- Histoire de l'Associated Press
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L'Histoire de l'Associated Press, la plus ancienne des agences de presse encore existante, a été marquée par les efforts pour tisser un réseau associant de grands journaux sur tout le territoire des Etats-Unis, puis pour résister d'abord à la concurrence d'entreprises américaines puis à celle du géant britannique Reuters.
Sommaire
Le XIXe siècle
Les débuts à New York
Vers le milieu du XIXe siècle, les journaux new- yorkais réalisèrent rapidement intérêt du nouvel outil que constituait le télégraphe, dans le grand port des Etats-Unis. L'Associated Press est fondée au printemps 1846, pour le compte de cinq journaux de la ville, sous le nom de «Harbor Associated Press»[1], sous l'impulsion de Moses Yale Beach (1800–68), patron du New York Sun, le plus grand des cinq, avec un tirage quotidien de 55000 exemplaires. Le but de partager les different coûts de transmission occasionnés par la guerre contre le Mexique, qui vient de démarrer. Le New York Tribune se joint en 1849 aux cinq premiers. Le New York Times devient membre à son tour, dès sa création en 1851.
Le tirage des six journaux new-yorkais à l'origine de l'Associated Press : Journal New York Sun New York Herald New York Tribune The Express (journal) Courier and Enquirer Journal of Commerce Tirage en 1850[2] 55000 32640 19680 10700 5200 4800 En 1849, l'association ouvre son premier bureau à l'étranger, sur la côte est du Canada, à Halifax (Nouvelle-Ecosse). Un journaliste du nom de Daniel H. Craig est installé dans le seul grand port canadien libre de glaces toute l'année, afin de recueillir des informations des bateaux en provenance de l'Europe, plusieurs jours avant leur arrivée à New York. Elle devient en 1956 la «New York Associated Press» (NYAP), présidée par Gerard Hallock, le patron du Journal of Commerce.
Les premières nouvelles d'Europe transmises par câble transatlantique arrivent en 1858, sous la forme de télégramme résumant cinq dépêches. La dernière ligne annonce : “Mutinerie réprimée. Toute l'Inde à nouveau paisible”[3].
La Guerre de Sécession
En 1861, des douzaines de reporters sont envoyés au front pour couvrir la Guerre de Sécession, opposant le Nord et le Sud aux États-Unis. C'est la première fois que l'agence couvrait un conflit pour plusieurs journaux membres en étant présente des deux côtés d'une guerre. Ils doivent faire face à des menaces de censure et envoient leurs dépêches sous la signature anonyme “de l'agent de l'Associated Press”. Les journaux du MidWest qui s'abonnent sont cependant déçus par l’insuffisance des nouvelles reçues lors de la guerre de Sécession.
L'Associated Press et la Western Union sortirent plutôt renforcées de la guerre de Sécession, la première parce qu'elle récupéra des commandes du gouvernement, la seconde en absorbant des compagnies rivales fragilisées par le conflit[4]. En 1861, AP récupéra le marché des commandes aux Journal officiel de Washington dont le rôle était de diffuser les avis officiels et les annonces[5].
Rivalités et associations entre grands journaux
Les différentes associations de journaux qui vont se créer décident alors d’échanger leurs nouvelles, système qui fonctionne plutôt mal que bien, d’autant qu’apparaît la United Press, qui connait un grand succès à partir de 1882, lorsque plusieurs journaux refusent de partager avec leurs concurrents locaux. United Press sera dirigée à partir de 1897 par Walter P. Phillips.
À partir de 1862, la NYAP fait face à une nouvelle agence, qui est à la fois une associée et une rivale, la Western Associated Press (WAP), et qui l’accuse de pratiques monopolistiques. La nouvelle métropole de Chicago s’estime alors pénalisée par les journaux de New York. Constituée de ces journaux du MidWest qui critiquent l’insuffisance des nouvelles reçues lors de la guerre de Sécession, la Western Associated Press installe en 1965 à New York ses propres agents, qui veillent à ce que toutes les nouvelles leurs soient bien transmises. Cinq autres AP régionales apparaissent de 1877 à 1882, en particulier au Texas et en Californie, qui se reposent principalement sur celle de Chicago.
La conquête de l'Ouest et les problèmes de neutralité
Vers 1870, l'Associated Press fournissait déjà des dépêches à environ 600 journaux, de tendances politiques variées, bien que l'agence penchât plutôt du côté des Républicains[6]. Lors de l'élection présidentielle de 1876, les discours du candidat républicains, Hayes, furent largement diffusés dans le pays, tandis que les interventions des Démocrates étaient plutôt ignorées.
En 1875, malgré les protestations de la plus grande des sociétés télégraphiques américaines, la Western Union, l'AP obtient de l'État la location des premières lignes télégraphiques dédiées exclusivement aux transmissions de dépêches d'actualité, un circuit de 362 kilomètres entre New York et trois autres villes. Les sociétés télégraphiques souhaitaient alors limiter le service à des messages très courts et se méfiaient d'une banalisation de leur produit par les agences de presse.
En 1876, lorsque la Conquête de l'Ouest bat son plein, Mark Kellogg est le premier correspondant d’AP mort au travail, pendant la bataille de Little Big Horn, sa dernière dépêche disant "I go with (Commander George Armstrong) Custer and will be at the death."
La victoire de Chicago contre New York en 1892
Des investigations commerciales sont lancées par Victor Lawson, patron du Chicago Daily News, fondé en 1872 par Melville Stone, également à l'origine de la Western Associated Press (WAP). En 1892, elles révèleront que la NYAP a passé des accords secrets avec sa concurrente la United Press (association) ce qui se traduit par la dissolution de la NYAP en 1892.
La « jeune garde » de Chicago prend le pouvoir au sein de la Western Associated Press, qui est alors rebaptisée Associated Press, une agence nationale basée à Chicago dans l’Illinois, et dans laquelle se fond la NYAP, dont les dirigeants plus âgés, préfèrent s’effacer une fois révélé le scandale de l’entente duopolistique.
Le XXe siècle
L’adoption du statut de coopérative en 1900
Pour autant, les intrigues des journaux membres pour se partager le marché national tout en excluant les concurrents locaux se poursuivent. En 1898, le journal Inter Ocean, membre d’AP depuis 1865, est exclu de la coopérative au motif qu’il reçoit des nouvelles d’un autre service[7]. Il se défend par une action en justice. La Cour suprême de l’État de l’Illinois, par une décision de 1900 (Arrêt Inter Ocean Publishing contre Associated Press) annule son exclusion et statue sur le fait qu’AP est un service public[7] portant obstacle au commerce, ce qui amène AP à déménager pour l’État de New York City, où la loi sur les sociétés est plus favorable aux coopératives[8].
La concurrence d’Hearts et Scripps
L’association et ses membres s’est vite retrouvée aussi confrontée à concurrence de nouveaux empires des médias créé par des hommes d’affaires qui rachètent les titres un par un. Edward Willis Scripps fonde en 1897 la United Press, qui prend de l’importance dans les années 1910 sous la direction de Roy Howard[9]. William Randolph Hearst créé à son tour l’International News Service (INS) en 1909
Entre 1915 et 1917, les trois premières agences de presse américaines ont respectivement 908, 625 et 400 clients aux États-Unis, Associated Press conservant la tête mais en réunissant moins de membres que ses deux poursuivants.
En octobre 1916, la France et l’Angleterre reprochent à William Randolph Hearst son manque de neutralité car il fait ouvertement campagne contre l’entrée en guerre des États-Unis. Son agence INS se voit refuser l’accès aux liaisons par câble transatlantiques. Un peu plus tôt le Harper's Weekly avait enquêté pour accuser INS d’avoir de faux correspondants en Europe, et de fabriquer de faux reportages à partir de nouvelles de l’ Associated Press[9]. William Randolph Hearst n’avait pas répondu à ces accusations. L’Associated Press lui fait un procès et gagne en 1918, ce qui assure un premier droit d’auteur aux journalistes américains[10].
Face aux critiques de l’Associated Press, le président de United Press, Karl A. Bickel, lors du 20e anniversaire de la création de la société, décrit l’Associated Press comme une « expérience socialiste ».
Le développement d’un réseau international
Melville Stone, fondateur du Chicago Daily News en 1875, sera directeur général d’AP de 1893 à 1921, période durant laquelle il met l’accent sur les standards de fiabilité, d’impartialité, et d’intégrité pour lesquels AP est toujours réputé.
Son propre quotidien est l'un des premiers journaux américains à établir un réseau étranger à la fin du XIXe siècle. La Société des gens de lettres affirme alors qu’elle connaît sa « fidèle et vigilante sympathie pour la France ». Melville Stone, rend visite aux hommes d'État européens, et annonce ensuite qu'il a obtenu des facilités de transmission entre l'Europe et l'Amérique du Nord. Le télétype permettant de taper à la machine les dépêches à distance est installé en 1914.
En 1919, l'Associated Press commence à fournir ses informations aux médias étrangers suite à la décision de son conseil d'administration de rompre ses accords avec un cartel européen qui réclamait un droit d'exclusivité sur la distribution d'informations en Amérique latine et ailleurs. Les informations de l'AP sont diffusées par radio dès 1920 et l'année suivante, pour la première fois, la coopérative diffuse un article signé de son rédacteur, à la demande de plusieurs journaux.
Kent Cooper, qui succède à Melville Stone de 1925 à 1948, développe un réseau de bureaux en Amérique du Sud et en Europe, puis au Moyen-Orient à partir de 1948. Il introduit la transmission de photo par câble en 1935.
En 1838, le Mahatma Gandhi, est accueilli à minuit à sa sortie de prison par le correspondant de l'AP Jim Mills. L'ayant reconnu, il lui déclare : “ Je suppose que lorsque j'arriverai aux portes du Paradis, la première personne que je rencontrerai sera un correspondant de l'Associated Press. ”
La concurrence de Reuters sur le sol américain
En 1925, l'Association de la presse britannique, créé en 1868, prend une participation majoritaire au capital de l'agence concurrente Reuters, avec 53% des parts puis la quasi-totalité du capital en 1930, seul un millier d'actions restant entre les mais de Sir Roderick Jones, qui est accusé en 1941 d'avoir compromis l'agence dans des opérations avec le gouvernement britannique, puis destitué. Le Reuters Trust est créé la même année, pour garantir l'indépendance de l'agence, codétenue par l'Association de la presse britannique et l'Association des propriétaires de journaux.
En 1962, Reuters entend parler de spéculations boursières sur des innovations technologiques lancée par Scantlin Electronics et tente de nouer un accord commercial pour offrir à ses clients le Quotron, qui permet de consulter des cours de Bourse sur un mini-boitier. Faute d'avoir trouvé un terrain d'entente, il se tourne en 1963 vers une petite société concurrente, Ultronics Systems, dont le produit Stockmaster offre les mêmes fonctions. Trois ans après, GTE se substitue à ATT, pour fournir les lignes transatlantiques qui font le succès du produit Reuters Ultronics Report. En plus des informations européennes, Reuters propose alors aux clients américains du Stockmaster, ses propres informations économiques, mais aussi générales, sur les États-Unis, en embauchant des reporters. La même année, l'accord d'échange de nouvelles avec Associated Press et Dow Jones and Company est résilié[11]. La langue anglaise et l'intérêt commun pour la Bourse rapprochent ce vaste réseau de clients, des deux côtés de l'Atlantique.
Le défi de l'information financière
En 1985, après vingt années de succès du concurrent Reuters dans l'information financière en direct, Dow Jones and Company, qui est associé à l'Associated Press, prend 32% de Telerate, pour 285 millions de dollars, puis réinvestit 415 millions de dollars pour monter à 56% en septembre 1987, juste avant le krach boursier d'octobre 1987, puis encore 148 millions de dollars l'année suivante pour monter à 67%[12].
Les besoins des traders ou des gérants de portefeuille utilisant les produits « Reuters » ou « Dow Jones Telerate » sont cependant négligés par leurs fournisseurs. L'agence d'informations financières Bloomberg va en profiter pour capitaliser une forte croissance dans les années 1990[13]. Telerate est alors peu à peu marginalisée et ses services sont intégrés à ceux de Dow Jones, au sein de la filiale Dow Jones Newswires.
L'aventure d'APTV
En 1994, la coopérative lance APTV, une agence mondiale d'informations audiovisuelles, dont la filiale Sport, SNTV, aura dès 1999 environ 330 abonnés dans le monde. En 1999, l'acquisition de WTN a en effet permis de créer une nouvelle société, AP Television News (APTN), qui devient ainsi le premier fournisseur d'informations audiovisuelles au monde.
Grâce à la base de clientèle que constitue les centaines de télévisions locales opérant aux Etats-Unis, le chiffre d'affaires de la nouvelle filiale est multipliée par cinq en 1996, l'année du réel décollage de l'activité télévision, qui se solde par une perte de 19,7 millions de dollars[14]., facilement absorbée car la coopérative a un endettement modeste, de seulement 44 millions de dollars.
Liste des directeurs généraux de l'Associated Press
- Alexander Jones (1848-1851)
- Daniel H. Craig (1851-1856)
- James W. Simonton (1866-1883)
- William Henry Smith (1883-1893)
- Melville Stone (1893-1921)
- Frederick Roy Martin (1921-1925)
- Kent Cooper (1925-1948)
- Frank J. Starzel (1948-1962)
- Wes Gallagher (1962-1976)
- Keith Fuller (1976-1984)
- Louis Boccardi (1984-2003)
- Tom Curley, depuis 2003
Notes et références
- Histoire d'AP sur le site officiel américain
- "The formative years, from pretelegraph to 1865", page 125
- "Evénements clés de l'histoire d'AP, sur le site officiel de la société
- Armand Colin, 1995 "Annales, Volume 50", par Lucien Paul Victor Febvre,
- "Trafic de nouvelles" par Oliver Boyd-Barrett et Michael Palmer, page 237
- "News Over the Wires. The Telegraph and the Flow of Public Information in America, 1844-1897", par Menahem Blondheim
- « American journalism: history, principles, practices”, par William David Sloan,Lisa Mullikin Parcell
- http://chestofbooks.com/business/law/Case-Method/Public-Service-Corporations-I-Nature-Of-Public-Calling.html
- « American journalism: history, principles, practices”, par William David Sloan,Lisa Mullikin Parcell, page 159
- « American journalism: history, principles, practices”, par William David Sloan,Lisa Mullikin Parcell, page 160
- "Une histoire mondiale de la photographie", de Naomi Rosemblum, commentée par Françoise Denoyelle
- http://www.fundinguniverse.com/company-histories/Dow-Jones-Telerate-Inc-Company-History.html
- "Entrepreneurs, managers,vendez-vous assez cher?", par Frédéric Iselin, page 177
- "The globalization of news", par Oliver Boyd-Barrett et Terhi Rantanen, page 28
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