Mutazilite

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Le motazilisme, ou mutazilisme, est une école de pensée théologique musulmane apparue au VIIIe siècle. Apparu en même temps que le sunnisme et le chiisme, mais indépendant d'eux, le mutazilisme disparait définitivement au XIIIe siècle, essentiellement vaincu par le sunnisme.

La théologie motazilite se développe sur la logique et le rationalisme, inspirés de la philosophie grecque et de la raison (logos), qu'elle cherche à combiner avec les doctrines islamiques, en montrant ainsi leur compatibilité.
Cette démarche, reprise sous différentes formes par les autres courants musulmans, parfois avec réticence, régressera nettement à partir du XIIIe siècle chez les sunnites, ceux-ci considérant que la révélation divine n'a pas à être soumise à la critique humaine. Ainsi, après Averroès, on constate « la perte d'audience de la philosophie au profit de la mystique[1] ». L'approche philosophique héritée du mutazilisme reste aujourd'hui utilisée par des chiites, mais uniquement sur certains points.

Sommaire

Étymologie

Le mot « motazilisme » (en arabe : al-muʿtazala, المعتزلة) a deux sens/origines possibles.

L'interprétation la plus répandue est que son fondateur Wasil ibn Ata a quitté la madhab officielle car ses idées s'opposaient à la tradition islamique orthodoxe et que par conséquent le nom de l'école tire son origine du verbe signifiant « quitter », « abandonner », « déserter » (en arabe : iʿtazala, اعتزل). Selon une autre interprétation, « certains théologiens de la ville de Bassorah refusèrent de prendre parti dans les luttes de pouvoir qui, après l'assassinat d'Othman, ensanglantèrent et divisèrent la communauté musulmane, d'où le nom de ce mouvement signifiant "ceux qui s'abstiennent[2]" ».

Histoire

Les disputes concernant la succession du prophète de l'islam Mahomet ont entraîné l'apparition du kharidjisme en 657 et du chiisme après 660. Un troisième parti, majoritaire, les musulmans restants partisans du califat, a donc dû se définir. Entre ces 3 partis, les divergences sont au début surtout politiques, même si des sensibilités religieuses légèrement différentes existent dès l'origine.

La structuration théologique de chacun de ces 3 groupes, chacun affirmant progressivement ses spécificités religieuses, a bien pris deux siècles. Chacun de ces groupes subirent des scissions de nature philosophique et théologique. C'est dans ce cadre de la formation de la théologie musulmane majoritaire, qui allait se cristalliser peu à peu sous forme du sunnisme qu'est né le mu'tazilisme ou motazilisme. À la fin du califat omeyyade vers 750), un étudiant, Wasil ibn Ata, fut renvoyé de l'école de a-Hasan al-Basri. Il créa alors sa propre madhhab à Bassorah et systématisa les opinions les plus radicales de mouvements antérieurs, particulièrement celle des Qadarites. Cette nouvelle école fut appelée mu'tazilite. Par la suite, les partisans du motazilisme se nommèrent eux-mêmes Ahl al-'Adl wa al-Tawhid (Peuple de la justice et du monothéisme) d'après la théologie qu'ils adoptèrent.

La même période voit également se développer différentes hétérodoxies au sein de l'islam, qui subit également un certain nombre d'attaques athées, comme celles de l'apostat Ibn al-Rawandi.

En 827, le motazilisme devient la croyance officielle à la cour du califat abbasside, après avoir été officiellement embrassé par le calife al-Ma'mun. Il restera la doctrine officielle sous ses 2 successeurs.

Une persécution (la Mihna) sera même organisée entre 833 et 848 contre les érudits qui n'adhérent pas au motazilisme. La Mihna force les non-adhérents à renoncer ouvertement à la doctrine affirmant que le Coran est éternel et à accepter que celui-ci ait été créé. Le zèle des motazilistes est montré par le refus de faire libérer les prisonniers musulmans aux mains des Byzantins, s'ils affirmaient la non-création du Coran.

Une nette résistance de l'opinion à ces persécutions est rapportée par les chroniqueurs. De fait, la Mihna est sans doute en partie la cause de l'échec final du motazilisme.

Cependant des oppositions se font entendre à la fin du IXe siècle par la madhhab acharite fondée par Abu-l-Hasan Al-Ash'ariy, puis par l'école maturidite. Le calife al-Mutawakkil abandonna le motazilisme et revint à la doctrine traditionnelle, qui était en train de donner naissance au sunnisme.

Le motazilisme retrouvera un certain lustre sous le protectorat des émirs chiites Buyides, aux Xe et XIe siècle, où il est de nouveau enseigné.

Le motazilisme sera de nouveau écarté à l'arrivée des Turcs seldjoukides. « À partir du milieu du XIe siècle siècle, la théologie sunnite, plus orthodoxe, l'avait définitivement emporté[2]. » Le motazilisme disparaît définitivement entre le XIe et le XIIIe siècle.

Le motazilisme a été interdit, ses livres brûlés, et on ne connaissait plus sa doctrine que par les textes des théologiens qui l'avaient attaqué.

On a retrouvé au XIXe siècle les volumineux ouvrages d'al-Jabbâr, qui ont permis de mieux comprendre l'importance de ce courant de pensée dans la formation de la théologie musulmane actuelle, qu'elle soit sunnite ou chiite.

Doctrine

Différentes questions faisaient l'objet de débats parmi les théologiens musulmans lors de la création du mutazilisme, par exemple si le Coran est créé ou incréé, si le mal peut être créé par Dieu, la relation entre la prédestination et le libre arbitre (qadar), si les attributs de Dieu dans le Coran doivent être interprétés allégoriquement ou littéralement et si ceux qui sont dans le péché auront une punition éternelle en enfer.

Le motazilisme met l'accent sur cinq principes.

  • Le monothéisme (tawhid) : Dieu ne peut être conçu par l'esprit humain. Ainsi, ils affirment que les versets du Coran décrivant Dieu comme étant assis sur un trône sont allégoriques. Les motazilites affirment que le Coran ne peut pas être éternel, mais a été créé par Dieu, sinon l'unicité de celui-ci serait impossible. Ils poussèrent leur conception allégorique à l'extrême et nommèrent leurs opposants anthropomorphistes.
  • La justice divine (Adl) : devant le problème de l'existence du mal dans un monde où Dieu est omnipotent, ils mirent en avant le libre arbitre des êtres humains et présentèrent le mal comme étant généré par les erreurs des actes de ceux-ci. Dieu ne fait pas le mal et demande aux hommes de ne pas le faire non plus. Si les actes maléfiques d'un homme provenait de la volonté de Dieu, alors la notion de punition perdrait son sens car l'homme suivrait la volonté divine quels que soient ses actes. Le motazilisme s'oppose donc à la prédestination.
  • Promesse et menace (al-Wa'd wa al-Wa'id) : ce principe regroupe les questions sur le dernier jour et le jour du jugement où Dieu récompensera, avec ce qu'il leur aura promis, ceux qui lui ont obéi et punira ceux qui ont désobéi avec la damnation et les feux de l'enfer.
  • Le degré intermédiaire (al-manzilatu bayn al-manzilatayn) : ce principe, qui a été le premier à distinguer les mu'tazilites, affirme que le musulman qui commet un grand péché (meurtre, vol, fornication, fausse accusation de fornication, consommation d'alcool, etc.) ne doit être considéré, dans la vie d'ici-bas, ni comme croyant ou musulman (comme pensent les sunnites), ni comme mécréant (kâfir, comme pensent les khâridjites), mais plutôt dans un degré intermédiaire entre les deux. Cependant, ils rejoignent les kharidjites en affirmant que, malgré cela, une telle personne sera éternellement en enfer.
  • Ordonner le bien et blâmer le blâmable (al-amr bil ma'ruf wa al-nahy 'an al munkar) : ce principe permet la rébellion contre l'autorité, si celle-ci est injuste, comme un moyen d'empêcher le mal.

Chacun de ces principes est différent, (parfois sur de simples points de détails) de ceux prônés par les écoles théologiques de l'islam de l'époque.

Héritages et conséquences du motazilisme

Bien que son rationalisme fût séduisant auprès des classes éduquées de l'époque, le motazilisme ne se répandit guère parmi les masses, probablement du fait de sa nature élitiste. Après son adoption par les dirigeants et face à la persécution qui s'ensuivit, son impopularité grandit dans le peuple.

Les motazilistes s'étaient intéressés au début aux attaques que subissait l'islam de la part des non-musulmans ; ils devinrent rapidement obsédés par le débat avec les autres théologies et courants de pensée à l'intérieur de l'Islam lui-même. Les premiers motazilistes ont pu être considérés comme occupant une position médiane entre les orthodoxes et les non-musulmans. Très rapidement, encouragée par le calife Al-Mamun qui fit du motazilisme la doctrine officielle en 827 et créera la Maison de la sagesse en 832, la philosophie grecque fut introduite dans les milieux intellectuels persans et arabes. L'École péripatétique commença à avoir des représentants parmi eux. Ceux qui cherchaient par une démonstration philosophique à conforter et démontrer le bien-fondé de leur foi religieuse et pour ce faire utilisaient une méthodologie fondée sur la dialectique grecque furent appelés mutakallamin (« ceux qui utilisent le kalâm »).

En réponse au motazilisme, Abu al-Hasan al-Ash'ari, initialement un motaziliste lui-même, développa la méthodologie du Kalâm, et fonda ainsi l'école de pensée acharite. Par la suite, influencée par l'acharisme, l'école maturidite apparut et son fondateur écrivit plusieurs livres réfutant plusieurs des croyances motazilites.

L'acharisme et le maturidisme ont subi des évolutions au cours du temps (notamment au XIe et XIIe siècle avec Al-Ghazzâliy et Ar-Râziy). Au cours de leur long conflit avec le motazilisme, l'acharisme et le maturidisme se sont mutuellement influencés et ont évolué parallèlement.

L'acharisme et le maturidisme ont très fortement influencé les 4 écoles théologiques sunnites, qui relèvent soit de l'un soit de l'autre. Par ce biais, une influence motaziliste continue à se faire sentir au sein du sunnisme.

Le sunnisme lui a emprunté non seulement le principe de la pure transcendance de Dieu et des notions comme l'atomisme (héritée des Grecs), mais aussi son cadre intellectuel, notamment la place de la raison reconnue capable d'un certain savoir théologique, sans le recours de la révélation[2].

Enfin, plusieurs courants chiites, en particulier les duodécimains, ont embrassé certaines des doctrines motazilites et les ont incorporées à leurs théologies.

Article connexe : philosophie islamique.

Tentatives modernes

Quelques tentatives modernes existent pour rétablir ce courant de pensée, particulièrement dans le but de contrebalancer les mouvements traditionalistes salafiste et wahhabite. Cependant ces tentatives n'ont guère eu de succès.

Personnages célèbres

Notes et références

  1. Dominique Urvoy, « La philosophie, entre raison et révélation », dans Les textes fondamentaux de la pensée en Islam, numéro spécial du Point, novembre-décembre 2005, p. 59.
  2. a , b  et c Roger Arnaldez (professeur à la Sorbonne, auteur de L'homme selon le Coran) dans son article sur « le mutazilisme, théologie de la liberté », paru dans Les textes fondamentaux de la pensée en Islam, numéro spécial du Point, novembre-décembre 2005, p. 35.
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