- Féminisme islamique
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Féminisme musulman
Le féminisme islamique ou féminisme musulman est un mouvement féministe musulman, proche de l'islam libéral, qui revendique un féminisme interne à l'islam et vise à une modification des rapports entre hommes et femmes au sein de la religion musulmane. Il est comparable, en ce sens, à d'autres mouvements de théologie féministe, tel que le féminisme chrétien ou le féminisme judaïque, en ce qu'il se fonde sur une étude des textes sacrés pour affirmer l'égalité des genres.
Le féminisme islamique tente de créer un espace entre deux positions critiques, contradictoires en un sens mais complémentaires en un autre, en ce qu'elles oblitèrent la possibilité même d'un tel féminisme: d'un côté, celle des fondamentalistes islamiques qui affirment que le féminisme est une invention occidentale, produit d'une Modernité abhorrée, et de l'autre une position féministe ou/et occidentale qui soutient le caractère prétendument incompatible de l'islam et du féminisme, opinion souvent accompagnée d'une dénégation de l'existence de mouvements féministes spécifiques aux pays musulmans. Selon Valentine Moghadam (2006), sociologue et chef de la section "Egalité des genres et développement" à l'Unesco, ces deux positions extrêmes « orientalisent » ou « exotisent » l'islam davantage qu'elles ne permettent de comprendre l'émergence de ces mouvements réformistes [1].
Le féminisme islamique est présent dans de nombreux pays, des États-Unis à l'Afrique du Sud, de l'Europe à l'Asie en passant par le Maghreb et le Machrek, et se mobilise contre le patriarcat à partir de références musulmanes [2]. Le Premier Congrès international sur le féminisme musulman a eu lieu à Barcelone du 27 au 29 octobre 2005 [3].
Origine et revendications du mouvement
Le féminisme musulman se fonde sur l' ijtihad, ou interprétation du Coran, pour interroger la place de la femmes dans l'islam et /ou les pays musulmans. Il accorde une place centrale à l'éducation comme élément d'autonomisation des femmes [2]. Selon Valentine Moghadam, le féminisme musulman rejoint le féminisme chrétien et judaïque en s'enracinant dans une perspective religieuse [1].
Le terme de "féminisme musulman" a été élaboré au début des années 1990 principalement par des femmes iraniennes, laïques et féministes qui s'intéressaient à l'émergence d'un mouvement, depuis les années 1980, qui reformulaient les problématiques féministes à l'intérieur du paradigme islamique. Outre l'Iran, cette expression circulait oralement en Afrique du Sud (Shamima Shaikh), en Égypte, en Turquie, et dans les pays occidentaux [4].
Ce mouvement converge en Iran autour de la revue Zanan (Femmes), fondée par Shahla Sherkat, qui soulève le débat des relations de genre à l'intérieur de l'islam, et de la compatibilité entre islam et féminisme [1]. Pour de nombreux laïques iraniens, ces deux notions sont incompatibles [1]. La revue Zanan affirmait l'origine sociale et politique des inégalités de genre, et critiquait une large partie du droit musulman comme étant fondé sur une interprétation patriarcale du Coran [1], soulevant ainsi la question de l'ijtihad et du droit des femmes à réinterpréter le fiqh, la jurisprudence musulmane [1]. En Iran, en Égypte, au Maroc et au Yémen, les féministes musulmanes se sont attaquées au droit musulman de la famille [1]. A l'intérieur de la République islamiste d'Iran, certaines féministes musulmanes se revendiquaient du fondamentalisme, tandis que d'autres rejetaient sans appel cette doctrine [1].
Ce mouvement s'appuie sur les interrogations soulevées par les intellectuels musulmans concernant les rapports entre l'islam et la démocratie et les droits de l'homme, s'inscrivant ainsi dans un courant de réforme plus large (par exemple, Abdulkarim Soroush, Mohsen Kadivar, Hassan Yousefi–Eshkevari, et d’autres connus sous l’appellation de Nouveaux intellectuels religieux en Iran ; le défunt Mahmoud Taha du Soudan, Hassan Hanafi d’Egypte et l’exilé Zeid Abu Nasr ; Mohammad Arkoun d’Algérie, professeur à la Sorbonne ; Chandra Muzzafar de Malaisie, Fathi Osman, etc. [1]). Outre le droit à l' ijtihad, le féminisme islamique revendique le droit de participer aux prières et d’officier dans des prières mixte [1].
Selon Margot Badran, chercheuse au Centre pour la compréhension entre musulmans et chrétiens du prince saoudien Al Walid bin Talal à l'Université de Georgetown (Etats-Unis), les concepts centraux de ce mouvement sont l'égalité des femmes et la justice sociale [4]. Selon Badran:
« L’islam est la seule des trois religions du Livre à avoir introduit dans ses textes – le Coran considéré comme la parole de Dieu – l’idée d’une égalité fondamentale de la femme et de l’homme (l’un et l’autre étant considérés comme des êtres humains, ou insan), et à y inclure la question des droits des femmes et de la justice sociale. C’est ce message qui a été perverti au nom de l’islam lui–même. Le patriarcat préexistant, que le Coran est venu tempérer et finalement éradiquer (...) s’est montré fort résistant. Et c’est en dépit de la persistance du patriarcat que la religion musulmane fut adoptée. La manipulation par les franges dominantes de la société fut telle que l’islam finit par être perçu comme naturellement patriarcal au point d’effacer la contradiction inhérente entre la parole révélée et le patriarcat et d’anéantir toute revendication islamique en faveur de l’égalité des sexes et de la justice sociale. Ce n’est pas le moindre paradoxe de constater que la seule religion qui a inscrit l’égalité des sexes dans ses textes se retrouve aujourd’hui considérée comme la plus machiste de toutes (...) Les musulmans machistes, au niveau étatique, social ou familial, et les détracteurs de l’islam ont un intérêt commun, quoique pour des raisons différentes, à perpétuer cette fiction d’un islam patriarcal. »[4]
Margot Badran affirme que le féminisme islamiste revendique une conception égalitaire de l'oumma, ou communauté des croyants, qui transcende les divisions Orient/Occident, public/privé, séculier/religieux, et rejette l'idée d'un Etat islamiste [4].
Histoire du mouvement avant l'émergence du terme
En Egypte, le terme « féminisme » est utilisé, dès les années 1920, par les femmes musulmanes participant aux mouvements de libération de la femme, c'est-à-dire au même moment où le terme émergeait aux États-Unis [4]. Kumari Jayawardena a montré, en 1986, dans son étude des mouvements féministes dans plusieurs pays orientaux, que les féministes égyptiennes n'avaient pas emprunté la notion de féminisme à l'Occident [4]. Elle rejetait ainsi l'affirmation islamiste selon laquelle le féminisme serait une invention occidentale [4].
Au contraire, la lutte pour l'égalité des droits s'accompagnait, en Egypte, d'anti-colonialisme, luttant aussi bien contre le patriarcat autochtone que contre le colonialisme patriarcal [4]. Du fait de son lien avec le nationalisme, il était alors désigné sous le nom de « féminisme laïc », synonyme, selon Badran, de « féminisme national » (égyptien, syrien, etc.) [4]. Huda Sharawi devient ainsi la présidente du Comité central du Wafd, le parti nationaliste, et fonde en 1923 l'Union féministe égyptienne. La même année, elle se dévoile publiquement, devenant la première femme égyptienne à accomplir ce geste.
En parallèle en Tunisie, Tahar Haddad, diplômé de l'Université Islamique Zitouna écrit bon nombre d'articles portant sur l'instruction de la femme et son émancipation juridique et sociale dans le journal As-Sawab entre 1928 et 1929. Ces écrits sont à l'origine de son ouvrage le plus connu, Notre femme dans la charia et la société (1930). C'est sur la base de ses travaux que se formera le féminisme institutionnel du président tunisien Habib Bourguiba de l'après-indépendance.
Avec l'émergence de l'islam politique dans les années 1970, qui remet en cause la distinction séculier/religieux, les féministes musulmanes sont dénigrées en tant que musulmanes dévoyées, et grossièrement décrites comme « brosses à reluire de l’Occident » ou « brosses à reluire de la laïcité » [4]. Certaines féministes laïques se sont alors jointes à ces attaques, pour dépeindre l'islam comme religion fondamentalement sexiste, cliché persistant jusqu'à aujourd'hui [4]. Néanmoins, les échanges entre féministes islamiques et féministes laïques se font aujourd'hui plus importants [4].
Tandis que les mouvements féministes laïques à l'intérieur du monde musulman se développaient dans le cadre national, le féminisme islamique se concevait au contraire comme mouvement universaliste, transcendant les frontières étatiques [4]. Il se développa d'abord dans les pays où l'islamisme se révéla comme force politique importante, qui re-dessinait l'espace des femmes dans la société et conduisait à d'importantes régressions du statut de la femme [4]. Al-Fanar, Organisation Féministe Palestinienne, incluait ainsi, dans les assertions principales de l'islam politique, celle selon laquelle:
« Le comble de la corruption occidentale, selon les fondamentalistes, est le féminisme et le mouvement de libération des femmes, qui allient des valeurs égalitaires et démocratiques et les appliquent aux femmes. Les femmes qui sont actives dans ces mouvements sont corrompues et licencieuses, et sont des renégates dont il est permis de verser le sang. En outre, tout ceci s’applique à toute personne qui les soutient»[5].
Néanmoins, le mouvement féministe musulman se développa parfois même à l'intérieur de ces mouvements islamistes eux-mêmes (ainsi en Turquie [4]). En Afrique du Sud, il émerge à l'issue de la lutte contre l'apartheid [4]. Il apparaît alors que les femmes ont profité d'un accès important à l'éducation, dans tous les domaines, y compris religieux, et alors qu'une population grandissante se retrouve confronté à la Modernité, en particulier en raison de l'urbanisation [4].
Interprétations du Coran
Voir aussi Théologie féministe.
Le mouvement islamiste féministe montre que le Coran introduit l'idée d'égalité fondamentale de l'homme et de la femme à travers la notion d' insan [4]. Il met en relation le principe d'équilibre (tawwazun) avec le principe d'égalité [4], et montre que « le Coran n’assigne pas à des rôles sociaux spécifiques » mais « met plutôt en avant la notion de mutualité dans les relations conjugales : les époux se doivent mutuellement protection et assistance » [4].
Il rejette certains hadith misogynes comme apocryphes [4]. Ainsi, la sociologue marocaine Fatima Mernissi et l’universitaire turque en études religieuses Hidayet Tuksal, par ailleurs spécialiste du hadith, ont utilisé les méthodologies classiques d’examen des textes islamiques pour démontrer leur inauthenticité [4]. Tuksal travaille avec le Département des affaires religieuses turc (Dinayet) sur un projet consistant à retirer les hadiths misogynes des collections que cette institution publie et distribue à 76 000 mosquées à travers le monde [4].
Les féministes musulmanes ont aussi travaillé sur le fiqh, jurisprudence musulmane qui n'a guère été mise à jour depuis son élaboration et sa cristallisation en quatre écoles juridiques. Elles ont ainsi participé à la réforme du droit de la famille au Maroc (Moudawana), plaçant l’homme et la femme à égalité en tant que chefs de famille, éliminant presque toute forme de polygamie, rendant possible le divorce pour la femme aussi bien que pour l’homme, etc [4].
La place des femmes dans l'espace religieux
Dans l'université Al-Azhar du Caire, les femmes musulmanes ont obtenues le même statut que les hommes oulémas, obtenant ainsi l'égalité des genres non seulement dans la sphère publique séculière, mais aussi dans la sphère religieuse [4]. Chercheuse en fiqh comparé et professeur à Al Azhar, Souad Salih mène une campagne pour permettre aux femmes d’être officiellement nommées au poste de mufti en Egypte [4].
Bien qu'hommes et femmes, lorsqu'ils font le hadj (pélerinage), prient ensemble dans la Grande Mosquée et sont rassemblés dans le mathaf (l’espace de déambulation) au moment de tourner autour de la Kaaba [4], les femmes sont en général placées derrière les hommes dans les mosquées et ne peuvent faire de sermons. Au milieu des années 1990, la Claremont Mosque, au Cap (Afrique du Sud), laissa les femmes s'asseoir en rangs parallèles aux hommes. La mosquée du Cap devint alors le premier lieu où le sermon introductif fut donné par une femme, la théologienne américaine Amina Wadud [4].
Divergences et précisions à l'intérieur du mouvement: Féminisme et religion
Certaines féministes musulmanes ont essayé de distinguer plus précisément entre « féminisme islamique », « féminisme musulman » et « femmes islamistes » [1]. A première vue, le terme de « femmes islamistes » n'implique en effet aucune dimension féministe mais bien une allégeance à l'islam politique, tandis que les expressions de « féminisme islamique » et de « féminisme musulman » impliquent une compatibilité entre la religion musulmane et le féminisme, de même qu'il peut y avoir un féminisme judaïque ou chrétien.
Selon Sonia Dayan-Herzbrun, auteure de Femmes et politique au Moyen-Orient (2006), le terme désigne aussi bien « ceux qui s’efforcent d’établir la compatibilité entre l’islam et l’émancipation des femmes » que « ceux qui mettent l’accent sur la spécificité de la domination des femmes musulmanes indépendamment des sociétés dans lesquelles elles se trouvent » [6] — de façon comparable, par exemple, au Black feminism états-unien qui mettait l'accent sur la spécificité de la domination des femmes afro-américaines.
Le cas français (controverses)
En France, la loi sur les signes religieux à l'école de 2004 a été l'occasion d'un débat opposant partisans et adversaires de la loi, faisant apparaître une ligne de clivage au sein même du mouvement féministe entre ceux et celles qui soutenaient la loi, au nom de l'émancipation de la femme vis-à-vis de la religion, et celles qui ont au contraire critiqué une instrumentalisation du féminisme par la droite, à des fins racistes et xénophobes [7],[8][9],[10]. Houria Bouteldja, porte-parole du collectif des Indigènes de la République, établissait ainsi une continuité entre la cérémonie du dévoilement à Alger, en 1958, en plein milieu de la guerre d'Algérie, citant Frantz Fanon pour qui « Certaines, dévoilées depuis longtemps, reprennent le voile affirmant ainsi qu’il n’est pas vrai que la femme se libère sur l’invitation de la France et du Général de Gaulle. » [9]. Bouteldja critiquait ainsi notamment l'association Ni putes, ni soumises, qu'elle qualifiait, après Althusser, d'« Appareil idéologique d'Etat » [9].
Au nom de l'association Pénélopes, Caroline Fourest, au contraire, considère la notion même de « féminisme islamique » d'oxymorique, s'affirmant outrée que l'UNESCO et la Ligue des droits de l'homme ait organisé un colloque à ce sujet (Paris, 2006), et dénonçant la présence, à Barcelone en 2005, de la femme du cheikh Youssouf al-Qaradhaoui, dirigeant du Conseil européen de la fatwa et de la recherche et tenant de positions particulièrement rétrogrades concernant le statut de la femme [11]. La femme de Qaradhaoui s'était pourtant opposée, lors de ce forum à Barcelone, à tout féminisme islamique, affirmant qu'il ne saurait être que laïc (et rejoignant donc paradoxalement les thèses de Fourest) [12].
Bibliographie
En français
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Références
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- ↑ Il était organisé par la Junta Islamica Catalan avec le soutien du Centre de Catalogne de l'UNESCO. Cf. Valentine Moghadam, "Qu'est-ce que le féminisme musulman? Pour la promotion d'un changement culturel en faveur de l'égalité des genres", in 'Existe-t-il un féminisme musulman?, livre issu d'un colloque à Paris, septembre 2006, organisé par la Commission Islam et laïcité, en collaboration avec l'UNESCO. En-ligne, pp.43-49 (fr)
- ↑ a , b , c , d , e , f , g , h , i , j , k , l , m , n , o , p , q , r , s , t , u , v , w , x , y , z , aa et ab Margot Badran, "Le féminisme islamique en mouvement", in 'Existe-t-il un féminisme musulman?, livre issu d'un colloque à Paris, septembre 2006, organisé par la Commission Islam et laïcité, en collaboration avec l'UNESCO. En-ligne, pp.49-71 (fr)
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- ↑ Appel des Féministes Indigènes, Sous le Haut Marrainage de Solitude, héroïne de la révolte des esclaves guadeloupéens contre le rétablissement de l’esclavage par Napoléon
- ↑ Caroline Fourest, Le « féminisme islamique », Pénélopes, 2 octobre 2006 (fr)
- ↑ Les tenantes d'un 'féminisme musulman' défendent leurs thèses à Paris, Emarrakech info (fr)
Liste de féministes musulmanes
- Asma Barlas (États-Unis)
- Amina Wadud (États-Unis)
- Shahla Sherkat, fondatrice de la revue Zanan, et Azzam Taleghani (Iran)
- Riffat Hassan (États-Unis)
- Azizah al–Hibri (États-Unis)
- Alya Baffoun (Tunisie)
- Leila Ahmed (États-Unis)
- Margot Badran (États–Unis)
- Ziba Mir–Hosseini (Iran et Royaume-Uni)
- Shamima Shaikh (1960-1998, Afrique du Sud)
- Huda Sharawi (1879-1947), fondatrice de l'Union féministe égyptienne)
- Sisters in Islam (Malaisie) et l’association de Nigérianes Baobab sont affiliées au réseau féministe transnational Women Living under Muslim Laws (Femmes vivant sous les lois musulmanes).
- Bchira Ben Mrad, fondatrice de l'Union Musulmane des Femmes de Tunisie (UMFT : 1936-1956)
- Zilla Huma Usman (Pakistan), assasinée en 2007
- Fatima Mernissi
Voir aussi
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