney Sonnino[1].

Après la défaite de Caporetto, à l'automne 1917, une intense activité nationaliste mobilise l'Italie. Caporetto signe la démission de Luigi Cadorna, le chef de l'état-major italien.

Cadorna est remplacé par le général Armando Diaz qui réorganise l'armée et installe des lignes de défense tout au long du Piave. Au printemps 1918 les Italiens remportent la victoire lors de la bataille du Piave et arrêtent la progression des Autrichiens.

La bataille de Vittorio Veneto, en octobre 1918, précipite la défaite et l'éclatement de l'Autriche-Hongrie, qui signe sa reddition le 4 novembre 1918.

Le jour suivant, alors que le général Armando Diaz annonce la victoire, Rovinj, Porec, Zadar, Lissa et Rijeka sont occupées bien que cette dernière n'ait pas été prévue parmi les territoires devant être occupés conformément aux clauses de l'armistice. L'armée italienne tente de forcer le traité de Londres en essayant d'occuper Ljubljana mais elle est arrêtée peu après Postojna par les troupes serbes. Les cinq unités de la marine entrent dans Pola. Le jour suivant, d'autres bâtiments sont envoyés à Šibenik, qui devient le siège du gouvernement militaire de la Dalmatie.

Conséquences du conflit : la « victoire mutilée »

La guerre coûte beaucoup à l'Italie: elle mobilise 5 615 000 hommes, perd 650 000 hommes, 947 000 blessés et 600 000 disparus ou prisonniers.

Sur le plan économique, les caisses de l'État sont presque vides, la lire a perdu une grande partie de sa valeur et le coût de la vie a augmenté de 450 %. Les matières premières manquent et l'industrie ne réussit pas à transformer la production de guerre en production de paix pour absorber l'abondante main-d'œuvre qui a augmenté en raison du retour des soldats du front. La gigantesque dépense engagée par l'État pour financer la guerre constitue une dette soldée seulement dans les années 1970.

Dans une telle situation, aucune classe sociale n'est satisfaite et une profonde peur d'une possible révolution communiste (à l'exemple de la Russie) s'insinue dans la classe bourgeoise. L'extrême fragilité socio-économique conduit souvent à des désordres réprimés par des méthodes sanguinaires (biennio rosso). La crise économique aidant, provoquée dès 1919 par le problème de la reconversion d'une économie de guerre, puis aggravée par la crise économique mondiale de 1920-1921, les mouvements sociaux se multiplient.

Dès juillet 1919, les occupations de terre démarrent dans le Latium, pour s'étendre au Midi et à la vallée du Pô[3]. Celles-ci sont légalisées, au coup par coup et a posteriori, par le décret Visocchi du 2 septembre 1919[3]. Le mouvement s'atténue en 1920 et disparaît en 1921[3].

Sur le plan syndical, l' Unione Italiana del Lavoro (UIL), fondée en juin 1918 par Edmondo Rossoni, regroupe les « interventionnistes de gauche » exclus de l' Unione Sindacale Italiana (USI), d'inspiration anarcho-syndicaliste.

La Conférence de Versailles

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la situation interne est précaire: le traité de Versailles n'a pas donné les bénéfices escomptés à l'État italien. Le président américain Woodrow Wilson, qui a affirmé le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes lors de la Déclaration des Quatorze Points, ne se sent en effet pas lié par les promesses faites par Londres et Paris, qui s'apparentent à la vieille diplomatie des cabinets des princes.

Dès lors, Rome doit revoir ses prétentions à la baisse. Elle obtient le Sud-Tyrol ainsi qu'une partie de l'Istrie, sans Fiume, ainsi que Trieste et le Trentin-Haut-Adige, territoires à majorité italophone. La Dalmatie est annexée au nouveau royaume de Yougoslavie composé des Serbes, des Croates et des Solvènes, à l'exception de Zara (aujourd'hui Zadar en Croatie) en raison de sa majorité italienne, et de l'île de Lastovo (it. Lagosta) qui avec trois autres îles sont annexées à l'Italie. L'Albanie promise par les Alliés devient indépendante.

Les nationalistes parlent alors de « victoire mutilée », et font de l'agitation pour mettre la pression sur le gouvernement. En décembre 1918, Leonida Bissolati, qui revendique une application stricte du principe des nationalités énoncé dans les quatorze points de Wilson, ce qui conduirait Rome à renoncer à la Dalmatie, au protectorat sur l'Albanie et à l'annexion du Dodécanèse et du Haut-Adige, démissionne[4]. Le ministre Nitti démissionne à son tour, laissant le président du Conseil Orlando seul face au ministre des Affaires étrangères Sonnino et aux nationalistes[4].

Les nationalistes sont dispersés: d'un côté les disciples d'Enrico Corradini, regroupés autour de l'Association nationaliste italienne et de l' Idea nazionale; de l'autre ceux de Papini et de Prezzolini; enfin les futuristes (Mario Carli, Marinetti, Giuseppe Bottai, etc.) [4]. En janvier 1919, Mario Carli fonde la première association d' arditi d'Italie, composée d'anciens des troupes de choc de l'armée italienne[5].

En septembre 1919, Gabriele D'Annunzio incite les régiments de l'armée italienne à se mutiner et à le suivre à Fiume (aujourd'hui Rijeka; en Croatie). Occupé par les Italiens, les Français, les Britanniques et les Américains depuis novembre 1918, Fiume est à l'époque majoritairement italophone, mais ses faubourgs et son arrière-pays sont slovène[5]. Le président des États-Unis, Woodrow Wilson, rejette les demandes d'annexion du gouvernement italien, représenté par le président du Conseil Orlando, et propose de lui accorder un statut de « ville libre » [5].

Manu militare, il installe une gouvernement révolutionnaire, accompagné de futuristes et avec la complicité de certains milieux militaires, avec l'objectif d'affirmer l'italianité de la commune de Carnaro. Cette action est un exemple pour le mouvement fasciste qui sympathise immédiatement avec le poète et copiera notamment l'uniforme des arditis, futures chemises noires. Néanmoins, Mussolini, qui voit en D'Annunzio un concurrent, ne le soutient que du bout des lèvres.

Cependant cette intervention échoue car la pression internationale entraîne l'intervention de l'armée régulière italienne (Noël sanglant de 1920 : 54 morts dont 22 rebelles).

Après la signature du Traité de Rapallo de novembre 1920, D'Annunzio est expulsé de Fiume.

Notes et références

  1. a, b, c, d, e et f Pierre Milza et Serge Berstein, Le fascisme italien, 1919-1945, Le Seuil, 1980, pp.33-34
  2. Milza et Berstein, 1980, p.93
  3. a, b et c Pierre Milza et Serge Berstein, op.cit., p.66-67
  4. a, b et c Pierre Milza et Serge Berstein, Le fascisme italien, 1919-1945, Le Seuil, 1980, p.40-41
  5. a, b et c Pierre Milza et Serge Berstein, Le fascisme italien, 1919-1945, Le Seuil, 1980, p.43-44

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