- Abû-Ali Ibn Sîna
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Avicenne
Avicenne (nom latinisé) Philosophe persan
Moyen ÂgeNaissance : 7 août 980 (Boukhara, actuel Ouzbékistan) Décès : août 1037 (Hamadan, Iran) École/tradition : Péripatétisme, Philosophie islamique, Avicennisme Principaux intérêts : Métaphysique, Théologie, Médecine, Sciences, Religion, Alchimie Idées remarquables : Illumination, Angélologie Œuvres principales : Métaphysique Influencé par : Aristote, Alexandre d'Aphrodise, Néoplatonisme, Al-Farabi A influencé : Ibn Tufayl, Averroès, Sohrawardi, Thomas d'Aquin, Duns Scot, Maître Eckhart Abū ‘Alī al-Husayn ibn ‘Abd Allāh ibn Sīnā (en persan : ابو علی الحسين بن عبد الله بن سينا), connu sous le nom de Ibn Sīnā ou Avicenne (forme latinisée), était un philosophe, un écrivain, un médecin et un scientifique musulman chiite d'origine persane. Il s'intéressa à de nombreuses sciences, notamment l'astronomie, l'alchimie, la chimie et la psychologie. Il naquit le 7 août 980 (soit le premier du mois de Safar de l'an 370 de l'Hégire) à Afshéna, près de Boukhara faisant partie de la province de Khorasan en Perse, actuellement en Ouzbékistan, et mourut à Hamadan, en Iran, en août 1037 (le premier vendredi du mois de Ramadan 428 de l'Hégire).
Ses disciples l'appelaient Cheikh el-Raïs, prince des savants, le plus grand des médecins, le Maître par excellence, le troisième Maître (après Aristote et Al-Farabi).
Sommaire
Contexte historique
Aux premiers siècles de l'hégire (VIIe et VIIIe siècle), les intellectuels orientaux traduisent, compilent et commentent les écrits des antiques, grecs surtout. Une compétition commence entre la culture arabe et la culture persane. De 750 à 850, période des califes Abbassides, la science dite "arabo-musulmane" atteint son sommet. Les souverains payaient, parfois son poids en or, tout livre récemment traduit, et c'est ainsi que, dès le IXe siècle, une majeure partie des écrits de la Grèce était disponible en langue arabe. Le philosophe al-Farabi (mort en 950), le second maître (en référence au premier maître, Aristote), tient une place prépondérante dans cette dynamique.
Les textes et traditions des dogmes islamiques se fixèrent à cette époque :
- le sunnisme, avec al-Ash‘ari (935)
- le chiisme duodécimain, avec Shaykh Saduq Ibn Babuyeh (991) et Shaykh Mufid (1022)
- l'ismaélisme, ou chiisme ismaélien, branche du chiisme, en langue arabe et en langue persane.
En Occident latin, c'est le Moyen Âge, entre l'effondrement de l'Empire romain (476, invasion des Hérules) et la Renaissance (1453, la chute de Constantinople).
Biographie
Avicenne, de son nom complet Abu 'Ali al-Husayn Ibn Abd Allah Ibn Sina, est né au mois d’août 980 à Khormeytan (ou Afshéna, le "pays du soleil"), près de Boukhara, à l'est de la Perse (Transoxiane, l'actuel Ouzbékistan). Son père était musulman chiite ismaélien. Avicenne se serait plus tard converti au chiisme duodécimain[1]. Il semble qu'il fut précoce dans son intérêt pour les sciences naturelles et la médecine, qu'à 14 ans, il étudie seul. Avicenne fut envoyé durant sa petite enfance étudier le calcul chez un marchand, al-Natili. Ayant une bonne mémoire, le jeune garçon finit par surpasser son maître en calcul et en mathématiques. Il retient de mémoire l'intégralité du Coran. Il étudia à Boukhara, s'intéressant à toutes les sciences, et surtout à la médecine. Il est influencé par un traité d'al-Farabi, qui lui permet de surmonter les difficultés qu'il rencontre dans l'étude de la Métaphysique d’Aristote. Cette précocité dans les études se double d'une précocité dans la carrière : à 16 ans déjà, il dirigeait des médecins célèbres.
Tout alors s'enchaîne : ayant guéri le prince samanide de Boukhara, Nuh ibn Mansûr, d’une grave maladie, il est autorisé à consulter la vaste bibliothèque du palais. Son appétit de connaissance aidant, il aurait possédé à 18 ans toutes les sciences connues. Après la mort du prince et celle de son père, qui le contraignent à gagner sa vie, commence sa vie itinérante. Il voyage d'abord dans le Khârezm, principauté qui fut indépendante (de 994 à 1231) au sud de la mer d'Aral, sur les deux rives du Djihoun (Amou-daria), entre Boukhara et la mer Caspienne. À Djouzdjan, un puissant protecteur, Abu Muhammed Chirâzi, lui permet de donner des cours publics. Il commence à composer son œuvre majeure, le Qanûn (ou Canon) de médecine.
Il passe ensuite par le Khorassan, actuel nord-est de l'Iran, puis Rayy (alors Rhagès, proche de l’actuel Téhéran), enfin à Hamadan (à l'ouest de l'Iran moderne) où l'émir bouyide Shams o-dowleh le choisit comme ministre (vizir). Il s'impose alors un programme de travail harassant: le jour, il se consacre à la chose publique, la nuit à la science. En plus de vivre deux carrières, il travaille doublement : il mène de front la composition du Shifa et celle du Canon médical ; la tâche est alors si écrasante qu'il doit se faire aider : deux disciples se partagent la relecture des feuillets des deux ouvrages, dont le fidèle Al-Juzjani, secrétaire et biographe.
En 1021, la mort du prince Shams o-dowleh, et le début du règne de son fils Sama o-dowleh, cristallisent les ambitions et les rancœurs : victime d'intrigues politiques, Avicenne connaît la prison. Déguisé en derviche, il réussit à s'évader, et s'enfuit à Ispahan, auprès de l'émir kakouyide `Ala o-dowleh. Ces bouleversements n'entament pas sa boulimie de travail.
Il jouissait d'une telle réputation que plusieurs princes de l'Asie l'appelèrent à leur cour : le roi de Perse l'employa à la fois comme vizir et comme médecin. Il cultiva aussi avec succès la philosophie, et fut l'un des premiers à étudier et à faire connaître Aristote. Il composa d'après ce philosophe des traités de logique et de métaphysique, où il se montre souvent penseur original.
Lors d'une expédition, dont il faisait partie, de l'émir `Ala o-dowleh contre Hamadan, Avicenne est frappé par une crise intestinale grave, dont il souffrait depuis longtemps, et contractée, dit-on, à la suite d'excès de travail et de plaisir. Avicenne tenta de se soigner de lui-même, mais son remède lui fut fatal. Il mourut à l’âge, toujours précoce, de cinquante-sept ans au mois d'août 1037 (428 de l’hégire) après avoir mené une vie fort agitée et pleine de vicissitudes, épuisé par l'excès de travail.
Controverse autour de la confession de la mère d'Avicenne
La confession de la mère d'Avicenne n'est connue que par des sources secondaires. Si l'on peut supposer en première approche qu'elle est musulmane, certaines sources , non étayées , indiquent qu'elle était juive : c'est le cas notamment du roman Avicenne de Gilbert Sinoué. Cependant une autre source indiquerait que le sultan Mahmûd de Ghaznî aurait répandu cette information afin de « calomnier » le philosophe.
Son œuvre
D'une ampleur variable selon les sources (276 titres pour G. C. Anawati, 242 pour Yahya Mahdavi), l'œuvre d'Avicenne est nombreuse et variée. Avicenne a écrit principalement dans la langue savante de son temps, l'arabe classique, mais parfois aussi dans la langue vernaculaire, le persan.
Il est l'auteur de monuments, d'ouvrages plus modestes, mais aussi de textes courts. Son œuvre couvre toute l'étendue du savoir de son époque :
- logique, linguistique, poésie;
- physique, psychologie, médecine, chimie;
- mathématiques, musique, astronomie;
- morale et économie;
- métaphysique;
- mystique et commentaires de sourates du Coran.
Le dessein personnel du philosophe trouve son achèvement dans la philosophie orientale (hikmat mashriqiya), qui prit la forme de la compilation de vingt-huit mille questions. Cette œuvre disparut lors du sac d’Ispahan (1034), et il n'en subsiste que quelques fragments.
Pendant plusieurs siècles, jusqu'au XVIIe siècle, son Qanûn constitue le fondement de l'enseignement en Europe où il détrône Galien, aussi bien qu'en Asie.
On lui doit l'usage de la casse, de la rhubarbe, du tamarin, du myrobatan, etc.
Influences
Avicenne, fin lettré, fut le traducteur des œuvres d’Hippocrate et de Galien, et porta un soin particulier à l'étude d'Aristote. Il s'inscrit dans un mouvement général qui vit les philosophes de culture islamique découvrir la culture grecque et la faire redécouvrir ultérieurement à l'occident.
Avicenne était proche du chiisme ismaélien, le courant auquel appartenaient son père et son frère ; ainsi son autobiographie rapporte-t-elle leurs efforts pour entraîner son adhésion à la dawat ismaélienne. Toutefois, Avicenne appartenait au chiisme duodécimain. Aujourd'hui, il serait fortement dénoncé par les wahabbites et les salafistes, nombreux parmi les musulmans sunnites.
Son appartenance ou non à l'ismaélisme est donc controversé, et reste un débat actuel, portant sur l'influence de cette branche de l'islam. L'ismaélisme comprend d'importantes personnalités, telles que Abu Yaqoub Sejestani (Xe siècle), Abu Hatim al Razi (mort en 933), Hamid Kermani (vers 1017), ou Nasir e Khosraw (entre 1072 et 1077) dont le travail a fortement influencé la pensée dans l'Islam. Ainsi, la théorie des Dix Intelligences (voir plus bas), amorcée chez al-Farabi apparaît chez Hamid Kermani avant qu'Avicenne ne se l'approprie.
La médecine d'Avicenne
Le Canon de la médecine
Article détaillé : Qanûn (Avicenne).Le Kitab Al Qanûn fi Al-Tibb (« livre des lois médicales »), composé de 5 livres, est l'œuvre médicale majeure d'Avicenne.
Influence d'Avicenne
Son Canon rencontra un grand succès, qui éclipsa les travaux antérieurs d'Rhazès (850 - 926), d'Haly-Abbas (930 - 994) et d'Abu Al-Qasim (936 - 1013) et même ceux d'Ibn-Al-Nafis (1210 - 1288) qui lui sont postérieurs. Les croisés du XIIe au XVIIe siècle ramenèrent en Europe Le Canon de la Médecine, qui influença la pratique et l'enseignement de la médecine occidentale.
L'ouvrage fut traduit en latin par Gérard de Crémone entre 1150 et 1187, et imprimé en hébreu à Milan en 1473, puis à Venise en 1527 et à Rome en 1593. Son influence dure jusqu'à sa contestation à la Renaissance : Léonard de Vinci en rejette l'anatomie et Paracelse le brûle. C'est le développement de la science européenne qui provoquera son obsolescence, par exemple la description de la circulation sanguine par William Harvey en 1628. Néanmoins cet ouvrage marqua longuement l'étude de la medecine, et même en 1909, un cours de la médecine d'Avicenne fut donné à Bruxelles.
Avicenne se démarque dans les domaines de l'ophtalmologie, de la gynéco-obstétrique et de la psychologie. Il s'attache beaucoup à la description des symptômes, décrivant toutes les maladies répertoriées à l'époque, y compris celles relevant de la psychiatrie.
- Il est le premier à distinguer la pleurésie, la médiastinite et l'abcès sous-phrénique.
- Il décrit les deux formes de paralysies faciales (centrale et périphérique)
- Il donne la symptomatologie du diabète.
- Il sait faire le diagnostic différentiel entre la sténose du pylore et l'ulcère de l'estomac.
- Il décrit différentes variétés d'ictères.
- Il donne une description de la cataracte, de la méningite, etc.
- Il pressent le rôle des rats dans la propagation de la peste.
- Il indique que certaines infections sont transmises par voie placentaire.
- Il est le premier à préconiser des traitements par vessies de glaces et lavements rectaux.
- Il découvre que le sang part du cœur pour aller aux poumons, puis en revenir, et expose avec précision le système de ventricules et de valves du cœur.
- Il est le premier à décrire correctement l'anatomie de l'œil humain.
- Il émet aussi l'hypothèse selon laquelle l'eau et l'atmosphère contiendraient de minuscules organismes vecteurs de certaines maladies infectieuses.
Mais avant tout, Avicenne s'intéresse aux moyens de conserver la santé. Il recommande la pratique régulière du sport ou l'hydrothérapie en médecine préventive et curative. Il insiste sur l'importance des relations humaines dans la conservation d'une bonne santé mentale et somatique.
La médecine d'Avicenne pourrait être résumée par la phrase d'introduction de Urdjuza Fi-Tib' (Poème de Médecine) : « la médecine est l'art de conserver la santé et éventuellement, de guérir la maladie survenue dans le corps ».
Doctrine philosophique
Sa doctrine philosophique, en particulier sa métaphysique, se base sur celle d'Aristote et sur les travaux d'Al-Farabi. Ses autres œuvres sont marquées par la recherche d'une philosophie orientale et d'une mystique personnelle.
Métaphysique
La philosophie islamique, imprégnée de théologie, concevait plus clairement qu'Aristote la distinction entre essence et existence : alors que l'existence est le domaine du contingent, de l'accidentel, l'essence est, par définition, ce qui perdure dans l'être au travers de ses accidents.
Première Intelligence
L'essence, pour Avicenne, est non-contingente. Pour qu'une essence soit actualisée dans une instance (une existence), il faut que cette existence soit rendue nécessaire par l'essence elle-même. Cette relation de cause à effet, toujours parce que l'essence n'est pas contingente, est inhérente à l'essence elle-même. Ainsi il doit exister une essence nécessaire en elle-même pour que l'existence puisse être possible: l'Être nécessaire, ou encore Dieu; Cet Être crée la Première Intelligence par émanation.
Cette définition altère profondément la conception de création: il ne s'agit plus d'une divinité créant par caprice, mais d'une pensée divine qui se pense elle-même; le passage de ce premier être à l'existant est une nécessité et non plus une volonté. Le monde émane alors de Dieu par surabondance de Son Intelligence, suivant ce que les néoplatoniciens ont nommé émanation: une causalité immatérielle.
Avicenne s'inspire des travaux d'Al-Farabi, mais à cette différence que c'est l'Être nécessaire qui est à l'origine de tout (voir plus bas les Dix intelligences). Cette perspective serait donc plus compatible avec le Coran.
La création
C'est de cette Première Intelligence que va procéder la création de la pluralité. En effet,
- La Première Intelligence, en contemplant le principe qui la fait exister nécessairement (c'est-à-dire Dieu), donne lieu à la Deuxième Intelligence.
- La Première Intelligence, en se contemplant comme émanation de ce principe, donne lieu à la Première Âme, qui anime la sphère des sphères (celle qui contient toutes les autres).
- La Première Intelligence, en contemplant sa nature d'essence rendue possible par elle-même, c'est-à-dire la possibilité de son existence, crée la matière qui emplit la sphère des sphères, c'est la sphère des fixes.
Cette triple contemplation instaure les premiers degrés de l'être. Elle se répète, donnant naissance à la double hiérarchie :
- hiérarchie supérieure, Avicenne les désigne comme les Chérubins (Kerubim);
- hiérarchie inférieure, Avicenne les désigne comme les Anges de la magnificence : ces âmes animent les cieux, mais sont dépourvues de sens (sens de perception du sensible); elles se situent entre pur intelligible et sensible, et se caractérisent par leur imagination, qui leur permet de désirer l'intelligence dont elles procèdent. Le mouvement éternel qu'elle impriment aux cieux résulte de leur recherche toujours inassouvie de cette intelligence qu'elles désirent atteindre. Elles sont à l'origine des visions des prophètes par exemple.
Cette hiérarchie correspond aux Dix Sphères englobantes (Sphère des Sphères, Sphère des Fixes, sept Sphères planétaires, Sphère sublunaire).
L'Ange
La dixième intelligence revêt une importance singulière: aussi appelée intellect agent ou l'Ange, et associée à Gabriel dans le Coran, elle se situe si loin du Principe que son émanation éclate en une multitude de fragments. En effet, de la contemplation de l'Ange par lui-même, en tant qu'émanation de la neuvième intelligence, n'émane pas une âme céleste, mais les âmes humaines. Alors que les Anges de la Magnificence sont dépourvus de sens, les âmes humaines ont une imagination sensuelle, sensible, qui leur confère le pouvoir de mouvoir les corps matériels.
Pour Avicenne, l'intellect humain n'est pas forgé pour l'abstraction des formes et des idées. L'homme est pourtant intelligent en puissance, mais seule l'illumination par l'Ange leur confère le pouvoir de passer de la connaissance en puissance à la connaissance en acte. Toutefois, la force avec laquelle l'Ange illumine l'intellect humain varie:
- Les prophètes, inondés de l'influx au point qu'il irradie non plus seulement l'intellect rationnel mais aussi l'imagination, réémettent à destination des autres hommes cette surabondance;
- D'autres reçoivent tant d'influx, quoique moins que les prophètes, qu'il écrivent, enseignent, légifèrent, participant aussi à la redistribution vers les autres;
- D'autres encore en reçoivent assez pour leur perfection personnelle;
- Et d'autres, enfin, si peu qu'ils ne passent jamais à l'acte.
Selon cette conception, l'humanité partage un et un seul intellect agent, c'est-à-dire une conscience collective. Le stade ultime de la vie humaine, donc, est l'union avec l'émanation angélique. Ainsi, cette âme immortelle confère, à tous ceux qui ont fait de la perception de l'influx angélique une habitude, la capacité de surexistence, c'est-à-dire l'immortalité.
Pour les néo-platoniciens, dont Avicenne fait partie, l'immortalité de l'âme est une conséquence de sa nature, et pas une finalité.
Philosophie orientale
Cette deuxième partie de la philosophie avicennienne est peu connue ; l'ouvrage éponyme disparut au cours du sac d'Ispahan, en 1034, en même temps que le « Livre de l’arbitrage équitable » (Kitab al-Insaf), et Avicenne n'eut pas le temps ou la force de le réécrire. De cet ouvrage monumental (vingt-huit mille questions) ne subsistent que quelques fragments. Henry Corbin pense que ces œuvres sont le point de départ du projet de philosophie orientale que Sohrawardi mène plus tard à terme.
L'Occident et l'Orient
Les orientalistes occidentaux ont longtemps débattu de la signification même du terme mashriqiya :
- Un différend sur la vocalisation (mushriqiya au lieu de mashriqiya) amène certains orientalistes à parler d'une philosophie illuminative.
- La localisation des « orientaux » a donné lieu à d'intenses spéculations, mais aucune hypothèse n'a jamais vraiment convaincu.
La tradition, en théosophie et mystique islamiques, considère mashriq (l'Orient) comme monde de la lumière, celui des Intelligences et donc des Anges, par opposition à maghrib (l’Occident) qui représente le monde sublunaire, monde de ténèbres où déclinent les âmes. Cette conception est déjà explicite chez Avicenne (voir le récit symbolique Hayy ibn Yaqzan), et le sera d'autant plus chez ses commentateurs et critiques, comme Sohrawardi.
L'Orient mystique
Avicenne est l'auteur de quatre textes sur la philosophie orientale : le « Récit de Hayy ibn Yaqzan », le « Récit de l’oiseau », le « Récit de Salâmân » et « Absâl »
- Récit de Hayy ibn Yaqzan : Hayy ibn Yaqzan est un enfant isolé sur une île. Il découvre de lui-même l'univers qui l'entoure. Ce récit forme une initiation à l'Orient, aux formes archangéliques de lumière, par opposition à l'occident et à l'extrême-occident (lieu de la Matière pure). Hayy ibn Yaqzan personnalise Avicenne dans sa relation avec l'Ange.
- Récit de l’oiseau : Ce récit répond au récit de Hayy ibn Yaqzan. Il entreprend ce voyage jusqu’à l'Extrême-Orient, cette quête de l'absolu pour parvenir à la « Cité du Roi ». L'âme s’est éveillée à elle-même. En l'extase d’une ascension mentale, elle franchit les vallées et les chaînes de la montagne cosmique en compagnie de l'Ange.
- Récit de Salâmân et Absâl : Ce récit décrit le drame des deux héros de la partie finale du Kitab al-Isharat wa-l-tanbihat (Livre des directives et des remarques). Ces deux personnages typisent les deux intellects — contemplatif (ou spéculatif) et pratique — dualité qui se retrouve dans les couples Phôs Lumière et Adam terrestre, Prométhée et Épiméthée, en un mot l’homme célestiel et l'homme de chair. Ainsi, la structure de l'âme se divise selon la même structure qui ordonne les couples d’Archanges-Kerubim et d’Anges-Âmes (cf. supra).
Influence d'Avicenne
L'influence d'Avicenne est double :
1°) Le courant de l'Avicennisme latin qui s'oppose à d'autres courants de la scolastique médiévale (voir averroïsme);
2°) Le courant de l'Avicennisme iranien, représenté notamment par Nasir Tusi.
Avicenne et Averroès
Pour Avicenne « l'intellect humain n'a ni le rôle ni le pouvoir d'abstraire l'intelligible du sensible. Toute connaissance et toute réminiscence sont une émanation et une illumination provenant de l'Ange » (Henry Corbin). L'humain est intelligent en puissance, mais sans l'intervention angélique, cette nature reste inexploitée.
Pour sa part, Averroès va dégager l'aristotélisme des ajouts platoniciens qui s'étaient greffés sur lui : point d'émanatisme chez lui.
Alchimie
Les réflexions d'Avicenne sur l'alchimie (il ne croyait pas à la possibilité de la transmutation des métaux) eurent une influence considérable, tant sur les alchimistes que sur leurs opposants[2], grâce au De congelatione et conglutinatione lapidum (De la congélation et de la conglutination de la pierre). Il s'agit d'une traduction-résumé d'une partie du Kitâb al-Shifâ d'Avicenne, traitant "de la formation des pierres, de l'origine des montagnes, de la classification des minéraux (pierres, liquéfiables, soufres, sels) et de l'origine des métaux". Avicenne y explique que les métaux "résultent de l'union du mercure avec une terre sulfureuse". Ce traité a été ajouté vers 1200 par Alfred de Sareshel au livre IV des Météorologiques d'Aristote, de sorte qu'il a pu passer pour aristotélicien. Avicenne nie la possibilité d'une transmutation chimique des métaux : "Quant à ce que prétendent les alchimistes, il faut savoir qu’il n’est pas en leur pouvoir de transformer véritablement les espèces les unes en les autres (sciant artifices alchemiae species metallorum transmutari non posse) ; mais il est en leur pouvoir de faire de belles imitations, jusqu’à teindre le rouge en un blanc qui le rende tout à fait semblable à l’argent ou en un jaune qui le rende tout à fait semblable à l’or[3]". Autrement dit, les alchimistes ne peuvent convertir les complexions, changer les espèces : ils n'agissent que sur les qualités accidentelles et ne réalisent que des imitations. Pour Avicenne, les métaux "résultent de l'union du mercure avec une terre sulfureuse" : c'est la théorie du mercure/soufre. D'autre part, un pseudo-Avicenne a écrit le De anima in arte alchemiae.
Bibliographie
Publications anciennes des oeuvres
Les œuvres d'Avicenne ont été publiées en arabe, à Rome, en 1593, in-folio.
On a traduit en latin et publié ses Canons ou Préceptes de médecine, Venise, 1483, 1564 et 1683 ses Œuvres philosophiques, Venise, 1495; sa Métaphysique ou philosophie première, Venise, 1495.
Pierre Vattier avait traduit tous ses ouvrages en français; il n'en a paru que la Logique, Paris, 1658, in-8.
Oeuvres en français
- Canon de la médecine. Al-Qânûn fi'l-Tibb :: pas de trad. Voir P. Mazliak, Avicenne et Averroès. Médecine et Biologie dans la civilisation de l'Islam, Vuibert/Adapt, 2004, 250 p. Qanûn (Avicenne)
- Livre de la délivrance. Kitâb al-Najat (vers 1030), trad. partielle in J.-C. Bardout et O. Boulnois, Sur la science divine, PUF, 2002, p. 62-82.
- Le Livre de la guérison Kitâb al-Shifâ (1020-1027) : La métaphysique du Shifâ, trad. de l'arabe Georges C. Anawati, Vrin, 1978-1985, 2 t.
- Le Livre de la science. Dânesh-Nâmeh (1021-1037), trad. du persan M. Achena et H. Massé, t. I : Logique, métaphysique, t. II : Physique, Arithmétique, Géométrie, Astronomie, Musique, Les Belles Lettres, 1955-1958.
- Livre des directives et remarques. Kitâb al-Ishârât wa-l-tanbîhât, trad. Anne-Marie Goichon, Vrin, 1951.
- Livre des définitions, trad. Anne-Marie Goichon, Vrin, 1963.
- "Notes d'Avicenne sur la 'Théologie d'Aristote'", G. Vajda, Revue Thomiste, 51, 1951, p. 346-406.
- Poème de la médecine (condensé en vers du Canon de la médecine) [1]
- Le récit de Hayy ibn Yaqzân (1021), texte arabe, version persane, trad. fr. Henry Corbin, in Avicenne et le récit visionnaire, t. II, Adrien Maisonneuve, 1954.
- traités mystiques : M. A. F. Mehren, Traités mystiques d'Avicenne, Leyde, éd. Brill, 1889-1899.
Études sur Avicenne
- S. Ayada, Avicenne, Ellipses, 2002.
- O. Chahine, Ontologie et Théologie chez Avicenne, Maisonneuve, 1962.
- Henry Corbin, Histoire de la philosophie islamique, Gallimard, rééd. 1986, t. I.
- Louis Gardet, La pensée religieuse d'Avicenne, Vrin, 1951.
- Anne-Marie Goichon, La philosophie d'Avicenne et son influence en Europe médiévale, Maisonneuve, 2° éd. 1981.
- Paul Mazliak, Avicenne et Averroès. Médecine et Biologie dans la civilisation de l'Islam, Vuibert/Adapt, 2004, 250 p. (ISBN 2711753263)
- Gilbert Sinoué, Avicenne ou la Route d'Ispahan, Denoël/Folio, 1989 (ISBN 2-07-038302-4).
Biographie romancée.
- Ernst Bloch, Avicenne et la gauche aristotélicienne, éd. Premières Pierres, 2008.
Voir aussi
Références
- ↑ Henry Corbin History of Islamic Philosophy ISBN 978-0-7103-0416-2
- ↑ G. C. Anawati, "Avicenne et l'alchimie", in Oriente e Occidente nel Medioevo, Accademia nazionale dei Lincei, Rome, 1971, p. 285-341.
- ↑ Avicenne, De congelatione et conglutinatione lapidum, édi. par E. J. Holmyard et D. C. Mandeville, texte arabe et traduction latine, Paris, Paul Geuthner, 1927, p. 54.
Liens externes
- (en) Œuvres d'Avicenne ;
- (en) L'ontologie d'Avicenne.
- L'alchimie d'Avicenne
- Institut Avicenne
- Avicenne
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