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Histoire des Juifs en Inde
On distingue trois communautés juives en Inde totalisant 6 000 membres (1997), chacune dans une aire géographique très déterminée : la communauté de Cochin dans le sud du sous-continent, les Bene Israël dans les environs de Bombay et la communauté baghdadi aux alentours de Calcutta.
Les Juifs noirs de Cochin et les Bene Israël remontent à une période inconnue mais supposée assez ancienne. Les juifs baghdadi et les juifs blanc de Cochin ont une origine plus récente, liée à l'expansion occidentale dans la région.
La particularité des religions indiennes, non missionnaires et à réalisation personnelle, font que ces communautés ont pu se structurer en castes endogames bien insérées dans le tissu social indien, sans subir aucune persécution ou antisémitisme[1], si l'on excepte la période de la colonisation portugaise, où l'Inquisition fut transplantée en terre indienne, dans les environs de Cochin.
La majorité des Juifs indiens ont émigré vers Israël après la création de l'État.
Outre les membres Juifs des divers corps diplomatiques, il existe également deux autres groupes se réclamant aujourd'hui du Judaïsme : les Bnei Menashe, de langue Mizo, vivant à Manipur et dans le Mizoram. Ils se sont proclamés juifs dans les années 1950, et disent descendre de la tribu de Manassé. Les Bene Ephraïm (ou Juifs Telugu), sont un petit groupe parlant le Telugu, dont l'observance du judaïsme date de 1981.
Sommaire
La communauté du Kérala
Il existait, jusqu'à leur émigration vers Israël, trois communautés juives vivant à Cochin, organisées dans un système de castes inspirées du modèle indien.
Les origines
Les relations marchandes entre les mondes méditerranéen et indien sont très anciennes. Ce dernier fournissait depuis l'Antiquité aux pays méditerranéens des matières premières et des produits finis.
Certaines de ces matières premières étaient plus ou moins des monopoles indiens:
- les épices dont le poivre, qui ne prospérait que sur la côte de Malabar, au sud de l'Inde;
- le bois de santal;
- le bois de teck, apprécié pour la construction navale;
- le diamant et les autres pierres précieuses.
Parmi les produits finis dont le monde méditerranéen appréciait la qualité:
- les tissus du Goujerat, que l'on retrouve utilisés dans l'Égypte ancienne;
- L'acier de Damas, dont la technique au moins trouve son origine en Inde (cf. Wootz).
Ce commerce florissant nécessitait un réseau organisé de marchands, et c'est peut-être l'une des raisons de la présence d'une communauté juive très ancienne en Inde du Sud-Ouest, sur la côte de Malabar.
D'après leur tradition, les Juifs de Cochin seraient présents dans cette région depuis le destruction du second Temple de Jérusalem. Cette destruction date de 70, quand la ville fut conquise par les armées de Titus Vespasien.
La communauté se serait d'abord concentrée à Cranganore (Kodungallur) où, d'après sa tradition, elle aurait même eu une principauté autonome.
Outre l'accueil des premiers Juifs, c'est aussi en ces lieux que l'apôtre Thomas est censé avoir accosté en Inde pour l'évangéliser, débutant d'ailleurs par la communauté juive qui y vivait. Cranganore est aussi le siège traditionnel de ce qui serait la plus vieille mosquée construite en Inde (construite par Malik Ibn Dinar durant les années 640 d'après la tradition).
Vraies ou fausses, ces traditions présentant le Kérala comme la porte d'entrée en Inde des nouvelles religions juive, chrétienne et musulmane, en disent beaucoup sur la tolérance religieuse qu'a connu et que connaît toujours le Kérala.
L'histoire
Si l'histoire ancienne des Juifs du Kérala est inconnue, leur présence est attestée de façon certaine depuis le Xe siècle, lorsque qu'un râja de la dynastie Chera, qui dominait le Malabar, accorde une charte aux Juifs - ainsi d'ailleurs qu'aux Chrétiens nestoriens - qui vivent sur son territoire. Cette charte venait probablement en remerciement pour l'aide militaire qu'ils lui auraient apportée dans sa résistance contre le pouvoir grandissant des Chola voisins.
Cette charte, gravée sur plaques de cuivre, est toujours conservée dans la synagogue de Cochin. (Anquetil-Duperron, de passage dans la ville, en fera une traduction). Les inscriptions ont été datées entre 974 et 1020.
Le Xe siècle marque donc l'entrée des Juifs du Kérala dans l'histoire écrite. Avant cette date, il est impossible de dire précisément à quand remontait leur implantation, et ce que furent leurs vies.
Benjamin de Tudèle, dans son compte-rendu sur l'Inde (vers 1170), déclare qu'il y avait dans cette région environ 1 000 Juifs, noirs comme leurs voisins, qui observaient la Torah et avaient une petite connaissance de la loi orale juive.
Si elle s'est, comme on le pense, fondée sur le commerce, la communauté des Juifs du Kérala va en tout cas finir par ne plus y jouer un rôle. C'est la communauté musulmane qui va gagner en importance dans ce domaine par sa maîtrise du commerce maritime. Les hindouistes, eux, abandonnent ou n'investissent pas dans cette activité, car le franchissement des océans est considéré par eux comme source d'impureté.
Un isolement relatif
On peut noter que les malabari, quoique très isolés des autres communautés juives, ont maintenu des contacts avec le Yémen, d'où ils faisaient venir leurs textes juifs.
C'est sans doute l'une des deux raisons de la non-assimilation d'un groupe numériquement assez faible. L'autre étant le système des castes indiennes, qui impose une stricte endogamie, ce qui s'oppose fortement à l'assimilation d'une communauté ethnique ou religieuse.
L'émigration vers Cochin
La communauté juive émigre de Cranganore à Cochin, après avoir subi un raid musulman en 1524. Les Musulmans reprochaient aux Juifs d'intervenir dans leur commerce du poivre. Les Juifs s'installent donc près de Cochin, à Mattancheri, sur des terres contiguës au palais du râja, et construisent une synagogue. Ils montreront la même loyauté envers le râja de Cochin que celle dont ils avaient fait preuve à celui de Cranganore, et ce jusqu'à l'indépendance de l'Inde.
L'arrivée des occidentaux
A peu près à la même époque que les Juifs à Cochin, les Portugais s'installèrent dans la région. Au Portugal, les Juifs avaient été expulsés en 1493. La politique des Portugais à l'égard des Juifs de la région fut donc empreinte d'hostilité.
La période portugaise (1502-1663) ne fut pas heureuse pour la communauté de Cochin. Seule la protection du râja leur permit de ne pas subir les méfaits de l'inquisition.
Dans une enquête légale concernant le statut des Juifs et des Meshuchrarim noirs faite par David ben Solomon Ibn Abi Zimra et par Rabbi Jacob ben Abraham Castro, à Alexandrie autour de 1600, le nombre de Juifs de Cochin est estimé à 900 familles.
En 1663, les Portugais furent remplacés dans la région par les Hollandais. Ceux-ci, protestants, étaient très tolérants à l'égard des Juifs: les Pays-Bas avaient d'ailleurs servi de refuge à beaucoup de Juifs expulsés d'Espagne ou du Portugal. La situation des Juifs s'améliora donc.
La période hollandaise est même considérée comme un deuxième âge d'or, après celui, mythique, où la communauté aurait possédé un royaume dans la région de Cranganore. De plus, en entrant en contact avec la communauté juive d'Amsterdam, largement originaire d'Espagne et actionnaire jusqu'à hauteur du quart de la Compagnie hollandaise des Indes orientales, les Juifs de Cochin purent lier d'importants contacts commerciaux et s'approvisionner plus facilement en textes religieux.
Ainsi, en 1686, la communauté juive d'origine portugaise d'Amsterdam envoya une délégation à Cochin, dirigée par Moses Pereira de Paiva. Le but était de prendre contact avec la communauté juive locale, et de rassembler des données sur son histoire et sa façon de vivre. Les visiteurs eurent un impact considérable sur la communauté juive de Cochin, en particulier du fait de la collection de livres en hébreu remis à la communauté. Le jour anniversaire de leur arrivée a longtemps été l'occasion d'un festival commémoratif à Cochin. Les contacts resteront réguliers entre les Juifs de Cochin et ceux des Pays-Bas jusqu'à la période britannique.
En 1781, le Gouverneur hollandais, A. Moens, mentionne 422 familles, soit environ 2 000 personnes vivant au sein de la communauté.
Au cours de ce même XVIIIe siècle, des émissaires sont même envoyés en terre sainte.
En 1795, après la conquête française des Pays-Bas, la région passe sous influence britannique, et le reste jusqu'à l'indépendance de l'Inde, en 1947. Les relations du pouvoir britannique avec les Juifs locaux sont également très correctes.
A Cochin, la première organisation sioniste est fondée en 1923.
Les trois castes
Toutes les communautés juives vivant dans un pays pendant des siècles ont été influencées par la culture de celui-ci.
Les Juifs du Kérala n'ont pas fait exception à cette règle. Leurs habitudes de vie connurent une influence des pratiques brahmaniques, comme le fait par exemple de se déchausser en entrant dans la synagogue. On note aussi une exclusion des femmes de la vie sociale pendant leurs menstruations, plus sévère que celle recommandée par le judaïsme traditionnel. Mais l'influence la plus marquante est celle du système des castes.
Les deux castes malabari
Les Juifs de Cochin parlaient la langue locale, le malayalam, et s'habillaient à l'indienne. Leur apparence physique est celle des Dravidiens du sud de l'Inde, avec une peau foncée. Les conversions, peut-être dans des buts de mariage, ont donc été importantes dans la formation de la communauté.
Fait le plus marquant pour des Juifs originaires d'autres pays, les Juifs du Kérala étaient divisés à l'indienne, en deux castes.
La première est aujourd'hui appelée "Juifs noirs", alors même qu'elle n'a pas de spécificité physique. C'était la caste dominante.
La seconde caste était celle des "Meshuchrarim", les affranchis. Ils étaient, semble-t-il, les descendants d'esclaves locaux affranchis par leur maîtres juifs. Leur statut social était très inférieur, et jusqu'en 1932, ils n'avaient pas le droit de s'asseoir dans les synagogues de leurs anciens maîtres. Conformément à la pratique indienne des castes, les mariages entre les deux groupes étaient interdits.
Ces deux groupes sont parfois appelés les malabari (85% de la population au XXe siècle), par opposition aux "Juifs blancs" ou paradesi (ou pardeshi, étranger) (15% de la population juive).
Juifs blancs ou paradesi
Ceux-ci ont commencé à arriver à Cochin au XVIe siècle, en petit nombre, et ont été renforcés par de nouvelles arrivées, aux XVIIe et XVIIIe siècles. Bien que pour des raisons géographiques on les classe dans les Juifs de Cochin, ils constituent en fait un quatrième groupe de Juifs en Inde, avec les malabari, les Bene Israël et les baghdadi.
Les paradesi sont à la base surtout des réfugiés séfarades en provenance de la péninsule Ibérique au XVIe siècle. D'après la plaque qui est aujourd'hui apposée dessus, leur première synagogue fut construite en 1568[2]. Puis sont venus des Juifs des Pays-Bas (eux-mêmes descendants de réfugiés d'Espagne et du Portugal), qui ont été rejoints plus tard par des Juifs d'Allemagne (ashkénazes) ou moyens-orientaux (de rite également séfarade). Malgré ces origines quelques peu mélangées, les paradesi ont formé un groupe homogène, dont les pratiques religieuses étaient séfarades, avec quelques composants ashkénazes.
L'arrivée des Hollandais dans les années 1660 leur a donné un coup de fouet, renforçant leur petit groupe. Les paradesi ont rapidement constitué une nouvelle caste, supérieure à celle des "noirs". Ce statut supérieur leur venait d'une plus grande richesse, elle-même liée à une meilleure connexion sur le commerce international. Leur peau beaucoup plus claire et leur culture plus occidentalisée les différenciaient nettement de leurs coreligionnaires de souche indienne. Les mariages avec les malabari étaient interdits, chaque groupe pratiquait son culte dans des synagogues séparées. On remarquera que le castéisme indien, tout en respectant la liberté religieuse, a contaminé toutes les communautés religieuses qui se sont installées au Kérala de longue date. Les chrétiens de Saint-Thomas et les musulmans ont reproduit, comme les Juifs, le système des castes. On voit ainsi des chrétiens blancs et noirs, et des musulmans aschraf et ajlaf (les premiers subdivisés eux-mêmes en thangals, arabes et malabari). Ces groupes sont endogames et non commensaux. Aux yeux des hindous, les juifs, chrétiens et musulmans ne formaient que des jati de plus. Cette situation de stricte division interne à la communauté sera d'ailleurs maintes fois condamnée par les autorités religieuses juives extérieures à Cochin.
Les communautés de Cochin n'avaient pas de rabbin, faute de séminaire religieux pour les former, et elles étaient gouvernées par des anciens, à l'image des panchayats indiens. Un chef traditionnel, le mudaliar faisait la liaison avec le râja, puis avec les puissances européennes colonisatrices.
Comptant 2 500 membres en 1945, les communautés de Cochin finiront par émigrer en masse en Israël après la création de l'État en 1948, et seules resteront sur place des vieilles personnes refusant de changer d'environnement et de mode de vie. Dès 1951, 85% des Juifs de Cochin avaient émigré.
Leur nombre ne fera plus que décroître, passant de 370 en 1951 à 112 en 1971, puis 50 en 1982 et 20 en 1992.
Les détails de leur histoire sont difficiles à reconstituer, la plus grande partie des documents ayant été détruits lors des raids arabes ou portugais.
En Israël, ils seraient entre 5000 et 8000 en 2005.
Les Bene Israël
Les Bene Israël — les fils d'Israël — sont un groupe de Juifs qui, au milieu du XXe siècle, vivaient principalement à Bombay, Kolkata, Delhi et Ahmadabad. Leur langue maternelle était le marathi, alors que les Juifs de Cochin parlaient le malayalam.
Origines
Les Bene Israël affirment descendre de Juifs ayant fui des persécutions syriennes en Galilée au IIe siècle. Certains affirment, en revanche, descendre des dix tribus perdues d'Israël.
Les Bene Israël pensent que leurs ancêtres arrivèrent dans le pays konkan (la côte au sud de Bombay) à la suite d'un naufrage. Sept hommes et sept femmes auraient survécu et seraient à l'origine de l'actuelle population.
En pratique, on ne dispose pas de sources documentaires permettant de savoir depuis quand la communauté vit en Inde. Physiquement, les Bene Israël sont semblables aux Marathes (les habitants de la région) non-juifs, ce qui indique qu'ils se sont mêlés aux populations indiennes. Ils ont également pratiquement les mêmes coutumes. Ce fort degré d'assimilation laisse donc penser qu'ils sont en Inde depuis longtemps.
Des marchands juifs provenant d'Europe voyagèrent jusqu'en Inde au Moyen Âge pour raison de commerce, mais on ne sait pas avec certitude s'ils installèrent des comptoirs permanents en Asie du sud. Au XIIe siècle, la référence à une communauté juive indienne par Abraham ibn Daoud est malheureusement extrêmement vague, puis restera sans écho durant plusieurs siècles.
Les Bene Israël furent découverts et identifiés en tant que Juifs au XVIIIe siècle par des marchands venus de Bagdad. Assez rapidement, des Juifs vinrent de Calcutta (les Baghdadi) et de Cochin, aux XVIIIe et XIXe siècles pour parfaire leur éducation religieuse.
À cette date, les Bene Israël étaient connus comme une caste de presseurs d'huile (telis). Ils étaient distingués des autres castes de presseurs d'huile sous le nom de Shanivari telis, c'est-à-dire les presseurs d'huile du samedi (Shanivar), parce qu'ils respectaient le Shabbat du samedi.
Les patronymes sont basés sur le nom du village d'origine, avec le suffixe "kar" (Penkar: du village de Pen). Il y a plus d'une centaine de noms de villages identifiés, ce qui donne une indication sur la répartition historique de la communauté, somme toute modeste eu égard à la taille de l'Inde.
La fin de l'isolement
Lorsqu'ils sont entrés en contact avec les Juifs de Cochin et les Juifs Baghdadi (« de Bagdad », mais dont certains étaient en train de s'installer à Calcutta), au XVIIIe siècle, les Bene Israël étaient une communauté ayant conservé seulement certaines traditions hébraïques:
- ils n'avaient pas de rabbins, mais des chefs religieux héréditaires (dans les familles Jhiradkar, Rajpurkar et Shapurkar) appelés Kaji ou Kazi;
- ils n'avaient aucun texte religieux et avaient oublié l'hébreu;
- ils n'utilisaient pas le terme de juif, mais de Bene Israël (« enfants d'Israël »);
- ils pratiquaient le Shabbat et certaines fêtes juives;
- ils croyaient en un dieu unique, le Dieu d'Israël;
- ils pratiquaient la circoncision des enfants mâles;
- Ils avaient certaines règles alimentaires d'origine juive.
Ces pratiques résiduelles ont permis de les identifier comme juifs, mais avec certains doutes quant à leur « pureté ».
Comme pour les Juifs de Cochin, la pratique indienne des castes (qui interdit les mariages inter-castes) leur a probablement permis de survivre dans un milieu qui les auraient sans cela sans doute assimilé.
Comme les Juifs indigènes de Cochin, ils étaient également divisés en deux sous-groupes: les Gora, ou « blancs » (très majoritaires), supposés être de souche « pure », et les Kala (ou Kalu), ou « noirs » (moins nombreux), supposés être issus de mariages mixtes ou d'adultères. Les couleurs « blanches » et « noirs » n'impliquaient aucune différence dans les apparences physiques. Elle renvoyaient par contre à un statut social supérieur ou inférieur (dans le système des castes indiennes, ou Varna, ou « couleurs », le blanc est la couleur des castes les plus élevées, regroupées dans le varna des Brahmanes, et le noir est la couleur des paysans, les Sudra). On retrouve encore ici la pratique indienne des castes endogames. Même s'ils ne se mariaient pas entre eux et avaient des statuts différents, les membres des deux sous-castes appartenaient bien à une même communauté, et partageaient les mêmes lieux de culte.
À compter du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, des Juifs viennent de Cochin, puis d'autres communautés (en particulier les Baghdadi), pour leur apprendre les pratiques du judaisme: lois religieuses, fêtes juives, hébreu.
À compter du XIXe siècle, il y a aussi des contacts avec l'importante communauté juive sépharade yéménite (qui était de longue date une source importante de textes sacrés pour les Juifs de Cochin). Toutes ces évolutions expliquent la perte progressive de statut des kajis, jusqu'à leur disparition. Pendant longtemps, l'encadrement religieux des Bene Israël a surtout été constitué de Juifs Bagdhadi, de Cochin et du Yémen.
Bien qu'ils aient été « rejudaïsés », ces Juifs les regardaient avec une certaine réserve, compte tenu de leur longue ignorance des lois juives. Ainsi par exemple, les Baghdadi de Calcutta refusaient tout mariage avec eux, compte tenu des doutes quant à leur « pureté » en tant que Juifs.
Sous l'influence des Juifs de Cochin ou des Bagdhadi de Calcutta, sépharades, les Bene Israël ont opté pour le rite sépharade, avec certaines particularités propres à la communauté.
Un autre facteur de modernisation est le contact avec les missionnaires britanniques, qui ont traduit la Bible en marathi, fondé des écoles en langue anglaise, ce qui explique, par la suite, la relation assez forte entre les Bene Israël et le pouvoir colonial britannique. Pour cette petite caste indienne modeste et isolée, cela représente une ouverture importante sur le monde.
La période moderne
Si on sait peu de choses des Bene Israël avant le XVIIIe siècle, leur développement est mieux connu à partir de cette époque.
Partis de leurs villages de la côte (district de Kolaba, aujourd'hui Raigad), ils s'installent progressivement dans les villes, en particulier à Bombay (on les appelle d'ailleurs parfois les « Juifs de Bombay »), mais aussi à Delhi, voire à Karachi dans l'actuel Pakistan.
La première famille connue à s'installer à Bombay est la famille Divekar (« du village de Dive »), en 1746. À la fin du XVIIIe siècle est fondée la première synagogue Bene Israël de Bombay.
À compter de la fin du XVIIIe siècle, beaucoup entrent dans l'armée britannique. À la fin du XIXe siècle, ils sont nombreux à devenir de petits fonctionnaires de l'empire britannique, ou des employés de bureau. Cette évolution sociale est le produit de l'éducation dans les écoles missionnaires britanniques, mais marque aussi l'influence des Juifs de Calcutta (Bagdhadi) et de Cochin, très connectés sur le commerce international. Pour l'ancienne, modeste et isolée caste des « presseurs d'huile », il s'agit d'une révolution sociale importante. À compter du XXe siècle apparaissent des médecins et des avocats.
En 1875, les Bene Israël établiront une « école israélite », en langue anglaise, la première école « moderne » sous leur contrôle.
On estime que les Bene Israël étaient au nombre de 6 000 dans les années 1830, 10 000 au tournant du siècle, et en 1948 - lorsque leur communauté était la plus nombreuse en Inde - on comptait 20 000 individus. Depuis, leur population n'a cessé de diminuer (en Inde), principalement du fait de l'émigration vers Israël, aussi vers les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni, et ils seraient moins de 5 000 en Inde au début du XXIe siècle.
L'émigration vers Israël
En 1897, les Bene Israël avaient été invités à participer au Premier congrès sioniste de Bâle, mais avaient décliné l'invitation.
Dès la création d'Israël, en 1948, les Bene Israël ont commencé à émigrer vers Israël. Débute alors une controverse de plusieurs années. L'origine juive des Bene Israël ne faisait pas débat. Mais le rabbinat s'interrogeait pour savoir s'ils étaient encore pleinement juifs. En effet, pendant des siècles, les Bene Israël avaient vécu sans rabbin ni connaissance de la loi juive (Halakha). Leurs mariages, leurs conversions d'Indiens (considérées comme probables compte tenu de leur apparence physique) étaient donc suspects. En Israël, les rabbins ont le monopole sur le mariage des juifs. Du fait de leurs doutes sur la judaïté des Bene Israël, ces derniers avaient du mal à se marier en Israël. Ces problèmes vont freiner leur émigration.
En 1964, les Bene Israël sont reconnus comme pleinement juifs par le grand rabbinat d'Israël, ce qui a réglé ces problèmes de statuts personnels, et a facilité leur immigration dans le pays. En 2005, ils seraient 60 000 en Israël, 5 000 en Inde et 2 000 dans divers pays anglophones (Royaume-Uni, Canada, États-Unis,...).
La communauté baghdadi
Les Baghdadi sont des Juifs de langue arabe qui ont émigré depuis l'Irak, il y a quelques 250 ans et qui se sont installés dans les villes de Bombay et de Calcutta. Commerçants avisés, ils sont rapidement devenus une des communautés les plus prospères de la ville et y ont fait œuvre de philanthropes. Les membres les plus connus de cette communauté sont David Sassoon (Bagdad, 1792- Pune (Inde), 1864) et son fils Albert Sassoon (Bagdad, 1818 - Brighton, 1896).
La communauté baghdadi comptait, à son apogée dans les années 1940, quelques 7 000 membres. Cependant, après une forte émigration en Israël, elle est au début du XXIe siècle en extinction, avec moins de 50 personnes.
Les Baghdadi étaient beaucoup plus stricts concernant la religion que les Bene Israël avec lesquels ils ne se mêlaient pas, introduisant un castéisme inconnu dans le judaïsme, faisant penser à celui de Cochin. Les Baghdadi n'autorisaient pas les mariages entre leurs enfants et les enfants de la communauté Bene Israël, ils ne consommaient pas de nourriture préparée par un membre de cette communauté et refusaient de compter un Bene Israël comme élément du miniane, les dix hommes nécessaires pour commencer une prière. Les Bene Israël étaient en fait considérés comme des Juifs impurs.
Les descendants de David Sassoon créèrent une banque renommée en Asie. L'un des descendants, Victor Sassoon, vécut à Shanghai. Victor Sassoon(1881 – 1961) eut un rôle important dans le développement initial de Shanghai. Sa fortune lui permis d'aider les milliers de Juifs qui purent se réfugier à Shanghai pendant la Seconde Guerre mondiale.
Autres groupes se réclamant du Judaïsme
Si les groupes précédemment cités sont les seuls à avoir eu une vie juive historiquement identifiée en Inde, 2 groupes aux origines obscures ont récemment revendiqué leur appartenance au Judaïsme.
Bnei Menashe
Les Bnei Menashe (« enfants de Menashe », hébreu בני מנשה) sont un groupe de Mizo habitant le Nord-Est de l'Inde, sur la frontière Birmane, à Manipur et dans le Mizoram, qui a commencé à s'intéresser au judaïsme dans les années 1950. La référence que le groupe fait à la tribu de Manassé vient de la proximité avec le nom de « Matmase, un ancêtre que l'on appelait à l'aide, autrefois, dans les situations difficiles ou au cours des cérémonies religieuses[3] ».
Cette région du pays a été rattaché à l'empire des Indes par la couronne Britannique, mais ne relève pas historiquement de la culture hindoue. Le rattachement de cette région à l'Inde est donc plus politique que culturel. Dans ces régions de montagne, les populations ont été christianisées dans la première moitié du XXe siècle par les missionnaires britanniques.
C'est dans les années 1950 qu'un groupe du peuple Mizo a affirmé trouver des correspondances entre certaines coutumes Mizo et les coutumes juives décrites dans l'Ancien Testament chrétien auquel ils avaient dorénavant accès. La connaissance de la Bible chrétienne semble en effet avoir joué un rôle important dans la redéfinition « juive » de l'identité du groupe. « Dans cette région où chacun connaît la Bible sur le bout des doigts, la plupart disent en effet avoir abandonné le christianisme en raison de ses "inconsistances". "l'Église ne suit pas ce que dit la Bible, accuse ainsi Abraham Fanai, propriétaire d'une petite échoppe de trottoir. Le Livre parle d'un seul Dieu, mais à la messe on nous parle de Trinité. Jésus célébrait sabbat, mais les chrétiens prient le dimanche"[3] ». Ainsi « dans les années 1950, un villageois du nord du Mizoram, Chala, a eu un rêve dans lequel Dieu lui aurait promis de ramener les enfants de Matmase en Israël. Le mythe de la tribu perdue était né[3] ». Ce groupe s'est alors proclamé descendant des hébreux de la tribu de Manassé. « Ce n'est toutefois que dans les années 1970 que de plus en plus de Mizo se sont mis à pratiquer le judaïsme[3] ». Le groupe s'organise alors de façon plus structurée, et apprend les bases du Judaïsme orthodoxe.
A compter du début des années 1990, certains rabbins acceptent de convertir des membres du groupe, et les premières émigrations vers Israël commencent en 1994. Entre la fin des années 1990 et 2003, le gouvernement israélien a accepté l'immigration de 100 convertis par année, freinant délibérément l'immigration devant la crainte de voir les conversions devenir un moyen d'immigration économique en Israël.
Les nouveaux immigrants se sont souvent implantés dans des colonies israéliennes, en particulier à Gaza, alimentant l'hostilité des mouvements palestiniens et des israéliens défavorables aux implantations juives. Ces derniers ont souvent accusés le camp nationaliste religieux de soutenir la conversion des Bnei Menashe pour des raisons politiques : le renforcement des implantations juives. Le premier rabbin Bnei Menashe régulièrement ordonné est d'ailleurs Yehuda Gin, qui vit au sein de l'implantation sioniste religieuse de Hébron depuis le début des années 1990[3].
En 2005, les 146 Bnei Menashe vivant dans la bande de Gaza[4] ont finalement dû quitter celle-ci lors de l'évacuation de ses colonies juives[5].« En 2003, le ministère israélien de l'intérieur a [...] interdit toute nouvelle immigration, en attendant de vérifier la filiation juive[3] ».
« En mars 2005, après avoir étudié la question, [le grand rabbin séfarade d'Israël, Rabbi Shlomo Amar] a formellement identifié le Bnei Menashe en tant que "descendants d'Israël", confirmant leur revendication à une ascendance juive »[6]. Le gouvernement israélien reste cependant réservé. Ainsi, en août 2005, plusieurs mois après la décision du grand rabbinat (qui en droit ne s'impose pas à l'État d'Israël), « l'ambassade d'Israël de New Delhi, [...] continue d'affirmer que “cette histoire n'est pas claire du tout”[3] ».
Autre cause de l'arrêt de l'immigration, les conversions ont pratiquement cessé devant l'opposition du gouvernement indien à tout prosélytisme religieux venu de l'étranger. En novembre 2005, le gouvernement israélien a d'ailleurs accepté sous la pression du gouvernement indien de retirer ses « missionnaires », et les rabbins israéliens qui convertissaient les Bnei Menashe quittent le pays.
Fin 2006, un groupe de 218 personnes[6] récemment convertis lors d'une visite de rabbins en Inde a cependant pu immigrer.
Environs 1 000[6] Bnei Menashe vivent fin 2006 en Israël, officiellement convertis. Sept mille autres[7] vivent toujours dans le Mizoram, attendant une conversion officielle.
Début 2007, la situation des Bnei Menashe semble bloquée : le gouvernement israélien refuse en effet leur immigration avant conversion, et le gouvernement indien refuse que des religieux viennent de l'étranger pour les convertir, au nom de la lutte contre le prosélytisme, une question sensible en Inde, même si elle vise généralement plutôt les missionnaires chrétiens. Le refus des rabbins étrangers est d'ailleurs soutenu par les organisations de chrétiens évangéliques Mizo[8], dont certains pasteurs critiquent « le travail des démons qui tentent d'égarer les esprits[3] ».
Shavei Israel, une organisation israélienne consacrée à l'aide au Bnei Menashe et dirigée par Michaël Freund, éditorialiste au Jerusalem Post, fait un lobbying incessant en faveur de l'immigration des Bnei Menashe. L'association a ainsi obtenu à l'été 2007 un assouplissement de la position du gouvernement israélien. Celui-ci a accepté de faire venir en août 2007 118 Bnei Menashe avant leur conversation (à laquelle s'oppose le gouvernement indien), sous simple visa de tourisme. « Ils passeront les mois à venir à étudier l'hébreu et le judaïsme sous les auspices de Shavei Israel, avant de subir une conversion formelle par le grand rabbinat ». Cent treize autres doivent les rejoindre rapidement, ce qui en fait le plus important groupe à immigrer en si peu de temps[9].
Bene Ephraïm
Les Bene Ephraïm (ou Juifs Telugu), sont un petit groupe parlant le Telugu et vivant dans l'état indien de l'Andhra Pradesh, dont l'observance du judaïsme date de 1981.
Ils ont été convertis au christianisme aux XIXe siècle, mais affirment avoir des origines juives.
En 1981, une cinquantaine de familles ont décidé de pratiquer le judaïsme, et d'apprendre l'hébreu. Ils ne sont pas reconnus comme juifs par Israël ou les autres communautés indiennes.
Articles connexes
Bibliographie
- (fr) Monique ZETLAOUI, Shalom India - Histoire des communautés juives en Inde, Paris, Imago, 2000, ISBN 2-911416-37-6
- (en) Ruby Daniel and Barbara Johnson, Ruby of Cochin: An Indian Jewish Woman Remembers, Jewish Pubn Society, Mai 1995, ISBN 0-8276-0539-0
- (en) Nathan Katz, Who Are the Jews of India ?, University of California Press, 2000, ISBN 0-520-21323-8
- (en) Shirley Berry Isenberg, India's Bene Israel, a comprehensive Inquiry and Sourcebook, Bombay, Popular Prakashan, 1988
Liens externes
- (fr) Juifs en Asie
- (en) The Jewish Community of Cochin
- (en) The Bene Israel of India
- (en) Histoire des Juifs du Kerala
- (en) Bene Israel
- (en) Bene-Israel of India
- (en) BENI-ISRAEL (Jewish Encyclopedia)
- Des photos de Bene Israël sur Google
- Des photos de Juifs de Cochin sur Google
Notes et références
- ↑ L'antisémitisme s'est toutefois récemment manifesté en Inde, au travers de la rhétorique islamiste des Lashkar-e-Toiba, qui ont déclaré que les Juifs et les Hindous étaient ennemis de l'islam [1][2][3].
- ↑ Voir une photo (non-libre) de cette plaque ici
- ↑ a , b , c , d , e , f , g et h Pierre Prakash, « Une tribu perdue d'Israël », l'Express du 08/08/2005, [4]
- ↑ Amiram Barkat, Indians make up largest immigrant group in Gaza, Haaretz, 03/08/2005.
- ↑ Amelia Thomas, Lost 'Tribe' Jews move again with Gaza withdrawal, Middle East Times, 25 août 2005.
- ↑ a , b et c « An aliya voyage across the millennia from India », MICHAEL FREUND, Jerusalem Post du 22 novembre 2006.
- ↑ « A miracle of biblical proportions », MICHAEL FREUND, Jerusalem Post du 4 octobre 2006.
- ↑ Les chrétiens évangéliques sont cependant minoritaires au Mizoram, ou l'église presbytérienne est ultra-majoritaire.
- ↑ Recent Bnei Menashe immigrants settle in Pardess Hana, Jerusalem Post, 26 août 2007.
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