- Philibert Tsiranana
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Philibert Tsiranana Mandats 1er président de la République malgache 1er mai 1959 – 11 octobre 1972 Élection 1er mai 1959 (par le Parlement) Successeur Gabriel Ramanantsoa Président du Conseil de gouvernement 14 octobre 1958 – 1er mai 1959 Prédécesseur Fonction créée Successeur Lui-même
(président de la République)Biographie Nom de naissance Philibert Tsiranana Date de naissance 18 octobre 1910 ? Lieu de naissance Ambarikorano (Madagascar) Date de décès 16 avril 1978 Lieu de décès Tananarive (Madagascar) Nationalité malgache Parti politique PADESM
PSD
PSMProfession Professeur de français et de mathématiques Résidence Palais d'État d'Ambohitsorohitra Premiers ministres malgaches
Présidents de la République malgachemodifier Philibert Tsiranana (18 octobre 1910 ? – 16 avril 1978), fut le premier président de la République malgache de 1959 à 1972.
Pendant douze ans, la République de Tsiranana connaît une stabilité institutionnelle qui tranche face aux troubles politiques qui secouent l’Afrique francophone à la même époque. Cette particularité participe à la construction de sa popularité, attribuant à Philibert Tsiranana une réputation d'homme d’État remarquable. En comparaison d'autres pays en voie de développement à cette époque, son bilan semble honorable. L’économie progresse lentement en suivant la voie d'un socialisme pragmatique. Madagascar se voit attribuer le surnom d’« Île heureuse ». Mais le processus de démocratisation est restreint, et s'achève sur une impasse.
Usé sur le plan physique et politique, il connaît une fin de mandat plus que mitigée. L'image populaire d'un bienveillant maître d’école qu'il affiche publiquement, dissimule aussi une grande fermeté, voire un penchant pour l’autoritarisme. Il demeure toutefois une figure politique malgache de premier plan et reste connu dans son pays comme le « Père de l’indépendance ».
Le parcours républicain d'un colonisé malgache
Les années de formation (1910-1955)
Du bouvier à l’enseignant
Philibert Tsiranana naît, selon sa biographie officielle, le 18 octobre 1912[1] à Ambarikorano dans le district de Mandritsara[2]. Sa naissance remonterait en fait à 1910[2]. Il est le fils de Madiomanana et de Fisadoha[2], des éleveurs de bœufs aisés[3] et des notables ruraux[3] côtiers chrétiens appartenant à l’ethnie Tsimihety[4] (dont sa mère est d’ailleurs issue d’un des grands clans[3]). Destiné à devenir bouvier, il garde, à cet effet, le troupeau de bœufs familial[5] jusqu’à l’âge de onze ans, mais, suite à la mort de son père, il est confié à son frère ainé Zamanisambo qui l'envoie à l’école primaire d’Anjiamangirana[6].
En 1926, il est admis 8e sur 25 à l’école régionale d’Analalava où il obtient son certificat d’études du second degré[7]. En 1930, il entre à l'école formatrice des futurs cadres de la société malgache, « Le Myre de Vilers » de Tananarive, où il suit les cours de la « section normale ». Sorti major avec un diplôme d’instituteur[7], il débute une carrière d’enseignement dans sa région natale, puis s’oriente en 1942 vers le professorat et obtient en 1945, grâce à des cours de perfectionnement à Tananarive, le concours de professeur-assistant[7] (équivalent d'un poste de professeur d’école régionale)[3]. En 1946, il obtient une bourse d’étude pour l’École normale d'instituteurs à Montpellier pour y effectuer un stage professionnel en tant que professeur-assistant[8].
Du communisme au PADESM
En 1943, Philibert Tsiranana adhère au Syndicat professionnel des instituteurs puis en 1944, à la CGT[7]. La vie politique, alors renaissante à Madagascar, intéresse beaucoup le jeune enseignant qui, poussé par son mentor Paul Ralaivoavy, adhère en janvier 1946 aux Groupes d’études communistes (GEC) de Madagascar[3]. Il y assure les fonctions de trésorier[7]. Les GEC lui permettent de rencontrer les futurs cadres du PADESM (Parti des déshérités de Madagascar), parti dont il est un des membres fondateurs en juin 1946[3].
Le PADESM est une organisation politique regroupant les Mainty et les Tanindrana (ou « côtiers »), contre les Merina. Le différend tribal, déjà ancien, avait été ravivé à la suite des élections législatives qui venaient de se tenir[3]. Les côtiers avaient tenté un rapprochement avec le Mouvement démocratique de la rénovation malgache (MDRM), dirigé par les Merina, afin qu’un des deux sièges de député attribués aux autochtones de Madagascar leur soit attribué[3]. Les Merina devaient remporter la circonscription de l'est avec Joseph Ravoahangy[9] tandis que la circonscription de l'ouest revenait aux côtiers avec Paul Ralaivoavy[3]. L’accord ne fut pas respecté et finalement le Merina Joseph Raseta[10] remporta le second siège[3]. Les côtiers tentèrent encore une fois un accord pour les législatives de juin 1946, mais en vain[3]. Le PADESM, dans son programme, s'oppose donc avant tout aux revendications nationalistes du MDRM, avec pour but principal de contrer tout éventuel retour de « pouvoir Merina ». À ce sujet en 1968, Tsiranana justifie sa position sur l’indépendance par ces propos :
- « si on l’avait demandée dès 1946, c’était à coup sûr la guerre civile car les côtiers n’étaient pas d’accord. Étant donné leur niveau intellectuel à l’époque, ils seraient restés de petits chefs de villages, des subordonnés, des subjugués, pour ne pas dire des esclaves, tant le fossé entre gens des côtes et gens des hauts-plateaux était énorme »[11]
En juillet 1946, du fait de son proche départ pour l’École normale de Montpellier, il refuse le poste de secrétaire général du parti[12]. Toutefois, activement, il contribue au journal du PADESM, Voromahery[12] où il signe ses articles sous le pseudonyme de Tsimihety, par référence à son ethnie d'origine[13].
Le séjour dans la métropole
Ce voyage dans la France d’après-guerre en pleine reconstruction, sujette aux aléas politiques de la IVe République[12], lui permet d’échapper à l’insurrection malgache de 1947 et à toute compromission dans ces événements sanglants[3]. Ému par cette tragédie, Tsiranana qui pourtant n'est pas partisan de l'indépendance, participe le 21 février 1949 à une manifestation anti-coloniale à Montpellier[8].
Durant son séjour, il prend conscience du problème du recrutement des élites malgaches. Il constate que sur les 198 étudiants malgaches en France, seuls 17 sont côtiers[3]. Or dans son esprit, il ne peut y avoir d'union franche entre tous les Malgaches s'il demeure entre la côte et les Hauts Plateaux, un écart culturel[3]. Afin de remédier à ce problème, il fonde successivement deux amicales : l'Association des étudiants malgaches côtiers (AEMC) en août 1949, puis l'Association culturelle des intellectuels malgaches côtiers (ACIMCO) en septembre 1951 à Madagascar. Ces créations, mal vécues par les Merina, lui sont reprochées par ces derniers[3].
De retour sur la Grande île en 1950, il est nommé professeur de l’enseignement technique à l’École industrielle de Tananarive située sur les Hauts Plateaux. Il y enseigne le français et les mathématiques. Mal à l’aise dans cet établissement, il est affecté à l’école « Le Myre de Vilers » où ses compétences sont plus appréciées[14].
Un progressiste ambitieux
Reprenant ses activités au PADESM, il milite à l’aile gauche du parti dans le but de le réformer[3]. Il considère le comité directeur trop inféodé à l’administration[14]. Surtout, il entend mener une action d'union avec l'ensemble des Malgaches, toute ethnie confondue[14]. Dans un article publié le 24 avril 1951 dans Varomahery, intitulé « Mba Hiraisantsika » (Pour nous unir), il invite les côtiers et Merina à une réconciliation pour les prochaines élections législatives[15]. En octobre, dans le bimensuel Ny Antsika (« Les Nôtres ») qu'il a fondé, il lance un appel aux élites malgaches afin qu’elles « forment une seule tribu »[3]. Cet appel au rassemblement cache une manœuvre électorale. Tsiranana aspire en effet à prendre part aux législatives de 1951 dans la circonscription de la côte Ouest[16]. La tactique échoue : loin de faire l'unanimité, soupçonné par la classe politique côtière d'être communisant[15], il est contraint à renoncer à sa candidature en faveur du « modéré » Raveloson-Mahasampo[17],[16].
Le 30 mars 1952, il est élu conseiller provincial dans la 3e circonscription de Majunga sur la liste unique « Progrès social »[16]. Il cumule cette fonction avec celle de conseiller à l'Assemblée représentative de Madagascar[16]. Aspirant toujours à un mandat métropolitain, il se porte candidat en mai 1952, aux élections qu'organisent l'Assemblée territoriale pour l'envoi de cinq sénateurs au Conseil de la République[16]. Il est battu par Pierre Ramampy[18], Norbert Zafimahova[19] et Ralijaona Laingo[20],[16] ; quant aux deux autres fauteuils, conformément à la pratique du double collège électoral, ils sont remportés par deux Européens. Particulièrement affecté par cette défaite, Tsiranana se met à accuser ouvertement en 1954, l'administration coloniale de « discrimination raciale »[16]. Avec d’autres élus autochtones, il suggère à Pierre Mendès-France, l'instauration d’un collège électoral unique[21].
Cette même année, il adhère à la nouvelle Action Madécasse, « troisième force entre nationalistes durs et partisans du statu quo »[3] qui prône la réalisation de la paix sociale dans l’égalité et la justice[22]. Par ce changement de politique, Tsiranana cherche à se donner une image nationale dépassant le seul caractère côtier et régional du PADESM, d'autant que désormais, ce n’est plus seulement un État libre dans l'Union française qu’il revendique mais une indépendance progressive obtenue par négociation avec la France[3].
L'irrésistible ascension politique (1956-1959)
Le député de Madagascar au Palais-Bourbon
En 1955, de passage en France dans le cadre de ses congés administratifs, il adhère à la Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO)[21]. Ces vacances écourtées, Tsiranana prépare sa campagne pour les élections législatives de janvier 1956[21]. Il s'attache l'appui du Front national malgache (FNM) issu de l’Action Madécasse dirigé par des Merina, et surtout celui du haut-commissaire André Soucadaux qui voit en lui le nationaliste raisonnable que recherche l’administration[3]. Fort de ces soutiens et de la notoriété qu'il s'est construit les cinq dernières années[23], il est triomphalement élu député par 253 094 voix sur 330 915 dans la circonscription de l’Ouest[3].
Au Palais-Bourbon, il s'inscrit au groupe socialiste[3]. Il gagne rapidement une réputation de franc-parleur : en mars 1956, il affirme l'insatisfaction des Malgaches pour l’Union française, simple continuité selon lui, du colonialisme sauvage (« tout cela n’est que façade, le fond reste le même »)[3] ; il en arrive à réclamer l'abrogation de la loi d’annexion d’août 1896[3]. Prêchant l'unité des Malgaches, il réclame en juillet 1956, la libération de tous les prisonniers de l’insurrection[3]. Par cette politique liant amitié avec la France, revendication indépendantiste et recherche de l’unité nationale, Tsiranana acquiert une stature nationale[3].
Son mandat de député est aussi l'occasion d'affermir légalement ses intérêts politiques locaux. Sous prétexte d’égalité, il obtient pour son bastion du Nord et du Nord-Ouest, une sur-représentation à l'Assemblée territoriale de Madagascar[3]. Il œuvre avec énergie en faveur d'une importante décentralisation provinciale dans le but d'optimiser l'action économique et sociale sur la Grande île[3]. Par ces projets, il s'attire les critiques acerbes du Parti communiste français (PCF) qui, allié aux nationalistes durs de Tananarive, l'accuse de vouloir « balkaniser » Madagascar, d'encourager le tribalisme[3]. Tsiranana en garde une solide rancune anticommuniste[3]. Cet attachement à la propriété le mène à déposer le 20 février 1957, son unique proposition de loi à titre personnel : une « aggravation des peines contre les voleurs de bœufs » que le code pénal français ne prend nullement en compte[3].
L'apprenti homme d'État malgache
La création du PSD et la loi-cadre Defferre
Tsiranana s’impose progressivement comme le leader des côtiers[4]. Il fonde le 28 décembre 1956 à Majunga, avec des éléments de l’aile gauche du PADESM[3], notamment André Resampa, le Parti social-démocrate (PSD)[24]. L’affiliation est portée à la SFIO[24]. Le PSD dépasse rapidement les perspectives limitées du PADESM, dont il est plus ou moins l’héritier[1]. Il représente tout à la fois les notables ruraux côtiers, les fonctionnaires et les partisans de l'indépendance méfiants vis-à-vis du communisme[3]. D'emblée, son parti bénéficie des préférences de l'administration coloniale, dans la perspective des transferts progressifs du pouvoir exécutif prévus par la loi-cadre Defferre.
L'entrée en vigueur de la loi-cadre est prévue après que se soient tenues les élections territoriales de 1957. Le 31 mars, Tsiranana est réélu conseiller provincial sur la liste « Union et Progrès social » avec 79 991 voix sur 82 121 inscrits[25]. Tête de liste, il est nommé président de l’Assemblée provinciale de Majunga et est reconduit dans ses fonctions de conseiller à l’Assemblée représentative de Madagascar le 10 avril 1957[25]. Le 27 mai, cette Assemblée élit un Conseil du gouvernement placé sous l'autorité du Haut-commissaire André Soucadaux, mais dont la vice-présidence est offerte à Philibert Tsiranana[26].
Installé au pouvoir, il conforte peu à peu son autorité. Le 12 juin 1957 est créée une seconde section du PSD dans la province de Tuléar[26] qui rallie 16 conseillers de l'assemblée provinciale, prenant ainsi la majorité à Tuléar[27]. À l’Assemblée représentative, le PSD est représenté par 9 membres[27]. Au sein du Conseil du gouvernement, Tsiranana parvient à nommer son bras droit, André Resampa, au portefeuille de l’Éducation[27]. Bien qu'occupant le poste de vice-président du conseil, ses prérogatives restent assez limités, ce qu'il déplore[28]. En avril 1958, lors du 3e congrès du PSD, il reproche à la loi-cadre, le caractère bicéphale qu’elle impose au Conseil ; pour lui, la présidence du gouvernement malgache ne doit pas être occupée par le haut-commissaire[29]. L’accession du général de Gaulle au pouvoir en juin 1958 joue en sa faveur. Par une ordonnance du gouvernement national, l’ordre hiérarchique dans les territoires d’outre-mer est modifié au profit des élus locaux[30]. Tsiranana devient ainsi le 22 août 1958, le président officiel du Conseil du gouvernement de Madagascar[30].
Le promoteur de la Communauté franco-africaine
Malgré ces prises de position, le dirigeant malgache souhaite plus une forte autonomie interne que l’indépendance[29]. Il affiche d'ailleurs, un nationalisme très modéré :
- « Nous considérons qu’il vaut mieux avoir une indépendance bien préparée, car une indépendance politique anticipée nous conduirait à la dépendance la plus atroce qui soit, la dépendance économique. Nous continuons à faire confiance à la France et comptons sur le génie français pour trouver, le moment venu, une formule comparable à celle du Commonwealth britannique. Car, nous Malgaches, nous ne voudrons jamais nous séparer de la France. De culture française nous sommes, et nous voulons rester Français[27]. »
Le général de Gaulle, dès son retour au pouvoir, prévoit de satisfaire les revendications de liberté, d’égalité et d’autonomie des colonies, et décide pour cela d’enterrer l’Union française[31]. Pour mettre en place la nouvelle organisation, il fait appel, le 23 juillet 1958, à un comité consultatif où figurent plusieurs responsables politiques africains et malgache[31]. Les discussions portent essentiellement sur la nature des liens qui doivent unir la France et ses ex-colonies[31]. L'Ivoirien Félix Houphouët-Boigny propose une « fédération », le Sénégalais Léopold Sédar Senghor une « confédération »[31]. Finalement, c'est le projet de « communauté », soufflé à Tsiranana par un des rédacteurs de la constitution de la Ve Raymond Janot, qui est retenu[32].
Tout naturellement, Tsiranana mène activement campagne pour le « oui » au référendum du 28 septembre 1958, aux côtés de l'Union des démocrates sociaux de Madagascar (UDSM) du sénateur Norbert Zafimahova, afin que Madagascar intègre la Communauté française[33]. La campagne pour le « non » est, pour sa part, principalement menée par l'Union des populations malgaches (UPM)[33]. Le « oui » l’emporte par 1 361 801 votes contre 391 166 « non » [33]. En contrepartie de ce « oui », il avait obtenu la promesse du général qu’il le laisse abroger la loi d’annexion de 1896 et ériger Madagascar en une république libre au sein de la Communauté[33]. C’est chose faîte le 14 octobre 1958, lors du congrès des conseillers provinciaux : la République autonome malgache est proclamée avec Philibert Tsiranana comme Premier ministre provisoire[34] ; le lendemain, la loi d’annexion de 1896 est rendue caduque[35].
La mise en place des institutions malgaches
Les manœuvres politiques contre l'opposition
Le 16 octobre 1958, le Congrès élit, au scrutin de liste majoritaire par province, une Assemblée nationale constituante composée de 90 membres[36]. Ce mode de scrutin devait permettre au PSD et à l’UDSM de n’avoir aucun adversaire du « oui » dans l’Assemblée[36]. Sa présidence revient à Norbert Zafimahova.
En réaction à la création de cette assemblée, l’UPM, le FNM et l’Association des amis des paysans, fusionnent le 19 octobre pour donner naissance à l’AKFM (« Parti du congrès pour l’indépendance de Madagascar ») dirigé par le pasteur Richard Andriamanjato[37]. D’orientation marxiste, le parti devient le principal adversaire du gouvernement[37].
Tsiranana installe donc rapidement dans les provinces, une organisation étatique lui permettant de contenir l’AKFM[37]. Tout d'abord, il nomme des secrétaires d’État dans toutes les provinces[37]. Ensuite, le 27 janvier 1959, il dissout le conseil municipal de Diego-Suarez[37] dirigé par l'opposition marxiste. Enfin, la loi du 27 février 1959 institue le « délit d’outrage aux institutions nationales et communautaires », et lui permet de sanctionner certaines publications[37].
L'élection à la présidence de la République malgache
Le 29 avril 1959, l’Assemblée constituante adopte la constitution élaborée par le gouvernement[38]. Elle s’inspire largement des institutions de la Ve République mais possède ses caractéristiques propres[39]. Le chef de l’État est le chef du gouvernement, il détient tout le pouvoir exécutif[39] ; le vice-président du gouvernement n’a qu’un rôle très effacé[39]. Le parlement est, quant à lui, bicaméral, situation exceptionnelle à l’époque en Afrique francophone[39]. De plus, les provinces, dotées de conseils provinciaux, jouissent d’une certaine autonomie[38]. Au final, bien que d’inspiration parlementaire, le régime relève plutôt d’un présidentialisme modéré[39].
Le 1er mai, le parlement élit au sein d’un Collège comprenant également les conseillers provinciaux et des délégués des communes, le président de la République malgache[40]. Quatre candidats sont alors en liste: Philibert Tsiranana, Basile Razafindrakoto, Prosper Rajoelson et Maurice Curmer[40]. Finalement, sur les 114 suffrages exprimés par les congressistes, Tsiranana est unanimement élu premier président de la République malgache par 113 votes favorables, une seule abstention étant relevée[40].
Le 24 juillet 1959, le général de Gaulle nomme quatre responsables politiques africains, parmi lesquels Philibert Tsiranana, au poste de « ministres-conseillers » du gouvernement français pour les affaires intéressant la Communauté[41]. Le président malgache, par ses nouvelles fonctions, en profite pour évoquer l’accès à la souveraineté nationale de Madagascar ; le Général accepte[42]. En février 1960, une délégation malgache dirigée par André Resampa[43], se rend à Paris pour négocier le transfert des compétences[44]. Tsiranana insiste pour que toutes les organisations malgaches soient représentées au sein de cette délégation, à l’exception de l’AKFM (qui le déplore)[45]. Le 2 avril 1960, les Accords franco-malgaches sont signés à l’Hôtel Matignon entre le Premier ministre français Michel Debré et le président Tsiranana[46]. Le 14 juin, le parlement malgache adopte à l’unanimité les Accords[47]. Le 26 juin, Madagascar devient indépendante.
À la tête de la République malgache indépendante
L’« état de grâce » (1960-1967)
Tsiranana entend réaliser l’unité nationale au moyen d’une politique fondée sur la stabilité et la modération[1].
Afin de légitimer son image de « père de l’indépendance », il ramène sur l’île le 20 juillet 1960, les trois anciens députés « bannis » en France depuis l’insurrection de 1947, Joseph Ravoahangy, Joseph Raseta et Jacques Rabemananjara[48]. L’impact populaire et politique est considérable[49]. Le président propose à ces « héros de 1947 » d’entrer dans son deuxième gouvernement du 10 octobre 1960 ; Joseph Ravoahangy prend le ministère de la Santé, et Jacques Rabemananjara, celui de l’Économie[50]. En revanche, Joseph Raseta refuse et rejoint l’AFKM[51].
Le tenant de la démocratie restreinte
Tsiranana réaffirme fréquemment son appartenance au bloc occidental :
- « Nous sommes résolument intégrés au Monde occidental, parce qu’il est le Monde libre, et que notre aspiration la plus profonde, est la liberté de l’homme et la liberté des peuples[52]. »
Ainsi, la République de Tsiranana possède de nombreuses caractéristiques propres aux démocraties, telles une presse libre qui anime en permanence le débat, une justice indépendante et des droits de l'homme sauvegardés[53]. La Constitution de 1959 garantit le pluralisme et les grands principes de la démocratie libérale[39]. Le président malgache affirme d'ailleurs, tout au long de sa présidence, être opposé à l’instauration d’un parti unique :
- « Je suis trop démocrate pour cela, le parti unique conduisant toujours à la dictature. Nous, PSD, comme le précise le titre de notre parti, nous sommes des sociaux-démocrates et refusons, en tant que tels, ce type de parti. Nous pourrions facilement l’instituer dans notre pays, mais nous préférons qu’existe une opposition[54] »
De nombreuses institutions font également offices de contre-pouvoir sur l'île, telles les Églises protestante et catholique dont l’influence est grande au sein de la population ; les diverses centrales syndicales politiquement actives dans les centres urbains ; ou encore les nombreuses associations, notamment étudiantes et féminines, qui s’expriment très librement[39].
Néanmoins, la démocratie sous Tsiranana connaît des limites dans le fait qu’en dehors des grands centres, les élections sont truquées[53]. Aussi la République de Tsiranana s’apparente à une « démocratie restreinte »[53].
Les manœuvres politiques aux municipales
En octobre 1959, aux élections municipales, l’AKFM ne remporte que la capitale Tananarive avec le pasteur Richard Andriamanjato, et la ville de Diego-Suarez avec le Réunionnais Francis Sautron[55]. Le MONIMA (Mouvement national pour l’indépendance de Madagascar) remporte quant à lui, la mairie de Tuléar avec Monja Jaona[56], et celle d’Antsirabe avec Emile Rasakaiza.
Le gouvernement Tsiranana, par des manœuvres politiques, prend une à une le contrôle de ces mairies. Tout d’abord, par l'ordonnance n°60.085 du 24 août 1960 : « est désormais chargé de l'administration de la ville de Tananarive, un fonctionnaire désigné par le ministre de l'Intérieur et nommé Délégué général ». Le gouvernement prive ainsi de pratiquement toutes ses prérogatives le maire Andriamanjato[57].
Ensuite, le 1er mars 1961, le président Tsiranana « démissionne » Monja Joana, de son mandat municipal de Tuléar[56]. Puis, une loi du 15 juillet 1963, qui stipule que « les fonctions de maire et de 1er adjoint ne peuvent être exercées par des citoyens français », empêche Francis Sautron de se représenter à Diego-Suarez aux élections municipales de décembre 1964[58].
Enfin, lors de ces dernières à Antsirabe, le PSD remporte 14 sièges sur 36, l’AKFM 14 et le Monima 8[59]. Une coalition de ces deux partis permet au leader local de l’AKFM, Blaise Rakotomavo de devenir maire[59]. Mais quelques mois plus tard, André Resampa, ministre de l’Intérieur, déclare la ville ingouvernable et dissout le conseil municipal[59]. Aux nouvelles élections de 1965, le PSD l’emporte[59].
Les manœuvres politiques aux législatives
Le 4 septembre 1960, les Malgaches doivent élire leurs députés[60]. Le gouvernement choisit un scrutin de liste majoritaire à un tour afin de faciliter le succès du PSD dans toutes les régions, surtout à Majunga et Tuléar[60]. En revanche, pour la circonscription de Tananarive-ville où est solidement implanté l’AKFM[39], le scrutin se déroule à la proportionnelle[60] ; ainsi, dans la capitale, le PSD avec 27 911 voix remporte deux sièges avec la liste conduite par Joseph Ravoahangy, tandis que l’AKFM avec 36 271 voix ne remporte que trois sièges dont celui de Joseph Raseta[60].
A la fin du scrutin, le PSD détient 75 sièges de députés[61], ses alliés 29 et l’AKFM seulement 3. Quant aux listes des petits partis locaux, au nombre de 13, fédérés sous l’appellation « 3e force », qui avaient remporté 30% des suffrages (468 000 voix), elles n’obtiennent aucun élu[60].
En octobre 1961, a lieu le « colloque d’Antsirabe ». Tsiranana y préconise de réduire le nombre de partis politiques, alors au nombre de 33 sur l'île[62] ; le PSD est désormais représenté à l’Assemblée par 104 députés. Ainsi la scène politique malgache se bipolarise de façon très inégale. D’un côté, le parti gouvernemental PSD ; de l’autre côté, le parti de l’indépendance AKFM qui prône le « socialisme scientifique » et l’amitié prioritaire avec l’URSS[39]. Les partis d’opposition restant, notamment le MONIMA du nationaliste d’extrême-gauche Monja Jaona qui milite vigoureusement pour la cause du Sud malgache très pauvre, n’ont qu’une audience limitée[39].
Aux élections législatives du 8 août 1965, le PSD recueille 94% des suffrages (2 304 000 voix) et 104 députés[63]. L’AKFM recueille, quant à lui, 3,4% des suffrages (145 000 voix) et 3 députés[63].
Le président Tsiranana explique cette situation par le fait que l’opposition manque d’union et qu’« ils parlent trop mais ne travaillent pas »[64]. Selon lui, le PSD, au contraire, mieux organisé, plus discipliné, en contact permanent avec la population laborieuse est donc plébiscité en masse par les Malgaches[64].
La présidentielle et les provinciales de 1965
Le 16 juin 1962, une loi institutionnelle institue l’élection du président de la République au suffrage universel direct[61]. En février 1965, Tsiranana décide d’avancer d’un an le terme de son septennat et de fixer l’élection présidentielle au 30 mars 1965[65]. Joseph Raseta, qui avait quitté en 1963 l’AKFM pour fonder son propre parti, le FIPIMA (Union nationale malgache), se porte candidat à la présidence[51]. Un indépendant, Alfred Razafiarisoa, se porte également candidat[66]. Le leader du MONIMA, Monja Jaona se montre aussi un moment, désireux de se présenter[66]. L’AKFM fait, quant à lui, l’économie d’une candidature[67] ; d’ailleurs face à Raseta, le parti fait voter discrètement Tsiranana à Tananarive[51].
Tsiranana mène une grande campagne dans toute l’île tandis que celle de ces opposants ne dépasse pas le cadre local[68]. Le 30 mars 1965, sur les 2 583 051 inscrits, 2 521 216 se sont exprimés[69]. Tsiranana est réélu président par 2 451 441 voix, soit à 97% des suffrages[69]. Joseph Raseta recueille 54 814 voix et Alfred Razafiarisoa 812 voix[69].
A l’issue de l’élection du 15 août 1965 pour le renouvellement des Conseils généraux, le PSD obtient 2 475 469 voix sur les 2 605 371 suffrages exprimés sur les sept circonscriptions du pays[62], soit 95% des voix. L’opposition recueille avec difficultés 143 090 voix, principalement à Tananarive, Diégo-Suarez, Tamatave, Fianarantsoa et Tuléar[62].
L'artisan du « socialisme malgache »
Une fois l’indépendance et les nouvelles institutions consolidées, le gouvernement se consacre à la réalisation du socialisme. Le « socialisme malgache », tel que le conçoit le président Tsiranana, doit permettre de résoudre les problèmes du développement en apportant des solutions économiques et sociales adaptées au pays ; il se veut pragmatique et humaniste[70].
Afin d’analyser la situation économique du pays, il est organisé du 25 au 27 avril 1962 à Tananarive, les « Journées malgaches du Développement »[71]. Lors de ces audits nationaux, Madagascar apparaît comme un vaste pays sous-développé aux moyens de communication très insuffisants, et souffrant de problèmes d’accès à l’eau et à l’énergie[39]. Peu peuplée (5,5 millions d’habitants) et rurale à 89% en 1960[72], elle est potentiellement riche en ressources agricoles[39]. Mais comme beaucoup de pays du Tiers-monde, elle est en proie à une poussée démographique qui suit de trop près le rythme d’augmentation annuelle moyenne des produits agricoles de 3,7%[71].
Un triple objectif gouvernemental est donc confié au ministre de l’Économie Jacques Rabemananjara. Tout d’abord, diversifier l’économie malgache pour la rendre moins tributaire des importations[73] qui s’élève en 1960 à 20 millions de dollars américain[72]. Ensuite, réduire le déficit de la balance commerciale (de 6 millions de dollars[72]), afin de consolider l’indépendance de l'île[73]. Enfin, augmenter le pouvoir d’achat et le niveau de vie des populations[73], dont le PNB par habitant n’excède pas 101 dollars par an en 1960[72].
Un socialisme libéral pragmatique
La politique économique mise en œuvre sur l’île par l’administration Tsiranana s’inspire d’un néo-libéralisme nuancé, associant l’encouragement de l’initiative privée (nationale et étrangère) et la nécessité de l’interventionnisme étatique[39]. Ainsi, en 1964 est adopté un plan quinquennal qui fixe les grands choix du gouvernement en matière d’investissements[74]. Ils doivent permettre le développement de l’agriculture et la promotion des paysans[75]. Dans la réalisation de ce plan, il est demandé au secteur privé d'y concourir à hauteur de 55 milliards de francs malgaches (FMG)[76]. Afin d’encourager ces investissements, le gouvernement tente de dégager le maximum de crédits grâce aux quatre organismes de financement mis à sa disposition : l’Institut d’émission, le Trésor public, la Banque nationale malgache, et surtout la Société nationale d’investissement[73] qui prend des participations dans les plus grosses entreprises malgaches et étrangères, commerciales et industrielles[74]. Afin de s’assurer également le soutien des capitalistes étrangers, Tsiranana tente de les rassurer en affirmant que la nationalisation, c’est le vol :
- « Je suis socialiste libéral. Par conséquent, l’État doit jouer son rôle en laissant libre le secteur privé. Nous, nous devons combler les vides, car nous ne voulons pas faire une nationalisation paresseuse, mais, au contraire, dynamique, c’est-à-dire que nous ne devons pas spolier les autres, et l’État n’intervient que lorsque le secteur privé est déficient. »[77]
Cela n’empêche cependant pas le gouvernement de taxer à 50% les bénéfices commerciaux non réinvestis à Madagascar[78].
Bien qu’hostile à toute idée de socialisation des moyens de production, l’administration Tsiranana incite au développement de coopératives et autres techniques de participation volontaire[79]. Les kibboutz israéliens paraissaient alors être la clef du développement agricole[78]. Ainsi en 1962 est créé un Commissariat général à la Coopération, chargé d’une action en profondeur comportant la mise en place de coopératives de production et de commercialisation sur l’île[80]. En 1970, le secteur coopératif a le monopole de la collecte de la vanille[80]. Il contrôle la production bananière dont il assure également le ramassage, le conditionnement et l’exportation[80]. Il prend pied dans le café, le girofle et le riz[80].
La lutte contre le sous-développement
L’obstacle majeur au développement réside, dans une grande mesure, dans l’aménagement du territoire. Afin d’y remédier, l’État dévolue au fokonolona, cellule traditionnelle malgache (équivalent d’une commune), les petits travaux « au ras du sol »[39]. Le fokonolona effectue ainsi des travaux d’équipement rural tels que des petits barrages, rentrant dans le cadre de l’exécution du plan régional de développement. Dans ses réalisations, il est aidé par la gendarmerie qui participe activement au reboisement national, ainsi que par le Service civique[81]. Instauré en 1960 par Tsiranana afin de lutter contre l'oisiveté[82], le Service civique permet aux jeunes malgaches d’acquérir à la fois une instruction générale et une formation professionnelle[83]. Outre ces travaux « au ras du sol », de grands aménagements hydro-agricoles sont réalisés par des sociétés d’économie mixte[84] telles que la SOMALAC (Société d’aménagement du lac Alaotra) qui anime plus de 5 000 riziculteurs[80].
Mais la précarité des moyens de communication persiste. Sous Tsiranana, il n’existe que trois axes ferrés : Tananarive-Tamatave avec un embranchement sur le lac Alaotra, Tananarive-Antsirabe, et Fianarantsoa-Manakara[84]. Les 3 800 km de routes, bitumés pour 2 560 km d’entre elles, servent essentiellement à relier Tananarive aux ports ; elles laissent donc d’immenses régions isolées[84]. Quant aux ports, médiocrement équipés, ils assurent un certain cabotage[84].
Dans le domaine de l’éducation, un effort d’alphabétisation des populations rurales est entrepris[48]. Les dépenses d’éducation en FMG courants sont passées de 8 milliards en 1960 à plus de 20 milliards en 1970, soit de 5,8% à 9,0% du PIB[85], ce qui a permis un doublement des effectifs du primaire (450 000 à près d’un million), un quadruplement des effectifs du secondaire (26 000 à 108 000) et à un sextuplement des effectifs du supérieur qui passent de 1 100 à 7 000[86]. L’enseignement primaire est ainsi dispensé dans la plupart des villes et des villages[48]. Des lycées sont ouverts dans toutes les provinces[48], tandis que le Centre d'Études supérieures de Tananarive se transforme en université en octobre 1961[87]. Cet effort d’alphabétisation est d’autant plus facilité par le Service civique effectué par les jeunes conscrits[48]. Grâce à cette scolarisation élevée, Madagascar peut former des cadres techniques et administratifs compétents[79].
Le bilan économique (1960-1972)
Au final, sur les 55 milliards de FMG attendus du secteur privé par le premier plan quinquennal, 27,2 seulement ont été investis entre 1964 et 1968[76]. L’objectif a néanmoins été dépassé dans le secteur secondaire avec 12,44 milliards de FMG au lieu de 10,70[76]. Mais l’industrie reste encore embryonnaire[84], malgré une hausse de sa valeur ajoutée qui atteint 33,6 milliards de FMG en 1971 contre 6,3 milliards de FMG en 1960, soit une progression annuelle moyenne de 15%[88]. C’est la branche de transformation qui en profite le plus :
- Dans les zones agricoles se développent des rizeries, des féculeries, des huileries, des sucreries et des conserveries[84].
- Sur les Hautes Terres, la cotonnière d’Antsirabe augmente sa production de coton-graine de 2 100 tonnes à 18 700 tonne[89], tandis qu’est créée à Tananarive la Papeterie de Madagascar (PAPMAD)[88].
- Sur le port de Tamatave s’installe une raffinerie[88].
Cet essor permet la création de 300 000 emplois dans l’industrie dont les effectifs passent de 200 000 en 1960 à 500 000 en 1971[88].
En revanche, dans le secteur primaire, les initiatives du secteur privé ont été peu nombreuses[76]. À cela plusieurs raisons : handicaps tenant au sol et au climat, aux difficultés de transport et de commercialisation[79]. L’agriculture malgache sous Tsiranana est donc restée essentiellement de subsistance hormis dans certains secteurs pilotes[79]. Ces derniers sont néanmoins des réussites. Ainsi, la production de paddy (le riz non décortiqué) atteint en 1971, 1 870 000 tonnes contre 1 200 000 tonnes en 1960, soit une progression de 50%[90]. L’autosuffisance alimentaire est alors quasiment réalisée[90]. Le riz malgache n’est d’ailleurs pas seulement une culture vivrière, elle est aussi destinée au commerce ; chaque année, il est exporté entre 15 à 20 000 tonnes de riz de luxe dont le rapport de prix avec celui du riz ordinaire était de l’ordre de 2,3[89]. Madagascar exporte également du café dont la production passe de 56 000 tonnes en 1962 à 73 000 tonnes en 1971, et des bananes à hauteur de 15 à 20 000 tonnes par an[89]. Enfin, sous Tsiranana, l’île est le premier producteur mondial de vanille[84].
Mais le décollage économique ne s’est pas produit. Le PNB par habitant n’a augmenté que de 30 dollars en neuf ans pour atteindre 131 dollars en 1969[72]. Les importations se sont accrues, 28 millions de dollars en 1969, provoquant une hausse du déficit de la balance commerciale, soit 11 millions de dollars[72]. L’électricité, fournie par quelques usines, n’alimente que Tananarive, Tamatave et Fianarantsoa[84] ; la consommation annuelle d’énergie par habitant n’augmente que sensiblement de 38 kg (équivalent charbon) à 61 kg entre 1960 et 1969[72].
Cependant, la situation n’est pas catastrophique[90]. L’inflation est contenue annuellement à 4,1% entre 1965 et 1973[88]. La dette extérieure est faible ; le service de la dette ne représente en 1970 que 0,8% du PNB[88]. Les réserves de change ne sont pas négligeables et atteignent même en 1970, 270 millions de francs français[88]. Le déficit budgétaire est contenu dans des limites très strictes[88]. Et, l’absence de surpopulation évite à l’île le problème de la faim, d’autant que le cheptel bovin est très important puisque estimé à 9 millions de têtes[79]. Le chef de l’opposition, le pasteur marxiste Andriamanjato, y trouve même son compte puisqu’il se déclare à l’occasion « d’accord à 80 p. 100 » avec la politique économique poursuivie[39].
Un partenaire privilégié de la France
Durant la présidence de Tsiranana, les liens entre Madagascar et la France demeurent extrêmement étroits, et ce dans tous les domaines. Tsiranana assure même aux Français installés à Madagascar, qu’ils constituent la 19e tribu de l’île[91].
La présence française dans le secteur public
Le président s’entoure d’une équipe de conseillers techniques français, les « vazahas »[92], dont deux principaux :
- Paul Roulleau qui, en qualité de chef de cabinet, à la main haute sur toutes les affaires économiques[92].
- Le général Bocchino, chef d’état-major particulier, qui occupe en fait, les fonctions de ministre de la Défense[92].
Les coopérants français à Madagascar continuent à assurer le fonctionnement de la machine administrative jusque vers les années 1963/1964[93]. Par la suite, ils sont réduits à un rôle de conseillers, et à de rares exceptions, perdent toute influence[93]. Dans le souci du renouvellement de leur contrat, un certain nombre d’entre eux adoptent même une attitude d’irresponsabilité et de complaisance à l’égard des ministres, directeurs ou chefs de services qu’ils sont censés éclairer ou guider[93].
La sécurité même du pays est placée sous la responsabilité des troupes françaises continuant à occuper diverses bases stratégiques de l'île. Les parachutistes français sont installés à l’aéroport international d’Ivato-Tananarive, tandis que le commandement en chef des Forces militaires françaises dans l’Océan indien est basé à la rade de Diego-Suarez au nord du pays[94]. Lorsqu’en janvier 1964, le gouvernement français décide de retirer de la Grande île près de 1 200 de ses militaires[95], le président Tsiranana s’offusque : « Le départ des troupes militaires françaises représenterait pour le pays une perte de trois milliards de francs CFA. Je suis d’accord avec le président Senghor quand il dit que la déflation des troupes militaires françaises va jeter sur le marché du travail de nombreux chômeurs. La présence des troupes françaises est une aide économique et financière indirecte, et j’ai toujours approuvé son maintien à Madagascar »[96]
Le poids français dans l’économie malgache
Madagascar est, depuis l’Indépendance, dans la zone franc[94]. L’appartenance à cette zone permet à la Grande île d’assurer la couverture en devises des importations reconnues prioritaires, de donner une garantie de débouchés à certains produits agricoles, à des prix supérieurs aux cours mondiaux (bananes, viande, sucre, riz de luxe, poivre, etc.), de sécuriser les investisseurs privés, de maintenir une certaine rigueur dans la politique budgétaire de l’État[97]. Aussi, en 1960, 73% des exportations sont dirigées vers la zone franc et bien sûr, parmi les principaux acheteurs, se trouve la France avec 10 milliards de francs CFA[71].
La France lui octroie d’ailleurs une aide particulièrement importante en douze ans de 400 millions de dollars[98]. Cette aide, sous toutes ses formes, est voisine ou égale aux deux tiers du budget national malgache jusqu’en 1964[99]. De plus, grâce aux conventions d’association avec la Communauté économique européenne (CEE), les avantages découlant des organisations de marché de la zone franc et du Fonds d’Aide et de Coopération français (FAC) sont transposés au niveau communautaire[98]. Ainsi, Madagascar peut bénéficier de préférences tarifaires appréciables et recevoir entre 1965 et 1971, une aide évaluée à 160 millions de dollars de CEE[98].
Outre cette forte dépendance financière, la Grande île sous Tsiranana donne l’impression que les Français ont conservé leur position prépondérante dans l’économie[100]. Les banques, les assurances, le grand commerce, l’industrie et certaines productions agricoles (sucre, sisal, tabac, coton, etc.) restent détenus par les minorités étrangères[100].
La politique étrangère de Tsiranana
À la recherche de nouveaux partenaires
Ce partenariat avec la France donne l’image d’une Grande Île complètement inféodée à l’ancienne métropole, qui accepte volontairement un néo-colonialisme envahissant[39]. En fait, par cette politique avec la France, Tsiranana tente simplement de tirer le maximum de profit pour son pays soumis à des contraintes objectives qu’il estime insurmontables par d’autres voies[39]. D’ailleurs, afin de se libérer de la tutelle économique de la France, le président malgache noue des liens diplomatiques et commerciaux avec d’autres États partageant la même idéologie[79] :
- La République fédérale allemande importait déjà en 1960 pour 585 millions de francs CFA de produits malgaches[71]. Elle signe le 21 septembre 1962, un traité de collaboration économique qui ouvre à Madagascar un crédit de 1,5 milliard de francs CFA[101]. De plus, la Fondation Philibert-Tsiranana, inaugurée en 1965 et chargée de former les cadres politiques et administratifs du PSD malgache, est financée par le Parti social-démocrate allemand[78].
- Les États-Unis, qui en 1960 importaient pour 2 milliards de francs CFA de produits malgaches[71], apportent entre 1961 et 1964, une aide de 850 millions de FMG[102].
- Le 26 janvier 1963 est signé un traité d’amitié israélo-malgache[61]. Lors de la création le 22 décembre 1965 des Forces républicaines de sécurité, véritable garde présidentielle, ce sont des Israéliens qui contribuent à la formation initiale des unités[103].
- Avec Taïwan, il entreprend de poursuivre des relations accrues après sa visite sur l’île en avril 1962[104].
Un essai d’ouverture sur le plan commercial est ensuite entrepris à la fois vers le bloc communiste et vers l’Afrique australe avec le Malawi et l’Afrique du Sud[79]. Mais cet éclectisme suscite parfois des controverses, surtout lorsque les résultats ne sont pas tangibles[79].
Une politique de modération
Tsiranana prône la modération et le réalisme dans les instances internationales comme l’ONU, l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), et l’Organisation Commune Africaine et Malgache (OCAM)[39]. Il s’oppose ainsi aux idées panafricaines proposées par Kwame Nkrumah. Pour sa part, il souhaite coopérer avec l’Afrique dans le domaine économique, mais non dans celui de la politique[105]. D’ailleurs, lors de la deuxième conférence de l’OUA au Caire le 19 juillet 1964, il déclare que l’organisation est atteinte d'une triple maladie : « la « verbite », car tout le monde veut faire des discours… la « démagogite », car nous faisons des promesses que nous ne pouvons pas tenir… la « complexité », car beaucoup d’entre nous n’osent pas dire ce qu’ils pensent sur certains problèmes. »[106]
Il se pose même en médiateur du 6 au 13 mars 1961, lorsque est organisée une table-ronde à Tananarive pour permettre aux différents belligérants congolais de trouver une solution à la guerre civile[107]. Il est alors décidé de transformer la République du Congo en une confédération, présidée par Joseph Kasavubu[107]. Mais la médiation est vaine, les combats auront tôt fait de reprendre[107].
Si Tsiranana se veut modérateur, il n’en est pas moins profondément anticommuniste. Il n’hésite pas à boycotter la troisième conférence de l’OUA organisée à Accra en octobre 1965 par le très progressiste président du Ghana Kwame Nkrumah[108]. Le 5 novembre 1965, il s’attaque à la République populaire de Chine et affirme que « les coups d’État portent toujours la trace de la Chine communiste »[109] Peu de temps après, le 5 janvier 1966 suite au coup d’État de la Saint-Sylvestre au Centrafrique, il fait même l’éloge des putschistes : « Ce qui m’a plu dans l’attitude du colonel Bokassa, c’est qu’il a pu chasser les communistes ! »[110]
Le déclin et la chute du régime (1967-1972)
À partir de 1967, le président Tsiranana doit faire face à une montée des critiques. Tout d’abord, il est patent que les structures mises en œuvre par le socialisme malgache pour développer le pays n’ont pas de grande efficacité macro-économique[111]. Ensuite, on se surprend par certaines mesures adoptées, comme l’interdiction du port de la mini-jupe, qui entrave la promotion du tourisme[112].
Enfin, en novembre 1968, est publié un document intitulé Dix années de République, rédigé par un assistant technique français et un Malgache, qui critique durement les dirigeants du PSD, et dénonce quelques scandales financiers imputés par les auteurs au pouvoir en place[113]. Une enquête est ouverte et se termine par la condamnation pénale d’un des rédacteurs[113]. Cette affaire ne laisse pas indifférents les milieux intellectuels[113]. Ainsi, l’usure inévitable du régime engendre une contestation discrète mais certaine.
L’usure du régime
La remise en cause de la politique francophile
Entre 1960 et 1972, qu’ils soient merina ou côtiers, les Malgaches sont largement convaincus que si l’indépendance politique est réelle, l’indépendance économique en revanche ne l’est pas[100]. Les Français contrôlent l’économie et investissent la quasi-totalité des postes techniques de la haute fonction publique malgache[94]. La révision des accords franco-malgaches et la nationalisation signifient donc, aux yeux des Malgaches, la libération de cinq à dix mille emplois de bon niveau, tenus par des Européens qu’il paraît possible de remplacer au pied levé[97].
Autre contestation : l’appartenance de Madagascar à la zone franc. Selon les certitudes de l'époque, tant que la Grande île se maintiendra dans cette zone, seuls les filiales ou les succursales des banques françaises s’y installeront[97]. Or ces banques locales rechignent quotidiennement à prendre le moindre risque pour favoriser le démarrage d’entreprises malgaches, sous prétexte de garanties insuffisantes[97]. Ainsi, les Malgaches n’ont qu’un accès limité au crédit, car les Français ont toujours la priorité[97]. De plus, l’appartenance à la zone franc implique des habitudes restrictuives à la liberté des changes et des importations[97].
Aussi, dès 1963, lors du 8e congrès du PSD, des personnalités du parti gouvernemental évoquent la possibilité de réviser les accords franco-malgaches[114]. C’est cependant en 1967, lors du 11e congrès du parti, qu’est véritablement demandée la révision[115]. André Resampa, l’homme fort du régime, s’en fait d’ailleurs le porte-parole[115].
La maladie du président
Le président Tsiranana souffre d’une maladie cardiovasculaire. En juin 1966, son état de santé se dégrade nettement ; il est forcé de prendre deux mois et demi de convalescence[116], puis de se rendre trois semaines en France afin d’y parfaire sa guérison[117]. Officiellement, le mal dont il souffre provient d’une fatigue[118]. Par la suite, le dirigeant malgache se rend fréquemment à Paris y faire des examens et sur la Côte d’Azur s’y reposer[119]. Sa santé ne s’améliore pas pour autant[120].
Eloigné quelque temps des affaires, Tsiranana réaffirme à la fin de l’année 1969 son autorité et son rôle de meneur au sein du gouvernement. Il décide ainsi le 2 décembre, à la surprise générale, de « dissoudre » le gouvernement, alors même que cette mesure est anticonstitutionnelle car relevant de la motion de censure[121]. Une quinzaine de jours plus tard, il forme un gouvernement reprenant les mêmes ministres à deux exceptions près[121]. En janvier 1970, alors qu’il est de nouveau en déplacement en France, son état s’aggrave soudainement. Le président de la République française Georges Pompidou déclare alors à Jacques Foccart : « Tsiranana m’a fait très mauvaise impression physiquement. Il avait un papier sous les yeux et ne pouvait pas le lire. Il n’avait pas l’air du tout à son affaire et ne m’a parlé que de petits détails, de petites choses et pas de politique générale. »[122]
Malgré tout, le président malgache se rend à Yaoundé afin d’assister au sommet de l’OCAM. Dès son arrivée dans la capitale camerounaise, le 28 janvier, il est victime d’une attaque et regagne aussitôt Paris, par avion spécial, pour y être soigné à l’hôpital de la Salpetrière[123]. Durant dix jours, le président reste dans le coma avant de recouvrer la parole et presque toutes ses facultés[124]. Son hospitalisation se prolonge jusqu’au 14 mai 1970[125]. Durant ces trois mois et demi de convalescence, il reçoit la visite de nombreuses personnalités politiques françaises et malgaches dont, le 8 avril, celle du chef de l’opposition Richard Andriamanjato, de retour de Moscou[126].
Le 24 mai, Philibert Tsiranana regagne Madagascar[125]. En décembre 1970, il multiplie les déplacements sur la Grande île afin d’annoncer aux Malgaches son intention de demeurer au service du pays car il pense avoir recouvré la santé[127]. Mais le déclin politique est nettement amorcé. Tsiranana, exacerbé par le culte de la personnalité[128], devient autoritaire et irritable[1]. Il se réclame même de la volonté divine : « Pourquoi Dieu a-t-il choisi David, un petit berger pauvre, pour devenir roi d’Israël ? Et pourquoi Dieu a-t-il conduit l’humble bouvier d’un village perdu de Madagascar, pour devenir le chef d’un peuple entier ? »[2]
En fait, coupé des réalités par un entourage de courtisans intéressés, il se révèle incapable d’apprécier la situation socio-économique[1].
Les conflits de succession
Les accusations de corruption
La lutte pour la succession du président Tsiranana commence dès 1964[129]. Au sein du gouvernement, une bataille sourde éclate entre les deux tendances du PSD[94]. Tout d’abord, l’aile modérée, libérale et chrétienne symbolisée par Jacques Rabemananjara[94]. Ensuite, le courant progressiste représenté par le puissant ministre de l’Intérieur, André Resampa[94]. Cette année-là, Jacques Rabemananjara, alors ministre de l’Économie, est victime d’une campagne de diffamation entreprise par l’ensemble de la presse tananarivienne, y compris par les journaux du PSD[129]. Il est accusé, lui et ses collaborateurs, de corruption dans une affaire de ravitaillement en riz[129]. La campagne est inspirée par le sénateur Rakotondrazaka, très proche d’André Resampa[130] ; le sénateur se trouve pourtant incapable de fournir la moindre preuve[130].
Le président Tsiranana ne fait rien pour défendre l’honneur de Rabemananjara[130]. Ce dernier perd simplement le 31 août 1965, l’Économie contre l’Agriculture[131] puis prend le portefeuille des Affaires étrangères en juillet 1967[132]. Quelques mesures d’austérité et de compression des dépenses concernant les cabinets ministériels sont aussi prises en septembre 1965 : suppression de divers avantages et indemnités, accordés jusqu’alors à des fonctionnaires et certaines personnalités, notamment l’usage de véhicules administratifs[133]. Mais l’image du gouvernement est écornée.
Paradoxalement, le 14 février 1967, Tsiranana encourage les personnalités du gouvernement et du parlement à participer à l’effort d’industrialisation du pays, en prenant part aux affaires des entreprises qui s’implantent dans les régions[134]. Pour le président malgache, il s’agit là d’encourager les promoteurs dans leurs prises de risques et la participation des personnalités politiques est même présentée comme un geste patriotique concourant au développement des investissements et à la promotion du pays[134]. Toutefois, incertaine et en tout cas insaisissable au niveau du gouvernement et de la haute administration, la corruption est cependant nettement perceptible dans les campagnes où la moindre démarche doit, dès 1964, s’accompagner du versement d’un bakchich[135].
André Resampa, dauphin ?
En 1968, André Resampa apparaît comme le dauphin du président[136]. Mais l’ascension du ministre de l’Intérieur ne se fait pas sans difficultés[136]. Outre Jacques Rabemananjara, le président de l’Assemblée nationale Alfred Nany semble être un adversaire sérieux[137]. De même, lors de l'hospitalisation en urgence de Tsiranana en janvier 1970, Jacques Foccart, le « Monsieur Afrique de l’Élysée », penche plutôt pour le vice-président Calvin Tsiebo[122]. Mais en fait, personne n’envisage une succession sans que ce soit le président qui, de lui-même, la déclare ouverte[138].
Après le rétablissement de Tsiranana en 1970, une rapide révision constitutionnelle est effectuée[79]. Quatre vice-présidences hiérarchisées au sein d’un gouvernement numériquement très élargi, s’efforcent de parer à la hantise du vide[79]. Resampa est officiellement investi de la première vice-présidence du gouvernement, Calvin Tsiebo devant se contenter désormais d’un rôle en retrait[139]. André Resampa semble alors avoir remporté la bataille.
Des tensions existent pourtant entre le président et celui qu’on considère comme son dauphin. Resampa est le tenant de la dénonciation des accords franco-malgaches ; il obtient même du Conseil national du PSD le 7 novembre 1970, l’adoption d’une recommandation préconisant la révision[127]. Tsiranana s’offusque et se laisse persuader par son entourage que le premier vice-président qu’il a choisi et nommé veut se substituer à lui[140]. Le 26 janvier 1971, dans la soirée, le président ordonne d’acheminer sur Tananarive des renforts de la gendarmerie, consigne l’armée et renforce la garde du palais présidentiel[141]. Le 17 février 1971, il dissout le gouvernement afin de rétrograder le premier vice-président au profit de Calvin Tsiebo et de lui retirer le portefeuille de l’Intérieur pour en assumer lui-même la charge[142].
L’Élysée s’inquiète de ces décisions surprenantes. Foccart en fait part au président Pompidou le 2 avril 1971 : « Je crois que tout cela vient de la sénilité et de la défiance de Tsiranana. Il a liquidé son ministre de l’Intérieur et il renvoie les collaborateurs de celui-ci qui connaissaient bien les problèmes. Son pays est maintenant démantibulé. Logiquement, il devrait maintenant reconnaître son erreur et reprendre Resampa ; mais tout porte à croître, au contraire, qu’il va s’en prendre à Resampa et l’arrêter, ce qui serait une catastrophe. »[143]
Le 1er juin 1971, à l’issue du Conseil des ministres, André Resampa est en effet arrêté[144]. Il est accusé de complot avec l’appui de l’administration américaine, et placé en résidence surveillée dans la petite île de Sainte-Marie[144]. Pour sa part, l’ambassadeur des États-Unis est déclaré persona non grata et expulsé de Madagascar[144]. Plus tard, Tsiranana reconnaîtra l’inexistence de ce complot[4].
La flambée des violences
Aux élections législatives du 6 septembre 1970, le PSD emporte de nouveau 104 sièges contre trois pour l’AKFM[145]. Au sujet du déroulement de l'élection, le parti de l'opposition dépose 600 plaintes qui demeurent sans suite[146]. À l’élection présidentielle du 30 janvier 1972, où le taux de participation est de 98,8%[147], Tsiranana est réélu par 99,72% des suffrages, sans adversaire[148] ; il entame un troisième mandat. Mais alors que durant la campagne électorale, peu de journaux ont été l’objet de saisies, on assiste à une véritable chasse aux sorcières contre les publications critiquant les résultats du scrutin, les méthodes employées pour les établir, ainsi que les menaces et pressions exercées sur les électeurs pour qu’ils se rendent aux urnes[148].
La « démocratie restreinte » de Tsiranana montre ainsi des faiblesses. Convaincue de ne pouvoir se faire entendre par la voie des urnes, l’opposition décide d’emprunter le chemin de la rue[53]. Cette opposition sera soutenue par l’élite merina que Tsiranana et Resampa se sont efforcés d’éloigner des centres de décision[129].
1971, le début de la fin
Le 24 mars 1971, une grève universitaire est déclenchée par la Fédération des Associations d’Etudiants de Madagascar (FAEM), d’obédience AKFM[149]. Elle est suivie par environ 80% des cinq mille étudiants des diverses filières[149]. Le lendemain, le président ordonne la fermeture de l’université affirmant : « Le gouvernement ne tolèrera, en aucune façon, qu’un problème strictement universitaire puisse être utilisé à des fins politiques »[149]
Dans la nuit du 31 mars au 1er avril 1971, un mouvement insurrectionnel est déclenché dans le Sud de Madagascar, notamment à Tuléar et dans sa région[143]. La jacquerie, dirigée par Monja Jaona, est composée d’éleveurs du Sud-Ouest qui refusent de payer l’impôt trop lourd, et d’acquitter les cotisations exorbitantes, d’autant qu’obligatoires, du parti PSD[150]. La province, particulièrement déshéritée, attend au contraire des aides indispensables à la survie sur des terres asséchées ou parfois malmenées par les cyclones[143]. Le MONIMA n’a alors aucun mal à enhardir les foules pour occuper les bâtiments officiels et s’y livrer à de multiples saccages[143].
La jacquerie est rapidement et durement réprimée[151]. Le chiffre de 45 morts parmi les insurgés est contesté par Monja Jaona qui parle lui, de plus de mille morts[151]. Ce dernier est d’ailleurs arrêté et son parti interdit[151]. Les exactions de la gendarmerie (dont le commandant était le colonel Richard Ratsimandrava qui en 1975 sera un éphemère président de la république car assassiné six jours après sa prise de fonction) dans le Sud ont pour conséquence de déclencher, à travers le pays, un fort mouvement d’hostilité à l’égard de l’« État-PSD »[150]. Le président Tsiranana essaie de tempérer. Il déplore le comportement de certains fonctionnaires intransigeants qui conduisent à l’exploitation de la misère humaine[151] ; il condamne également les fonctionnaires ayant abusé de ceux qui, après la jacquerie, regagnaient leur village et se virent extorquer de l’argent et des bœufs[151].
Le mai malgache
Lors de la mi-mars, la non-prise en considération des revendications d’étudiants en médecine engendre un mouvement de grève à l’école de Befelatanana dans la capitale[152]. En réponse, le 19 avril 1972, l’Association des étudiants en médecine et en pharmacie qui appuyait ces revendications, est dissoute[152]. Cette mesure a été prise par le nouvel homme fort du régime, le ministre de l’Intérieur Barthélémy Johasy à qui l’on devait déjà le renforcement de la censure sur la presse[152]. En protestation contre cette politique éducative, les universitaires et certains lycéens de la capitale provoquent dès le 24 avril un nouveau mouvement de grève[152]. Des pourparlers sont ouverts entre le gouvernement et les manifestants, mais chacun campe sur ses propres analyses de la situation[153]. La grève se propage et atteint Fianarantsoa le 28 avril, Antsirabe le 29[154]. Elle est désormais massivement appuyée par des élèves de l'enseignement secondaire dans de nombreuses villes provinciales, qui dénoncent « les accords de coopération franco-malgaches et les méfaits de l’impérialisme culturel. »[155].
Très vite, les autorités sont débordées et, prises de panique, font arrêter 380 étudiants et sympathisants dans le campus universitaire, le soir du 12 mai pour ensuite les déporter au pénitencier de Nosy Lava, une petite île au nord de Madagascar[156]. Le lendemain, une grande manifestation de protestation réunissant cinq mille jeunes se transforme à Tananarive en insurrection contre le régime. Le service d’ordre, composé essentiellement de quelques dizaines de membres des Forces républicaines de sécurité (FRS), se trouve alors complètement dépassé par les évènements[157] ; il finit par tirer sur la foule. Mais l’ordre n’est pas rétabli, bien au contraire l’émeute double[157]. Le bilan officiel du 13 mai est finalement de 26 morts dont 7 parmi les forces de l’ordre et plus de 200 blessés[158].
Ces violences incitent la plupart des fonctionnaires de la capitale et les employés de nombreuses entreprises à cesser leur travail, ce qui achève de discréditer le régime[159]. Le 15 mai, une centaine de milliers de manifestants se dirige vers le palais présidentiel en réclamant le retour des déportés[159]. La journée est marquée par une chasse aux FRS provoquant la mort de cinq d’entre eux ainsi que de cinq nouveaux manifestants[160]. La gendarmerie, appelée à la rescousse, refuse de s’associer à la répression tandis que l’armée adopte une position ambiguë[156]. Finalement, le gouvernement décide le retrait définitif des unités des FRS et à leur remplacement par des effectifs militaires[160].
Le président Tsiranana interrompt sa cure thermale à Ranomafana, dans la région de Fianarantsoa, et regagne enfin Tananarive[156]. Il ordonne le la libération des 380 bannis qui sont le 16 mai, de retour dans la journée dans la capitale[161]. Mais l’autorité de Tsiranana est de plus en plus ouvertement contestée[162]. Celle-ci se trouve confortée lorsque le 17 mai, le gouvernement français annonce que l’armée stationnée sur l’île « n’intervient et n’interviendra pas dans la crise de Madagascar qui est une crise interne »[162]. Ne réussissant pas à mobiliser et à galvaniser ses fidèles, Tsiranana confie le 18 mai les pleins pouvoirs au général Gabriel Ramanantsoa, chef d'état-major de l'armée[156].
La retraite forcée de Tsiranana
Tsiranana reste toujours le président de la République malgache. Les pleins pouvoirs donnés au général Ramanantsoa ne constituent, pour lui, qu’une parenthèse[1]. Il déclare à Jacques Foccart le 22 mai 1972 : « J’ai été élu par le peuple. On me tuera peut-être, mais je ne m’en irai pas. On mourra ensemble, avec ma femme, s’il le faut ! »[163]
Mais ces pouvoirs relèvent, depuis le 18 mai, du virtuel[164]. Sa présence est d’ailleurs politiquement inutile et encombrante[164]. Tsiranana en prend progressivement conscience. Lors d’un voyage privé à Majunga, le 22 juillet, des manifestants l’accueillent en arborant des banderoles hostiles, telles que « Nous en avons marre de vous papa » ou « C’est fini le PSD »[165]. C’est également à Majunga que durant les évènements de mai, le buste du président trônant au centre de la ville avait été abattu[165]. Toutefois, il faut véritablement attendre le référendum constitutionnel du 8 octobre 1972 acquis à 96,43% des suffrages et qui confie les pleins pouvoirs à Ramanantsoa pour cinq ans, pour le convaincre qu’il a fait son temps[1]. Tsiranana est alors déchu de ses fonctions de président de la République.
Se qualifiant, quant à lui, de « président de la République suspendu », il ne se retire pas pour autant de la vie politique et devient même un virulent opposant au régime militaire[166]. Le général Ramanantsoa lui signifie cependant qu’il n’a pas à parler de choses politiques et qu’il n’est pas, non plus, autorisé à faire des déclarations à des journalistes[166]. Le PSD va alors connaître des tracasseries judiciaires avec l’interpellation de nombreuses personnalités du parti[167]. Lors des élections consultatives du Conseil National Populaire de Développement (CNPD) du 21 octobre 1973, le PSD est à son tour victime des irrégularités du scrutin[168]. Les candidats favorables du pouvoir enlèvent ainsi 130 sièges sur 144[168].
Lors de ce scrutin, Tsiranana renoue avec son ancien dauphin André Resampa[168], libéré en mai 1972, qui entre-temps a fondé l’Union des Socialistes Malgaches (USM). La réconciliation aboutit à la fusion, le 10 mars 1974, du PSD et de l’USM qui deviennent le Parti Socialiste Malgache (PSM) avec Tsiranana pour président et Resampa comme secrétaire général[169]. Le PSM réclame un gouvernement de coalition afin de mettre fin au désordre économique et social (pénuries, affrontements ethniques entre Merinas et Côtiers…) lié à la « malgachisation » et à la « socialisation » de la société malgache. Dans un communiqué du 3 février 1975, Tsiranana propose même la création d’un « comité des sages », chargé de désigner une personnalité appelée à former un gouvernement provisoire devant organiser des élections libres et démocratiques dans un délai de 90 jours[170].
Après la démission du général Gabriel Ramanantsoa et l’accession à la tête de l’État du colonel de gendarmerie Richard Ratsimandrava le 5 février 1975, Philibert Tsiranana décide de se retirer de la vie politique[171]. Mais le 11 février 1975, Ratsimandrava est assassiné. Un tribunal militaire exceptionnel est alors chargé du « procès du siècle »[1]. Parmi les 296 inculpés se trouve Tsiranana qui doit répondre de huit chefs d’accusation dont le plus grave, pénalement, est celui de « complicité dans l’assassinat du colonel Richard Ratsimandrava, chef de l’État et du gouvernement »[172]. Philibert Tsiranana est finalement relaxé, faute de preuve[1].
Après le procès, l'ancien président ne préoccupe plus grand monde à Madagascar[173]. Il se rend un temps en France pour y retrouver sa famille et consulter ses médecins[173]. Puis, le 14 avril 1978, il est transporté en urgence à Tananarive, dans un état critique[173]. Admis à l’hôpital Befelatanana dans le coma, il ne reprend pas connaissance et s’éteint le dimanche 16 avril 1978 en fin d’après-midi[173]. Le Conseil suprême de la Révolution, dirigé par Didier Ratsiraka, organise pour lui des funérailles nationales[1]. L’immense foule tananarivienne qui se presse à ses obsèques témoigne du respect et de l’affection portée, en définitive, à celui qui reste dans l’histoire malgache un personnage de premier plan, et probablement un personnage vénéré[1].
Ouvrage
- Le cahier bleu. Pensées - souvenirs, Imprimerie nationale de Madagascar, 1971
Annexes
Bibliographie
- Charles Cadoux, La République malgache, Éditions Berger-Levrault, 1969.
- Alain Spacensky, Madagascar, cinquante ans de vie politique. De Ralaimongo à Tsiranana. Nouvelles éditions latines, 1970.
- Césaire Rabenoro, Les relations extérieures de Madagascar de 1960 à 1972, Éditions L'Harmattan, 1986 (ISBN 2858026629).
- Ferdinand Deleris, Ratsiraka : socialisme et misère à Madagascar, Éditions L'Harmattan, 1986 (ISBN 2858026971).
- Patrick Rajoelina, Quarante années de la vie politique de Madagascar 1947-1987, Éditions L'Harmattan, 1988 (ISBN 2858029156).
- André Saura, Philibert Tsiranana, Premier président de la République de Madagascar, t. I : À l’ombre de de Gaulle, Éditions L'Harmattan, 2006 (ISBN 2296013309).
- André Saura, Philibert Tsiranana, Premier président de la République de Madagascar, t. II : Le crépuscule du pouvoir, Éditions L'Harmattan, 2006 (ISBN 2296013317).
Références et notes
- Charles Cadoux. Philibert Tsiranana. In Encyclopédie Universalis. Universalia 1979 – Les évènements, les hommes, les problèmes en 1978. p.629
- André Saura. Philibert Tsiranana, 1910-1978 premier président de la République de Madagascar. Tome I. Éditions L’Harmattan. 2006. p.13
- Biographies des députés de la IVe République : Philibert Tsiranana
- Charles Cadoux. Philibert Tsiranana. In Encyclopédie Universalis. Édition 2002.
- Philibert Tsiranana 1e partie (25 mai 2007), Émission de RFI « Archives d'Afrique »
- André Saura. op. cit. Tome I. p.14
- André Saura. op. cit. Tome I. p.15
- André Saura. op. cit. Tome I. p.17
- Assemblée nationale - Les députés de la IVe République : Joseph Ravoahangy
- Assemblée nationale - Les députés de la IVe République : Joseph Raseta
- André Saura. op. cit. Tome II. p.51-52
- André Saura. op. cit. Tome I. p.16
- Page en malgache citant les rédacteurs de la publication de Voromahery
- André Saura. op. cit. Tome I. p.18
- André Saura. op. cit. Tome I. p.20
- André Saura. op. cit. Tome I. p.21
- Assemblée nationale - Les députés de la IVe République : Raveloson-Mahasampo
- Anciens sénateurs de la IVe République : Pierre Ramampy
- Anciens sénateurs de la IVe République : Norbert Zafimahova
- Anciens sénateurs de la IVe République : Ralijaona Laingo
- André Saura. op. cit. Tome I. p.22
- André Saura. op. cit. Tome I. p.19
- André Saura. op. cit. Tome I. p.23
- André Saura. op. cit. Tome I. p.31
- André Saura. op. cit. Tome I. p.32
- André Saura. op. cit. Tome I. p.33
- André Saura. op. cit. Tome I. p.34
- André Saura. op. cit. Tome I. p.36
- André Saura. op. cit. Tome I. p.37
- André Saura. op. cit. Tome I. p.44
- Jean-Marcel Champion. Communauté française. In Encyclopédie Universalis. Édition 2002.
- André Saura. op. cit. Tome I. p.64
- André Saura. op. cit. Tome I. p.48
- André Saura. op. cit. Tome I. p.50
- André Saura. op. cit. Tome I. p.51
- André Saura. op. cit. Tome I. p.52
- André Saura. op. cit. Tome I. p.54
- Patrick Rajoelina. Quarante années de la vie politique de Madagascar 1947-1987. Éditions L’Harmattan. 1988. p.25
- Charles Cadoux. Magadascar. In Encyclopédie Universalis. Édition 2002.
- André Saura. op. cit. Tome I. p.57
- André Saura. op. cit. Tome I. p.63
- André Saura. op. cit. Tome I. p.67
- André Saura. op. cit. Tome I. p.84
- André Saura. op. cit. Tome I. p.74
- André Saura. op. cit. Tome I. p.75
- André Saura. op. cit. Tome I. p.88
- André Saura. op. cit. Tome I. p.101
- Patrick Rajoelina. op. cit. p.31
- André Saura. op. cit. Tome I. p.106
- André Saura. op. cit. Tome I. p.116
- Biographies des députés de la IVe République : Joseph Raseta
- André Saura. op. cit. Tome I. p.174
- Ferdinand Deleris. Ratsiraka : socialisme et misère à Madagascar. Éditions L’Harmattan. 1986. p.36
- André Saura. op. cit. Tome I. p.248
- André Saura. op. cit. Tome I. p.66
- Patrick Rajoelina. op. cit. p.108
- Histoire de la commune de Tananarive
- Eugène Rousse, « Hommage à Francis Sautron, Itinéraire d’un Réunionnais exceptionnel - II – », Témoignages.re, 15 novembre 2003
- Gérard Roy et J.Fr. Régis Rakotontrina « La démocratie des années 1960 à Madagascar. Analyse du discours politique de l’AKFM et du PSD lors des élections municipales à Antsirabe en 1969 », Le fonds documentaire IRD
- André Saura. op. cit. Tome I. p.111
- Patrick Rajoelina. op. cit. p.33
- André Saura. op. cit. Tome I. p.308
- Patrick Rajoelina. op. cit. p.34
- André Saura. op. cit. Tome I. p.307
- André Saura. op. cit. Tome I. p.260
- André Saura. op. cit. Tome I. p.262
- André Saura. op. cit. Tome I. p.261
- André Saura. op. cit. Tome I. p.279
- André Saura. op. cit. Tome I. p.294
- André Saura. op. cit. Tome I. p.263
- André Saura. op. cit. Tome I. p.152
- Pays du monde : Madagascar. In Encyclopédie Bordas, Mémoires du XXe siècle. édition 1995. Tome 17 « 1960-1969 »
- André Saura. op. cit. Tome I. p.156
- Patrick Rajoelina. op. cit. p.32
- Ferdinand Deleris. op. cit. p.19
- Ferdinand Deleris. op. cit. p.23
- André Saura. op. cit. Tome I. p.207
- Ferdinand Deleris. op. cit. p.21
- Charles Cadoux. Madagascar. In Encyclopédie Universalis. Tome 10. Édition 1973. p.277
- Ferdinand Deleris. op. cit. p.20
- André Saura. op. cit. Tome I. p.320
- André Saura. op. cit. Tome I. p.125
- André Saura. op. cit. Tome I. p.202
- Gérald Donque. Madagascar. In Encyclopédie Universalis. Tome 10. Édition 1973. p.277
- Philippe Hugon. Economie et enseignement à Madagascar. Institut international de planification de l’éducation 1976. p.10
- Philippe Hugon. op. cit. p.37
- André Saura. op. cit. Tome I. p.62
- Ferdinand Deleris. op. cit. p.26
- Ferdinand Deleris. op. cit. p.25
- Ferdinand Deleris. op. cit. p.24
- Ferdinand Deleris. op. cit. p.22
- Philibert Tsiranana 2e partie (1er juin 2007), Émission de RFI « Archives d'Afrique »
- Ferdinand Deleris. op. cit. p.31
- Patrick Rajoelina. op. cit. p.35
- André Saura. op. cit. Tome I. p.208
- André Saura. op. cit. Tome I. p.217
- Ferdinand Deleris. op. cit. p.29
- Ferdinand Deleris. op. cit. p.30
- André Saura. op. cit. Tome I. p.206
- Ferdinand Deleris. op. cit. p.27
- André Saura. op. cit. Tome I. p.167
- André Saura. op. cit. Tome I. p.221
- André Saura. op. cit. Tome I. p.342
- André Saura. op. cit. Tome I. p.147
- André Saura. op. cit. Tome I. p.122
- André Saura. op. cit. Tome I. p.218
- André Saura. op. cit. Tome I. p.136
- André Saura. op. cit. Tome I. p.328
- André Saura. op. cit. Tome I. p.331
- André Saura. op. cit. Tome I. p.346
- André Saura. op. cit. Tome II. p.21
- André Saura. op. cit. Tome II. p.32
- André Saura. op. cit. Tome II. p.55
- André Saura. op. cit. Tome I. p.203
- André Saura. op. cit. Tome II. p.22
- André Saura. op. cit. Tome I. p.353
- André Saura. op. cit. Tome I. p.357
- André Saura. op. cit. Tome I. p.358
- André Saura. op. cit. Tome II. p.47
- André Saura. op. cit. Tome II. p.64
- André Saura. op. cit. Tome II. p.72
- André Saura. op. cit. Tome II. p.77
- André Saura. op. cit. Tome II. p.78
- André Saura. op. cit. Tome II. p.87
- André Saura. op. cit. Tome II. p.85
- André Saura. op. cit. Tome II. p.84
- André Saura. op. cit. Tome II. p.105
- Ferdinand Deleris. op. cit. p.8
- Ferdinand Deleris. op. cit. p.32
- Ferdinand Deleris. op. cit. p.33
- André Saura. op. cit. Tome I. p.311
- André Saura. op. cit. Tome II. p.20
- André Saura. op. cit. Tome I. p.313
- André Saura. op. cit. Tome I. p.371
- Ferdinand Deleris. op. cit. p.35
- André Saura. op. cit. Tome II. p.50
- André Saura. op. cit. Tome II. p.66
- André Saura. op. cit. Tome II. p.79
- André Saura. op. cit. Tome II. p.95
- André Saura. op. cit. Tome II. p.106
- André Saura. op. cit. Tome II. p.111
- André Saura. op. cit. Tome II. p.114
- André Saura. op. cit. Tome II. p.121
- André Saura. op. cit. Tome II. p.128
- Patrick Rajoelina. op. cit. p.40
- André Saura. op. cit. Tome II. p.155
- André Saura. op. cit. Tome II. p.168
- André Saura. op. cit. Tome II. p.172
- André Saura. op. cit. Tome II. p.119
- Patrick Rajoelina. op. cit. p.37
- André Saura. op. cit. Tome II. p.122
- André Saura. op. cit. Tome II. p.178
- André Saura. op. cit. Tome II. p.182
- André Saura. op. cit. Tome II. p.187
- André Saura. op. cit. Tome II. p.189
- Ferdinand Deleris. op. cit. p.7
- André Saura. op. cit. Tome II. p.194
- André Saura. op. cit. Tome II. p.195
- André Saura. op. cit. Tome II. p.197
- André Saura. op. cit. Tome II. p.198
- André Saura. op. cit. Tome II. p.200
- André Saura. op. cit. Tome II. p.202
- André Saura. op. cit. Tome II. p.209
- André Saura. op. cit. Tome II. p.212
- André Saura. op. cit. Tome II. p.216
- André Saura. op. cit. Tome II. p.237
- André Saura. op. cit. Tome II. p.238
- André Saura. op. cit. Tome II. p.241
- André Saura. op. cit. Tome II. p.247
- André Saura. op. cit. Tome II. p.293
- André Saura. op. cit. Tome II. p.299
- André Saura. op. cit. Tome II. p.313
- André Saura. op. cit. Tome II. p.330
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