Palais d'Aix-la-Chapelle

Palais d'Aix-la-Chapelle

50°4632N 6°0502E / 50.77556, 6.08389

Reconstitution possible du palais de Charlemagne

Le palais dAix-la-Chapelle était un ensemble de bâtiments résidentiels, politiques et religieux choisi par Charlemagne pour être le centre du pouvoir carolingien. Le palais était situé dans la ville actuelle dAix-la-Chapelle qui se trouve à l'ouest de lAllemagne, dans le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. On sait que le gros œuvre était terminé en 798 et que la chapelle fut consacrée en 805, mais les travaux continuèrent jusquà la mort de Charlemagne en 814. Cest Eudes de Metz qui dessina les plans du palais qui sinscrivait dans le programme de rénovation du royaume voulue par le souverain. Aujourdhui, la majeure partie du palais a été détruite, mais il subsiste la chapelle palatine qui est considérée comme lun des trésors de larchitecture carolingienne ainsi qu'un exemple darchitecture caractéristique de la Renaissance carolingienne.

Plan simplifié : 1 = salle des assemblées ; 2 = porche ; 3 = Trésor et archives ; 4 = galerie de jonction ; 5 = tribunal et garnison ; 6 = metatorium ; 7 = curie ; 8 = secretarium ; 9 = chapelle ; 10 = atrium ; 11 = thermes

Sommaire

Contexte et histoire du palais

Le palais avant Charlemagne

La construction dAix-la-Chapelle, enluminure de Jean Fouquet, dans les Grandes Chroniques de France, XVe siècle. Charlemagne est au premier plan

Dans lAntiquité, les Romains choisirent le site dAix pour ses sources thermales et sa position de poste avancé vers la Germanie. Appelé Aquae Granni, le site fut aménagé avec des thermes sur un espace de 20 hectares[1] qui furent utilisés du Ier au IVe siècle[2]. La cité romaine grandit en liaison avec ces thermes selon un plan en damier classique qui suivait celui dun camp de légionnaires. Un palais était destiné à accueillir le gouverneur de la province ou lempereur. Au IVe siècle, la ville et le palais furent détruits par les grandes invasions. Alors que Clovis fit de Paris la capitale du royaume des Francs, le palais dAix fut abandonné jusquà l'avènement de la famille carolingienne. Les maires du palais pippinides réalisèrent quelques travaux de restauration, mais le palais dAix nétait alors quune résidence parmi beaucoup dautres. La cour franque était nomade et les souverains se déplaçaient au gré des circonstances. Vers 765, Pépin le Bref fit ériger un palais sur les restes de lancien bâtiment romain ; il fit restaurer les thermes et les débarrassa de ses idoles païennes[3]. Dès son arrivée au pouvoir en 768, Charlemagne séjourna à Aix, mais aussi dans dautres villas dAustrasie[2]. Dans les années 790 cependant, il décida de se fixer pour gouverner son royaume puis son empire de manière plus efficace.

Le choix dAix

Statue de Charlemagne devant lhôtel-de-ville

Le choix dAix fut mûrement réfléchi par Charlemagne et intervint à un moment clé de son règne[4]. Depuis son avènement comme roi des Francs, Charlemagne avait mené de nombreuses expéditions militaires qui lui permirent denrichir le trésor, mais aussi dagrandir le royaume, notamment vers lest. Il conquit la Saxe païenne en 772-780, mais la région résista et les guerres contre les Saxons durèrent une trentaine dannées. Charlemagne finit par rompre avec lusage germanique dune cour itinérante qui allait de domaine en domaine et se dota dune véritable capitale. Avec lâge, il diminua le rythme des expéditions armées et, après 806, il ne quitta pratiquement plus Aix[5].

La situation géographique dAix fut décisive dans le choix de Charlemagne : le lieu se trouvait au cœur des terres carolingiennes, en Austrasie, une région qui restait le berceau de sa famille, à lest de la Meuse, sur un carrefour de routes terrestres et sur un affluent du Rhin, le Wurm. Ensuite, Charlemagne laissa ladministration des régions méridionales à son fils Louis, nommé roi des Aquitains[6] : il pouvait ainsi résider au nord.

Lempire carolingien et sa capitale Aix-la-Chapelle au début du IXe siècle

Linstallation à Aix permit en outre à Charlemagne de contrôler de près les affaires saxonnes[7]. Charlemagne vit également tous les avantages du lieu : entourée de forêts giboyeuses, il comptait faire des parties de chasse dans les environs[8]. Lâge avançant, lempereur se réjouissait de pouvoir profiter des sources deau chaude dAix.

Les lettrés de lépoque carolingienne présentaient Charlemagne comme le « Nouveau Constantin » : dans cette optique, il lui fallait une capitale et un palais dignes de ce nom[9],[10]. Il laissa Rome au pape. La rivalité avec lempire byzantin[8] poussa Charlemagne a construire un palais somptueux. Lincendie du palais de Worms en 793[11] fut également un événement qui lencouragea à réaliser ce projet.

Un projet important confié à Eudes de Metz

Eginhard est le biographe de Charlemagne ; cest grâce à lui que lon connaît le nom de larchitecte du palais (enluminure des XIVe / XVe siècles)

Les historiens ne savent presque rien de larchitecte du palais dAix, Eudes de Metz. Son nom apparaît dans un texte dEginhard (v. 775-840), le biographe de Charlemagne. On suppose quil fut un clerc cultivé, familier des arts libéraux, en particulier du quadrivium. Il a sans doute lu les traités darchitecture de Vitruve[12].

La décision de construire le palais intervint à la fin des années 780 ou au début des années 790, alors que Charlemagne ne possédait pas encore le titre dempereur. Le chantier débuta en 794[13] et se poursuivit pendant plusieurs années. Aix devint rapidement la résidence préférée du souverain. Après 807, il ne sen absenta presque plus. Faute dune documentation suffisante, il est impossible de connaître le nombre douvriers employés. Mais les dimensions de lensemble palatial permettent dimaginer quils furent nombreux.

Le plan adopté était dune grande simplicité géométrique : Eudes de Metz décida de garder le tracé des rues romaines et dinscrire le palais dans un carré de 360 pieds carolingiens de côté[14], soit 120 mètres[15]. Le carré délimitait une surface de 20 hectares[16] partagée en quatre par un axe nord-sud (correspondant à une galerie maçonnée) et un axe est-ouest (correspondant à une ancienne voie romaine, le decumanus). Au nord de ce carré se trouvait la salle de lassemblée, au sud la chapelle palatine. Larchitecte a tracé un triangle vers lest pour raccorder les thermes au complexe palatial. Les deux édifices les mieux connus sont la salle des assemblées (aujourdhui disparue) et la chapelle palatine, intégrée à la cathédrale. Les autres bâtiments sont mal identifiés[17] : souvent construits à colombages,en bois et en brique, ils ont été détruits. Enfin, le complexe palatial était entouré dune muraille[18].

Linstallation de la cour à Aix et le chantier de construction du palais ont stimulé lactivité de la ville qui sest agrandie à la fin du VIIIe et au début du IXe siècle. Des artisans, des commerçants et des marchands sétaient en effet installés près de la cour. Certains grands logeaient dans leurs résidences en ville. Les membres de lAcadémie palatine et les conseillers de Charlemagne tels quEginhard et Angilbert possédaient une maison à proximité du palais[18].

La salle de lassemblée

Localisation dans le palais (en rouge)

Située au nord du complexe palatial, la grande salle de lassemblée (aula regia ou aula palatina en latin) était destinée à accueillir les plaids généraux, une fois par an. Il sagissait de la réunion des Grands du royaume, puis de lEmpire, cest-à-dire des dignitaires et des relais du pouvoir : comtes, fidèles et vassaux du roi, évêques et abbés. Lassemblée générale se tenait habituellement au mois de mai ; les participants y discutaient des affaires politiques et judiciaires importantes. Les capitulaires, rédigés par les copistes de la chancellerie dAix, résumaient par écrit les décisions qui avaient été prises. Cest aussi dans ce bâtiment quavaient lieu les cérémonies officielles et les réceptions des ambassades. Décrivant le couronnement de Louis, fils de Charlemagne, Ermold Le Noir indique que Charlemagne y parlait « du haut de son siège dor[19] ».

La basilique de Trèves en Allemagne servit probablement de modèle à la salle de lassemblée dAix

Les dimensions de la salle (1 000 m2) étaient adaptées à recevoir plusieurs centaines de personnes en même temps[20] : si lédifice nexiste plus aujourdhui, on sait quelle mesurait 47,42 mètres sur 20,76 mètres, pour une hauteur de 21 mètres[15]. Son plan semble inspiré de l'aula palatina romaine de Trèves. La structure était constituée de briques et sa forme était celle dune basilique dotée de trois absides : la plus grande (17,2 mètres[15]), située à louest, était destinée à accueillir le roi et son entourage. Les deux autres absides étaient plus petites et disposées au nord et au sud. La lumière entrait par deux rangées de fenêtres. Lintérieur était probablement orné de peintures mettant en scène des héros de lAntiquité et des héros contemporains[3]. Une galerie de bois ceinturait tout lédifice entre ces deux rangées. Il était possible depuis cette galerie de voir le marché qui se tenait au nord du palais. On entrait par une galerie à portiques aménagée au sud de la salle. Labsidiole sud coupait en deux cet accès[3].

La chapelle palatine

Description

Coupe de la chapelle palatine

La chapelle palatine était placée à lautre bout du complexe palatial, tout au sud. Elle était reliée à l'aula regia par une galerie maçonnée. Elle représentait lautre aspect du pouvoir de Charlemagne, le pouvoir religieux. Lédifice fut consacré en 805 par le pape Léon III[8], en lhonneur de la Vierge Marie, mère de Jésus.

Plusieurs bâtiments étaient occupés par les clercs de la chapelle et formaient un plan en croix latine : à lest une curie, au nord et au sud des bureaux et à louest un avant-corps (Westbau[21]) et un atrium à exèdres. Mais la pièce centrale était la chapelle coiffée dune coupole à huit côtés, dun diamètre de 16,54 mètres[22] et dune hauteur de 31 mètres[23]. Huit piliers massifs reçoivent la poussée des grandes arcades. Au rez-de-chaussée, un collatéral entoure la nef située sous la coupole ; cest que se tenaient les serviteurs du palais[24].

Le trône de Charlemagne dans la chapelle palatine

Les deux étages (tribunes) souvrent sur lespace central par des baies en plein cintre, soutenues par des colonnes. Le pourtour intérieur forme un octogone alors que le côté extérieur se développe en un polygone à seize côtés. La chapelle disposait de deux chœurs placés à lest et à louest. Le roi sasseyait sur un trône constitué de plaques de marbre blanc, au premier étage et à louest ; il était entouré par les proches de sa cour. Il avait ainsi vue sur trois autels : celui du Sauveur, juste en face, celui de la Vierge au rez-de-chaussée et celui de saint Pierre, au fond du chœur oriental.

Charlemagne avait voulu un décor somptueux pour sa chapelle : il avait fait réaliser par une fonderie près dAix des portes en bronze massif. Les murs étaient revêtus de marbre et de pierres polychromes[25]. Les colonnes encore visibles aujourdhui, ont été prélevées sur des édifices de Ravenne et de Rome, avec lautorisation du pape.

Vue intérieure de loctogone

Les murs et la coupole étaient couverts de mosaïques, mises en valeur par des luminaires et par léclairage extérieur qui entrait par les fenêtres. Eginhard, dans sa Vie de Charlemagne (vers 825-826), nous livre une description de lintérieur :

« [...] Aussi construisit-il [Charlemagne] à Aix une basilique d'une extrême beauté, qu'il orna d'or et d'argent et de candélabres, ainsi que de balustrades et de portes en bronze massif ; et, comme il ne pouvait se procurer ailleurs les colonnes et les marbres nécessaires à sa construction, il en fit venir de Rome et de Ravenne. [...] Il la pourvut largement de vases sacrés d'or et d'argent et d'une quantité suffisante de vêtements sacerdotaux [...][26]. »

Symbolique

Vue sur loctogone de la chapelle

Eudes de Metz a tenu compte de la symbolique chrétienne des chiffres et des nombres. Le bâtiment était conçu comme une représentation de la Jérusalem céleste (cest-à-dire le royaume de Dieu), telle quelle est décrite dans l'Apocalypse[27]. Le périmètre extérieur de la coupole mesure exactement 144 pieds carolingiens alors que celui de la Jérusalem céleste, cité idéale dessinée par les anges, est de 144 coudées. La mosaïque de la coupole, aujourdhui masquée par une restauration du XIXe siècle, figurait le Christ en majesté accompagné des 24 vieillards de lApocalypse. Dautres mosaïques, sur les voûtes du collatéral, reprennent ce registre en représentant la Jérusalem céleste. Enfin, le trône de Charlemagne, situé au premier étage à louest, était posé sur la septième marche dune estrade[28].

Les autres bâtiments

Le trésor et les archives

Le trésor et les archives du palais se trouvaient dans une tour accolée à la grande salle, au nord du complexe[17],[3]. Le chambrier était lofficier responsable du trésor et de la garde-robe des souverains. Ladministration des finances revenait à larchichapelain, secondé par un trésorier[29]. Le trésor rassemblait les dons apportés par les Grands lors des assemblées générales, les cadeaux des ambassadeurs, cest-à-dire une collection hétéroclite dobjets allant des livres précieux, aux armes et aux vêtements. Le roi achetait également des produits aux marchands qui fréquentaient Aix.

Les archives étaient sous la responsabilité du chancelier. La chancellerie employait plusieurs scribes et notaires qui mettaient par écrit les diplômes, les capitulaires ou la correspondance royale. Les agents des bureaux du roi étaient souvent des clercs de la chapelle.

La galerie de liaison

Localisation dans le palais (en rouge)


La galerie couverte mesurait une centaine de mètres. Elle reliait la salle de lassemblée et la chapelle ; un porche monumental, placé en son centre servait dentrée principale. À létage se trouvait une salle pour les audiences judiciaires. Le roi y rendait la justice, mais certaines affaires impliquant des Grands étaient traitées dans l'aula regia. Lorsque le roi était absent, cette charge revenait au comte du palais. Le bâtiment devait également abriter le siège dune garnison[3].

Les thermes

Localisation des thermes (en rouge)


Le complexe thermal, situé au sud-est, mesurait 20 hectares et comportait plusieurs édifices construits à proximité des sources de lempereur et de Quirinus. Eginhard mentionne une piscine en plein air capable daccueillir cent nageurs à la fois[30] :

« [...] [Charlemagne] aimait les eaux thermales et s'y livrait souvent au plaisir de la natation, il excellait au point de n'être surpassé par personne. C'est ce qui l'amena à bâtir un palais à Aix et à y résider constamment dans les dernières années de sa vie. Quand il se baignait, la société était nombreuse : outre ses fils, ses grands, ses amis et même, de temps à autre la foule de ses gardes du corps, étaient conviés à partager ses ébats et il arrivait qu'il y eût dans l'eau avec lui jusqu'à cent personnes ou même davantage [...][26]. »

Dautres bâtiments, dautres fonctions

Le Codex aureus de Lorsch a été exécuté par un atelier du palais dAix vers 810

Les autres bâtiments sont mal identifiés, faute de sources écrites suffisamment détaillées. Les appartements de Charlemagne et de sa famille semblent avoir occupé la partie nord-est du complexe palatial ; sa chambre était peut-être au premier étage[3]. Les fonctionnaires et les domestiques du palais devaient habiter pour certains dans la partie occidentale[1],[31], pour dautres en ville. On sait que lempereur possédait une bibliothèque[32], mais il est difficile den connaître lemplacement exact. Le palais abritait également des lieux de productions artistiques : un scriptorium dont sortirent plusieurs manuscrits précieux (Sacramentaire de Drogon, Évangile de Godescalc…) et un atelier qui fabriquait des pièces dorfèvrerie[33] et divoire. Il y avait également un atelier monétaire qui fonctionnait encore au XIIIe siècle.

Le palais fut également le lieu des activités littéraires de lAcadémie palatine. Ce cercle de lettrés ne se réunissait pas forcément dans un bâtiment précis : Charlemagne aimait entendre des poèmes dans la piscine, mais aussi à table. Lécole du palais éduquait les enfants du souverain et les « nourris » (nutriti en latin), des fils daristocrates destinés à servir la royauté.

En dehors du complexe palatial se trouvaient un gynécée, une caserne, un hospice[17], un parc de chasse et une ménagerie dans laquelle vivait léléphant Abul-Abbas, offert par le calife de Bagdad Harun ar-Rachid. Ermold Le Noir la décrit dans un passage de son Poème sur Louis le Pieux (première moitié du IXe siècle:

« Il y a un endroit, voisin de l'illustre palais impérial d'Aix, clos de solides murailles, planté d'arbres et verdoyant d'une herbe fraîche [...]. quand c'est au plaisir du roi, il se rend , en petite compagnie, pour chasser [...][34]. »

Il faut enfin imaginer que le palais était fréquenté quotidiennement par une foule de personnes : courtisans, intellectuels, aristocrates, marchands, mais aussi mendiants et pauvres qui venaient pour demander laumône[35]. Les affaires domestiques étaient la préoccupation dofficiers tels que le bouteiller, le sénéchal, le chambrier[36].

Interprétation et symbolique du palais

Lhéritage romain, le modèle byzantin

La basilique Saint-Vital de Ravenne fut lun des modèles de la chapelle palatine

Si Charlemagne na pas voulu restaurer lempire romain, mais fonder un empire chrétien et franc, le palais emprunte cependant divers éléments à la civilisation romaine : l'aula palatina reprend le plan basilical ; la basilique était un édifice public lon discutait des affaires de la cité dans lAntiquité. La chapelle sinspire du modèle de la Rome antique : les grilles reprennent un décor antiquisant (des feuilles d'acanthe[37]) et les colonnes sont surmontées de chapiteaux corinthiens. Lempereur fut inhumé dans la chapelle palatine à lintérieur dun sarcophage antique du IIe siècle en marbre, sur lequel était représenté le thème de lenlèvement de Proserpine[18],[38]. Les lettrés contemporains de Charlemagne surnomme Aix la « seconde Rome ».

Charlemagne souhaitait rivaliser avec lautre empereur de lépoque, le basileus de Constantinople[9]. La coupole et les mosaïques de la chapelle sont des éléments byzantins. Le plan lui-même sinspire sans doute de la basilique San Vitale de Ravenne, construite par Justinien Ier au VIe siècle. Dautres spécialistes la rapprochent de léglise des Saints-Serge-et-Bacchus et du chrysotriklinos[39] de Constantinople. Lors des offices religieux, Charlemagne se tenait au premier étage dans la tribune, comme le faisait lempereur à Constantinople[3].

Il est également très probable quEudes de Metz se soit inspiré du palais lombard de Pavie, datant du VIIIe siècle et qui avait une chapelle palatine ornée de mosaïques et de peintures[17]. Peut-être a-t-il fait le voyage jusque-, mais il est peu probable quil soit allé à Constantinople.

Le palais dun Franc

Il est incontestable que le palais dAix faisait de multiples références aux modèles romain et byzantin. Cependant, Eudes de Metz exprima son talent darchitecte franc et apporta des éléments incontestablement différents. Le palais se distingue par ailleurs de larchitecture mérovingienne par son esprit de grandeur et par la multiplication des volumes[40]. Le voûtement de la chapelle illustre bien un savoir-faire carolingien original[22], particulièrement dans le déambulatoire coiffé dune voûte darêtes[3]. Alors que lempereur byzantin prenait place à lest pour assister aux offices, Charlemagne y assistait à louest. Enfin, le bois et le colombage sont des matériaux caractéristiques du nord de lEurope.

Il est donc manifeste que le palais de Charlemagne était plus quune imitation de modèles antiques et byzantins, mais plutôt une synthèse dinfluences diverses, à limage de lEmpire carolingien. Tout comme la Renaissance carolingienne, le palais est le produit de lassimilation de plusieurs cultures et héritages.

La centralisation et lunité impériales

Le plan du complexe palatial mettait parfaitement en scène lalliance des deux pouvoirs : le pouvoir spirituel était représenté par la chapelle au sud et le pouvoir temporel par lassemblée au nord. Les deux pôles étaient reliés par une galerie. Depuis Pépin le Bref, le père de Charlemagne, le roi carolingien était sacré, il tenait son pouvoir de Dieu. Charlemagne lui-même voulait influencer la vie religieuse par ses réformes et par les nombreux conciles ou synodes qui se tenaient à Aix. En établissant le siège du pouvoir et de la cour à Aix, Charlemagne savait quil allait pouvoir surveiller plus facilement ses proches. Le palais était le lieu se concentraient les dignitaires de lEmpire carolingien, le cœur de la capitale.

Le palais après Charlemagne

Aix, un modèle pour dautres palais ?

Lintérieur de la coupole dOttmarsheim en Alsace

Il est difficile de savoir si dautres palais carolingiens ont imité celui dAix, étant donné que beaucoup ont été détruits. Quoi quil en soit, le chantier dAix ne fut pas le seul à lépoque de Charlemagne : 16 cathédrales, 232 établissements monastiques et 65 palais royaux sont sortis de terre entre 768 et 814[41]. La chapelle palatine dAix semble avoir été imitée par dautres édifices du même type : la filiation est nette dans le cas de loratoire octogonal de Germigny-des-Prés, construit au début du IXe siècle pour Théodulf dOrléans. La collégiale Saint-Jean de Liège a été construite en suivant le plan de la chapelle au Xe siècle. Léglise dOttmarsheim en Alsace reprend le plan centré, mais est plus tardive (XIe siècle). On retrouve linfluence de la chapelle palatine à Compiègne[42] et dans dautres édifices religieux allemands (église abbatiale de la Trinité dEssen par exemple).

Histoire du palais après Charlemagne

Charlemagne fut inhumé dans la chapelle en 814. Son fils et successeur, lempereur Louis le Pieux, occupa le palais dAix sans en faire une résidence exclusive. Il y restait généralement lhiver[18] jusquà Pâques. Plusieurs conciles importants se tinrent à Aix au début du IXe siècle[43]. Ceux de 817 et de 836 eurent lieu dans les deux bâtiments attenants à la chapelle[18]. En 817, Louis le Pieux fit couronner son fils aîné Lothaire en présence du peuple franc.

Avec le traité de Verdun de 843, lempire carolingien se disloqua en trois royaumes. Aix faisait alors partie du royaume de Francie médiane. Lothaire Ier (840-855) et Lothaire II (855-869) résidèrent dans le palais[18]. Mais après la mort de ce dernier, le palais perdit son rayonnement culturel et politique. La Lotharingie devint alors un enjeu entre les rois de Francie occidentale et orientale. Elle fut partagée à plusieurs reprises et passa finalement sous contrôle de la Germanie dHenri Ier de Saxe (876-936).

Vue de la cathédrale aujourdhui

Le souvenir de lEmpire de Charlemagne resta pourtant vivace et devint le symbole du pouvoir germanique : ainsi, au Xe siècle, Otton Ier (912-973) y fut couronné roi de Germanie[44] (936). La cérémonie eut lieu en trois temps dans différents lieux du palais : dabord dans la cour (élection par les ducs), puis dans la chapelle (remise des insignes royaume), enfin dans le palais (banquet)[45]. Lors de la cérémonie, Othon sétait assis sur le trône de Charlemagne. Par la suite et jusquau XVIe siècle, tous les empereurs germaniques furent dabord couronnés à Aix puis à Rome, ce qui dénote la volonté de reprendre lhéritage politique de Charlemagne. La Bulle dor de 1356 confirma que le sacre et le couronnement devaient se faire dans la chapelle palatine.

Otton II (955-983) résida à Aix avec sa femme Theophano. Lété 978 Lothaire mena un raid contre Aix-la-Chapelle, mais la famille impériale échappa à la capture. Relatant cet épisode, Richer de Reims indique la présence dun aigle de bronze, dont lemplacement exact nous échappe :

« [...] L'aigle de bronze, que Charlemagne avait fixé sur le sommet du palais dans l'attitude du vol, est retourné face à l'est. Les Germains l'avaient tourné vers l'ouest pour indiquer d'une manière symbolique que leur cavalerie pourrait battre les Français quand elle le voudrait [...][46]. »

Lhôtel-de-ville dAix-la-Chapelle se tient aujourdhui sur lemplacement de la salle des assemblées

En 881, un raid viking endommagea le palais et la chapelle. En lan Mil, lempereur germanique Othon III fit ouvrir le tombeau de Charlemagne. Selon deux chroniqueurs du XIe siècle, il aurait été retrouvé en position assise sur un trône, portant sa couronne et son sceptre[47]. Mais Eginhard nen parle pas dans sa biographie de lempereur. Cest à cette époque que le culte de Charlemagne commence à attirer les pèlerins dans la chapelle. Au XIIe siècle Frédéric Barberousse plaça le corps de lempereur carolingien dans une châsse et intervint auprès du pape pour quil le canonise ; ses reliques furent dispersées dans tout le Saint-Empire. Le trésor dAix senrichit par la suite des nombreux dons des rois et princes français et allemands.

Entre 1355 et 1414, une abside fut ajoutée à la chapelle à lest. Lhôtel-de-ville fut construit à partir de 1267 à lemplacement de la salle de lassemblée. Sous la période révolutionnaire, les Français qui occupaient Aix-la-Chapelle pillèrent le trésor. Avant de choisir Notre-Dame de Paris, Napoléon Bonaparte avait un temps pensé à la cathédrale dAix pour son sacre impérial[48]. La chapelle fut restaurée en 1884. En 1978, la cathédrale comprenant la chapelle fut inscrite sur la liste du patrimoine mondial de lUNESCO.

Voir aussi

Notes

  1. a et b A. Erlande-Brandeburg, A.-B. Erlande-Brandeburg, Histoire de larchitecture française, 1999, p.104
  2. a et b J. Favier, Charlemagne, 1999, p.285
  3. a, b, c, d, e, f, g et h P. Riché, La vie quotidienne dans lEmpire carolingien, p.57
  4. A. Erlande-Brandeburg, A.-B. Erlande-Brandeburg, Histoire de larchitecture française, 1999, p.92
  5. J. Favier, Charlemagne, 1999, p.582
  6. J. Favier, Charlemagne, 1999, p.287
  7. A. Erlande-Brandeburg, A.-B. Erlande-Brandeburg, Histoire de larchitecture française, 1999, p.92-93
  8. a, b et c G. Démians dArchimbaud, Histoire artistique de lOccident médiéval, 1992, p.76
  9. a et b P. Riché, Les Carolingiens. Une famille qui fit lEurope, 1983, p.326
  10. M. Durliat, Des barbares à lan Mil, 1985, p.145
  11. J. Favier, Charlemagne, 1999, p.288
  12. J. Favier, Charlemagne, 1999, p.502
  13. Christian Bonnet (dir.), Les sociétés en Europe (milieu du VIe siècle - fin du IXe siècle), Paris, Ellipses, 2002, (ISBN 2-7298-1231-8), p.184
  14. un pied carolingien correspond à 0,333 mètre
  15. a, b et c A. Erlande-Brandeburg, A.-B. Erlande-Brandeburg, Histoire de larchitecture française, 1999, p.103
  16. P. Riché, Les Carolingiens, 1983, p.325
  17. a, b, c et d Régine Le Jan, La société du Haut Moyen Âge, VIe - IXe siècle, Paris, Armand Colin, 2003, ISBN 2200265778, p.120
  18. a, b, c, d, e et f P. Riché, La vie quotidienne dans lEmpire carolingien, p.58
  19. Ermold le Noir, Poème sur Louis le Pieux et épîtres au roi Pépin, édité et traduit par Edmond Faral, Paris, Les Belles Lettres, 1964, p.53
  20. P. Riché, Les Carolingiens. Une famille qui fit lEurope, 1983, p.131
  21. Un porche entouré de deux tourelles descalier, lancêtre des massifs occidentaux
  22. a et b Collectif, Le grand atlas de larchitecture mondiale, Encyclopædia Universalis, 1982, ISBN 2852299712, p.1888
  23. J. Favier, Charlemagne, 1999, p.505
  24. G. Démians dArchimbaud, Histoire artistique de lOccident médiéval, 1992, p.81
  25. A. Erlande-Brandeburg, A.-B. Erlande-Brandeburg, Histoire de larchitecture française, 1999, p.127
  26. a et b Source : Eginhard, Vie de Charlemagne, traduction et édition de Louis Halphen, Paris, Les Belles Lettres, 1994, p.69
  27. Apocalypse, XXI, 17, [lire en ligne]
  28. Thérèse Robin, LAllemagne médiévale, Paris, Armand Colin, 1998, ISBN 2200218834, p.136
  29. Jean-Pierre Brunterch, Archives de la France, tome 1 (Ve - XIe siècle), Paris, Fayard, ISBN 2213031800, p.244
  30. A. Erlande-Brandeburg, A.-B. Erlande-Brandeburg, Histoire de larchitecture française, 1999, p.105
  31. G. Démians dArchimbaud, Histoire artistique de lOccident médiéval, 1992, p.78
  32. Son existence est attestée par Eginhard, Vie de Charlemagne, traduction et édition de Louis Halphen, Paris, Les Belles Lettres, 1994, p.99
  33. J. Favier, Charlemagne, 1999, p.513
  34. Ermold le Noir, Poème sur Louis le Pieux et épîtres au roi Pépin, édité et traduit par Edmond Faral, Paris, Les Belles Lettres, 1964, p.141
  35. Jean-Pierre Brunterch, Archives de la France, tome 1 (Ve - XIe siècle), Paris, Fayard, ISBN 2213031800, p.243
  36. Pour lorganisation du palais, lire la description de larchevêque de Reims Hincmar, Lettre sur lorganisation du Palais, Paris, Paléo, 2002, ISBN 2913944639
  37. G. Démians dArchimbaud, Histoire artistique de lOccident médiéval, 1992, p.80
  38. J. Favier, Charlemagne, 1999, p.592
  39. La salle des audiences du grand palais de Constantinople
  40. Piotr Skubiszewski, Lart du Haut Moyen Âge, Paris, Librairie Générale française, 1998, ISBN 2253130567, p.287
  41. M. Durliat, Des barbares à lan Mil, 1985, p.148
  42. P. Riché, La vie quotidienne dans lEmpire carolingien, p.59
  43. Thérèse Robin, LAllemagne médiévale, Paris, Armand Colin, 1998, ISBN 2200218834, p.35
  44. Thérèse Robin, LAllemagne médiévale, Paris, Armand Colin, 1998, ISBN 2200218834, p.40
  45. P. Riché, Les Carolingiens. Une famille qui fit lEurope, 1983, p.247
  46. Richer, Histoire de France (888-995), tome 2, édité et traduit par Robert Latouche, Paris, Les Belles Lettres, 1964, p.89
  47. J. Favier, Charlemagne, 1999, p.590
  48. J. Favier, Charlemagne, 1999, p.691

Bibliographie

  • Alain Erlande-Brandenburg, Anne-Bénédicte Erlande-Brandenburg, Histoire de larchitecture française, tome 1 : du Moyen Âge à la Renaissance, IVe - XVIe siècle, 1999, Paris, éditions du Patrimoine, (ISBN 2856203671)
  • Gabrielle Démians DArchimbaud, Histoire artistique de lOccident médiéval, Paris, Colin, 3e édition, 1968, 1992, (ISBN 2200313047)
  • Marcel Durliat, Des barbares à lan Mil, Paris, éditions citadelles et Mazenod, 1985, (ISBN 2850880205)
  • Jean Favier, Charlemagne, Paris, Fayard, 1999, (ISBN 2213604045)
  • Jean Hubert, Jean Porcher, W. F. Volbach, Lempire carolingien, Paris, Gallimard, 1968
  • Félix Kreush, « La Chapelle palatine de Charlemagne à Aix », dans Les Dossiers d'archéologie, n°30, 1978, pages 14-23.
  • Pierre Riché, La Vie quotidienne dans lEmpire carolingien, Paris, Hachette, 1973
  • Pierre Riché, Les Carolingiens. Une famille qui fit lEurope, Paris, Hachette, 1983, (ISBN 2010196384)

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