Dzogchen

Dzogchen

Le Dzogchen (tibétain : རྫོགས་ཆེན་, rdzogs chen, contraction de rdzogs pa chen po; sanskrit : Mahâsandhi), « grande perfection » ou « grande complétude », est un ensemble d'enseignements et de techniques d'éveil spirituel du bouddhisme tibétain, basée sur des transmissions à l’origine ésotériques des courants bönpo, nyingma, et drikung kagyu, et adopté à titre personnel par le 5e dalaï-lama ; elle a aussi inspiré le 3e Karmapa. Elle est également connue sous le nom d'ati-yoga (yoga extraordinaire) ou Mahâ-ati.

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Cet enseignement, tout comme le mahamudra (gelugpa, sakyapa et kagyupa), prétend se situer au-delà des sutras et des tantras, et donc constituer un véhicule (yana) en soi, au-delà des trois véhicules traditionnels (hinayana, mahayana, vajrayana), qu'il peut toutefois utiliser comme des moyens auxiliaires. Son principe est l'autolibération spontanée des passions et non leur transformation comme dans le tantrisme. Il présente par là certaines analogies avec le chan, qui d’ailleurs tenta de s’implanter au Tibet avant d’en être chassé, comme le relate le concile de Lhassa. On pourrait dire que le dzogchen est au bouddhisme vajrayâna ce que le subitisme est au gradualisme dans le mahayana, une voie directe, située au-delà des causes et des effets.

Sommaire

Principes fondamentaux

Si l'on considère l'opposition fondamentale dans le bouddhisme entre nirvana et samsara, le point de vue dzogchen est que cette opposition étant, comme toute dualité, relative et susceptible d'être transcendée, il est inutile de vouloir quitter le samsara, inutile de rechercher le nirvana. On s'intéresse plutôt au point-clé de la co-émergence (sahaja) du samsara, du nirvana, et de celui qui l'expérimente (le sujet, l'ego), en entrainant son esprit à la présence vigilante, qui en permet la prise de conscience à l'instant même où elle se produit. Un esprit ainsi orienté est dit reposer dans la base. Qui ne quitte jamais la base est un Bouddha: il n'offre pas au samsara de prise lui permettant de se solidifier, autre façon de dire qu'il est libre de karma: toutes les formes d'illusions et d'attachements s'auto-libèrent spontanément, manifestant la vitalité de la bouddhéité intrinsèque, innée. La pratique du dzogchen est donc un non-agir, ce qui la rapproche du zen et du taoisme[1].

« Le Dzogchen, ou Grande Complétude, est bien connu comme le système de pensée et de pratique le plus révéré parmi les anciennes traditions Bouddhistes et Bön du Tibet. Dans ces traditions la « nature de l'esprit » (sems nyid) est à la fois le but de la pratique et son point de départ. Étant entièrement sans artifice [uncontrived], elle ne s'améliore pas dans l'éveil, ni ne devient déficiente dans le samsara. Toujours présente en tous les êtres, elle est la condition naturelle (gnas lugs) de chaque esprit. L'éveil est simplement la pleine évidence (mngon du gyurpa, abhimukhi) et expérience (nyams myong, anubhava) de cette condition fondamentale[2]. »

Origine

La tradition nyingmapa considère que Padmasambhava et surtout Vimalamitra en sont les principaux propagateurs ; le traducteur Vairotsana, l’un des sept premiers moines ordonnés par Shantarakshita, fut également à l’origine de deux lignées désormais éteintes. Selon la tradition bönpo, Tonpa Shenrab Miwoche apporta cet enseignement au Tibet. Pour ces deux courants, la transmission du dzogchen remonte aux origines. Pour les historiens, les détails des débuts du bouddhisme dans les royaumes himalayens sont mal connus, et la genèse exacte du dzogchen reste un mystère. Les tout premiers écrits apparaissent au début de la deuxième transmission du bouddhisme au Tibet, sous forme de textes prétendûment cachés durant la période du VIIIe au XIe siècle, durant laquelle les différentes lignées religieuses sont pourchassées tour à tour. Ces termas, « trésors cachés », commencent à reparaître alors que la situation semble se stabiliser quelque peu : la tradition indienne (népalaise, cachemiraise) a éliminé le chan chinois et pris le dessus sur le bön local.

Origine selon la tradition

D’après les conceptions bouddhiste et bön, l’origine première de toute tradition est le bouddha primordial. Après une période de transmission sans dommage, des persécutions auraient poussé Padmasambhava, Vimalamitra, Vairotsana (nyingma) et Drenpa Namka (bön) à enterrer ou dissimuler leurs textes pour les préserver. Redécouverts, il arrive qu’ils soient rédigés dans une graphie magique, comme l’écriture de dakini (dayig), que le découvreur doit déchiffrer.

  • Origine de la lignée Khandro Nyingthig du dzogchen nyingma (Padmasambhava) : Bouddha primordial Samantabhadrasambhogakaya Vajrasattvanirmanakaya Shakyamuni→ Padmasambhava, émanation de Shakyamuni apparue peu après son parinirvana (mort). Durant son existence de plusieurs centaines d’années, Padmasambhava étudie tout d’abord auprès de nombreux maîtres éclairés, puis répand son enseignement en Inde, en Chine (?) et finalement au Tibet, où Yeshe Tsogyal, sa disciple, en devient dépositaire.
  • Origine de la lignée Longchen Nyingthig du dzogchen nyingma (Vimalamitra) : Bouddha primordial Samantabhadra → sambhogakaya Vajrasattva → nirmanakaya Shakyamuni → Prahevajra (Garab Dorje), autre émanation de Shakyamuni apparue peu après sa disparition. Prahevajra obtient le dzogchen directement de Vajrasattva et le transmet à Manjushrimitra du royaume mythique d’Uddiyana. Puis vient Shri Singha de Shokyam, guidé vers Manjusrimitra par Avalokiteshvara rencontré à Wutai Shan. Suivent Jnanasutra puis Vimalamitra.
  • Origine du dzogchen bön : le bön est très similaire au bouddhisme, mais se réclame d’une tradition parallèle transmise par un être éveillé antérieur au Bouddha historique, né du côté de la Perse ou de l’Asie centrale. La source de la doctrine est ce bouddha, Kuntu Zangpo ; Tongpa Shenrab Miwoche aurait été le premier à la transmettre ; 24 générations plus tard, à l'époque de Trisong Detsen, Dawa Gyaltsen la transmit à Tapihritsa. Pour les pratiquants du bön, le dzogchen se serait développé tout d’abord au royaume de Zhang Zhung dans l’Ouest de l’actuel Tibet. La lignée de transmission orale prétendûment ininterrompue se nomme d’ailleurs Zhang Zhung Nyan Gyud, « tradition orale du Zhang Zhung ».

Rigpa ou la condition naturelle de l'esprit

Pour aboutir à l'autolibération, le dzogchen affirme qu'il faut maintenir sa conscience en rigpa, l'état de présence claire et éveillée. Dans son essence, rigpa est vacuité, mais dans sa nature, il est lumière spontanée, énergie créatrice dont les phénomènes sont les attributs. Interprété selon la doctrine des « trois corps » ou trikāya, l'essence vide est le « corps absolu » ou dharmakāya, la lumière ou la radiance est le « corps de félicité » ou sambhogakāya, et les phénomènes le « corps d'apparition » ou nirmānakāya. L'esprit et les passions ne sont donc qu'un jeu issu de la créativité lumineuse. Les phénomènes se dissolvent en rigpa sans laisser de trace, il n'y a pas d'attachement, pas de finalité et donc pas de karma. Rigpa peut être comparé à un miroir, vide en lui-même mais simultanément doté de la potentialité de refléter toutes les apparences, belles ou laides, sans en être souillé. Dans l'état synchronisé à rigpa, on contemple les phénomènes sans s'y attacher, les rejeter, ou se projeter en eux. Ainsi, on demeure stable, hors de l'illusion et de la saisie, dans la non-dualité. La condition naturelle de l'esprit est donc identique à rigpa, spontanément et primordialement pure, lumineuse et vide.

Pour retrouver cette condition, on distingue la base, la voie et le fruit. La base est indiscernable de rigpa. La voie est la reconnaissance de rigpa en soi. Le fruit ou réintégration de la base est le retour des éléments du corps grossier à leur nature lumineuse, et le plein éveil dans un corps de lumière. Le fruit et la base sont une seule et même chose. C’est pourquoi, pour un bouddha, être éveillé, il n'existe aucune voie susceptible d'être parcourue pour en réaliser le fruit. Le chemin de réintégration n'a de sens que pour les êtres sensibles égarés de la base par l'ignorance.

Pour l'être établi en rigpa, il n'y a pas de différence entre la méditation assise et la vie quotidienne.

Article détaillé : Rigpa.

Dzogchen Rinpoché

Jigmé Losel Wangpo est le 7e Dzogchen Rinpoché.

Notes

  1. Voir les commentaires de James Low dans Le miroir au sens limpide de Nuden Dorjé, éditions Almora
  2. Anne Carolyn Klein, Geshé Tenzin Wangyal Rinpoche. Unbounded Wholeness , Dzogchen,Bon, and the Logic of the Nonconceptual. Oxford University Press, New York, 2006. 418 p./ p.3 ISBN 0-19-517849-1 Trad.fr. du contributeur

Voir aussi

Liens externes

Bibliographie

  • Dzogchen et tantra, de Namkhai Norbu Rinpoché, Albin Michel.
  • L'Escalier de cristal, 3 volumes, de Kunzang Péma Namgyèl, éd.Marpa.
  • La Liberté naturelle de l'esprit de Longchenpa, Seuil.
  • Dzogchen, l'essence de la grande perfection, par le dalaï lama, The Tertön Sogyal Trust.
  • L'Union du Dzogchen et du Mahamudra par Chökyi Nyima Rinpoché, éd. Dharmachakra.
  • Les Prodiges de l'esprit naturel, l'essence du Dzogchen dans la tradition bön originelle du Tibet, de Tenzin Wangyal, Seuil.
  • Le Miroir du cœur. Tantra du Dzogchen (traduit du tibétain et commenté par Philippe Cornu). Éditions du Seuil, coll. « Points. Sagesses » n° ?, Paris, 1997. 284 p. (ISBN 2-02-022848-3)
  • La Simplicité de la Grande Perfection Recueil de textes Dzogchen traduits du tibétain et présentés par James Low, Ed. du Rocher, Paris, 1998. 240 p. ((ISBN 2-268-02995-6))
  • Le Chemin de la grande perfection, de Patrul Rinpoché, éd. Padmakara. (préliminaires uniquement)

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