Homère

Homère
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Homère
Portrait d'Homère du « type d'Épiménide », d'après une copie romaine d'un original grec du Ve siècle av. J.‑C. conservé à la Glyptothèque de Munich (Inv. 273)
Portrait d'Homère du « type d'Épiménide », d'après une copie romaine d'un original grec du Ve siècle av. J.‑C. conservé à la Glyptothèque de Munich (Inv. 273)

Nom de naissance Ὅμηρος
Activités Aède
Naissance VIIIe siècle av. J.‑C. (?)
Grèce antique (?)
Langue d'écriture Grec ancien (dialecte homérique)
Genres Poésie épique
Œuvres principales

Homère (en grec ancien Ὅμηρος / Hómêros, « otage » ou « celui qui est obligé de suivre »[1]) est réputé avoir été un aède (poète) de la fin du VIIIe siècle av. J.‑C. On lui attribue les deux premières œuvres de la littérature occidentale : l’Iliade et l’Odyssée. Il était simplement surnommé « le Poète » (ὁ Ποιητής / ho Poiêtếs) par les Anciens.

Il est encore difficile d'établir aujourd'hui avec certitude si Homère a été un individu historique ou une identité construite, et s'il est bien l'auteur des deux épopées qui lui sont attribuées. Cependant plusieurs villes ioniennes (Chios, Smyrne, Cymé ou encore Colophon) se disputaient l'origine de l'aède et la tradition l'individualisait en répétant qu'Homère était aveugle.

La place d'Homère dans la littérature grecque est tout à fait majeure puisqu'il représente à lui seul le genre épique à cette période : on lui a attribué l’Iliade et l’Odyssée dès le VIe siècle av. J.-C., ainsi que deux poèmes comiques, la Batrachomyomachia (littéralement « la bataille des grenouilles et des rats ») et le Margitès, et les poèmes des Hymnes homériques. La langue homérique est une langue déjà archaïque au VIIIe siècle av. J.‑C. et davantage encore au moment de la fixation du texte, au VIe siècle av. J.‑C. : elle est associée à l'emploi de l'hexamètre dactylique.

Sommaire

Biographie

Homère selon les Anciens

Homère et son guide, par William Bouguereau (1874)

La tradition veut qu'Homère ait été aveugle. Tout d'abord, l'aède Démodocos, qui apparaît dans l’Odyssée pour chanter des épisodes de la guerre de Troie, est aveugle : la Muse lui a « pris les yeux, mais donné la douceur du chant[2] ». Ensuite l'auteur de l'Hymne homérique à Apollon Délien déclare à son propre sujet : « c'est un aveugle, qui réside à Chios la rocailleuse[3] ». Le passage est repris par Thucydide, qui le cite comme un passage où Homère parle de lui-même[4].

L'image du « barde aveugle » est un lieu commun de la littérature grecque. Un personnage d'un discours de Dion Chrysostome remarque ainsi que « tous ces poètes sont aveugles, et croient qu’il serait impossible de devenir un poète autrement » ; Dion répond que les poètes se transmettent cette particularité comme une sorte de maladie des yeux[5]. De fait, le poète lyrique Xénocrite de Locres est réputé être aveugle de naissance[6] ; Achaïos d'Érétrie devient aveugle pour avoir été piqué par des abeilles, symbole des Muses[7] ; Stésichore perd la vue parce qu'il a dit du mal d'Hélène de Sparte[8] et Démocrite s'ôte la vue pour mieux voir[9].

Tous les poètes grecs ne sont pas aveugles, mais la fréquence avec laquelle la cécité est associée à la poésie pousse à s'interroger. Martin P. Nilsson remarque que, dans certaines régions slaves, les bardes sont rituellement qualifiés d'« aveugles »[10] : comme le soutient déjà Aristote[11], la perte de la vue est supposée stimuler la mémoire. De plus, la pensée grecque associe très fréquemment cécité et pouvoir divinatoire : les devins Tirésias, Ophionée de Messène, Événios d'Apollonie ou Phinée sont tous privés de la vue. Plus prosaïquement, le métier d'aède est l'un des rares accessibles à un aveugle dans une société comme celle de la Grèce antique[12].

Plusieurs villes ioniennes (Chios, Smyrne, Cymé ou encore Colophon) se disputent l'origine d'Homère. L’Hymne homérique à Apollon délien mentionne Chios et Simonide de Céos[13] attribue à « l'homme de Chios » l'un des plus fameux vers de l'Iliade, « il en est de la race des humains comme des feuilles[14] », devenu un proverbe à l'époque classique. Lucien de Samosate (120 - v. 180) fait d'Homère un Babylonien envoyé en otage (en grec ὅμηρος / homêros) chez les Grecs, d'où son nom[15]. Interrogé à cet effet, l'oracle de Delphes répond en 128 à l'empereur Hadrien qu'Homère est natif d'Ithaque et qu'il est fils de Télémaque et Polycaste[16]. Le philosophe et érudit Proclos (412485) conclut la polémique dans sa Vie d'Homère, en disant que celui-ci fut avant tout un « citoyen du monde ».

En fait, nous ne savons rien sur la vie d'Homère. Huit biographies anciennes nous sont parvenues, faussement attribuées à Plutarque et Hérodote : elles s'expliquent probablement par l'« horreur du vide » des biographes grecs[17]. Elles datent pour les plus vieilles de l'époque hellénistique et regorgent de détails aussi précis que fantaisistes, dont certains remontent à l'époque classique : il en ressort qu'Homère est né à Smyrne, a vécu à Chios et a trouvé la mort à Ios, une île des Cyclades. Son véritable nom est Mélesigénès ; son père est le dieu fleuve Mélès et sa mère, la nymphe Créthéis[18]. Dans le même temps, Homère est également un descendant d'Orphée, ou un cousin, voire un simple contemporain du musicien.

Homère, personnage historique ?

Une thèse récente, formulée par des auteurs anglo-saxons, postule que l'Odyssée aurait été écrite par une femme sicilienne du VIIe siècle av. J.‑C. (et dont le personnage de Nausicaa serait une sorte d'autoportrait) : le premier à avoir lancé l'idée est l'écrivain anglais Samuel Butler dans The Authoress of the Odyssey, en 1897. Le philosophe français Raymond Ruyer, grand admirateur de Samuel Butler (cf. La gnose de Princeton), va dans le même sens dans son ouvrage Homère au féminin ou La jeune femme auteur de l'Odyssée publié chez Copernic en 1977. Cette conception a été reprise par le poète Robert Graves dans son roman Homer's Daughter[19] et plus récemment, en septembre 2006, par l'universitaire Andrew Dalby dans son essai Rediscovering Homer[20].

D'autres remettent en cause l'existence d'un Homère historique. Son nom même pose problème : on ne connaît aucune autre personne portant ce nom avant l'époque hellénistique et il reste rare avant l'époque romaine, où il est porté en particulier par des affranchis[21]. Le nom signifierait « otage » et différents récits visent à expliquer pourquoi Homère a reçu ce nom, après avoir été donné en otage par telle ou telle cité. On a objecté que le terme se rencontre normalement au neutre pluriel ὅμηρα / homêra) et non au masculin. Éphore de Cymé, un auteur du IVe siècle av. J.‑C., explique quant à lui que, dans le dialecte de sa cité, le nom signifie « aveugle » et qu'il a été donné au poète en raison de sa cécité, le but étant de prouver qu'Homère est un compatriote[22]. Cependant, le mot n'est pas attesté par ailleurs et le mot « aveugle », si on le rencontre comme cognomen, n'est jamais donné comme nom seul[23]. Par ailleurs, on a fait valoir que pour les épopées, l'anonymat était la règle et le nom d'auteur, l'exception[24].

On a donc pu parler de l'« invention » d'Homère. Pour Martin L. West, le personnage a été inventé par les érudits athéniens du VIe siècle av. J.‑C. à partir des revendications d'organisations de rhapsodes tels que les Homérides de Chios, qui prétendaient descendre d'Homère, lui attribuaient les poèmes qu'ils récitaient et racontaient divers épisodes de la vie de leur supposé ancêtre[25]. Pour Barbara Graziosi, il s'agit plutôt d'un mouvement panhellénique, lié aux représentations des rhapsodes à travers l'ensemble de la Grèce : qu'il ait existé ou non un Homère, le nom d'Homère est devenu un nom fameux dans toute la Grèce, auquel les rhapsodes pouvaient se référer pour attirer les foules lors de leurs récitations publiques[26].

Œuvres

Les 7 premiers vers de l’Iliade

L’Iliade et l’Odyssée sont attribués à Homère dès le VIe siècle av. J.‑C. On lui attribue également l'œuvre épique comique Batrachomyomachia (littéralement « la bataille des grenouilles et des rats », parodie de l’Iliade), un poème comique intitulé Margitès[27], et une collection de courts hymnes connus sous le nom des Hymnes homériques. En réalité, ces œuvres, bien que difficiles à dater précisément, ont été composées plus tard (la Batrachomyomachia a peut-être été composée au cours du Ve siècle av. J.-C[28]. ou à l'époque hellénistique[29] ; la date précise du Margitès n'est pas connue, mais il semble relativement ancien[30] ; les Hymnes homériques ont été composés aux VIIe et VIe s[31].).

Au-delà, le nom d'Homère est pratiquement synonyme, dans l'Antiquité, de la poésie épique dans son ensemble, de même que celui d'Hésiode désigne toute forme de poésie didactique. Ainsi, on trouve fréquemment son nom accolé aux titres des épopées du Cycle troyen. Hérodote rapporte que la « poésie homérique » est bannie par Clisthène, tyran de Sicyone, à cause de ses références à Argos[32] — ce qui laisse supposer que le Cycle thébain était également considéré comme homérique. Hérodote lui-même s'interroge sur la paternité homérique des Épigones[33] et des Chants cypriens[33]. Certains lui attribuent également la Prise d'Œchalie. Enfin, nombre d'auteurs antiques citent des vers qu'ils attribuent à Homère, mais qui ne figurent ni dans l’Iliade, ni dans l’Odyssée : Simonide de Céos[34], Pindare[35], etc.

Ce n'est qu'à partir de Platon et Aristote que l'attribution se limite à l’Iliade et de l’Odyssée, mais au XVIe siècle encore, Érasme croit que la Batrachomyomachia est une œuvre d'Homère.

La question homérique

Du fait des maigres informations dont nous disposons sur Homère, certains ont mis en question son existence même. Cette question remonte à l'Antiquité : selon Sénèque, « c’était la maladie des Grecs de chercher quel était le nombre des rameurs d’Ulysse ; si l’Iliade fut écrite avant l’Odyssée, si ces deux poèmes étaient du même auteur[36]. »

La « question homérique », comme on l'appelle à l'époque moderne, naît probablement chez l'abbé d'Aubignac[37]. À rebours de la révérence de ses contemporains pour Homère, il rédige vers 1670 les Conjectures académiques où, non content de critiquer les œuvres homériques, il remet en cause l'existence même du poète. Pour lui, l'Iliade et l'Odyssée ne sont qu'une collection de textes rhapsodiques antérieurs[37]. À peu près à la même époque, Richard Bentley estime au détour de ses Remarques sur le Discours de la liberté de penser qu'Homère a bien existé, mais qu'il n'est l'auteur que de chansons et de rhapsodies qui ont été bien plus tard réarrangées sous forme épique[37]. Giambattista Vico considère quant à lui qu'Homère n'a jamais existé, mais que l'Iliade et l'Odyssée sont littéralement l'œuvre du peuple grec dans son ensemble[38].

Dans ses Prolegomena ad Homerum (1795), Friedrich August Wolf est le premier auteur à émettre l'hypothèse d'un Homère analphabète. Selon lui, le poète a composé ses deux œuvres vers 950 av. J.-C., à une époque où la Grèce ne connaissait pas l'écriture. Les chants dans leur forme primitive sont ensuite transmis de manière orale et par ce biais, évoluent et se développent, jusqu'à leur fixation par la recension de Pisistrate au VIe siècle av. J.‑C.[39]. À partir d'eux se distinguent deux écoles : les unitaristes et les analystes.

Les analystes, tels Karl Lachmann, cherchent à isoler un poème originel, œuvre d'Homère lui-même, d'additions postérieures ou d'interpolations, et soulignent les incohérences du texte, les erreurs de composition : par exemple, Pylémène, héros troyen, est tué au chant V[40] avant de reparaître quelques chants plus loin[41] ou encore Achille espère au chant XI une ambassade qu'il vient juste de renvoyer.[réf. nécessaire] Il est vrai aussi que la langue homérique (voir infra), pour ne parler que d'elle, est un ensemble composite mêlant des dialectes divers (ionien et éolien principalement) et des tournures d'époques diverses. Cette démarche était déjà celle des Alexandrins qui ont établi le texte (voir infra).

Les unitaristes, au contraire, soulignent l'unité de composition et de style des poèmes, pourtant très longs (15 337 vers pour l'Iliade et 12 109 pour l'Odyssée) et défendent la thèse d'un auteur, Homère, qui a composé les poèmes que nous avons à partir de sources diverses existant à son époque ; les différences entre les deux poèmes s'expliquent alors par le changement entre un auteur jeune et le même, plus vieux, ou encore entre Homère lui-même et un continuateur de son école[42]. Ainsi Paul Claudel, à propos de « l'unicité de la main ouvrière » :

« Tous les événements, tous les thèmes locaux ont pris direction, rapport, équilibre, tous les dessous s'éveillent et se justifient, tout se met à chanter à la fois, tout le champ poétique à la fois jusqu'à ses suprêmes limites subit l'enchantement de cette voix nue, dans la concaténation des syllabes accélérées, qui le soutire vers le dénouement[43]. »

Aujourd'hui, la plupart des critiques pensent que les poèmes homériques ont été composés, en réutilisant des éléments antérieurs, lors d'une période de transition, au moment du passage d'une culture de composition et de transmission orale à une culture de l'écrit. L'intervention d'un auteur (ou de deux) ne fait guère de doute, mais il n'est pas douteux non plus que des poèmes antérieurs existaient et que certains ont été inclus dans l'œuvre homérique. D'autres ne l'ont pas été, comme ceux qui racontaient en détail l'épisode du cheval de Troie[44], qui n'est que brièvement évoqué dans l’Odyssée[45]. L’Iliade aurait été composée en premier, vers la première moitié du VIIIe siècle av. J.‑C., et l’Odyssée serait postérieure, datant de la fin du VIIe siècle av. J.‑C.

Transmission des textes homériques

Transmission orale

Articles détaillés : Théorie de l'oralité et Épithète homérique.

Les textes homériques se transmirent longtemps par voie orale. Dans sa célèbre thèse, L'Épithète traditionnelle chez Homère, Milman Parry montre que les nombreuses formules « nom propre + épithète », telles que « Achille aux pieds légers » ou « Héra, la déesse aux bras blancs » obéissent à des schémas rythmiques précis qui facilitent le travail de l'aède : un hémistiche peut être aisément complété par un hémistiche tout fait. Ce système, qu'on ne retrouve que dans la poésie homérique, est caractéristique de la poésie orale.

Parry et son disciple, Albert Lord, donnent ainsi l'exemple de bardes serbes de la région de Novi Pazar, analphabètes, capables de réciter de longs poèmes parfaitement versifiés, en utilisant ce type de formules rythmiques. Après avoir enregistré plusieurs de ces épopées, Lord s'aperçoit en revenant quelques années plus tard que les modifications apportées par ces bardes sont minimes. La versification est bien un moyen d'assurer une meilleure transmission des textes dans une culture orale.

De Pisistrate aux Alexandrins

Aristote devant le buste d'Homère, par Rembrandt (1653), Metropolitan Museum of Art

Pisistrate, au VIe siècle av. J.‑C., inaugure la première bibliothèque publique. Cicéron rapporte que les deux récits épiques sont alors pour la première fois retranscrits, sur l'ordre du tyran athénien[46]. Il promulgue une loi enjoignant à tout chanteur ou barde passant par Athènes de réciter tout ce qu'il connaît d'Homère pour les scribes athéniens, qui enregistrent chaque version et les réunissent en ce qui est à présent appelé l'Iliade et l'Odyssée. Des savants tels que Solon (qui s'était pourtant opposé à Pisistrate pendant sa campagne électorale) participent à ce travail. Le fils du tyran, Hipparque, ordonne que le manuscrit soit récité tous les ans à l'occasion de la fête des Panathénées, selon le dialogue Hipparque attribué à Platon.

Les textes homériques sont alors écrits et lus sur des rouleaux de parchemin ou de papyrus, les volumina (d'où vient le français « volume »). Aucun rouleau intégral n'a été sauvegardé. Seuls subsistent des fragments, retrouvés en Égypte, dont certains remontent au IIIe siècle av. J.‑C. L'un d'entre eux, Sorbonne inv. 255, contenant les chants IX et X, montre que, contrairement à ce que l'on pensait jusqu'alors :

  • le découpage des œuvres en 24 chants chacun, numérotés par les 24 lettres de l'alphabet ionien, est antérieur à l'œuvre des grammairiens alexandrins de l'époque hellénistique ;
  • le découpage en chants ne correspond pas à une nécessité pratique (un chant par rouleau).

Ensuite, les premiers à travailler à une édition critique des textes homériques sont les grammairiens alexandrins. Zénodote, premier bibliothécaire de la Bibliothèque d'Alexandrie, commence le travail de défrichage, tandis que son successeur Aristophane de Byzance établit la ponctuation du texte. Aristarque de Samothrace, successeur d'Aristophane, écrit des commentaires de l'Iliade et de l'Odyssée, et tente de différencier le texte attique, établi sur les ordres de Pisistrate, et les additions hellénistiques.

Des Byzantins à l'imprimerie

Au IIIe siècle, les Romains répandent dans le bassin méditerranéen l'usage du codex, c'est-à-dire le livre broché largement utilisé aujourd'hui. Les plus anciens manuscrits connus sous cette forme remontent au Xe siècle. Ils sont l'œuvre d'ateliers byzantins. C'est le cas par exemple du Venetus 454A, l'un des meilleurs manuscrits existant, qui permit en 1788 au Français Jean-Baptiste-Gaspard d'Ansse de Villoison d'établir l'une des meilleures éditions de l'Iliade[47]. Au XIIe siècle, l'érudit Eustathe de Thessalonique compile les commentaires alexandrins[48]. Il ne retient que 80 corrections sur les 874 établies par Aristarque de Samothrace. En 1488, la version princeps des œuvres est imprimée à Florence.

La langue homérique

Article détaillé : Langue homérique.

La langue homérique est une langue de l'épopée, déjà archaïque au VIIIe siècle av. J.‑C. et davantage encore au moment de la fixation du texte, au VIe siècle av. J.‑C.. D'ailleurs, avant ce moment, certains de ces archaïsmes ont été remplacés, introduisant ainsi dans le texte des atticismes.

Parfois, la métrique de l'hexamètre dactylique permet de retrouver la forme initiale, ainsi que d'expliquer certaines tournures. C'est le cas par exemple pour le digamma (Ϝ /w/), phonème disparu dès le Ier millénaire av. J.-C., encore utilisé chez Homère pour des questions de scansion, même s'il n'est ni écrit ni prononcé. Ainsi du vers 108 du chant I de l'Iliade :

« ἐσθλὸν δ’ οὔτέ τί πω [Ϝ]εἶπες [Ϝ]έπος οὔτ’ ἐτέλεσσας »

L'emploi concurrent de deux génitifs, l'archaïque en -οιο et le moderne en -ου, ou encore deux datifs pluriels (-οισι et -οις) montrent que l'aède pouvait alterner à son gré formes archaïques et modernes : « la langue homérique est un mélange de formes d'époques diverses, qui n'ont jamais été employées ensemble et dont la combinaison relève d'une liberté purement littéraire » (Jacqueline de Romilly).

Mieux encore, la langue homérique combine différents dialectes. On peut écarter les atticismes, transformations rencontrées lors de la fixation du texte. Il reste deux grands dialectes, l'ionien et l'éolien, dont certaines particularités sont manifestes pour le lecteur : par exemple, l'ionien utilise un êta (η) là où l'ionien-attique utilise un alpha long (), d'où les noms « Athéné » ou « Héré » au lieu des classiques « Athéna » et « Héra ». Cette « coexistence irréductible » des deux dialectes, selon l'expression de Pierre Chantraine, peut s'expliquer de diverses façons :

  • composition en éolien, puis passage en ionien ;
  • composition dans une région où les deux dialectes sont également utilisés ;
  • libre choix de l'aède, comme pour le mélange des formes d'époques différentes, souvent à cause de la métrique.

De fait, le dialecte homérique est une langue composite qui n'a existé que pour les poètes et n'a jamais été réellement parlée, ce qui accentue la rupture créée par l'épopée avec la réalité du quotidien. Plus tard, bien après Homère, les auteurs grecs vont imiter ces homérismes précisément pour « faire littéraire ».

Homère historien ?

« Masque d'Agamemnon » en feuille d'or martelé, trouvé à Mycènes, aujourd'hui au Musée national archéologique d'Athènes

Les auteurs de l'Antiquité pensaient qu'Homère chantait des événements ayant réellement existé, et que la guerre de Troie avait vraiment eu lieu. Ils faisaient leur la remarque d'Ulysse à l'aède Démodocos :

« Tu chantes avec un grand art le sort des Grecs,
Tout ce qu'ont fait, subi et souffert les Argiens,
comme un qui l'eût vécu, ou tout au moins appris d'un autre[49] ! »

Au XIXe siècle encore, c'est pour retrouver les sites décrits par l'épopée qu'Heinrich Schliemann lance ses fouilles en Asie Mineure. Quand il met au jour les ruines d'une ville appelée Troie, puis celles de Mycènes, on pense avoir prouvé la véracité des récits homériques. On reconnaît l'existence d'Agamemnon, pensant avoir trouvé un masque à son effigie, le grand bouclier d'Ajax, la coupe de Nestor, etc[50]. On identifie la société décrite par l'aède à la civilisation mycénienne.

Rapidement, les découvertes sur cette civilisation (au premier chef, le déchiffrement du linéaire B) remettent en cause cette thèse : la société achéenne ressemblait plus aux civilisations mésopotamiennes, administratives et bureaucratiques, qu'à une aristocratie de guerriers, sans État. Jacqueline de Romilly explique ainsi : « entre les documents soudain révélés et le contenu des poèmes, il n'y a pas un lien beaucoup plus étroit qu'entre la Chanson de Roland et des actes notariés de l'époque de Roland[51]. »

Moses Finley, dans Le monde d'Ulysse (1969), affirme que la société décrite, hors quelques anachronismes, a vraiment existé : ce sont les « siècles obscurs », ceux du Xe et IXe siècles av. J.‑C., situés entre la civilisation de Mycènes et le début de l'âge des cités (VIIIe siècle av. J.‑C.). Ainsi, il écrit dans « Les Siècles obscurs et les poèmes homériques » (Les Anciens Grecs, 1971) :

« Tout se passe donc comme si la volonté archaïsante des bardes avait été en partie couronnée de succès : bien qu'ils aient perdu presque tout souvenir de la société mycénienne, ils demeuraient assez en retard sur leur temps pour peindre avec quelque exactitude les siècles obscurs, dans leurs débuts plus qu'en leur fin — tout en laissant toujours subsister des fragments anachroniques, survivances mycéniennes d'une part, notations contemporaines de l'autre. »

La position de Finley est aujourd'hui également remise en question, en grande partie à cause d'anachronismes, montrant des traits datant du VIIIe ou du VIIe siècle av. J.‑C. D'abord, l'Iliade comprend trois descriptions de ce qui ressemble à la phalange, notamment :

« Ainsi ajustaient-ils casques et boucliers bombés.
Écus, casques et hommes se pressaient l'un contre l'autre,
Et quand ils se penchaient, les casques chevelus heurtaient
Leurs splendides cimiers, tant ils se tenaient serrés[52]. »

La date d'introduction de la phalange est sujette à débat, mais la plupart s'accordent sur les années 675 av. J.-C.

Les chars sont utilisés de manière incohérente : les héros partent sur leur char, en sautent et se battent à pied. Le poète sait que les Mycéniens utilisaient des chars, mais ne connaît pas leur utilisation à l'époque (combat char contre char, utilisation des javelots), et calque l'utilisation des chars sur celle des chevaux à son époque (transport à cheval jusqu'au lieu de la bataille, combat à pied).

Le récit se passe en plein âge du bronze et les armes des héros sont effectivement faites de ce métal. Mais Homère donne à ses héros un « cœur de fer », et parle dans l'Odyssée du bruit fait, dans la forge, par une hache de fer que l'on trempe[53].

Ces usages issus d'époques différentes montrent qu'à l'instar de la langue d'Homère, le monde homérique n'a jamais existé en tant que tel. C'est un monde composite et poétique, tout comme la géographie du périple d'Ulysse.

Évocations artistiques

Littérature

  • Victor Hugo écrivit à son propos dans William Shakespeare : « Le monde naît, Homère chante. C'est l'oiseau de cette aurore ». Honoré de Balzac le place si haut qu'il écrit[54] : « Doter son pays d'un Homère, n'est-ce pas usurper sur Dieu ? »
  • Homère est à l'origine de la figure du poète aveugle, dont le handicap physique est contrebalancé par son génie poétique. À ce titre, plusieurs poètes ou écrivains postérieurs fameux ont été rapprochés d'Homère à cause de leur cécité, par exemple John Milton, auteur de l'épopée Paradise Lost, le guzlar (barde) serbe Filip Višnjić, le chasseur dogon Ogotemmêli ou plus récemment l'écrivain et poète argentin Jorge Luis Borges.
  • Lucien de Samosate met en scène Homère dans plusieurs de ses dialogues. Dans le voyage fictif qu'il relate dans les Histoires vraies (II, 20), Lucien rencontre Homère dans l'Île des Bienheureux : la conversation est l'occasion d'une parodie de la question homérique, qui se pose déjà à l'époque de Lucien.
  • Dans Le Dossier H. (1981), Ismail Kadare relate l'histoire de deux homéristes venus en Albanie enregistrer les épopées orales des rhapsodes, avec l'ambition d'élucider la question homérique.

Peinture

Sculpture

Bibliographie

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Éditions

  • Consulter la liste des éditions des œuvres de cet auteur liste des éditions.

Éditions anciennes

Le philologue allemand Gottfried Hermann publia en 1806 une édition des Hymnes.

Ouvrages généraux

  • Philippe Brunet, La Naissance de la littérature dans la Grèce ancienne, Paris, Le Livre de Poche, coll. « Références », 1997 (ISBN 2-253-90530-5) .
  • Pierre Carlier, Homère, Fayard, 1999.
  • M. C. Howatson (dir.), Dictionnaire de l'Antiquité, Paris, Robert Laffont, 1993 (Oxford University Press, 1989).
  • Suzanne Saïd, Monique Trédé et Alain Le Boulluec, Histoire de la littérature grecque, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 1997 (ISBN 2-13-053916-5) 
  • Jacqueline de Romilly, Homère, PUF, coll. « Que sais-je ? » n° 2218, 1999 (4e édition).
  • Monique Trédé-Boulmer, La Littérature grecque d'Homère à Aristote, PUF, coll. « Que sais-je ? » n° 227, 1992 (2e éd.).

Le monde d'Homère

  • « La Méditerranée d'Homère. De la guerre de Troie au retour d'Ulysse », Les Collections de L'Histoire, no 24, juillet-septembre 2004.
  • Moses I. Finley, Le Monde d'Ulysse, Maspéro, 1969.
  • Pierre Vidal-Naquet, Le Monde d'Homère, Perrin, 2000.

Études spécialisées

  • Louis Bardollet, Les Mythes, les dieux et l'homme. Essai sur la poésie homérique, Belles Lettres, coll. « Vérité des mythes », 1997.
  • Pierre Chantraine, Grammaire homérique, Klincksieck, coll. « Tradition de l'humanisme », t. I et II, 2002.
  • Barbara Graziosi, Inventing Homer: The Early Reception of Epic, Cambridge University Press, Cambridge, 2002.
  • (en) Geoffrey S. Kirk, The Songs of Homer, Cambridge University Press, Cambridge, 2005 (1re édition 1962) (ISBN 978-0-521-61918-9).
  • Gregory Nagy :
    • (en) Homer's Text And Language, University of Illinois Press, 2004,
    • (en) Homeric Responses, University of Texas Press, 2004.
  • (en) Adam Parry (éd.), The Making of Homeric Verse: The Collected Papers of Milman Parry, Oxford University Press, 1971.
  • Jacqueline de Romilly, Les Perspectives actuelles de l'épopée homérique, PUF, coll. « Essais et conférences », 1983 (cours professé au Collège de France).
  • Martin L. West, Studies in the text and transmission of the Iliad, K.G. Saur, München, 2001.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Notes

  1. Pierre Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, Klincksieck, 1999 (édition mise à jour) (ISBN 2-252-03277-4)  vol.II, p. 797.
  2. Odyssée [détail des éditions] [lire en ligne], VIII, 63-64.
  3. « τυφλὸς ἀνήρ, οἰκεῖ δὲ Χίῳ ἔνι παιπαλοέσσῃ », vers 172. L'hymne est daté entre le milieu du VIIe siècle av. J.‑C. et le début du VIe siècle av. J.‑C.
  4. Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse [détail des éditions] [lire en ligne], III, 104.
  5. Dion Chrysostome, Discours, XXXVI, 10-11.
  6. FHG II, 221.
  7. Snell, TrGF I 20 Achaeus I, T 3a+b.
  8. Platon, Phèdre [détail des éditions] [lire en ligne], 243a.
  9. Diels, II, 88-89.
  10. M. P. Nilsson, Homer and Mycenæ, Londres, 1933p. 201.
  11. Aristote, Éthique à Eudème, 1248b.
  12. R. G. A. Buxton, « Blindness and Limits: Sophokles and the Logic of Myth », JHS 100 (1980), p. 29 [22-37.
  13. Simonide, frag. 19 W² = Stobée, Florilège, s.v. Σιμωνίδου.
  14. Iliade [détail des éditions] [lire en ligne] (VI, 146).
  15. Lucien, Histoire vraie (II, 20).
  16. Anthologie palatine (XIV, 102).
  17. Kirk, p. 1.
  18. Selon Harpocration, le conte de Mélès et Créthéis est déjà discuté par Hellanicos, au Ve siècle av. J.‑C. On le trouve également dans les Images de Philostrate (VIII) [lire en ligne].
  19. R. Graves, Homer's Daughter, Academy Chicago Publishers, 2005. (en) Résumé sur Amazon
  20. A. Dalby, Rediscovering Homer, W. W. Norton, 2006. (en) Résumé sur Amazon
  21. M.L. West, « The Invention of Homer », CQ 49/2 (1999), p. 366 [364-382].
  22. Éphore, FGrHist 70 F 1.
  23. West, p.  367
  24. West, p. 365-366.
  25. West (2001), p. 17
  26. Graziosi (2002), p. 48-49.
  27. Le Margitès est attribué à Homère par Aristote, Poétique, 4, 1448b, et Archiloque [réf. nécessaire].
  28. Howatson (dir.), article Batrachomyomachia.
  29. Saïd-Trédé-Le Boulluec (1997), p. 52.
  30. Howatson (dir.), article Margitès.
  31. Saïd-Trédé-Le Boulluec (1997), p. 53.
  32. Hérodote, Histoires [détail des éditions] [lire en ligne] (V, 37).
  33. a et b Hérodote (IV, 32).
  34. Simonide, frag. 564 PMG.
  35. Pindare, Odes [détail des éditions] [lire en ligne], Pythiques, IV, 277-278.
  36. Sénèque, De la brièveté de la vie [lire en ligne] (XIII, 2).
  37. a, b et c Parry, p. XII.
  38. Parry, p. XIII.
  39. Parry, p. XIV-XV.
  40. Iliade [détail des éditions] [lire en ligne] (V, 576-579).
  41. Iliade [détail des éditions] [lire en ligne] (XIII, 658-659).
  42. Ces hypothèses sont formulées par exemple par R.B. Rutherford, « From the Iliad to the Odyssey », in Oxford Readings in Homer’s Iliad, Oxford University Press, Oxford, 2001, pp.117-146.
  43. Préface de Paul Claudel à l’Odyssée, éd. Gallimard.
  44. E. Lasserre, L'Iliade, Introduction, éd. Garnier-Flammarion.
  45. Odyssée [détail des éditions] [lire en ligne], IV, 251-290, et VIII, 492-520.
  46. De oratore, III, 40.
  47. (en) Bryn Mawr Classical Review 2000.09.12
  48. Biographie universelle classique, Charles Gosselin, 1829, p. 1017, col. 2, article Eustathe
  49. Odyssée [détail des éditions] [lire en ligne] (VIII, 489–491). Extrait de la traduction de Philippe Jaccottet.
  50. Kirk, p. 9.
  51. Jacqueline de Romilly, Homère, 1999.
  52. Iliade (XVI, 215–217), extrait de la traduction de Frédéric Mugler. Voir aussi Iliade (XII, 105 ; XIII, 130-134) et peut-être Iliade (IV, 446-450 = VIII, 62-65).
  53. Odyssée [détail des éditions] [lire en ligne] (IX, 390–395).
  54. La Fille aux yeux d'or, édition Furne, 1845, vol. IX, p. 2.
  55. (fr) Notice sur Utpictura18

Références

  • (en) Geoffrey S. Kirk, « The making of the Iliad: preliminary considerations » dans The Iliad: a Commentary, vol. I (chants 1-4), Cambridge University Press, Cambridge, 1985 (ISBN 978-0-521-28171-3).
  • (en) Adam Parry, « Introduction » dans The Making of Homeric Verse. The Collected Papers of Milman Parry, Oxford University Press, Oxford, 1971 (ISBN 978-0-19-520560-2).


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