Günter Grass

Günter Grass
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Günter Wilhelm Grass
Günter Grass à Berlin en 2004
Günter Grass à Berlin en 2004

Nom de naissance Günter Wilhelm Grass
Activités romancier, poète, dramaturge, sculpteur, graveur, peintre, graphiste et illustrateur
Naissance 16 octobre 1927
Territoire de Dantzig[1]
Genres Roman picaresque, historique, humoristique, satirique, dramatique, mythologique, fantastique
Distinctions Prix du Groupe 47[2]
Prix Georg Büchner
Prix Prince des Asturies
Prix Nobel de littérature
Œuvres principales
La maison de Günter Grass d'avant la guerre sous la neige.

Günter Wilhelm Grass est un écrivain et un artiste allemand né le 16 octobre 1927 à Danzig-Langfuhr[1].

Sommaire

Biographie

Günter Grass est né à Dantzig, de parents commerçants, propriétaires d'une épicerie en produits coloniaux. Son père était allemand et sa mère kachoube. L'invasion par la Wehrmacht de la Pologne et de Gdańsk est approuvée par sa famille même si l'un des oncles polonais du jeune Günter est fusillé après avoir participé au siège de la Poste polonaise[3]. Enrôlé dans les jeunesses hitlériennes, le garçon demande, à 15 ans, à s'engager dans les sous-marins, mais rejoint à l'âge de 17 ans la 10e Panzerdivision SS Frundsberg des Waffen-SS en octobre 1944[4].

À la fin de la guerre, il est fait prisonnier par les Américains et libéré en 1946. Durant sa captivité, il aurait peut-être rencontré Josef Ratzinger, le futur pape Benoît XVI. Il dit n'avoir eu connaissance des horreurs perpétrées par le nazisme qu'après sa libération en entendant les aveux de Baldur von Schirach au procès de Nuremberg. Effondré par ces découvertes, Grass reste en Allemagne de l'Ouest, où il mène une vie de bohème et tente de se reconstruire après la découverte de drames familiaux (sa mère et certainement sa sœur ont été violées par des soldats de l'Armée rouge). Après une traversée de l'Europe et des études d'arts plastiques à Düsseldorf, et à Berlin-Ouest auprès de Karl Hartung, il gagne sa vie grâce à ses sculptures et ses gravures. Également graphiste, illustrateur et peintre, il s'essaie à l'écriture et compose quelques poèmes. Il commence par ailleurs la rédaction d'un roman qui s'inspire lointainement de sa jeunesse. En 1955, il devient un proche du Groupe 47, mouvement de reconstruction et de réflexion littéraire dans l'Allemagne d'après-guerre.

En 1956, Le Journal des coquecigrues (Die Vorzüge der Windhühner), son premier recueil de poèmes est publié. Il est suivi de deux pièces de théâtre, en 1957 : Tonton (Onkel, Onkel) et La Crue (Hochwasser). La même année, Grass obtient le prix du Groupe 47 après la lecture des deux premiers chapitres de son œuvre romanesque en chantier : Le Tambour. L'argent de la récompense lui permet de séjourner, entre 1956 et 1960, à Paris où il parachève la rédaction de l'ouvrage dans une petite chambre de la Place d'Italie. Il y fréquente les milieux intellectuels de Saint-Germain-des-Prés, découvre le Nouveau roman, se lie d'amitié avec Paul Celan qui l'incite à lire François Rabelais et prend position pour Albert Camus dans la querelle l'opposant à Jean-Paul Sartre. C'est en 1959 qu'il devient célèbre avec la publication du Tambour (Die Blechtrommel), son chef d'œuvre, qui obtient un succès planétaire. Le livre fait l'objet d'une adaptation cinématographique, 20 ans plus tard, par Volker Schlöndorff. Le film sera lui aussi un triomphe mondial et se verra attribué la Palme d'or à Cannes et l'Oscar du meilleur film étranger à Hollywood.

Dans les années 1960, Grass s'engage en politique et participe aux campagnes électorales des sociaux-démocrates allemands. Il organise plusieurs meetings en faveur du futur chancelier Willy Brandt qu'il renseigne sur les affaires est-européennes. Il lui prodigue par ailleurs des conseils sur le rapprochement des deux républiques allemandes. L'auteur adhère au SPD en 1982 mais donne sa démission en 1993 pour protester contre les restrictions du droit d'asile.

De 1983 à 1986, il préside l'Académie des Arts de Berlin. À la fin des années 1980, il part en Inde à Calcutta où il constate la misère du peuple indien. Il relate cette expérience dans Tirer la langue (Zunge zeugen, 1989).

En 1995, la publication de Toute une histoire (Ein weites Feld) provoque un tollé outre-Rhin après que l'auteur y affirme que l'Allemagne de l'Ouest a pris en otage et victimisé, par le biais d'un libéralisme effréné, les anciens habitants de la RDA après la Réunification. Le critique Marcel Reich-Ranicki accepte que le Spiegel publie en une un photomontage où on le voit en train de déchirer le livre de Grass avec le titre: « L'échec d'un grand écrivain. ». La presse populaire s'insurge aussi contre le romancier : la Bild Zeitung titre « Grass n'aime pas son pays » et dénonce un roman au « style creux », véritable « insulte à la patrie »[5].

L'auteur reçoit en 1999, à l'âge de 72 ans, le prix Nobel de littérature, « pour avoir dépeint le visage oublié de l'histoire dans des fables d'une gaieté noire. »[6]. Fréquemment cité sur les listes de l'Académie suédoise, où il faisait figure depuis plusieurs années de favori, Grass, « l'éternel nobélisable » comme le surnommait la presse, avait anticipé sa victoire, même tardive[5]. Dès les années 1970, il avait proposé au Comité Nobel de primer conjointement un écrivain allemand de l'Est et de l'Ouest comme symbole d'une réunification culturelle. Il faisait ainsi référence, de manière sous-jacente, à l'idée de le mettre à l'honneur avec son amie Christa Wolf[7]. Mais cette proposition ne fut jamais prise en compte par les jurés du prix[8].

En 2001, Grass propose de construire un musée germano-polonais qui abriterait les œuvres d'art volées par les nazis. Parfois accusé de s'être reposé sur ses lauriers après ses premiers succès littéraires, notamment pour son goût répété de la provocation, de l'obscénité et du blasphème puis pour la surabondance vertigineuse de son style[9], Grass revient au premier plan de la littérature mondiale en 2002 grâce à la publication d'En crabe (Im Krebsgang). En 2005, il fonde un cercle d'auteurs et les rencontres littéraires de Lübeck.

En 1954, il avait épousé la Suissesse Anna Schwarz, apprentie danseuse de ballet qui lui avait donné quatre enfants. Ils ont divorcé en 1978. En 1979, il s'est ensuite remarié avec l'organiste Ute Grunert et vit aujourd'hui avec elle près de Lübeck. La Maison Grass contient la majeure partie de ses manuscrits et de ses œuvres artistiques. L'auteur conçoit lui-même la couverture et l'illustration de ses ouvrages. Il continue en parallèle à exercer ses activités artistiques. Il est l'un des seuls écrivains à inviter, lors de la parution en allemand de chaque nouvel ouvrage, l'ensemble de ses traducteurs pour mettre en commun les travaux de traduction et permettre un échange de langues.

En août 2006, il révèle son enrôlement en octobre 1944 dans les Waffen-SS après avoir prétendu auparavant avoir servi dans la Flak. Cette divulgation tardive, faite quelques jours avant le lancement de son dernier livre autobiographique, Pelures d'oignon (Beim Häuten der Zwiebel), suscite malaise et incompréhension en Europe[10]. Elle a été à l'origine d'une controverse entre intellectuels européens, certains d'entre eux considérant que cet aveu lui ôtait son statut de caution morale, d'autres au contraire pensant que cette sincérité, même tardive, ne faisait que renforcer sa légitimité. Lech Walesa, après avoir demandé qu'on lui retire son titre de citoyen d'honneur de la ville de Gdansk, lui pardonne ses errements de jeunesse. La droite allemande dénonce en revanche son hypocrisie et ses sermons galvaudés sur le passé nazi de la nation. Elle le prie d'ailleurs un temps de rendre son prix Nobel et l'argent qu'il lui a rapporté. Mais le président de la Fondation Nobel soutient publiquement l'écrivain en juillet 2006, déclarant à ce sujet que « l'attribution des prix est irréversible car aucun prix n'a été retiré à quiconque par le passé. »[11].

Parmi les œuvres les plus célèbres de Grass, on compte Le Chat et la souris (Katz und Maus, 1961) et les Années de chien (Hundejahre, 1963) qui achèvent une trilogie sur Dantzig (Die Danziger Trilogie) ouverte avec Le Tambour. Ses autres ouvrages les plus connus sont Le Journal d'un escargot (Aus dem Tagebuch einer Schnecke, 1972), Le Turbot (Der Butt, 1977), Une rencontre en Westphalie (Das Treffen in Telgte, 1979), La Ratte (Die Rättin, 1985) et Mon siècle (Mein Jahrhundert, 1999).

La fiche de prisonnier de guerre

Opinions politiques

Les prises de position de Grass, dans ses ouvrages ou dans les médias, ont souvent déclenché des polémiques outre-Rhin, lui valant la réputation de polémiste[12].

Se positionnant politiquement à gauche, Grass, farouchement antilibéral, a toujours voulu se forger une figure de moraliste. Il a régulièrement critiqué le passé nazi de l'Allemagne et est devenu un ténor de l'antiaméricanisme, fustigeant par exemple Helmut Kohl et Ronald Reagan, venus ensemble visiter le cimetière de Bitburg, au motif que des SS y étaient enterrés avec des soldats alliés et allemands durant la Seconde Guerre mondiale.

Après la chute du mur de Berlin, il s'oppose à la réunification allemande pour « préserver l'héritage socialiste » de la République démocratique allemande.

L'auteur a souvent critiqué les « dérives libérales et petites bourgeoises » du SPD. Il a toujours néanmoins affiché un indéfectible soutien à l'ex-chancelier Gerhard Schröder qu'il n'apprécie guère personnellement[6].

Dans un échange télévisé avec Pierre Bourdieu pour la chaîne Arte en novembre 1999[13], l'auteur déplore les méfaits du néolibéralisme et affirme que « seul l'État peut garantir la justice sociale et économique entre les citoyens. ». Il exprime également son souhait de rouvrir « l'universalisme et le dialogue culturel hérité des Lumières ».

Grass a toujours voulu défendre la « voix des opprimés » : il a notamment soutenu Salman Rushdie, victime d'une fatwa islamique en 1989, les écrivains arabophones contestataires et expatriés puis le peuple palestinien. Il a souvent dénoncé la politique du gouvernement israélien qu'il juge « agressive » et « belliqueuse »[14].

Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, il déclare que la « réaction » américaine orchestre beaucoup de tapage « pour trois mille Blancs tués ».

En 2006, lors de l'affaire des caricatures de Mahomet, Grass fustige « l'arrogance de l'Occident » et son « mépris de la culture musulmane »[15].

Son œuvre littéraire

Entre irrationnel, mythe et scepticisme, une œuvre en rupture

Dès ses débuts, l'auteur prend ses distances avec la Trümmerliteratur : la « littérature des ruines » représentée par son ami Heinrich Böll qui, sur fond de pathos et de réalisme, pleure les malheurs de l'Allemagne dans l'immédiat d'après-guerre. L'œuvre de Grass est vantée par plusieurs critiques pour sa puissance créatrice, sa grande nouveauté et sa capacité à briser les tabous[9]. Elle prend racine dans la littérature universelle et condense fable, merveilleux, allégorie et notations réalistes dans un portrait épique et satirique de l'Allemagne contemporaine et de ses mutations depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale[16]. Ses ouvrages, qui oscillent entre épique et parodique, sont avant tout dédiés à Dantzig, sa ville natale. Ses écrits s'inspirent par ailleurs largement de ses expériences politiques. Ils cherchent à rendre compte de la part irrationnelle de l'histoire, tout en donnant, à travers un certain symbolisme, une vision critique et sceptique du monde moderne. Développant un genre d'anamorphose, l'auteur tend un miroir peu reluisant à ses lecteurs. Grass est par ailleurs un artiste singulier car il est « l'écrivain des victimes et des perdants », comme l'affirme l'Académie suédoise[6].

L'ironie rabelaisienne, la difformité et le grotesque

L'écrivain-moraliste trahit l'influence de François Rabelais dans des récits d'une fantaisie débridée marqués par un style ironique, des innovations linguistiques et des accointances avec le grotesque, le burlesque et le carnavelesque. Grass privilégie la métaphore animale et développe une imagerie étrange et subversive. En effet, ses romans mettent souvent en scène des personnages hybrides et difformes (le nain Oscar et son chien monstrueux dans Le Tambour, Mahlke, le garçon à la pomme d'Adam proéminente dans Le Chat et la souris, Ava, la divinité maternelle à trois seins dans Le Turbot...). Ses textes, qui se veulent une série de reprises et de pastiches de grands classiques (comme Les Souffrances du jeune Werther et Simplicius Simplicissimus) se caractérisent généralement par un collage de plusieurs genres littéraires (roman, poésie, théâtre, nouvelle...). Grass tire cette approche esthétique de son expérience de sculpteur mais également des influences conjointes de Lawrence Sterne, Denis Diderot et Alfred Döblin (qu'il considère comme son maître[17]).

La responsabilité et la mémoire

Dans la veine du roman picaresque allemand impulsé par Grimmelshausen (Schelmenroman), Le Tambour s'inscrit déjà dans cette conception. La profusion narrative et l'inventivité verbale du roman et servent à relater le parcours de son avatar littéraire : Oscar Matzerath, personnage né à Gdańsk dans les années 1920 d'une mère kachoube et de deux pères différents : l'un allemand et officiel et l'autre polonais et officieux. Le jeune garçon décide de ne plus grandir à l'âge de 3 ans et scrute avec impertinence, au son d'un tambour en fer blanc qu'il ne quitte jamais, les turpitudes et les compromissions des adultes dans lesquelles il se conforte[18]. Prenant la position du bas physique et social et optant pour le domaine de la féerie proche du répertoire des Nibelungen, le romancier pastiche la figure du surhomme nietzschéen et sonde la conscience d'une nation coupable et la responsabilité collective, illustrant le basculement terrifiant d'une société germanophone (mais non-allemande : les Dantzigois en l'occurrence) dans le nazisme, plus par conformisme petit bourgeois que par véritable aveuglement. Grass traite également du sort malheureux des Flüchtlinge (les réfugiés), les populations de langue allemande de l'Est déplacées de force vers l'Ouest par l'Armée rouge et évoque la misère allemande dans l'immédiat d'après-guerre. Au cours de ses aventures, Oscar décide de grandir à nouveau et ce au moment du miracle économique (Wirtschaftswunder) mais sa croissance ne se déroule plus normalement : il devient bossu à l'image de cette toute nouvelle République fédérale, pressée d'enterrer son passé nazi pour s'adonner aux joies du libéralisme économique.

Un auteur politique et critique

Le Chat et la souris et Les Années de chien continuent à explorer la monstruosité de l'histoire aux détours de paraboles habiles et d'êtres hors-normes ou marginaux[18]. Par ailleurs, ces deux récits traitent à nouveau des problèmes liés à la responsabilité collective, la culpabilité et la banalité du mal. Sa pièce Les Plébéiens répètent l'insurrection (Die Plebejer proben den Aufstand, 1966) revient sur le soulèvement populaire du 17 juin 1953, à Berlin-Est et dresse un portrait peu flatteur du dramaturge Bertold Brecht. En effet, l'auteur est présenté comme un artiste devenu privilégié avec le temps et qui s'est coupé de sa conscience politique et sociale, préférant s'atteler à ses préoccupations littéraire et intellectuelle que d'aider à ses concitoyens à lutter pour leur liberté dans un régime répressif[18]. En filigrane, Grass dénonce l'embourgeoisement de certains intellectuels qui ratent les grands rendez-vous de l'histoire[18]. Anesthésie locale (Örtlich Betaübt, 1969) articule un dialogue sur plusieurs étages entre un célèbre dentiste et son patient nommé Starusch puis oppose l'objectivité de l'expérience vécue à la reconstitution d'évènements fantasmés. Ce roman critique par ailleurs ouvertement la position politique modérée et consensuelle répandue dans l'Allemagne fédérale qui, bien qu'opposée à la guerre du Vietnam, paraît bien trop sage pour combattre les injustices du temps[18]. Le Journal d'un escargot qui se veut « un manuel à l'usage de mes enfants et de ceux des autres » évoque, pour la première fois, les engagements politiques de Grass auprès de Willy Brandt lors de la campagne social-démocrate de 1969[18]. La figure de l'escargot sert à caractériser une nation enroulée sur elle-même, prudente et lente dans sa démarche.

Une œuvre à but moral

Inspiré d'une légende germanique médiévale, Der Fyscher und syne Frau (Le Pêcheur et sa femme), reprise au XIXe siècle par le peintre romantique Philipp Otto Runge puis par les frères Grimm, Le Turbot est une fresque truculente et grandiose qui fait cohabiter parodie et mythologie pour rendre hommage à l'histoire cachée des cuisinières : fonction adoptée par la femme à travers le temps et les âges pour arracher à l'homme son pouvoir patriarcal. Une rencontre en Westphalie, qui reconstitue l'époque baroque et la guerre de Trente Ans, invente une rencontre entre les poètes Martin Opitz et Andreas Gryphius en 1647 entre Münster et Osnabrück. Ce contexte fictif trouve un large écho contemporain et sert de prétexte au romancier pour refléter la situation des membres du groupe 47, reformulant ainsi les défis qui les attendent aussi bien sur le plan intellectuel que politique[18]. La Ratte, conçu comme une suite au Tambour, raconte le retour d'Oscar, devenu quinquagénaire, à Dantzig après une catastrophe nucléaire pour célébrer le 107e anniversaire de sa grand-mère. L'auteur traite, par ce biais, du devenir de l'humanité et des dangers qui la guettent. Toute une histoire se veut une peinture complète de l'Allemagne d'après la Réunification que traversent deux personnages bigarrés, issus de la tradition quichottienne. Mon siècle est une série de commentaires, de notes et d'anecdotes qui ressuscitent le siècle de l'écrivain à la veille du nouveau millénaire. Il y compare d'ailleurs son enfance à celle d'Oscar.

Œuvre de vieillesse et de maturité, bien éloignée des excès baroques, des provocations langagières et de la verve rabelaisienne d'autrefois, En crabe traite, au travers du torpillage le 30 janvier 1945 par un sous-marin soviétique du paquebot Wilhelm Gusthoff chargé de milliers réfugiés et blessés civils et militaires, du problème de la mémoire collective et des responsabilités transgénérationnelles.

Référence inavouée et réfutée

Les livres de Günter Grass ressemblent, sur plusieurs points, à ceux de Louis-Ferdinand Céline ce qui lui a valu le surnom de « Céline allemand » dans la presse. Néanmoins, cette référence est problématique puisqu'il a toujours refusé ce rapprochement[19].

Style littéraire

Grass fait subir à la langue allemande un traitement de choc, privilégiant les néologismes, les ruptures de ton, les ellipses, l'alternance des registres et la dislocation syntaxique. Sa prose luxuriante est emplie de phrases complexes et sophistiquées, brutalement interrompues par des subordonnées sans verbe, des incidentes et des injonctives. La ponctuation est également malmenée.

L'écrivain multiplie les anachronismes et les digressions en minant l'autorité des pronoms personnels : ses personnages disent tantôt je, sont tantôt dits par un il ou sont par moments interpellés par un tu. De fait, le lecteur ne sait plus vraiment qui parle et s'interroge sans cesse sur l'identité du ou des narrateurs ainsi que sur la véracité de leurs dires : on ignore toujours si ce qui est énoncé est vérité ou affabulation, réalité ou imagination, raison ou élucubration.

La structure des romans de l'auteur brise la linéarité de la narration et articule celle-ci sur plusieurs niveaux. L'écrivain revendique une certaine discontinuité du texte et confond, comme chez Céline, les notions de discours et de récit. Grass brise, à la manière des postmodernes, la frontière entre les différents lieux et époques qui nourrissent ses fictions et les découpe, avec l'approche d'un peintre et d'un sculpteur en fragments autonomes pour former un patchwork romanesque vertigineux.

Son langage, très fourni, s'attèle à imbriquer un flot de visions fantastiques dans nombre de considérations rationnelles. Ses œuvres mettent en réalité en scène l'insurmontable chaos du monde, de l'histoire et de l'ère moderne. Néanmoins, le style de Grass reste d'une précision quasi-maniaque et fait preuve d'une grande méticulosité.

Œuvres publiées en français

  • Le Journal des coquecigrues (Die Vorzüge der Windhühner), 1956
  • Tonton (Onkel, Onkel), 1957
  • La Crue (Hochwasser), 1957
  • Le Tambour (Die Blechtrommel). Trad. par Jean Amsler. Paris, Seuil, 1961. Rééd. Paris, Seuil, 2009, nouvelle trad. de Claude Porcell.
  • Le Chat et la Souris (Katz und Maus). Trad. par Jean Amsler. Paris, Seuil, 1962.
  • Les Années de chien (Hundejahre). Trad. par Jean Amsler. Paris, Seuil, 1965.
  • Les plébéiens répètent l'insurrection (Die Plebejer proben den Aufstand). Théâtre. Précédé d'un discours. Trad. Jean Amsler. Paris, Seuil, 1968.
  • Anesthésie locale (Örtlich betäubt). Trad. par Jean Amsler. Paris, Seuil, 1971.
  • Journal d'un escargot (Aus dem Tagebuch einer Schnecke). Trad. par Jean Amsler. Paris, Seuil, 1974.
  • Le Turbot (Der Butt). Trad. par Jean Amsler. Paris, Seuil, 1979.
  • Une Rencontre en Westphalie (Das Treffen in Telgte). Roman. Trad. par Jean Amsler. Paris, Seuil, 1981.
  • Les Enfants par la tête ou les Allemands se meurent ("Kopfgeburten oder die Deutschen sterben aus"). Trad. Jean Amsler. Paris, Seuil, 1983.
  • La Ballerine (Die Ballerina). Trad. par Miguel Couffon. Arles, Actes Sud (1984).
  • Essai de critique 1957-1985. Trad. par Jean Amsler. Paris, Seuil, 1986.
  • La Ratte (Die Rättin). Trad. par Jean Amsler. Paris, Seuil, 1987.
  • Tirer la langue (Zunge zeigen). Trad. par Jean Amsler. Paris, Seuil, 1989.
  • Propos d'un sans-patrie. Trad. par Jean Amsler. Paris, Seuil, 1990.
  • L'Appel du crapaud (Unkenrufe). Trad. par Jean Amsler. Paris, Seuil, 1992.
  • Toute une histoire (Ein weites Feld). Trad. par Claude Porcell et Bernard Lortholary. Paris, Seuil, 1997.
  • Mon siècle (Mein Jahrhundert). Trad. par Claude Porcell. Paris, Seuil, 1999.
  • En crabe (Im Krebsgang). Trad. par Claude Porcell. Paris, Seuil, 2002, roman traitant de la catastrophe du Wilhelm Gustloff.
  • Pelures d’oignon (Beim Häuten der Zwiebel), autobiographie, Paris, Seuil, 2007.
  • Agfa box. Histoires de chambre noire (Die Box) Trad. par Jean-Pierre Lefebvre. Paris, Seuil, 2010.
  • D'une Allemagne à l'autre (Unterwegs von Deutschland nach Deutschland). Paris, Seuil, 2010.

Notes et références

  1. a et b Aujourd'hui Gdańsk, Pologne.
  2. Pour les deux premiers chapitres du Tambour
  3. épisode relaté dans Le Tambour
  4. Il l'a reconnu dans une interview accordée au (de)Frankfurter Allgemeine Zeitung publiée le 11 août 2006. Jusqu'à cette interview, il avait toujours indiqué avoir été simplement dans la défense anti-aérienne (Fliegerabwehrkanone). Il a expliqué cet engagement par son souhait de fuir une ambiance familiale pesante et sans vraiment savoir ce que représentaient les Waffen-SS.
  5. a et b Biographie de Günter Grass sur La République des Lettres
  6. a, b et c (fr) Claire Lindon-Mathieu, « L'an de Grass. Le dernier Nobel du siècle couronne le plus radical des écrivains allemands », consulté le 10 octobre 2009
  7. Le Magazine littéraire N°381, novembre 1999, « Günter Grass du Tambour au prix Nobel », page 55
  8. Ibid
  9. a et b Considérations critiques évoquées dans l'article consacré à Günter Grass sur le site de l'Encyclopædia Universalis
  10. Il en avait cependant déjà fait part en 1999 pour Le Magazine littéraire n° 381 de son « [...] passage à la Jeunesse hitlérienne »
  11. Article du journal Libération, 12 juillet 2006, « Grass pourra garder son prix Nobel »
  12. Le Magazine littéraire, op-cit, page 45
  13. L'émission a été rediffusée le 6 octobre 2006 à l'occasion du quatre-vingtième anniversaire de Grass.
  14. Tous ces propos ont été affirmés dans l'émission que lui a consacrée la chaîne Arte pour son quatre-vingtième anniversaire (voir le site de la chaîne Arte)
  15. FAZ.net : Grass critique les caricatures de Mahomet, 9 février 2006
  16. Artice Encarta sur Günter Grass
  17. Le Magazine littéraire, op-cit, page 22
  18. a, b, c, d, e, f et g Article de Jean-Jacques Pollet consacré à Günter Grass in Le Nouveau Dictionnaire des auteurs, de tous les temps et de tous les pays, édition Laffont-Bompiani, 1994, Paris, volume 1, pages 1299-1300
  19. Entretien de Günter Grass avec Olivier Mannoni in Le Magazine littéraire N° 381, op-cit, page 22

Voir aussi

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Bibliographie

  • Olivier Mannoni, Günter Grass, l'honneur d'un homme, Bayard, 2000.
  • Thomas Serrier, Günter Grass, Belin, Paris, 2003

Articles connexes

Liens externes


Précédé de :
José Saramago
Prix Nobel de littérature
1999
Suivi de :
Gao Xingjian



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