- Bas-latin
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Latin vulgaire
Le latin vulgaire ou bas-latin (en latin, sermo uulgaris, « le langage populaire ») est un terme qui englobe les dialectes vernaculaires du latin qui existaient pour la plupart dans les provinces occidentales de l'Empire romain, jusqu'à ce que ces dialectes, s'écartant de plus en plus les uns des autres, fussent transformés au fur et à mesure en langues romanes primitives. On considère que la mutation, commencée vers le IIe siècle avec des traces de changements antérieurs, s'est terminée aux environs du IXe siècle.
Ce latin parlé différait de la langue littéraire qu'était le latin classique, aussi bien dans sa prononciation et son vocabulaire que dans sa grammaire. Certains aspects du latin vulgaire n'apparurent qu'à la fin de l'Empire, tandis qu'il est probable que d'autres existaient dans le latin parlé, au moins dans les formes basilectes du latin, bien plus tôt.
Dans la plupart des définitions, le « latin vulgaire » ou « latin populaire » apparaît comme une langue essentiellement parlée et rarement écrite, parce que le latin écrit restait plus proche du latin classique. Il y a de bonnes raisons pour penser que le latin parlé a éclaté en dialectes divergents pendant cette période. Parce que personne n'a transcrit les parlers quotidiens des latinophones durant la période dont il est question, ceux qui étudient le latin vulgaire doivent le faire en se servant de méthodes indirectes.
Notre connaissance du latin vulgaire provient de trois sources principales. Tout d'abord, la linguistique contrastive peut servir à reconstruire ses formes sous-jacentes à partir des langues romanes attestées, pour ensuite noter comment elles diffèrent du latin classique.
Ensuite, plusieurs textes de grammaire normative datant de la période du latin tardif condamnent des erreurs linguistiques que les latinophones avaient tendance à commettre. Ces textes sont donc de riches sources sur la manière dont les latinophones parlaient réellement leur langue.
Enfin, les solécismes et usages non-classiques que l'on décèle occasionnellement dans certains textes de latin tardif éclairent la manière dont leurs auteurs parlaient.
Sommaire
Description
Le nom « vulgaire » veut seulement dire « commun » : il vient du mot latin uulgaris, qui signifie « commun » ou « ce qui est du peuple ». L'expression de « latin vulgaire », inspirée de l'expression sermo uulgaris employée par Cicéron, et reprenant le sens de vulgaire dans les langues modernes, est apparue dans les années 1870. Pour les latinistes, « latin vulgaire » a plusieurs sens.
- Il désigne le latin parlé de l'Empire romain. Le latin classique était toujours une langue littéraire plutôt artificielle ; le latin qu'apportèrent les soldats, les commerçants et les artisans romains à la Gaule, à l'Ibérie ou en Dacie n'était pas nécessairement celui de Cicéron. Selon cette définition, le latin vulgaire était une langue parlée, tandis qu'on écrivait en latin « tardif » (dont le style était un peu différent des normes « classiques », c'est-à-dire les textes latins du Ier siècle).
- Il désigne l'ancêtre hypothétique des langues romanes. C'est une langue que l'on ne peut pas connaître directement, à part quelques inscriptions (graffitis) ; c'est le latin qui a subi bon nombre d'importants changements, y compris sonores, que l'on peut reconstruire avec la linguistique comparée en regardant les changements qui sont évidents dans ses descendants, les langues vernaculaires romanes.
- Dans un sens même plus circonscrit, on appelle parfois « latin vulgaire » la langue hypothétique proto-romane des langues romanes occidentales : les vernaculaires que l'on trouve au nord et à l'ouest d'une ligne La Spezia-Rimini, en France, et dans la péninsule ibérique ; et les langues romanes de l'Afrique du Nord-Est dont il ne reste que peu de traces. Selon ce point de vue, l'italien du sud-est de l'Italie, le roumain, et le dalmate se seraient développés séparément.
- On emploie parfois « latin vulgaire » pour décrire les innovations grammaticales que l'on trouve dans certains textes écrits en latin tardif, tels que le Peregrinatio Aetheriae du IVe siècle, un récit qu'a écrit une religieuse lors d'un séjour en Palestine et au mont Sinaï, ou bien des œuvres de Grégoire de Tours. Puisque la documentation écrite des formes du latin vulgaire est rare, ces œuvres sont très utiles aux philologues, surtout parce qu'elles contiennent parfois des « erreurs » qui nous donnent un aperçu des parlers en vigueur durant la période où elles furent écrites.
Certaines œuvres littéraires écrites en des registres familiers et datant de l'époque du latin classique nous permettent aussi d'entrevoir le monde du latin vulgaire. Les œuvres de Plaute, ainsi que celles de Térence, des comédies remplies de personnages qui sont des esclaves conservent certaines formes basilectes primitives du latin, tout comme le dialogue des affranchis dans le Cena Trimalchionis de Pétrone.
Le latin vulgaire s'est développé de façon différente dans les diverses provinces de l'Empire romain, et ces processus eurent comme résultat la formation graduelle des différentes langues romanes[1]. Bien que la langue officielle restât le latin, le latin vulgaire était la langue populaire, et cela jusqu'à ce que ces nouvelles formes localisées ne s'écartassent les unes des autres pour former de nouvelles langues standards. Évidemment, on considère que le latin vulgaire s'est perdu dès lors que les dialectes locaux commencèrent à acquérir assez de caractéristiques propres pour former des langues distinctes. Ces langues (proto-romanes) se sont transformées au fur et à mesure en langues romanes, et l'on peut dire que cette transformation s'est achevée lorsque l'on a pu distinguer une valeur indépendante dans chacune d'elles (par exemple, le mot pour « oui » : Oïl, Oc ou bien si).
On considère que durant le IIIe siècle, le vocabulaire du latin vulgaire , tout comme ses déclinaisons, changeait de façon importante. (par ex., equus fut remplacé par caballus, qui s'est plus tard transformé, en français, en cheval). Des études récentes (qu'il faudrait peut-être poursuivre d'une manière plus approfondie), semblent indiquer que les prononciations, elles aussi, commencèrent dès alors à diverger pour se rapprocher des prononciations actuelles. Selon ces études, l'exemple le plus spectaculaire de ces changements a eu lieu aux environs de Naples. Cependant, ces changements ne se produirent pas d'une manière uniforme dans le territoire de l'Empire, et donc, les différences les plus grandes se trouvaient peut-être parmi les diverses formes du latin vulgaire dans de multiples régions (et cela dû aussi à l'acquisition de racines locales plus nouvelles). Or cette théorie s'appuie pour la plupart sur la reconstruction a posteriori, plutôt que sur des textes.
Pendant quelques siècles après la chute de l'Empire romain, le latin vulgaire et le latin tardif écrit existaient en même temps, car quand les personnes éduquées qui parlaient l'un des vernaculaires romans essayaient d'écrire en se servant de la bonne grammaire et de la bonne orthographe, le résultat était un langage influencé par les normes du latin classique.
Pourtant, au troisième concile de Tours en 813, les prêtres se virent ordonner de donner leurs prédications dans les langues vernaculaires locales afin que celles-ci fussent compréhensibles - c'est-à-dire ou en rustica lingua romanica, un latin vulgaire alors nettement distinct du latin ecclésiastique figé, ou dans l'un des dialectes allemands. C'était un moment important dans l'évolution du latin vulgaire. Moins de trente ans après le concile de Tours, en 842, les Serments de Strasbourg enregistrant un accord entre deux des héritiers de Charlemagne, furent prêtés dans une langue romane et non en latin :
Extrait du texte :
« Pro Deo amur et pro christian poblo et nostro commun salvament, d'ist di in avant, in quant Deus savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meon fradre Karlo et in ajudha et in cadhuna cosa, si cum om per dreit son fradra salvar dift, in o quid il me altresi fazet, et ab Ludher nul plaid numquam prindrai, qui, meon vol, cist meon fradre Karle in damno sit. »Traduction :
« Pour l'amour de Dieu et pour le peuple chrétien et notre salut commun, à partir d'aujourd'hui, et tant que Dieu me donnera savoir et pouvoir, je secourrai ce mien frère Charles par mon aide et en toute chose, comme on doit secourir son frère, selon l'équité, à condition qu'il fasse de même pour moi, et je ne tiendrai jamais avec Lothaire aucun plaid qui, de ma volonté, puisse être dommageable à mon frère Charles. »Le latin tardif, toujours basé à Rome, comprit probablement ces acquisitions, enregistrant les changements qui s'effectuaient en latin dans une région plus proche — vaguement identique à l'Italie. Le latin soutenu fut alors « gelé », d'une part par les codifications du droit romain entreprises par Justinien, et d'autre part par l'Église ; les deux furent enfin unifiés par des copistes médiévaux, les séparant ainsi de façon définitive des idiotismes romans vulgaires qui s'étaient déjà établis comme indépendants. La langue écrite continuait d'exister en tant que latin médiéval. Les vernaculaires romans furent alors identifiés comme des langues distinctes, et ils commencèrent à développer des normes locales ainsi que leurs propres orthographes. Dès lors, il n'y a plus lieu de parler de « latin vulgaire », la langue parlée couramment n'étant plus du latin mais l'une des langues romanes naissantes.
Entre le VIIIe siècle et le Xe siècle, le latin cesse d'être compris comme langue de communication courante. M. Banniard, s'appuyant sur des travaux de sociolinguistique rétrospective, avance les dates suivantes :
Région Date de fin de la communication latine France d'oïl 750-800 France d'oc 800-850 Espagne mozarabe 850-900 Italie du Nord
et du centre900-950 Italie du Sud Indéterminé Afrique
en cours d'arabisation750-800 Le latin vulgaire est donc un terme collectif que l’on emploie pour décrire un groupe de dialectes ayant des caractéristiques locales (sans pour autant être nécessairement communs) mais qui ne sont pas une « langue » dans le sens classique du terme. On pourrait décrire le latin vulgaire comme n'étant qu'une matière floue « magmatique » qui s'est lentement et localement cristallisée en diverses formes primitives de chaque langue romane, qui ont, elles, comme source ultime le latin classique. Le latin vulgaire était donc un point intermédiaire dans l'évolution du latin vers les langues romanes, non point leur source.
La notion de « latin vulgaire » est aujourd'hui remise en cause au profit d'autres expressions. Certains linguistes préfèrent parler de « latin populaire » plutôt que de latin vulgaire[2]. Pour insister sur le caractère oral de ces formes de latin, d'autres emploient l'expression de « latin parlé » en ajoutant parfois la qualification de « tardif » d'où LPT (« latin parlé tardif »)[3]. L'expression « latin tardif » est parfois présentée comme un synonyme de « latin vulgaire ».
Phonologie
Voyelles
Lettre Prononciation Classique Vulgaire Ă, ă A bref /a/ /a/ Ā, ā A long /aː/ /a/ Ĕ, ĕ E bref /e/ /ɛ/ Ē, ē E long /eː/ /e/ Ĭ, ĭ I bref /i/ /ɪ/ Ī, ī I long /iː/ /i/ Ŏ, ŏ O bref /o/ /ɔ/ Ō, ō O long /oː/ /o/ Ŭ, ŭ V bref /u/ /ʊ/ Ū, ū V long /uː/ /u/ Y, y Y bref /y/ /ɪ/ Y, y Y long /yː/ /i/ Æ, æ AE /ai/ /ɛ/ Œ, œ OE /oi/ /e/ AU, au AV /au/ /au/ (voir Alphabet phonétique international pour une explication des symboles utilisés); Parmi les changements qu'a subi le latin classique pour qu'il se transforme en latin vulgaire, puis en langues proto-romanes, les plus profonds étaient la réorganisation de son système vocalique. Le latin avait originellement dix voyelles distinctes : des versions longues et courtes d'« a », « e », « i », « o », et « u », ainsi que trois diphtongues : « ae », « oe » et « au ». (Selon certains, il y figurait aussi « ui »).
Il y avait aussi des versions longues et courtes d'« y », empruntées au grec ancien. À part le sarde, on peut résumer les transformations vocaliques qu'a subies le latin classique dans le tableau à droite.
Les diphtongues « ae » et « oe » ont beaucoup changé. L'altération du « au » en /o/ est attestée dès le Ier siècle avant J.C., par l'exemple de Claudius Pulcher, qui adopta le nom de Clodius, pour suivre la prononciation populaire. Le « au » se réduira à /o/ dans bien des langues après que les /o/ et /oː/ originels eurent subi d'autres changements. (Le portugais le transforma seulement en /ou/, avant que ces changements ne deviennent, assez récemment, plus profonds. L'occitan et le roumain conservent le /au/ classique.)
Donc, le système de dix voyelles qu'eut le latin classique (sans compter les diphtongues et l'« y » d'origine grecque), qui avait d'ailleurs recours à un système de voyelles phonémique, se transforma en un système où les longueurs des voyelles n'avaient plus de valeur phonémique, mais où les altérations de la qualité vocale ont acquis une valeur phonémique. Parce que l'on n'était plus obligé de mettre l'accent sur certaines voyelles, les rendant plus longues que d'autres, on pouvait mettre l'accent sur des syllabes, accentuant certaines d'entre elles, ce qui se faisait beaucoup moins en latin classique. Or mettre l'accent sur les syllabes accentuées eut aussi comme résultat que les syllabes inaccentuées eurent tendance à devenir moins distinctes. De même que certains changements eurent lieu sur les sons des syllabes accentuées. Tous ces changements aboutirent à un nouveau système de voyelles : il y en avait sept qui étaient accentuées (six en roman, cinq en sarde) ainsi que cinq phonèmes vocaliques non-accentués.
Les voyelles auxquelles donnèrent naissance l'effondrement de l'O et l'E brefs se révélèrent instables dans les langues filles et eurent tendance à se transformer en diphtongues. Focus (dont l'accusatif est focum) (foyer) devint le mot général en protoroman pour "feu", ainsi remplaçant ignis, mais son 'O' bref se transforma en diphtongue ; des diphtongues différentes apparurent dans plusieurs des langues issues du protoroman (langue reconstruite) :
- espagnol : fuego
- français : feu (ce qui n'est plus une diphtongue, mais plutôt comme /fø/)
- italien : fuoco
En français et en italien, ces changements ne s'effectuèrent que dans les syllabes « ouvertes ». L'espagnol, cependant, se diphtongua dans toutes les circonstances, créant un système vocalique simple, consistant en cinq voyelles pour les syllabes accentuées et non-accentuées. En portugais, ce processus de diphtongaison n'eut pas lieu (fogo /ˈfogu/).
En roumain, le e bref du latin vulgaire s'est transformé en diphtongue, mais le « o » bref n'a pas connu le même sort (foc). Le catalan n'a connu, lui, qu'une faible diphtongaison (foc). Le portugais évita un peu l'instabilité vocalique en retenant la distinction latine entre les voyelles longues et brèves jusqu'à un certain point dans son système de voyelles fermées et ouvertes. Les « e » et « o » longs du latin devinrent en général des voyelles fermées en portugais (écrites ê et ô quand on les accentue). La prononciation de ces voyelles est la même que celle que l'on trouve dans la table de voyelles du latin vulgaire à droite.
Une certaine instabilité vocalique a pu cependant être observée, surtout celle de l'« o » faible, qui se transforme en /u/, ainsi que celle de l'« e » faible, qui se transforme en /i/ ou en /ə/.
Les consonnes
La palatalisation du latin /k/, /t/, et souvent /g/ était presque universelle en latin vulgaire ; les seuls dialectes romans qui n'en connaissaient pas les effets étaient certaines variétés du sarde. Donc, le latin caelum, prononcé /kaelu(m)/ /k/) devint ciel /sjɛl/ tandis qu'il devint céu /'sɛu/ en portugais : tous les deux commencent avec /s/. Les anciennes demi voyelles latines : V, prononcée /w/, ex vinum) ainsi que I (prononcé /j/, comme dans iocunda, ont fini par se transformer en /v/ et /dʒ/, respectivement. De même, quand les sons /b/, /w/ et /v/ se trouvaient entre des voyelles, ils se fusionnaient souvent en un son intermédiaire : /β/.
Dans l'alphabet latin, les lettres U et V, d'une part, et les lettres I et J d'autre part, ne représentaient pas de différents sons.
Dans la partie occidentale des régions des langues romaines, une voyelle épenthétique fut insérée au début des mots qui commençaient par un s et une autre consonne : latin spatha (épée) devint donc espada en espagnol et portugais. En revanche, les langues romanes orientales gardèrent les règles d'euphonie en ajoutant l'épenthèse à l'article précédant quand il le fallait. L'italien garde donc l'article la devant spada, mais transforme l'article il en lo devant spaghetto.
Le genre du latin fut renouvelé dans les langues filles quand celles-ci perdirent les consonnes finales. En latin classique, les terminaisons -us et -um servaient à faire la distinction entre les substantifs masculins et neutres dans la seconde déclinaison ; une fois -s et -m écartés, les neutres fusionnèrent avec les masculins, un processus qui s'acheva complètement dans les langues romanes. Par contre, certains pluriels neutres tels que gaudia (joies) furent réanalysés en tant que singuliers féminins. La perte du -m final était un processus qui semble avoir commencé très tôt. Ainsi, dans l'épitaphe de Lucius Cornelius Scipio Barbatus, mort autour de 150 av. J.-C., peut-on lire TAVRASIA CISAVNA SAMNIO CEPIT, ce que l'on eût écrit de la façon suivante en latin classique : Taurāsiam, Cisaunam, Samnium cēpit. Cependant, le -m final s'écrivait toujours dans la langue littéraire, quoique traité souvent comme muet pour la scansion en poésie.
Attestation des changements
Wikisource a le document original lié à cet article :On peut trouver des preuves pour ces changements dans l'Appendix Probi, un recueil de gloses datant du IIIe siècle qui prescrivent les formes correctes du latin classique pour certaines formes vulgaires. Ces gloses décrivent :
- un processus de syncope, la perte des voyelles inaccentuées, (MASCVLVS NON MASCLVS) ;
- la réduction du /e/ et /i/, jadis syllabique à /j/ (VINEA NON VINIA) ;
- un nivellement de la distinction entre /o/ et /u/ (COLVBER NON COLOBER) et /e/ et /i/ (DIMIDIVS NON DEMEDIVS) ;
- régularisation des formes irrégulières (GLIS NON GLIRIS) ;
- régularisation et accentuation des formes sexuées PAVPER MVLIER NON PAVPERA MVLIER) ;
- nivellement de la distinction entre /b/ et /v/ entre voyelles (BRAVIVM NON BRABIVM) ;
- la substitution de diminutifs pour des mots non-marqués (AVRIS NON ORICLA, NEPTIS NON NEPTICLA) ;
- La perte des nasales qui se trouvent dans la syllabe finale (MENSA NON MESA) ou l'insertion inappropriée des nasales en forme d'hypercorrection (FORMOSVS NON FORMVNSVS).
Bien des formes que les auteurs de l’Appendix Probi critiquèrent se révélèrent prolifiques dans les langues romanes ; oricla non pas auris, la forme classique, est la source d'« oreille » en français, d'orella en catalan, d'oreja en espagnol, d'orecchio en italien, d'ureche en roman, et d'orelha en portugais.
Le vocabulaire
Classique Seulement Classique & Langues romanes Français sidus (racine sider-) stella étoile cruor sanguis sang pulcher bellus beau ferre (racine perfective tul-) portare porter ludere jocare jouer os bucca bouche brassica caulis choux domus casa maison magnus grandis grand emere comparare acheter equus caballus cheval Certains mots venant du latin classique furent écartés du lexique du latin vulgaire. Equus, classique, se vit constamment remplacé par caballus (tocard) (mais il faut noter iapă en roumain, èbba en sarde, yegua en espagnol, egua en catalan et égua en portugais qui signifient toutes jument, et qui se dérive de equa en latin classique). De même, aequor (mer) céda partout à mare. On trouvera à droite une liste non exhaustive de mots qui se trouvaient exclusivement dans le lexique classique, confrontés à ceux qui furent productifs dans les langues romanes.
Certains de ces mots, délaissés dans les langues romanes, furent réempruntés au latin classique en tant que mots savants. Les changements lexicaux affectaient même les particules grammaticales de base du latin ; beaucoup ont disparu sans laisser de trace dans les langues romanes, telles que an, at, autem, donec, enim, ergo, etiam, haud, igitur, ita, nam, postquam, quidem, quin, quod, quoque, sed, utrum, et vel.
En revanche, puisque le latin vulgaire et le latin propre étaient, pendant des années, de différents registres de la même langue plutôt que des langues différentes, certaines langues romanes conservent des mots latins que la plupart d'entre elles ont perdus. Par exemple, ogni en italien (chaque) conserve omnes. D'autres langues se servent de cognats de totus (totum à l'accusatif) pour exprimer le même sens ; ainsi voit-on tutto en italien, tudo en portugais, todo espagnol, tot en catalan, occitan et en roumain, et bien sûr, tout en français.
Souvent des mots latins de nouveau empruntés à un registre plus élevé de la langue côtoient des formes plus évoluées. Les développements phonétiques attendus (ou bien leur absence) sont une indication que l'une des formes a été empruntée. En espagnol, par exemple, fungus, accusatif fungum en latin vulgaire (champignon, fongus) devint fungo en italien, fong en catalan, fongo en portugais et hongo en espagnol, le F > H étant normal en espagnol (cf. filius > hijo (fils) ou facere > hacer (faire). Mais hongo partage de l'espace sémantique avec fungo, lequel montre de par son manque de changement vocalique qu'il a été de nouveau emprunté au registre le plus élevé du latin.
Parfois, un mot latin classique est gardé tout comme son équivalent du latin vulgaire. En latin vulgaire, caput céda sa place à testa (tête) (lequel signifiait d'origine pot, une métaphore courante à travers l'Europe occidentale — cf. cup en anglais avec Kopf en allemand) dans certains langues romanes occidentales, y compris le français et l'italien. Or l'italien, le français, l'occitan, le catalan gardèrent caput sous les formes de capo, chef et cap respectivement, et ces mots retiennent bien des sens métaphoriques de tête, y compris patron. Le mot latin est conservé avec son sens original en roman cap, qui, tout comme ţeastă, veut dire tête dans un sens anatomique. De même, des dialectes méridionaux de l'italien conservent capo comme le mot usuel pour tête. L'espagnol et le portugais ont cabeza/cabeça, dérivés de *capetia, une forme modifiée de caput, tandis que testa fut gardée en portugais pour parler du front.
Dans l'ensemble, cela démontre un modèle commun, observé dans beaucoup de circonstances — les dialectes périphériques tendent à être plus conservateurs que les dialectes centraux.
Les verbes qui avaient des prépositions préfixées supplantèrent fréquemment des formes simples. Le nombre de mots formés par des suffixes tels que -bilis, -arius, -itare et -icare augmenta beaucoup. Ces changements eurent souvent lieu pour éviter les formes irrégulières ou bien pour régulariser le genre.
Pour bien comprendre les mutations lexicales du latin vulgaire tardif en France, il convient de regarder les gloses de Reichenau[1], écrites dans les marges d'un exemplaire de la Vulgate, qui expliquent des mots dans cette traduction (faite au IVe siècle) qui ne se comprenaient plus guère au VIIIe siècle, l'ère où l'on considère que les gloses furent rédigées. Ces gloses sont probablement d'origine française ; certains aspects du vocabulaire sont spécifiquement français.
Ces gloses montrent le remplacement lexical :
- FEMVR > coxa (portugais et vieil espagnol coxa, français cuisse, italien coscia, catalan cuixa, occitan cueissa, roumain coapsă)
- ARENA > sabulo (espagnol arena, portugais areia, français sable, occitan sabla, italien sabbia.)
- CANERE > cantare (portugais/espagnol/occitan/catalan cantar, français chanter, italien cantare, roumain cânta.)
Changements grammaticaux :
- OPTIMUS (le meilleur) MELIORES (meilleur) > meliores ("optimum" survécut en espagnol, portugais, catalan et français comme optimo, ótimo, òptim, ottimo et optimal/optimum respectivement, lesquels signifient le meilleur, tandis que mejor et melhor veulent dire meilleur ; portugais melhores, espagnol mejores, catalan millors, italien migliori (les meilleurs)
- SANIORE > plus sano (français plus sain, italien più sano, roumain mai sănătos, occitan mai san, catalan més sa, espagnol más sano, portugais mais são.
Mots empruntés aux langues germaniques :
- TVRBAS > fulcos (espagnol turbia, catalan turba, français foule, occitan fòga, italian folla.)
- CEMENTARIIS > mationibus (français maçons)
- NON PERPERCIT > non sparniavit (français épargner)
- GALEA > helme (français heaume, italien elmo, catalan elm, espagnol yelmo)
et des mots dont le sens a changé :
- IN ORE > in bucca (portugais/espagnol/occitan/catalan boca, français bouche, italien bocca)
- ROSTRVM > beccus (espagnol/galicien "rostro", et portugais "rosto" survécurent mais acquirent le sens de "visage". Français bec, italien becco, occitan bèc, catalan bec, espagnol "pico", et portugais bico sont les descendants de "beccus")
- ISSET > ambulasset (français allait; catalan anar, "aller")
- LIBEROS > infantes (français enfants)
- MILITES > servientes (français sergents)
La grammaire
La disparition du système casuel
Latin classique Nominatif : rosa Accusatif : rosam Génitif : rosae Datif : rosae Ablatif : rosā Latin vulgaire Nominatif : rosa Accusatif : rosa Génitif : rose Datif : rose Ablatif : rosa Les changements sonores qui avaient lieu en latin vulgaire affaiblirent le système casuel du latin classique et finirent par se débarrasser complètement du système des déclinaisons latin. À la suite de l'intenabilité du système casuel après ces changements phonétiques, le latin vulgaire se transforma d’une langue synthétique en une langue analytique. Dans ce dernier, l’ordre des mots est un élément nécessaire de la syntaxe. Considérons ce qu’entraînèrent la perte de la longueur phonémique vocalique et le changement sonore de AE /ae/ à E /ɛ/ à l’égard d’un substantif typique du premier groupe (voir table). On passe de 4 formes (rosa/rosam/rosae/rosā) à 2 seulement (rosa/rose).
L’élimination complète du cas se faisait graduellement. L’ancien français gardait encore une distinction entre le nominatif et l'oblique (qui s’appelait « cas-sujet/cas-régime ») ; elle disparut au cours des XIIe et XIIIe siècles, selon le dialecte en question. Le vieil occitan maintenait une distinction similaire, tout comme bien des langues rhéto-romanes jusqu’il y a quelques siècles. Le roumain garde toujours un cas génitif/datif, ainsi que des vestiges d’un vocatif.
La distinction entre le singulier et le pluriel était marquée de deux façons différentes dans les langues romanes. Au nord et à l’ouest de la ligne La Spezia-Rimini, qui divise l’Italie de manière horizontale et qui se trouve dans le nord de ce pays, le singulier se différenciait du pluriel en ayant recours à un –s final qui était présent dans les vieux pluriels accusatifs des substantifs masculins et féminins de toutes les déclinaisons. Au sud et à l’est de la ligne La Spezia-Rimini, la distinction entre singulier et pluriel se marquait par des changements des voyelles finales, comme en italien standard et en roumain. Ce qui conserve et généralise les distinctions qui se marquaient sur des pluriels nominatifs du 1er et 2e groupes.
Les articles dans les langues romanes
Il est difficile d’établir à quel point l’article défini, absent en latin mais présent dans une forme ou une autre dans toute langue romaine, se constitua. Surtout parce que le parler très familier où il surgit s’écrivait peu avant que les langues filles ne se fussent dégagées les unes des autres ; la plupart des textes écrits dans les langues romanes précoces qui nous sont disponibles montrent les articles pleinement développés.
Les articles définis étaient auparavant des pronoms démonstratifs ou des adjectifs ; on peut comparer le sort de l’adjectif démonstratif latin « ille, illa, (illud) » dans les langues romanes : ils devinrent « le » et « la » en français , « el » et « la » en catalan et espagnol, et « il » et « la » en italien. Les articles portugais « o » et « a » proviennent en dernière analyse de la même source. Sur ce point, le sarde encore suivit une autre voie, en formant son article de la base de « ipsu(m), « ipsa » (su, sa) ; certains dialectes du catalan et de l’occitan ont des articles venant de la même source. Tandis que la plupart des langues romanes mettent l’article avant le substantif, le roumain, lui, diffère d’elles dans la mesure où il le met après ; donc, on dit « lupul » (le loup) et « omul » (l’homme) – (de « lupum illum » et « *homo illum ».
Ce pronom est employé dans bon nombre de contextes, dans certains textes précoces d’une façon qui tend à suggérer que le démonstratif latin perdait sa force. La Bible dite Vetus latina contient un passage « Est tamen ille daemon sodalis peccati » (Le diable est un compagnon du péché) dans un contexte qui suggère que « ille » avait seulement le sens d’un simple article. Le fait qu’il fallût traduire des textes sacrés qui étaient d’abord écrits en grec qui avait, lui, un article défini encouragea peut-être le latin chrétien à choisir un mot pour le remplacer. Égérie emploie « ipse » de manière semblable : « per mediam vallem ipsam » (« par le milieu de la vallée), qui tend à montrer qu’ « ipse » s’affaiblissait lui aussi à cette période.
On peut trouver un autre témoignage de cet affaiblissement lorsque l’on considère qu’à l’époque, des textes juridiques et certains autres commençaient à contenir un grand nombre de mots comme « praedictus », « supradictus », etc. (qui peuvent tous être traduits par « susdit ») et qui semblent ne signifier que « celui-ci » ou « celui-là ». Grégoire de Tours écrit par exemple : « Erat autem… beatissimus Anianus in supradicta ciuitate episcopus » (Le bienheureux Aniane était évêque dans cette ville). Les adjectifs démonstratifs latins étaient perçus comme n’étant plus assez précis. Dans un langage moins soutenu, des formes reconstituées tendent à suggérer que les démonstratifs latins hérités avaient été renforcés en se combinant avec « ecce » (d’origine une interjection : (« voilà !») ou « *eccu », du latin classique « eccum » « regarde ça ! »). C’est l’origine de « cil » (* « ecce ille »), « cist » (* « ecce iste ») et « ici » (* « ecce hic ») en ancien français ; de « aqueste » et « aquel » en occitan, de « aquel » en espagnol et « aquele » en portugais (* « eccu ille ») ; « questo » (* « eccu istum »), « quello » (* « eccu illum ») et « codesto » -- désormais inusité – (* « eccu tibi istum » en italien ; « acá/cá » (* « eccu hac »), « acolá » (* « eccu illac »), et « acquém » (*eccu inde ») en portugais ; et bien d’autres formes.
Par contre, dans les Serments de Strasbourg, aucun démonstratif n’apparaît ; pas même là où les langues romanes qui vont se développer les auraient employés. (« Pro Deo amur » — « pour l’amour de Dieu ». Employer les démonstratifs comme des articles aurait peut-être pu sembler trop argotique pour un serment royal dans le IXe siècle. Comme on a vu plus haut, il y a une assez grande marge de variation dans tous les vernaculaires romans quant à la façon dont on les emploie réellement : en roumain, les articles se suffixent au substantif, tout comme c’est le cas pour d'autres membres de l'union linguistique balkanique et les langues scandinaves.
« Unus, una » (un, une) fournit l’article indéfini partout. On en voit les débuts en latin classique ; Cicéron écrit « cum uno gladiatore nequissimo » (avec un gladiateur assez immoral). Cela suggère qu’ « unus » commençait à supplanter « quidam » pour signifier « un certain » ou « certains » dès le premier siècle avant J.-C.
Le genre : disparition du neutre
Les trois genres grammaticaux du latin classique furent remplacés par un système de deux genres dans les langues romanes (en règle générale ; voir ci-dessous). En latin, le genre est en partie une question d’accord, c'est-à-dire que certains substantifs prennent certaines formes d’adjectifs et de prénoms, et en partie une affaire d’inflexion, c'est-à-dire qu'il y a différents paradigmes associés avec le masculin/féminin d’une part et avec le neutre d’autre part.
Le neutre du latin classique était normalement absorbé de façon syntactique et morphologique par le masculin. La confusion syntactique commençait même dans les graffitis pompéiens ; on voit donc « cadaver mortuus » au lieu de « cadaver mortuum » (cadavre mort) ainsi que « hoc locum » au lieu de « hunc locum » (ce lieu). La confusion morphologique se voit principalement dans l’adoption de la terminaison « -us » (« -Ø » après « -r ») dans la déclinaison dite « o » : chez Pétrone l’on trouve « balneus » pour « balneum » (bain), « fatus » pour « fatum » (le sort), « caelus » pour « caelum » (ciel), « amphiteater »pour « amphitheatrum » (amphithéâtre), et inversement, « thesaurum » pour « thesaurus » (trésor).
Dans les langues romanes modernes, la terminaison nominative « -s » a été abandonnée, et tous les substantifs de la déclinaison « -o » se terminent en -UM > « -u »/ « -o »/ «-Ø » : MURUM > « muro » en italien et espagnol, « mur » en catalan et français et « CAELUM > « cielo » en italien et espagnol, « ciel » en français, « cel » en catalan et « cèl » en occitan. L’ancien français gardait le « -s » au nominatif et « -Ø » à l’accusatif dans les deux genres originaux (c’est-à-dire « murs », « ciels »).
Quant à certains substantifs neutres du 3e groupe, le radical oblique était la forme productive dans les langues romanes ; dans d’autres cas, c’était la forme nominative/accusative, identique en latin classique, qui survécut. Il y a de bonnes raisons pour dire que le genre neutre subissait de la pression dès l’Empire romain. Prenons l’exemple du « lait ». « (le) lait » (français), « (la) llet » (catalan), « (lo) lait / lach » en occitan, « (la) leche » (espagnol), « (o) leite » (portugais), « (il) latte » (italien) et « lapte(le) » (roman) se dérivent tous du latin nom./acc. neutre «lacte » ou acc. masc. « lactem », des formes non-standards mais attestées ; la forme nominative et accusative standard en latin classique était « lac ». L’espagnol lui donna le genre féminin, tandis que le français, l'occitan, le portugais, l’italien et le roumain le rendirent masculin. Cependant, d’autres formes neutres furent conservées dans les langues romanes ; « nom » en catalan, occitan et français, « nome » en portugais et italien conservent tous « nomen » (Latin nominatif/accusatif), plutôt que la forme radicale oblique * « nominem » qui est la source de « nombre » en espagnol.
La plupart des substantifs neutres avaient des formes plurielles qui se terminaient en -A ou -IA ; certains de ceux-ci furent réanalysés comme des singuliers féminins tels que « gaudium », pluriel « gaudia » (les joie(s)) ; la forme plurielle est la racine de « joie » (au singulier !) en français – il en va de même pour ce qui est de « la joia » en catalan et occitan (« la gioia » en italien est un emprunt au français) ; c’est la même chose pour « lignum », pluriel « ligna » (du bois (qu’on ramasse)) qui est à l’origine de « la llenya » en catalan, « la lenha » en occitan, ou « la leña » en espagnol. Certaines langues romanes ont toujours une forme plurielle spéciale des anciens neutres qu’elles traitent comme un féminin au niveau du syntactique : par exemple, BRACCHIUM : BRACCHIA « (le/les) bras » > « (il) braccio » : « (le) braccia » en italien, « braţ(ul) » : « braţe(le)» en roumain. Comparer aussi le latin mérovingien « ipsa animalia aliquas mortas fuerant ».
Des formes telles que « l’uovo fresco » (l’œuf frais) / « le uova fresche » (les œufs frais) en italien font souvent l’objet de justifications selon lesquelles ils auraient un pluriel irrégulier en « -a » (heteroclisis). Or il est tout aussi correct de dire qu’ « uovo » est tout simplement un substantif neutre régulier (< ovum, pluriel ova) et que les terminaisons caractéristiques pour des mots accordant avec ces substantifs est « o » au singulier et « e » au pluriel. Ainsi peut-on argumenter que les substantifs neutres perdurent en italien et en roumain. Ces formations étaient surtout courantes lorsque l’on pouvait s’en servir pour éviter des formes irrégulières. En latin, les noms d’arbres étaient souvent féminins mais beaucoup d’entre eux se déclinaient selon le paradigme du 2e groupe, qui était, lui, dominé par les substantifs masculins et neutres. « Pirus » (poirier), un substantif féminin dont la terminaison a l’air masculin, devint masculin en italien (« (il) pero ») et en roumain (« păr(ul) ») ; en français et en espagnol il fut remplacé par les dérivations masculines « (le) poirier » et « (el) peral » respectivement, tandis qu’en portugais et en catalan celles-ci étaient féminines « (a) pereria », « (la) perera »). « Fagus » (hêtre), un autre substantif féminin revêtu en habits féminins se conserve dans certaines dialectes en tant qu’un masculin, comme le roumain « fag(ul) », l'occitan « fau » ou le catalan « (el) faig » ; d’autres dialectes l’ont remplacé avec les formes adjectivales « fageus »ou « fagea » ( fait de bois de hêtre), d’où l’italien « (il) faggio », l’espagnol « (el) haya », et le portugais « (a) faia ».
Comme d’habitude, les irrégularités persistaient le plus longtemps dans les termes les plus fréquemment employés. De la 4e déclinaison « manus » (la main), voici un autre substantif féminin avec une terminaison masculine. « Manus » donna « (la) mano » en italien, « (la) mà » en catalan, « (a) mão » en portugais, dont ce dernier conserve son genre féminin bien qu’il reste apparemment masculin.
Terminaisons typiques en italien Substantifs Adj. & déterminants sing. plur. sing. plur. m giardino giardini buono buoni f donna donne buona buone (n uovo uova buono buone) À part les substantifs « hétéroclitiques » en italien et en roumain, les autres langues romanes majeures n’ont aucune trace de substantifs neutres, mais tous ont des pronoms neutres. Français : « celui-ci, celle-ci, ceci, ça, cela » ; espagnol : « éste, ésta, esto (tous signifiant « cela » ; italien : « gli, le, ci » (« à lui, à elle, à ça (ou bien, « lui »)) ; catalan : « ho », « açò », « això », « allò » (« ça », « cela », « ceci/cela ») ; occitan « o », « ba », « aquò », « aiçò » ; portugais : « todo, toda, tudo » (« tout », « toute », « toute chose »).
Certaine variétés de l’asturien maintiennent des terminaisons pour les trois genres comme pour « bon » (bonu, bona, bono).
(Notez : l’espagnol a un neutre d’une certaine manière en « lo », l’article neutre, employé d’habitude avec des substantifs dénotant des catégories abstraites : « lo bueno », (le bon), « lo importante » (l’important). « Sabes LO TARDE que es ? », littéralement « Savez-vous le tard qu’il est ? » Dans une traduction plus idiomatique, « Savez-vous à quel point il est tard ? ». Quant aux pronoms, l’espagnol a aussi un neutre singulier « ello », à part les « él, ella » bien cités.)
La multiplication des pronoms
La perte du système casuel productif fut significative. En effet, ce système fut la base de la syntaxe du latin classique, et sa disparition nécessita la mise en place d’une nouvelle base. Celle-ci va se constituer autour des prépositions et d’autres paraphrases. Ces particules augmentaient en nombre, et bon nombre d’entre eux se formèrent en combinant d’autres particules déjà existantes. Les langues romanes présentent de nombreuses particules grammaticales tels que « donde », en espagnol, (où), venant du latin « dē » + « unde », ou bien, « dès », en français, venant de « dē » + « ex ». « Dans », lui, vient de « dē intus » (de l’intérieur), tandis que l’équivalent espagnol et portugais (desde) vient de « dē » + « ex » + « de ». « Después », en espagnol, et « depois » en portugais (après) viennent de « dē » + « ex » + « post ». Certaines de ces nouvelles combinaisons apparaissent dans des textes littéraires dès l’empire tardif ; « Dehors, (français), « de fuera » (espagnol) et « de fora » (portugais) représentent tous les trois « dē » + « foris » (dehors) tandis que le roumain a « afara » (« ad » + « foris ». Ainsi trouve-t-on chez saint Jérôme « si quis dē foris venerit » (si quelqu’un sort ; si quelqu’un va en dehors).
Échantillons :
Au fur et à mesure que le latin perdait son système de cas, des prépositions commençaient à combler ce manque. En latin familier, la préposition « ad » suivait par l’accusatif s’employait parfois comme une substitution du datif.
- Latin classique :
- Iacōbus patrī librum dat. — « Jacques donne un/le livre à son père »
- Latin vulgaire :
- ´Jacọmọs ´lẹvrọ a ´ppatre ´dọnat. — « Jacques donne un/le livre à son père »
(Notez que la assimilation du « D » de« ad » dans « ´ppatre » n’est guère surprenante, car les « D » et les « P » sont tous les deux des occlusives.)
Tout comme c’était le cas pour le datif qui disparaissait alors, le latin familier remplaçait parfois le génitif de la préposition « de » suivie de l’ablatif.
- Latin classique:
- Iacōbus mihi librum patris dat.—« Jacques me donne un/le livre de (son) père ».
- Latin vulgaire :
- ´Jacọmọs mẹ ´lẹvrọ dẹ ´patre ´dọnat.—« Jacques me donne un/livre de (qui appartient à) (son) père ».
ou bien,
- Latin vulgaire :
- ´Jacọmọs ´lẹvrọ dẹ ´patre a ´mmẹ ´dọnat.— « Jacques donne le livre de (qui appartient à) (son) père à moi. »
Les adverbes
Le latin classique a bon nombre de suffixes différents qui servent à transformer des adjectifs en adverbes : « carus » (cher), « care » (chèrement), « acer » (vif, dur, aigu, âcre), « acriter » (durement), « creber » (souvent, adj.), « crebo » (souvent, adv.). Tous ces suffixes dérivationnels furent perdus en latin vulgaire, où les adverbes se formaient systématiquement par suffixation d’un ablatif féminin, « -mente » - qui était à l’origine l’ablatif de « mentis » - signifiant « d’un esprit ». Donc, l’adverbe formé à partir de « velox » (vite) devint « veloce mente », et non plus « velociter ». (« Veloce mente » ne voulait d’abord dire que « d’un esprit rapide », avant d'être réinterprété en « rapidement »). Cela explique le fait que presque toujours, dans les langues romanes, les adverbes réguliers ajoutent le suffixe « -ment(e) » à la fin de la forme féminine de l’adjectif. Ainsi « mentis » devint-il un simple suffixe [4]. Ce changement se poursuivit même durant le Ier siècle av. J.-C., et cette construction paraît à plusieurs reprises chez Catulle, l'occurrence la plus connue se trouvant dans Poésies, VIII :
« Nunc iam illa non vult; tu, quoque, impotens, noliNec quae fugit sectare, nec miser vive,
Sed obstinata mente perfer, obdura. »Traduction :
« Mais maintenant elle ne (te) veut pas ; toi-même, faible cœur,
Cesse de (la) vouloir ni la pourchasse, ni vis malheureux ;
Mais perdure obstinément (d'un esprit obstiné), durcis-toi. »Le verbe
Les formes que prenaient les verbes furent beaucoup moins affectées par les pertes phonétiques qui érodaient les systèmes de cas nominal ; en fait, un verbe actif en espagnol ressemble fortement à son ancêtre latin : pourquoi ? Parmi les raisons se trouve le fait que l’accent tonique fort du latin vulgaire (celui du latin classique étaient faible) fit fréquemment en sorte que différentes syllabes furent accentuées dans les diverses formes conjuguées d’un verbe. Donc, bien que les formes des mots continuassent à évoluer phonétiquement, les distinctions parmi les formes conjuguées d’un seul verbe ne s’usaient pas (trop).
Par exemple, pour dire en latin « j'aime » et « nous aimons » on disait respectivement āmo et amāmus. Puisque un A accentué en latin se diphtonguait dans certains cas lorsque le latin vulgaire se transformait en ancien français, celui-ci avait (j')aime pour le premier et (nous) amons pour le dernier. Bien que plusieurs phonèmes fussent perdus dans chaque cas, les différents schémas d’accent aidaient à préserver les distinctions entre eux, même si le verbe devenait ainsi irrégulier. Des influences qui tendaient à régulariser les verbes se sont opposées à cet effet dans certains cas (donc nous avons « aimons » maintenant) mais certains verbes modernes ont conservé l’irrégularité, tels que je viens et nous venons.
Une autre série de changements se poursuivait dès le Ier siècle, c’était la perte des consonnes finales. On peut lire dans un graffiti à Pompéi « quisque ama valia » (en latin classique on eût écrit « quisquis amat valeat » -- « que celui qui aime aille bien »). Au parfait, beaucoup de langues romanes généralisèrent la terminaison -aui, surtout dans le premier groupe. Ce qui mena à un développement intéressant ; d’un point de vue phonétique, la terminaison était traitée comme la diphtongue /au/ plutôt que de contenir une demi voyelle /awi/, et le son /w/ fut souvent supprimé, ne participant donc pas au déplacement de son de /w/ à /v/. Donc, les mots latins amaui et amauit sont devenus dans bien des langues romanes naissantes *amai et *amaut. Ainsi avons-nous amé, amó (espagnol) et amei, amou (portugais). Ce qui fait croire que dans la langue parlée, ces changements de conjugaison précédèrent la perte de /w/.
Contrairement à la continuité de plus de mille ans que connaissait le système verbal actif, la voix passive fut entièrement perdue dans les langues romanes, et il fallut donc qu’elle fût remplacée par des verbes auxiliaires – des formes d’« être » plus un participe passif, ou par des verbes pronominaux impersonnels.
Un autre grand changement systémique, c’était le développement d’un nouveau temps futur, basé sur des verbes auxiliaires. Il se peut que le remplacement du temps futur latin fût occasionné par la fusion phonétique des /b/ et /v/ intervocaliques. En effet, une telle fusion eût fait en sorte que des formes du futur telles que amabit devinrent identiques à certaines formes du parfait, telles que amauit. Ce qui eût été trop ambigu. Au départ, un nouveau futur se formait à la base du verbe auxiliaire habere, *amare habeo, littéralement « J’ai à aimer ». Cette construction fut contractée en un nouveau suffixe future dans les langues romanes :
- Français : 'j’aimerai' (je + aimer + ai)
- Portugais : 'amarei' (amar + [h]ei) <amar [aimer] + hei [J’ai]
- Espagnol et Catalan : 'amaré' (amar + [h]e) < amar [aimer] + he [j’ai].
- Italien : 'amerò' (amar + [h]o) < amare [aimer] + ho [j’ai].
On peut constater que le suffixe futur des langues romanes était à l’origine un mot indépendant surtout lorsque l’on examine le portugais ; en effet, celui-ci ajoute parfois des prénoms directs et indirects en tant que des infixes dans le temps futur : J’aimerai (eu) amarei, mais Je t’aimerai amar-te-ei, de amar + te [te] + (eu) hei = amar+te+[h]ei = amar-te-ei. (Il en allait de même en vieil espagnol).
Annexes
Bibliographie
Voir aussi la bibliographie relative aux langues romanes.
- Michel Banniard, Du Latin aux langues romanes, Nathan, Paris, 1997, 127 p. (ISBN 2-09-190478-3) ;
- (en) K. P. Harrington, J. Pucci et A. G. Elliott, Medieval Latin, 2e éd., Univ. Chicago Press, Chicago, 1997. (ISBN 0-226-31712-9) ;
- Jozef Herman,
- Le Latin vulgaire, PUF, coll. « Que sais-je ? », no 1247, Paris, 1967 ;
- Du Latin aux langues romanes : études de linguistique historique, Tübingen, 1990 ;
Recueil d'articles.
- Jozef Herman (dir.), Latin vulgaire, latin tardif : actes du premier congrès international sur le latin vulgaire et tardif (Pécs, 2 au 5 septembre 1985), Niemeyer, Tübingen, 1987, 262 p. ;
- (de) Gerhard Rohlfs, Vom Vulgärlatein zum Altfranzösich : Einführung in das Studium der altfranzösischen Sprache, Tübingen, 1963 ;
Contient une grande partie des textes du latin vulgaire cités dans le présent article, accompagnés de commentaires détaillés en allemand.
- (en) N. Vincent, « Latin », dans M. Harris et N. Vincent (dir.), The Romance Languages, Oxford Univ. Press, Oxford, 1990 (ISBN 0-19-520829-3) ;
- Veikko Väänänen, Introduction au latin vulgaire, 3e éd. rev. et corr., [1e éd., 1963], Klincksieck, Paris, 1981 (ISBN 2252023600) ;
- Henriette Walter, L'aventure des langues en Occident, Robert Laffont, Paris, 1994, (ISBN 2-221-05918-2).
Notes et références
- ↑ Voir les époques d'apparition de ces diverses langues dans l'article Langues romanes.
- ↑ C. Coulet, dans le Dictionnaire historique de la langue française, sous la dir. d'A. Rey, Le Robert, Paris, 1998, t. 2, p. 1988.
- ↑ M. Banniard, Du latin..., p. 19.
- ↑ Certaines langues germaniques ont des suffixes adverbiaux venant du mot pour le corps (comme –ly, en anglais), tandis que les langues romanes emploient –ment(e), qui vient, lui, du mot pour l’esprit.
Sources
- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu d’une traduction de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Vulgar Latin ».
Voir aussi
Articles connexes
Liens externes
- An Introduction to Vulgar Latin de C.H. Grandgent
- Latin at the End of the Imperial Age de Dag Norberg
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