Nyingmapa

Nyingmapa

Le courant nyingma ou nyingmapa (wylie. rNying-ma-pa) est la plus ancienne des traditions du bouddhisme tibétain, comme l'indique son nom (nyingma : ancien ; pa : courant).

Ses différentes lignées remontent à Padmasambhava qui apporta le bouddhisme au Tibet, le « Pays des neiges », et se basent sur la première vague de traductions du sanscrit en tibétain des tantras et des soutras. Les autres courants (principalement kagyupa, sakyapa et gelugpa), basés sur des traductions ultérieures, sont parfois regroupés sous le terme sarmapa (nouvelle tradition). Les nyingmapa sont parfois appelés bonnets rouges, terme qui peut aussi s'appliquer aux sakya et aux kagyu, les gelug étant les seuls à porter des bonnets jaunes.

L'école nyingma est la branche la plus orientée vers le tantrisme avec des pratiques parfois inspirées du shamanisme et un sens du secret marqué. À l'instar du bön qui s'en rapproche, elle comprend de nombreux maîtres laïques mariés. Ces caractéristiques, et l'absence de pouvoir politique découlant de la « faiblesse » de sa tradition monastique et institutionnelle, l'ont parfois désavantagée et fait considérer avec un brin de suspicion par les autres courants. Elle n'en fait pas moins partie des cinq traditions religieuses tibétaines officiellement reconnues par le Dalaï Lama, et possède en tant que telle un représentant officiel au sein du gouvernement tibétain en exil. Le titulaire actuel de la charge depuis 2010 est Kyabjé Trulshik Rinpoché. Il succède à Kyabjé Dudjom Rinpoché (des années 1960 à 1987), Dilgo Khyentsé Rinpoché (1987-1991), Penor Rinpoché (Pema Norbu) de (1991-2003) et Mindroling Trichen (2003-2008)[1].

Deux caractéristiques de l'enseignement nyingma, que le courant partage avec le bön, sont l'existence d'une transmission directe sautant les générations et le dzogchen. La transmission directe se fait par l’intermédiaire des termas, textes dissimulés par d'anciens maîtres, en général Padmasambhava, découverts par les tertöns (découvreurs de trésors) en tant qu'objets matériels ou visions.

Présente tout d'abord dans les régions du Tibet central, l'école s'est ensuite développée dans les régions orientales, particulièrement au Kham (Tibet oriental) où la majorité de ses pratiquants se trouvent actuellement. Les nyingmapas sont également influents au Bhoutan, au Sikkim et dans certaines régions du Népal. Comme toutes les traditions tibétaines, le courant a essaimé en Occident après l'invasion du Tibet.

Origines

Samye, premier monastère bouddhiste au Tibet

Jusqu' au XIe siècle, où avec le développement de nouveaux courants elle reçoit son nom d'« ancienne », l'histoire de la tradition nyigma se confond avec celle de l'ensemble du bouddhisme tibétain.

Selon une tradition, le premier contact avec le bouddhisme aurait eu lieu vers 433 : alors que le roi Lhatho-Thori-Nyentsen était âgé de 60 ans, un texte bouddhique (Pang Kong Chag Gya Pa) et des objets sacrés churent sur le toit de son palais[2]. Au VIIe siècle, le roi Songsten Gampo (617-698) eut 2 épouses bouddhistes, la princesse Bhrikuti, fille du roi du Népal Amshuvarman, et la princesse Wencheng Kongjo, fille de l'empereur de Chine Taizong. Il fit construire de nombreux temples, dont le Monastère de Jokhang (Rasa Thrulnang) et le Monastère de Ramoché[3]. Songtsen Gampo envoya en Inde son ministre Thonmi Sambhota pour y étudier le sanskrit. Il créa l’écriture tibétaine à partir de l'alphabet indien devanâgarî.

Au VIIIe siècle, le roi Trisong Detsen (742-797) invita Shantarakshita (d. 802), abbé de Nalanda (arrivé avant 767), pour propager le bouddhisme, puis Padmasambhava (arrivé vers 817). Le monastère de Samye fut fondé par Padmasambhava et devint le centre de diffusion du bouddhisme au Tibet. Le roi Trisong Detsen ordonna la traduction en tibétain de tous les textes bouddhiques indiens. Padmasambhava supervisa la traduction des tantras, Shantarakshita celle des sutras. Ils furent aidés par 108 traducteurs et les 25 disciples principaux de Padmasambhava. Le roi Trisong Detsen organisa un débat philosophique entre les religieux indiens et chinois (chan) qui s'affrontaient. En 792, à l'issue du débat relaté par Paul Pelliot sous le nom de concile de Lhassa, le bouddhisme indien l'emporta, et Trisong Detsen déclara le bouddhisme religion d'état au Tibet.

Des frictions avec les tenants de la tradition chamane bön survinrent, notamment sous le règne du roi Langdharma (836842). Durant le règne de Tri Relpachen (866-901), les traductions furent rééditées et on commença à distinguer un sangha (communauté bouddhiste) blanc laïc et un sangha rouge monastique, nommés d'après la couleur de leurs robes. C'est en 978, les grands troubles politiques passés, que le bouddhisme reprit une existence officielle en tant qu'école distincte.

Les maîtres fondateurs de la tradition nyingma sont, outre Padmasambhava et Shantarakshita, les 25 disciples du premier dont Yéshé Tsogyal, Vimalamitra et Vairotsana. Buddhaguhya, Shantipa et le maître tantrique Dharmakirti, actifs à la même période, ont également joué un rôle important dans la propagation du bouddhisme et du tantrisme.

En 1159, Kadampa Déshek (1122-1192), frère de Phagmo Drupa, fonde le monastère de Kathok, seconde institution importante après celle de Samye.

Du XIIe siècle à nos jours

La communauté des Nyingmapa n'a jamais été impliquée dans le pouvoir politique au Tibet. Les Nyingmapa produisirent de nombreux textes et ouvrages dont les plus importants ont exercé une influence sur les autres écoles du Bouddhisme tibétain. La majorité des grands auteurs sont des tertöns. Trois maîtres contribuèrent de façon notable au mouvement syncrétique (non-séctaire) rimé.

L'école nyingma s'est implantée en France en 1977 avec la fondation par Düdjom Rinpoché du centre Urgyen Samyé Chöling en Dordogne, région où a vu le jour en 1980 le Centre d'études de Chanteloube. En 1981, Sogyal Rinpoché a fondé à Paris le centre Rigpa, suivi en 1991 du centre de retraites européen Lérab Ling dans le Languedoc-Roussillon.

Padmasambhava

L'école nyingma a une dévotion particulière pour Padmasambhava, considéré comme un bouddha à part entière. Il est susceptible d'apparaître sous huit aspects différents. Les 10 et 25 de chaque mois lunaire lui sont consacrés. Ses vingt-cinq disciples sont considérés comme des êtres aux pouvoirs extraordinaires. Ainsi Namkhe Nyingpo voyage avec la lumière, Khandro Yeshe Tsogyal ressuscite les morts, Vairotsana est doué d'une intuition hors du commun, Nanam Yeshe peut voler, Kawa Peltseg lit dans les pensées et Jnana Kumara accomplit des miracles.

Liste des vingt-cinq disciples : le roi Trisong Detsen, Namkhai Nyingpo, Nub Chen Sangye Yeshe, Gyalwa Choyang, la princesse de Karchen Khandro Yeshe Tsogyal, Palgyi Yeshe, Palgyi Senge, le traducteur Vairotsana, Nyak Jnanakumara, Gyalmo Yudra Nyingpo, Nanam Dorje Dudjom, Yeshe Yang, Sokpo Lhapal, Nanam Zhang Yeshe De, Palgyi Wangchuk, Denma Tsémang, Kawa Paltsek, Shupu Palgyi Senge, Dré Gyalwe Lodro, Drokben Khyenchung Lotsawa, Otren Palgyi Wangchuk, Ma Rinchen Chok, Lhalung Palgyi Dorje, Langdro Konchog Jungné et Lasum Gyalwa Changchup.

Monastères

Le plus ancien est le monastère de Samye achevé vers 810. La tradition monastique n'était pas aussi importante dans les premiers temps du bouddhisme tibétain qu'aujourd'hui, et c'est au XIIe siècle seulement qu'apparurent d'autres monastères importants, Kathok dans le Kham, fondé par Ka Dampa Desheg (1112-1192) en 1159 et Nechung au Tibet central fondé par Chokpa Jangchub Palden. À partir du XVe siècle, suivant le développement du monachisme, de grands centres de formation apparurent, en majorité au Kham : Mindroling, fondé en 1676 par Rigzin Terdak Lingpa - Minling Terchen Gyurmed Dorje- (1646-1714), Dorje Drak fondé en 1632 par Rigzin Ngagi Wangpo, Palyul établi par Rigzin Kunsang Sherab en 1665, Dzogchen établi par Dzogchen Pema Rigzin en 1685 et Shéchèn fondé par Shechen Rabjampa en 1735. Dans la province de l'Amdo furent fondés Dodrupchen et Darthang.

On distingue 6 monastères « mères » (magon) qui furent tout d'abord Dorje Drak, Mindroling, Palri, Kathok, Palyul et Dzogchen. Ultérieurement, Palri fut remplacé par Shéchèn, et Dodrubchen remplace parfois Kathok. Des monastères mères dépendent des monastères « fils » (bugon) ; à partir de ceux-ci ont essaimé des monastères « additionnels » (yanggon).

Les principales institutions nyingmapa fondées en Inde après l'invasion chinoise du Tibet et l'exode tibétain de 1959 sont Thekchok Namdrol Shedrub Dargye Ling à Bylakuppe, dans l'État du Karnataka) ; Ngedon Gatsal Ling à Dehradun ; Palyul Chokhor Ling et E-Vam Gyurmed Ling à Bir, Nechung Drayang Ling à Dharamsala, et Thubten E-vam Dorjey Drag à Shimla, dans l'Himachal Pradesh.

Enseignement et pratiques

Padmasambhava accompagné des maîtres Longchenpa et Jigme Lingpa (en bas)

L'école nyingma est la branche du bouddhisme tibétain la plus orientée vers la pratique tantrique. Directement issus du premier bouddhisme qui s'est développé sur le terrain du shamanisme bön, ses premiers représentants étaient souvent des yogis errants, des magiciens ou des exorcistes. Cette tradition, qui s'incarne dans les maîtres laïques ngkapas ou ngagpas, constitue la sangha (communauté) blanche (d'après la couleur de la robe), par opposition à la sangha rouge monastique devenue plus importante au XIVe siècle avec la nécessité de disposer, comme les autres courants, d'un clergé formé dans les monastères faisant office de centres de philosophie bouddhique. Le goût de l'ésotérisme de la tradition nyingma et ses pratiques d'aspect « magique » l'ont parfois fait considérer avec une certaine suspicion par les trois autres grandes écoles du bouddhisme tibétain. Même les traductions de textes tels que ceux du cycle du mahayana se faisaient dans le plus grand secret.

D'autre part, la transmission directe de l'enseignement de Padmasambhava ou d'un autre maître du passé par l'intermédiaire des termas, textes redécouverts matériellement ou par une révélation, est avec le dzogchen l'une des particularités du courant nyingma. Les découvreurs de trésors ou tertöns sont très nombreux. Le premier fut Sangye Lama (10001080). Les plus célèbres sont les « cinq rois tertöns » Nyangral Nyima Özer (1124-1192), Guru Chowang (1212-1270), Dorje Lingpa (1346-1405), Padma Lingpa (1405-1521), Jamyang Khyentse Wangpo (1820-1892) et les « huit lingpas » (Sangye, Dorje, Rinchen, Padma, Ratna, Kunkyong, Do-ngag and Tennyi Lingpa). Citons encore Rigdzin Godem (13071408) et, au XIXe siècle, Jamyang Khyentse, Jamgon Kongtrul Lodrö Taye et Chogyur Lingpa. La plupart sont considérés comme des réincarnations de l'un des vingt-cinq disciples de Padmasambhava. Le mode de transmission ordinaire directement de maître à disciple se nomme kama.

Les grands maîtres du Dzogchen sont Prahevadjra (Garab Dordje), Shri Simha, Padmasambhava, Jnana Sutra et Vimalamitra.

Les neuf voies

La tradition nyingma distingue neuf voies de pratique :

  • Trois voies communes basées sur les sutras : celle de l'auditeur simple, celle du pratiquant solitaire et celle du bodhisattva ;
  • Trois voies tantriques externes : le Kriya Tantra permet de purifier son comportement et son langage, et enseigne des pratiques simples de visualisation ; l'Upa Tantra développe les facultés internes augmentant l'affinité avec la divinité yidam ; le Yoga Tantra développe en soi la vitalité psychique et la force de Vajrasattva.
  • Trois voies tantriques internes : le Mahayoga vise l'élimination de la perception et de l'attachement par la visualisation et l'identification à la déité (phase de génération) ; l'Annuyoga, permet au corps de vajra de servir à la perception fondamentale (phase de complétion) ; l'Atiyoga permet de transcender le temps, l'expérience et l'activité et de recevoir l'enseignement de Samantabhadra.

Les six premières voies sont communes à plusieurs écoles, mais les tantras internes du nyingmapa lui sont spécifiques.

Les trois transmissions

On peut distinguer trois niveaux dans l'enseignement, selon l'origine de la transmission :

  • Enseignement provenant directement du bouddha primordial (dharmakaya) Samantabhadra, considérés comme inaccessibles à un humain ordinaire ;
  • Enseignement du sambhogakaya Vajrasattva ou Vajrapani, accessibles aux « titulaires de la connaissance », niveau qui peut être acquis après de nombreuses années d'étude et de pratique. Il fut d'abord transmis à Garab Dorje de la terre de dakinis Ögyan, puis à Manjushrimitra, Shrisimha, Padmasambhava, Jnanasutra, Vimalamitra et Vairotsana.
  • Enseignement du « chuchotement humain » provenant des cinq bouddhas et transmis à Shrisimha et Vimalamitra, accessible à tous ;

Les trois traditions du Dzogchen

Il existe trois écoles de Dzogchen : l'école de l'esprit (Sems-sde) attribuée à Shrisimha et Vairotsana ; l'école du milieu (kLong-sde) qui se réclame de Longde Dorje Zampa, de Shrisimha et Vairotsana ; l'école de l'instruction essentielle (Man-ngag-sde) qui se base sur Essence du cœur (sNying-thig) attribué à Padmasambhava et Vimalamitra.

Textes

Les textes sur lesquels se base le nyingmapa sont nombreux. À côté du canon du bouddhisme tibétain Kanjur-Tanjur on peut citer les écrits de Longchenpa (1308-1363) :

Dzö dün, Ngalso Korsum, Rangdröl Korsum, Yangtig Namsum.
le Nyingthig Yazhi ou Les quatre branches de l'essence du cœur composé sur la base du Khandro Nyingtig attribué à Padmasambhava et du Vima Nyingtig attribué à Vimalamitra.
Le Gyud Bum ou Collection des cent-mille tantras [nyingma].

Jigme Lingpa (1730-1798) a condensé le Nyingthig Yazhi en un cycle de termas appelé Longchen Nyingthig, qui constitue la base essentielle du dzogchen rimé et du dzogchen contemporain.

Un autre recueil important est le Rinchen Terdzod en soixante-deux volumes, compilé par Kongtrul Yonten Gyatso (1813-1899), contient des centaines de termas.

Notes et références

Voir aussi

Bibliographie

Jean-Luc Achard Le docte et glorieux roi Les Deux Océans 15/09/2001 (ISBN 2866811062) (sur le dzogchen)

Liens externes



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