Agriculture en Mésopotamie

Agriculture en Mésopotamie

L'agriculture est l'activité économique principale de la Mésopotamie antique. En raison de conditions naturelles défavorables à cette pratique sur une grande partie de ce territoire, les hommes ont eu recours à l'irrigation pour pouvoir faire pousser des plantes. Au prix de ces aménagements, ils purent atteindre des rendements très élevés.

En l'absence de fouilles en milieu rural, notre connaissance de l'agriculture de la Mésopotamie antique repose essentiellement sur les textes anciens, notamment les nombreux actes de la pratique concernant des ventes de champs, des contrats d'exploitation ou des prêts à destination d'agriculteurs, ainsi que l'abondante documentation retrouvée dans les bâtiments administratifs des palais et temples des cités mésopotamiennes.

Sommaire

Le rôle des conditions naturelles

Article détaillé : Géographie de la Mésopotamie.

Les ensembles régionaux

Les ensembles régionaux de l'agriculture mésopotamienne antique.

La Mésopotamie, régie par un climat subtropical sec, est divisée en deux grandes zones agricoles. La haute Mésopotamie, extension orientale du Croissant fertile, est située au-dessus de la limite de l'isohyète 200, permettant une agriculture sèche, grâce aux pluies hivernales et printanières. Cela vaut pour la haute Djézireh (autour du triangle du Khabur), pour l'Assyrie et les contreforts des monts du Zagros. Au sud d'une ligne allant du cours moyen du Balikh et la basse Djézireh jusqu'à la Susiane en longeant la chaîne du Zagros à l'est du Tigre, c'est la zone de l'agriculture irriguée, car il n'y pleut pas assez pour pratiquer une agriculture sèche.

Du point de vue du relief, le nord est un espace de plateaux, dont la partie septentrionale est plus élevée. Au contraire la basse Mésopotamie est extrêmement plane : la pente y est très faible voire quasiment nulle à certains endroits. L'extrême sud, limite qui évolue au cours de l'histoire ancienne, est une zone marécageuse.

Les vallées mésopotamiennes sont bordées par des espaces désertiques ou steppiques, qui jouent un rôle important dans les activités d'élevage. Les steppes, surtout situées en haute Mésopotamie, notamment autour du moyen Euphrate, sont parfois un peu arrosées et deviennent des prairies pour quelques semaines. Le désert, bordant la Mésopotamie à l'ouest, reçoit moins de 100 mm de pluie par an en moyenne, et est donc inexploitable pour l'agriculture, son utilisation comme zone de parcours est limitée tant que le dromadaire n'est pas introduit dans la région.

Les cours d'eau

Les deux cours d'eau principaux de la Mésopotamie, auxquels la région doit son nom, sont l'Euphrate et le Tigre. Le premier a un cours plus calme que le second, et aussi plus riche en sédiments. Il est donc plus propice à l'agriculture. Ces deux fleuves drainent une charge solide forte, qui provoque un exhaussement de leur lit, qui surplombe légèrement à la plaine. Cela fait que leurs crues respectives, qui se produisent au printemps sous l'effet de la fonte des neiges, sont souvent violentes (surtout celles du Tigre), et en tout cas insuffisantes pour permettre la mise en valeur d'une surface agricole. Il a donc fallu développer des techniques d'irrigation artificielle dans la zone où l'agriculture sèche était impossible. La plaine de basse Mésopotamie étant très plane, les crues peuvent s’y répandre loin, et parfois elles ont même du mal à regagner le lit majeur, provoquant un changement de lit (défluviation).

En haute Mésopotamie et dans la région du Zagros, d'autres cours d'eau de moindre envergure arrosent des vallées annexes à la Mésopotamie : le Khabur et ses nombreux affluents forment la région dite du "Triangle du Khabur", le Balikh, affluents de l'Euphrate ; le Grand et le Petit Zab et la Diyala, affluents du Tigre ; le Karun et le Karkheh en Susiane.

Aménagements et paysages agraires

L'irrigation

Vers 6 000 av. J.-C., les premières communautés agricoles se développent en basse Mésopotamie. Leur survie n’est possible que grâce à la mise en place d’un système d’irrigation, sans lequel la surface agricole de cette région serait limitée aux abords des grands cours d’eau. L’addition de limon apporté par les crues des fleuves et de l’eau amenée par irrigation donne des rendements nettement supérieurs à ceux obtenus en zone d’agriculture sèche comme en haute Mésopotamie, où l’irrigation s’est aussi développée pour augmenter la production agricole.

Fragment de cône d'argile inscrit mentionnant le creusement d'un canal par le roi Urukagina de Lagash.

À la suite de Karl August Wittvogel, on a longtemps pensé que la mise en place du système d’irrigation ne pouvait se faire que sous l’égide d’un pouvoir fort et centralisé, dans le cadre d’une société très hiérarchisée. En réalité, les plus anciens systèmes d’irrigations attestés sont le fait de petites communautés. Elinor Ostrom a montré que dans de nombreux endroit des systèmes fédérateurs permettait à de grandes communautés (regroupant des milliers, voir dizaines de milliers d'agriculteurs) de cogérer les systèmes d'irrigation. Ceci implique la mise au point de règles institutionnelles communes pour obtenir une distribution équilibrée et optimale des eaux ou pour fédérer suffisamment de main d’œuvre pour le creusement et l'entretien des infrastructures communes tels que les canaux d'irrigations principaux [1]. Dans les exemples cités par la prix Nobel d'économie ces institutions peuvent fonctionner indépendamment de l'état. En Mésopotamie, l’institutionnalisation s'est faite vers la création de citées état avec des institutions variées: soit d'une "démocratie primitive", ou bien d'une "oligarchie", ou encore d'un régime dirigé par un "roi-prêtre". Quoi qu'il en soit, dès l'apparition de sources qui permettent d'analyser le système d'organisation politique des États mésopotamiens, on est en présence d'un système monarchique, dirigé par un souverain, en sumérien EN, ENSÍ, et LUGAL. Les deux premiers termes renvoient au domaine religieux: ils laissent envisageable l'existence d'un "roi-prêtre" dans certains États. Le dernier désigne clairement un "roi", šarrum en akkadien. Les souverains mésopotamiens se sont toujours fait un devoir de mettre en place et de restaurer des systèmes d’irrigation. Des conflits ont également pu être motivés par la possession de terres bien irriguées, comme ceux entre Lagash et Umma aux XXVe et XXIVe siècles.

L’eau nécessaire pour l’irrigation était amenée vers les zones cultivées par des canaux. Les plus grands partaient directement des cours d’eau, et servaient de base à un réseau hiérarchisé de canaux de taille décroissante, jusqu’aux rigoles d’irrigation. Le système pouvait aussi comprendre des réservoirs servant à réguler le débit des fleuves, des canaux surélevés et parfois des aqueducs, en fonction du relief. Des écluses servaient à réguler l’écoulement de l’eau. Les sédiments apportés par les cours d’eau provoquaient la surélévation de leur lit par rapport aux champs, et de ce fait l’eau pouvait irriguer le champ sans engin spécial, par percement d’une brèche sur la berge du canal en direction du champ où des rigoles répartissaient l’eau de manière homogène sur toute la surface en culture. Mais il existait également des engins élévatoires, comme le chadouf, dès le IIIème millénaire avant J.-C. selon Fernand Braudel[2], puis la noria à partir du Ier millénaire. L’irrigation pouvait également s’effectuer depuis des puits dans les régions moins bien drainées.

L’entretien des canaux principaux était à la charge de l’État, par le biais des représentants locaux. Leur curage et leur réfection étaient effectués en été, en période de basses eaux ; il s’agissait d’une corvée que devaient accomplir les habitants des alentours du canal. En dehors de leur usage pour l’irrigation, les grands canaux étaient navigables, et à la fin du printemps ils pouvaient servir pour transporter les récoltes, au moment où les eaux de l’Euphrate sont hautes. Pour les canaux plus petits, ce sont les utilisateurs eux-mêmes qui avaient la charge de leur entretien.

L’usage de l’eau d’irrigation semble réglé par les autorités. Des administrateurs étaient chargés de réguler le débit des canaux, comme le sērikum à Mari, ou le gugallu en Babylonie. Il fallait notamment s’assurer que toutes les zones en culture reçoivent suffisamment d’eau, même les plus éloignées ; les champs proches des grands canaux paraissent néanmoins de meilleure qualité, et valent plus cher. De nombreux litiges surviennent, et sont attestés dans des lettres ainsi que dans les Codes de lois. Ces derniers abordent notamment le cas où un agriculteur a mal refermé le sillon servant à irriguer son champ, ce qui a provoqué l’inondation de son champ et ceux de ses voisins ; il doit alors y avoir indemnisation.

Pour prendre un exemple concret, le réseau de canaux d’irrigation de Mari est connu par des descriptions comprises dans certaines tablettes de la première moitié du XVIIIe siècle, relatant les travaux d’entretiens nécessaires. Ils évoquent la « bouche » (KA/pûm), l’entrée du canal à partir du cours d’eau naturel, qu’il faut curer pour enlever pour enlever des dépôts d’argile. La structure fondamentale à ce niveau est le muballitum, mécanisme servant à contrôler la diversion de l’eau de la rivière et à contrôler niveau du canal. Il est constitué d’une barrière constituée de poteaux (tarqullum), renforcés par fagots de roseaux et brindilles. On distingue les canaux de dérivation (takkīrum) et les petits canaux (yābiltum). D’autres aménagements servent pour le contrôle des flots : des vannes (errātum) sont situées sur le bord du canal pour évacuer de l’eau si le niveau monte trop. Des fossés (atappum) sont situés au bout du canal. On a établi des barrages (kisirtum) pour stopper l’eau. Des bassins secondaires sont disposés sur le réseau, et alimentés par des canalisations en terre cuite (mašallum). L’entretien du canal est très lourd : le gouverneur du district de Terqa doit mobiliser près de 2 000 hommes selon une lettre, et cela ne semble pas suffire.

L’irrigation des champs entraînait un risque de salinisation des terres : l’évaporation de l’eau faisait remonter les sels minéraux qu’elle contenait, et si la teneur du sol en sel est trop forte, le champ ne peut plus être cultivé. Il fallait donc drainer l’eau hors du champ pour rincer le sol. Ce problème affecta de nombreuses terres dans le sud mésopotamien, qui furent rendues incultes à la suite d’une exploitation trop intensive. Les palmiers s’accommodent en revanche très bien d’une terre salinisée, ce qui expliquer leur fort développement en basse Mésopotamie.

Morphologie agraire

Tablette portant le plan d'un terrain, Umma, Ur III.

Divers documents cunéiformes comportent des descriptions de champs, une centaine présentant également des plans. Il s’agit avant tout de tablettes. Dès les débuts de l’écriture certaines donnent des localisations de champs. Sous la Troisième dynastie d’Ur apparaissent les premières tablettes avec des plans de champs, dont elles donnent des descriptions. Elles sont destinées à évaluer les rendements que l’on peut en attendre. Par la suite, les descriptions se font plus précises. Les époques néo-babylonienne et achéménide ont livré de nombreux documents de ce type, que ce soient des tablettes et aussi des kudurru (stèles gravées à la suite de donations de champs). D’une manière générale, les actes de vente de champ comportent sa localisation et sa mesure. Les textes les plus précis précisent les mesures de côtés, les propriétaires des parcelles contiguës, et découpent les champs en parties différentes en fonction du rendement attendu.

Certains de ces documents ont pu être destinés à l’apprentissage de la mesure des champs par les arpenteurs, et à l’estimation de la récolte. Les calculs de la superficie des champs se faisaient en adaptant leurs formes réelles à des formes géométriques faciles à calculer : un rectangle pour la plus grosse part, et les irrégularités étaient assimilées à des triangles. L’arpentage se faisait avec des cordes (EŠ.GID en sumérien, eblu(m) en Babylonie, ašalu en Assyrie). Des arpenteurs spécialisés membres de l’administration royale sont attestés à l’époque d’Ur III et à la période paléo-babylonienne (SAG.DÙN, DUB. SAR.A.A.ŠÀ.GA, šassakum).

Représentation de la morphologie des champs « sumériens » (gauche) et « akkadiens » (droite) selon les propositions de Mario Liverani.

Les champs des terroirs irrigués doivent avoir un accès direct à un canal. De ce fait, la concurrence pour l’accès à l’eau fait que l’on réduit la largeur des champs pour permettre à un plus grand nombre d’entre eux de border le canal, et on gagne une superficie plus vaste en étirant la longueur du champ. Les parcelles sont donc grossièrement rectangulaires, bien plus longues que large, ce qui donnerait un paysage de champs en « lamelle de parquet ». Selon M. Liverani[3], ce serait le type de champ présent dans le pays de Sumer. Plus au nord, dans le pays d’Akkad, les champs seraient plus ramassés, du moins jusqu'au Ier millénaire, quand il semble que les champs de Babylonie deviennent eux aussi de type allongé. Toujours selon le même auteur, ce type de champ est issu d'une planification, visant à optimiser l'utilisation de l'espace en permettant à un maximum de champs d'avoir accès aux canaux (et donc l'éventuelle extension de ce type de paysage serait due à la volonté des autorités des grands organismes).

Rien de tel n’est connu pour la haute Mésopotamie, exception faite du terroir entourant la cité de Nuzi, où l'on voit un partage entre champs allongés et champs ramassés.

Tentative de restitution des paysages agricoles mésopotamiens

À quoi auraient donc pu ressembler les paysages agraires de la Mésopotamie antique[4] ? Le pays de Sumer aurait présenté un paysage de champ laniérés alignés le long d’un canal, tandis que l’habitat aurait été groupé, dans de gros bourgs ou des villes plus importantes, au moins jusqu’au début du IIe millénaire quand la région connaît une chute démographique et l’abandon de nombreuses agglomérations. Les prospections réalisées par R. McC. Adams dans les alentours de Nippur et d’Umma semblent indiquer qu’avant cette période les agglomérations de plus de 10 hectares comptent plus des trois-quarts de la population[5] ; mais certains habitats de petite taille ont probablement échappé à ces enquêtes, et les textes nous apprennent qu'il existait souvent des écarts comprenant une habitation isolée. Force est de constater que les villages et l'habitat rural sont complexes à définir et à percevoir, en l'absence de fouilles d'établissement ruraux, et du fait de la difficulté que l'on a à analyser les textes concernant ces habitats[6].

Croquis hypothétique d'un finage de la Basse-Mésopotamie antique.

Dans les régions d’agriculture irriguée du sud, les agglomérations semblent plutôt installées sur les bords des cours d’eau naturels ou des grands canaux, là où l’apport de sédiments a entraîné une surélévation du niveau du sol (ce qui limite le risque d’inondation). Les palmeraies et les vergers jouxtent également les canaux, près des villages ou autour des villes ; à Uruk à la période néo-babylonienne, les parcelles de palmeraies sont très allongées, leur long côté bordant les cours d'eau. Quand on s’éloigne du village vers les rebords du terroir irrigué vers l’espace aride, le réseau de canaux se rétrécie, et la qualité des terres diminue. L’espace inculte sert à faire paître les bêtes. La limite du terroir irriguée peut également être marquée par des marais, qui servent d’espace de pêche et de chasse ou bien d’approvisionnement en roseaux (surtout à l’extrême sud de la Mésopotamie). On y trouve des habitats isolés. La répartition de l’espace entre terroirs irrigués, zone désertique et marais n’est pas statique : des champs peuvent devenir incultes suite à une trop forte concentration de sels dans le sol, et donc se désertifier, tandis qu’à l’inverse un espace désertique peut être mis en valeur par l’irrigation ; de la même manière, des marais peuvent être drainés, ou bien se créer en limite d’une zone récemment irriguée, voire suite à des mouvements de cours d’eau.

En haute Mésopotamie, notamment en Assyrie, pays d’agriculture sèche, de nombreux terroirs ne sont pas irrigués. Le relief est bien plus accidenté qu’en basse Mésopotamie. Les agglomérations rurales sont plus petites, et nombreux sont les hameaux (kaptu). Elles semblent privilégier plutôt les sites situés sur des collines, ou bien dans les basses vallées près des cours d’eau. Les parcelles, dont on ignore les formes, sont de taille assez réduite. Les abords des bourgs et des villes étaient souvent irrigués, et on y plantait des jardins et des vergers. Des terroirs étaient spécialisés dans des productions de fort rapport, notamment la viticulture, et étaient convoitées par les riches propriétaires ; cela devait donner des paysages caractéristiques. Certaines régions de haute Mésopotamie se situent hors de la zone d’agriculture sèche : le moyen Euphrate et les vallées du Balikh et du bas Khabur, où l’extension de la surface agricole se fait par l’irrigation comme en basse Mésopotamie. Ces espaces sont mieux documentés aujourd’hui grâce notamment aux archives médio-assyriennes de Tell Sabi Abyad et Tell Sheikh Hamad, et aux prospections et recherches d'archéologie du paysage qui y ont été menées.

Structures de la production agricole

Les cadres de l’économie agricole de la Mésopotamie sont documentés sur plus de deux millénaires, par des lots d’archives qui sont disséminés sur cette longue période, chacun nous informant sur une situation spécifique à un lieu et une époque. On peut cependant en tirer des traits généraux caractéristiques des structures agraires mésopotamiennes, qui sont néanmoins imprécis et nécessitent une approche de la réalité agricole par des études de cas. L’économie mésopotamienne étant un point sur lequel les historiens actuels débattent abondamment, il convient en premier lieu de voir les grandes problématiques qui se posent.

Approche théorique

Plusieurs lectures de la société et de l’économie rurales sont donc possibles. Les classifications de l’époque se font entre libres et non-libres, le premier groupe étant à son tour divisé en deux, awīlum et muškēnum dans le Code de Hammurabi. La différence entre ceux-ci est d’ordre hiérarchique, les premiers sont plus protégés par la loi que les seconds, et ont donc un rang plus élevé.

Les historiens contemporains ont utilisé différents modèles pour interpréter les sociétés et l’économie proche-orientales. Pour ce qui intéresse le monde rural, plusieurs cadres théoriques peuvent être utilisés[7].

Le modèle féodal, importé depuis les études sur la société médiévale européenne, a été important jusqu’aux années 1960, mais il est en net déclin depuis.

La théorie marxiste a développé le modèle du « mode de production asiatique ». Karl August Wittvogel a proposé l’idée selon laquelle ces États se seraient développé parce qu’ils auraient été les seuls à même d’encadrer l’irrigation nécessaire à la survie des sociétés du sud mésopotamien. Cela a depuis été remis en cause, comme vu précédemment.

M. Diakonov, autre historien d’inspiration marxiste (mais plutôt marginal au sein de ce courant), a développé un modèle séparant les sociétés proche-orientale en deux secteurs : le premier, « public », regroupe les grands organismes et ceux qui travaillent pour eux ; le second, « privé », est celui des communautés paysannes, qui sont considérées comme « libres » économiquement, et ont des relations tributaires avec la première sphère. Le premier est la résultante de la constitution des premiers États, qui se surimposent aux anciens paysans « néolithiques » restés indépendants, qui constituent le second groupe. Le principal défaut de ce modèle est que sa séparation est artificielle, puisqu’une même personne peut faire partie des deux groupes.

Les débats actuels sont dominés par l’opposition entre « formalistes » et « substantivistes », qui sont les successeurs des « modernistes » et « primitivistes ». Le grand débat est de savoir si on peut étudier ou non l’économie antique suivant les modèles économiques actuels. Les substantivistes, qui pensent que cela est impossible, s’appuient sur les théories de Max Weber et surtout Karl Polanyi, qui pense que l’économie préindustrielle est « encastrée » dans l’ensemble de la société. Il propose des outils d’analyse inspirés de l’anthropologie (discipline à laquelle font beaucoup appel les substantivistes), notamment les notions de réciprocité, redistribution et d’échange. À la différence des formalistes, ils estiment qu’il n’existe pas de marché (au sens abstrait) dans le Proche-Orient ancien, donc, pour ce qui nous intéresse, pas de marché de la terre, des produits agricoles, du bétail, etc.

Un grand débat sur l’économie du Proche-Orient ancien est celui concernant la propriété privée. Si celle-ci n’est plus vraiment niée, on se querelle beaucoup sur son poids par rapport à la propriété publique (celle des grands organismes), et son évolution au cours du temps : on en fait tantôt un élément marginal, tantôt un élément de poids ; on la voit diminuer au cours du temps, ou à l’inverse se développer. La situation des notables est d’ailleurs peu claire : leurs archives mélanges souvent des affaires que l’on considèrerait aujourd’hui comme « publique » et « privées », certains ayant d’ailleurs leurs archives dans des bâtiments de grands organismes (même s’il semble qu’on a une conscience claire entre ce qui est privé et public).

D’autres façons de voir les choses peuvent être avancées, sans avoir une approche aussi globalisante que les modèles vus ci-dessus. Ainsi, on a récemment analysé la société rurale suivant l’opposition indépendants/dépendants, ces derniers étant ceux qui ne possèdent pas assez de terres pour assurer leur subsistance et celle de leur famille, ce qui les oblige à prendre en charge celles que leur concèdent les grands organismes[8]. Cette catégorie comprend des hommes libres et la plupart des esclaves.

Généralités

L’économie mésopotamienne est dominée par ce que l’on appelle à la suite de A. Oppenheim les « grands organismes » : palais et temples, qui possèdent les plus grands domaines et les troupeaux les plus importants. C’est le pouvoir royal qui domine généralement ce système, depuis la période des dynasties archaïques jusqu’à celle des Achéménides. Le roi distribue des terres aux temples, à ses favoris, et peut les reprendre ou les mettre en tutelle s’il le désire. Il existe également de plus petits palais, possédés par des aristocrates dépendant du pouvoir royal, très présents en haute Mésopotamie, avant tout en Assyrie.

Si une partie de ces grands domaines est mise en valeur directement, par des esclaves ou des hommes libres, une autre part était affermée à de petits exploitants ou bien à des notables, qui y faisaient travailler leurs propres hommes à leur tour. Les palais et les temples distribuaient aussi des terres contre des services accomplis (ilku(m) quand il s’agit d’un service pour le pouvoir royal, d’ordre civil ou militaire), en guise de salaire.

La structure foncière oppose le nord et le sud de la Mésopotamie. Dans le premier, ce sont les palais, de grande ou plus petite taille, qui dominent ; les temples n'ont pas ou très peu de terres. Des sortes de domaines latifundiaires se constituent, notamment aux dépens des petits propriétaires qui ont des exploitations plus limitées qu’au sud, et semblent avoir souvent des problèmes d’endettement. C’est le cas à Nuzi, en Assyrie, également dans des royaumes de Syrie du nord qui partagent des traits similaires avec le nord mésopotamien du point de vue des structures agraires. Une fois leur terre cédée, les paysans se faisaient exploitants pour le compte des notables ayant racheté leurs terres. Dans le sud, le palais est très présent mais les temples sont également de très grands propriétaires. Le poids respectif des deux varie en fonction de la période.

La « propriété privée » est beaucoup moins documentée que celle des grands organismes, et c’est un sujet très débattu comme vu plus haut. On connaît bien mieux les activités des notables, parce qu’ils conservaient d’importants lots d’archives, que celle des petits exploitants qui n’apparaissent dans les sources que de manière indirecte, et dont la place dans le système de production est sujet à controverses. Les archives « privées » apparaissent en tout cas en grand nombre à partir du début du IIe millénaire, elles sont très limitées auparavant, voire hypothétiques pour certains. Par ailleurs, les notables peuvent avoir des stratégies différentes, et chercher à constituer des grands domaines, donc des sortes de « grands organismes » en miniature, comme privilégier les créances et les locations de terres mises en valeur par leurs propres dépendants. Leurs motivations restent impossibles à appréhender : les formalistes cherchent à déceler un esprit capitaliste chez eux, alors que pour les substantivistes il n’y en a pas.

Il est possible que la gestion collective des terres ait été importante dans la basse Mésopotamie jusqu’à la période de l’empire d’Akkad, quand des particuliers achètent des terres à un groupe de personnes, en devant également offrir des cadeaux à d’autres membres de la communauté. Par la suite, les contrats de vente sont passés entre chefs de famille, ce qui démontrerait un mouvement vers l’individualisation des exploitations. Il semble néanmoins qu’il existe des terres en indivision, peut-être suite à la trop grande fragmentation des terres à la suite de partages. On trouvait peut-être des terres communautaires en Assyrie à l'époque moyenne. Bien qu’elle soit souvent avancée, la théorie de l’existence de propriétés collectives au début de l’histoire mésopotamienne manque de preuves claires qui la confirmeraient définitivement.

L'esclavage n'est pas une donnée majeure de l'économie mésopotamienne, qui est en très grande partie le fait d'hommes libres. Les esclaves ne sont en nombre important que sur les domaines des grands organismes, où ils servent généralement de main-d'œuvre pour la partie du domaine exploitée directement, et pour diverses corvées. Il ne semble pas que l'entretien de nombreux esclaves soit quelque chose de rentable, et c'est assez lourd à gérer. Il existe également des catégories de « semi-libres », que l'on qualifie parfois de « serfs », qui sont attachés à la terre, astreints à des charges lourdes, mais n'en sont pas pour autant des esclaves, même si dans les faits ils ne sont pas forcément mieux traités. L'intérêt de la notion de « dépendance » est de permettre de dépasser le clivage libre/non-libre, pas forcément pertinent pour bien saisir les couches basses des exploitants agricoles.

Les nomades jouent également un rôle dans la production agricole. Ils sont nombreux à pratiquer le semi-nomadisme : une partie de la population reste sédentaire et cultive ses propres terres, alors qu’une autre (des hommes adultes) pratique le nomadisme pastoral. Les nomades se font aussi à l’occasion ouvriers agricoles sur les terres des sédentaires, et peuvent prendre en charge les troupeaux des grands organismes lors des longs déplacements saisonniers. Les tribus nomades sont donc très bien intégrées dans l’économie agricole, qu’ils peuvent cependant perturber durant les périodes difficiles en faisant des razzias, du fait de leur plus grande vulnérabilité aux aléas économiques et climatiques.

En l’absence de progrès techniques notables aux époques historiques (il ne faut cependant pas minimiser le rôle des progrès de la métallurgie ainsi que l’apparition de nouveaux instruments et techniques, notamment pour l’irrigation), la croissance de la production agricole dépend pour beaucoup de l’extension de la surface en culture, notamment grâce à l’irrigation de nouvelles terres. Le rôle du pouvoir central, avec la construction de grands canaux irriguant de nouveaux espaces, est donc important pour cela, même si les aménagements hydrauliques sont surtout gérés au niveau communautaire (voir plus haut). Mais le problème récurrent de la Mésopotamie antique, notamment dans sa partie septentrionale, est le manque d’hommes. C’est en partie pour cela que les royaumes mésopotamiens, surtout l’Assyrie, eurent l’habitude de déporter des populations pour mettre en valeur de nouvelles terres. En Mésopotamie antique, on ne manque pas de terres, mais plutôt d'hommes[9]. Mais quand la stabilité des structures sociales et économiques était préservée sur une longue durée, la croissance de la production et de la population pouvait être importante, et alors la basse Mésopotamie devenait l’une des terres agricoles les plus riches du monde antique, comme c’est le cas aux Ve et IVe siècles, et en gros dans la seconde moitié du Ier millénaire, comme en témoignent les auteurs grecs de cette période.

Aspects légaux

Les sources juridiques mésopotamiennes offrent des renseignements sur les pratiques agricoles, notamment les rapports de production. Les Codes de lois de la fin du IIIe millénaire et du début du IIe millénaire comprennent des articles sur le droit agraire. Ils traitent du règlement de litiges issues de négligence lors de l’irrigation d’un champ, des rapports entre propriétaire et fermier, jardinier, ou avec les journaliers. Les propriétaires sont protégés contre les empiétements et les vols.

Les actes de la pratique (vente, prêts, contrats de fermage) permettent d’approcher au plus près des réalités sociales et économiques agricoles. En plus d’offrir des informations d’ordre juridique, ils permettent d’entrevoir la société rurale, les pratiques agricoles voire les paysages agraires.

Transferts de propriété

La plupart des terres privées se transmettent par héritage. Les pratiques successorales varient beaucoup : parfois égalitaires, d’autres fois elles favorisent un héritier principal ; les parts sont parfois attribuées par tirage au sort. Du fait du fractionnement trop important de certaines terres, il peut arriver qu’on ne le pratique pas dans les faits, et que la terre reste indivise. Des terres peuvent être transmises à titre de dot. Les terres de service ou prises en fermage sont souvent reprises par les héritiers.

Contrat de vente d'une maison et d'un champ, Shuruppak, c. 2600.

L’autre moyen de translation des terres est la vente. Les contrats de vente comportent la description du bien vendu (superficie, situation), son prix, le nom des contractants (ils sont généralement rédigés du point de vue de l’acheteur), des témoins, du scribe, et un serment vient souvent renforcer l’accord. À Assur et Nuzi, les ventes de terres doivent être annoncées publiquement par un héraut pour s’assurer qu’il n’y a pas d’autre personne pouvant revendiquer la possession du bien. À la période néo-assyrienne, les domaines se vendent avec leurs exploitants, qui sont attachés à la terre sans être esclaves pour autant.

Les contrats de vente sont considérés comme faisant preuve de la propriété du bien immobilier concerné. Ils sont donc conservés tant que celui-ci reste la possession de son dernier acheteur.

Prêts agricoles

Les contrats de prêt destinés à l’agriculture peuvent se faire en denrées alimentaires (céréales surtout), ou en argent. Les créanciers sont les grands organismes, ou bien des particuliers à partir du IIe millénaire. Certains temples effectuent des prêts sans taux d’intérêt fort pour les plus démunis, mais généralement les taux sont élevés voire très élevés (avec de grandes variations, en gros entre 20 et 50 %). On rembourse après la récolte, ce qui semble indiquer que les prêts sont souvent faits pour la soudure ; en cas de mauvaise récolte, le débiteur peut se retrouver dans un situation d’endettement chronique. Le créancier s’assure le remboursement du prêt et le paiement des intérêts de plusieurs manières : le débiteur peut donner un membre de sa famille en otage le temps qu’il rembourse, et dans les cas les plus dramatiques certaines personnes deviennent esclaves à la suite de dettes non remboursées ; on peut aussi mettre les terres en gage, généralement en antichrèse (le créancier saisit la terre le temps de se rembourser sur sa production). Quand le taux est très élevé et que la durée de remboursement de l’antichrèse est très longue, il est possible qu’il s’agisse en fait d’un moyen déguiser d’obtenir une nouvelle terre.

Les contrats de vente ou de prêts ne sont pas absolus : l’accord peut être annulé quand le souverain promulgue un édit de restauration (andurāru(m)), notamment pendant des crises économiques, ce qui rétablit la situation antérieure à l’accord (dans des conditions particulières, et seulement si le vendeur ou le débiteur le réclament). Des clauses du contrat pouvaient stipuler qu’une mesure de ce type ne pourrait annuler l’accord, ou bien on pouvait utiliser des moyens détournés pour s’en prévenir.

Études de cas

Les différents lots d’archives nous renseignant sur les structures agraires mésopotamiennes sont très variés : certains concernent des grands organismes, en grande majorité des temples ; d’autres proviennent de lots privés. De fait notre connaissance de l’organisation de l’agriculture mésopotamienne est inégale, plus précise sur certaines périodes et régions, pour un certain type d’acteurs, alors qu’on ne sait rien ou très peu pour d’autres cas. Il s’agit ici de voir certains des cas les mieux connus et étudiés, une partie représentant des situations assez classiques, et d’autres plus originales. Pour des exemples supplémentaires, voir les pages sur la Troisième dynastie d’Ur, l’Eanna d’Uruk et le royaume de Babylone

Girsu à l’époque des Dynasties archaïques

Tablette des archives du temple de Bau concernant la distribution de rations d'entretien à des travailleurs.

Le plus ancien lot d’archives (1 200 tablettes) nous donnant des informations sur les structures agraires d’un grand domaine est celui du temple de la déesse Ba’u à Girsu, dans l’État de Lagash, au XXIVe siècle, sous le règne d’Urukagina[10]. Ces terres sont nominalement attribuées à la déesse et donc à son temple, mais en réalité elles sont à la disposition de la reine, Sasag, qui est considérée comme la représentante terrestre de la divinité (de la même manière le domaine du roi est attribué au grand dieu local, Ningirsu). Cette situation est toute récente, car sous les rois précédents ce domaine s’appelait « Domaine de la Dame » ; ce changement était motivé par la volonté de placer les terres des temples sous la coupe du pouvoir royal, ce qui suscita de fortes résistances chez les prêtres.

Le domaine de la déesse Ba’u couvrait 4 465 hectares, et employait de 1 000 à 1 500 personnes, rétribuées en rations d’entretien (KURUM6). Trois catégories de terres sont attestées : celles exploitées directement par le domaine, qui les faits exploiter par des travailleurs agricoles esclaves ou des personnes de basse condition payés en rations d’entretien (en grains d’orge surtout) ; celles confiées à des fonctionnaires en guise de salaire, les champs d’entretien (pour lesquelles les temples versent des rentes de quatre mois, durée probable de la charge effectivement accomplie) ; et celles louées à des personnes privées contre redevance (ces terres sont vraisemblablement héréditaires), qui travaillent sur le domaine en régie directe à titre de corvée, quatre à cinq mois par an, durée pour laquelle ils sont payés en ration d’entretien (plus élevées que celle des travailleurs agricoles de base). Les animaux que l’on élève sont ceux que l’on trouve généralement en basse Mésopotamie : bovins, ovins, porcs, volaille. On pêche également des poissons dans les marais voisins.

L’élevage dans les archives de Puzrish-Dagan sous la Troisième dynastie d’Ur

Le site de l’ancienne Puzrish-Dagan n’a pas été fouillé par de manière classique, mais uniquement par des fouilleurs clandestins. Une très grande quantité d’archives y ont été exhumées, dont une très grande majorité renseigne sur des transferts de bétail[11]. Recoupées, elles ont pu livrer un tableau d’une situation très originale, concernant la circulation du bétail dans le royaume d’Ur durant la fin du règne de Shulgi et celui de son successeur, Amar-Sîn (milieu du XXIe siècle).

Le royaume d’Ur a mis en place le système du BALA (« rotation ») : chacune des provinces centrales du royaume livrait une certaine quantité d’une production agricole à tour de rôle, en fonction de ses capacités et de ses spécialités, qui était ensuite redirigée vers une autre partie du royaume. La documentation atteste surtout de la circulation du bétail. On a au départ estimé que cela servait aux sacrifices dans les temples, notamment ceux de Nippur, voisine de Puzrish-Dagan. Mais il est probable qu’il s’agisse simplement d’une contribution au fonctionnement du royaume, que le roi s’en réserve une partie, et aussi d’un moyen de transférer des richesses d’une région à l’autre, en fonction des nécessités de chacune. Ce serait donc une planification à l’échelle du royaume, fait sans précédent.

Les archives de Puzrish-Dagan attestent de la circulation d’environ 60 000 ovins et caprin par an pendant les cinq dernières années du règne de Shulgi, soit la bagatelle de 300 000 ovins. À cela s’ajoutent quelque 30 000 bovins, 4 000 gazelles, 3 000 équidés, et quelques centaines de cervidés, ours, aussi des porcins. On pense généralement qu’ils passaient par Puzrish-Dagan, qui serait alors un gigantesque parc à bétail (ce que l’on ne peut pas certifier en l’absence de fouilles sur place), mais il est possible qu’il ne s’agisse que d’un centre d’archives concernant le bétail, qui ne transiterait pas forcément par la cité.

Les tablettes montrent aussi la gestion du bétail et du personnel chargé de son entretien. Le KURUŠDA est chargé de l’engraissement des bêtes à l’étable, et pour cela il dispose de 2 litres d’orge quotidiens par ovin, alors que les bovins se nourrissent des roseaux. Les bergers (SIPA) sont divisés entre les pasteurs (NA.GADA) et les bouviers (ÙNU). Cette administration très lourde supposait un appareil bureaucratique important, avec des scribes spécialisés dans divers domaines.

Par ailleurs, les archives contemporaines de Girsu et Umma montre comment étaient élevés les bovins[12]. Après leur sevrage, ils reçoivent une alimentation en grain et fourrage, et sont considérés comme prêts pour servir aux travaux agricoles. On les regroupe en équipe de sept/huit bêtes. Tout un personnel aux compétences diverses dirigé par un « scribe des bœufs de labours » (DUB.SAR.GU4.ALPIN).

Les « bédouins » dans les archives de Mari à la période amorrite

Les archives du palais royal de Mari, datant de la première moitié du XVIIIe siècle, nous offrent un éclairage sur le mode de vie des tribus de pasteurs nomades vivant en haute Mésopotamie. Ils sont désignés sous le nom de hanū, terme d’origine amorrite, que l’on peut traduire par « bédouins ». Deux tribus principale de nomades sont installés dans la région : les Bensim’alites, divisés en deux clans, auxquels appartient le roi Zimri-Lim de Mari qui en est le chef ; et les Benjaminites, divisés en cinq clans, plus frondeurs puisque Zimri-Lim doit faire face à trois reprises à leurs révoltes. Dans le désert syrien, aux marges du royaume de Mari, vivaient également les Sutéens, considérés comme plus dangereux.

Tout le clan ne nomadisait pas : une partie était installée sur des terres qu’elles exploitaient, et vivait dans des villages ou bourgs ruraux, et une autre vivait en ville, ces deux-là adoptant donc un mode de vie sédentaire ; enfin, une dernière partie partait en transhumance une partie de l’année (c’est donc un mode de vie semi-nomade). Les pasteurs nomades s’adonnaient essentiellement à l’élevage de moutons ; ils pouvaient à l’occasion se faire embaucher comme journaliers agricoles. Ils effectuaient de grandes transhumances entre les zones de pâture d’été (plutôt dans les régions montagneuses) et d’hiver (dans la steppe, nawum). Pour la conduite des troupeaux, on choisit un chef, le mehrum.

Si les zones de parcours (nighum) des pasteurs varient en fonction des saisons, elles restent les mêmes pour un clan d’une année sur l’autre ; des accords étaient conclus par le merhum avec les populations sédentaires de ces terres pour éviter au maximum les litiges, même si généralement leurs terrains de parcours étaient peu peuplés, car peu hospitaliers, ne disposant seulement que de quelques points d’eau bien connus des nomades. Les zones où avaient l’habitude de vivre les tribus ne formaient pas pour autant des unités territoriales précises. Les Bensim’alites, fidèles soutiens du roi de Mari, restaient généralement dans le royaume : une partie sédentarisée vivait sur les bords de l’Euphrate, près de la capitale ou plus au sud-est vers le Suhum ; une autre, nomade, avait ses terrains de parcours dans la haute Djézireh. Quatre clans benjaminites semblent avoir l’habitude de nomadiser et de cultiver des champs dans la vallée du Balikh (région du Zalmaqum, basse Djézireh), mais un dernier, les Rabbéens, va vers l’est du royaume mariote, jusqu’au royaume voisin, le Yamkhad (Alep).

Les propriétés privées à Nuzi

La documentation disponible pour la cité de Ner'Zhul du XIVe siècle nous informe essentiellement sur des domaines possédés par des individus, bien qu’il existe des terres appartenant au palais. Certains membres de la famille royale avaient de grands domaines, comme Silwa-Teshub, le fils du roi d’Arrapha (auquel Nuzi appartient), mais ils sont gérés comme des biens privés. Ces grandes exploitations sont nommées dimtu (« tours »), sans doute d'après l'établissement fortifié qui leur servait de centre (comme les dunnu médio-assyriens et les gt ugaritains).

Les riches propriétaires effectuent de nombreuses acquisitions de terres aux dépens des petits paysans propriétaires qui s’appauvrissent. Ces derniers vendent leurs terres, ou les perdent à la suite de prêts non remboursés (notamment après avoir mis leur champ en gage), mais ils en restent exploitants après, et sont toujours chargés d’effectuer les services pour le pouvoir royal (ilku), normalement à la charge du propriétaire. Les taux d’intérêt des prêts s’élèvent généralement à 50 %, que les débiteurs ont apparemment du mal à rembourser.

La particularité des transferts de propriété à Nuzi est qu’ils s’effectuent par le biais d’adoptions fictives : le vendeur « adopte » l’acheteur comme son « fils » (ana marūti), lui donne sa « part (d’héritage) » (zittu) ; en échange, l’acheteur lui donne un « cadeau » (qīštu), en orge ou en argent généralement. Il s’agit donc d’un achat déguisé. Très actif, le riche propriétaire Tehip-tilla se fait ainsi adopter une centaine de fois ! L’origine de cette pratique reste débattue. Des transferts plus classiques sont attestés, mais la propriété vendue comme le prix de l’achat sont toujours appelés « cadeaux ». On effectue également des échanges (šupe’’ultu) de terres, par contrats. En dépit de ces excentricités, la documentation de Nuzi nous présente tout de même des structures agraires typiques de la Mésopotamie du nord.

L’agriculture Néo-Assyrienne

Les structures agraires de l’époque néo-assyrienne (IXe-VIIe siècles)[13] sont dominées par les terres appartenant au roi ; les temples possèdent également des grands domaines, et dans une moindre mesure que les grands dignitaires de l’Empire. La puissance foncière de ces derniers à tendance à fléchir au fur et à mesure de l’affirmation du pouvoir royal. Les plus riches peuvent avoir des domaines de près de 2 000 hectares, éclatés en exploitations de taille moyenne situées sur des terroirs différents ayant chacun une production agricole spécifique. La base de l’économie agricole assyrienne est constituée par des petits exploitants indépendants ou rattachés à un grand domaine.

Un document remarquable retrouvé à Ninive, le Recensement de Harran (sans doute de la fin du VIIIe siècle), montre un recensement de terres d’un grand domaine, appartenant probablement à un membre de la famille royale, avec la mention des personnes chargées de leur mise en valeur et leur famille[14]. Ces terres sont disséminées sur plusieurs terroirs de la région du Balikh. Le grand propriétaire dispose avant tout de vignes, comprenant entre 4 500 et 29 000 pieds de vigne ; c’est une culture d’un très bon rapport du fait de sa rareté en haute Mésopotamie. À côté de cela il dispose de terres céréalières, de vergers, ainsi que de troupeaux. La situation des familles d’exploitants atteste des difficultés démographiques de l’Empire assyrien : peu d’enfants, peu de personnes âgées. D’une manière générale les petits exploitants semblent connaître de nombreuses difficultés, notamment un endettement chronique. Le manque d’hommes fait que les domaines se vendent souvent avec leurs exploitants, même si ces derniers ne sont pas forcément des esclaves.

Les domaines militaires à Nippur à l’époque achéménide et les firmes familiales babyloniennes

Les Perses achéménides s’emparent de la Babylonie en 539. Le pouvoir impérial met alors en place des domaines militaires, que l’on connaît bien grâce aux archives retrouvées à Nippur[15]. Ce système s’apparente à celui des terres militaires déjà en place en Mésopotamie depuis la fin du IIIe millénaire, concédées en échange d’un service (ilku(m)) militaire. Les exploitations sont regroupées dans des circonscriptions (hatru), dirigées par un « préposé » (šaknu). Elles étaient distinguées en fonction du type de combattant qu’elles sont censées entretenir : les plus petites et les plus nombreuses sont les domaines d’arc (bīt qašti) ; les domaines de cheval (bīt sīsi) sont l’échelon supérieur ; enfin les plus grands domaines sont ceux visant à équiper un char (bīt narkabti), qui du fait de leur taille sont souvent rattachés à de grands domaines, comme ceux des temples. Le tenancier du domaine versait une somme d’argent, en plus de devoir fournir un service militaire effectif quand il était réquisitionné. Certaines terres militaires relevaient de grands dignitaires perses, qui profitaient des revenus sans disposer de la propriété réelle, qui ; cela leur offrait la possibilité de mobiliser leurs propres troupes, ce qui n’est pas sans risque pour le pouvoir royal. Les domaines d’arcs ne sont pas homogènes : s’il y en a fournissant tous les services requis, certains sont divisés, d’autres ne fournissent que des réservistes, ou encore certains ont des charges allégées. Progressivement, la transmission héréditaire des domaines abouti parfois à la privatisation de ceux-ci.

La gestion de ces domaines militaires fait également intervenir un acteur important de l’économie locale de Nippur : la firme familiale des Murashu (seconde moitié du Ve siècle)[16]. Ces riches notables prennent à ferme des domaines d’arc laissés par leurs tenanciers qui préfèrent en percevoir la rente plutôt que de les exploiter eux-mêmes. Ce sont les Murashu qui se chargent alors des relations avec l’administration. Les membres de la firme sont également des créanciers importants, et prennent aussi à ferme la gestion de canaux d’irrigation. Leur pouvoir économique devient néanmoins trop important, ils commencent à empiéter sur des domaines ne leur appartenant pas, ce qui suscite des plaintes. Le pouvoir impérial finit par intervenir pour réduire leur puissance économique (années 420-410). Cette famille est un exemple très représentatif des firmes familiales qui prennent un poids important dans l’économie rurale de la Babylonie depuis l’époque néo-assyrienne. D’autres cas notables sont ceux des Egibi de Babylone à la période néo-babylonienne (VIe siècle)[17], ou la famille de Bēlšunu dans cette même ville à la fin du Ve siècle, celle des descendants d'Ea-ilūta-bāni, vivant à Borsippa du VIIIe au Ve siècle[18], du « Barbier » (Gallabu) à Ur à la fin de la période achéménide et au début de la domination séleucide. Les dernières archives privées de notables de basse Mésopotamie datent de la fin de l’époque hellénistique. Ce groupe a des activités similaires sur une très longue durée, plus particulièrement dans le domaine agricole où ils prennent de nombreuses terres à ferme, qu’ils peuvent mettre en valeur grâce à leurs esclaves et dépendants ainsi qu’un important capital d’exploitation. Ils peuvent aussi prendre en charge la gestion de l’irrigation comme le font les Murashu, ainsi que la commercialisation des produits agricoles vers les villes. Cela se couple à d'autres types d'investissements, le tout visant à diversifier les moyens de gagner de l'argent pour mieux assurer ses arrières. Ainsi, un descendant de la famille d'Ea-ilūta-bāni, au Ve siècle, a une palmeraie dont l'apport sur investissement est de 14 % environ, tandis que les prêts qu'ils concèdent leur rapportent 20 % d'intérêts (annuellement). Si le second investissement rapporte plus, le premier est plus sûr, puisque l'argent rentre régulièrement et tant qu'on garde la terre, tandis que les débiteurs ont parfois du mal à rembourser leurs dettes et que les prêts sont contractés à court terme.

Activités agricoles

Les activités agricoles de la Mésopotamie antique tournent autour d'un triptyque champs céréaliers/palmeraies/jardins-vergers, le tout complété par de l'élevage, à dominante ovine. La céréaliculture irriguée atteint des rendements particulièrement élevés, et, avec la variété des plantes cultivées (notamment dans les jardins), c'est l'un des points forts de l'agriculture mésopotamienne.

La céréaliculture

La Mésopotamie est une grande terre céréalière. Au premier rang vient l'orge (sumérien ŠE, akkadien še'u(m)). Avant tout parce qu'elle était mieux adaptée au sol sec et salin et au temps chaud de la région. Elle était l'aliment de base des populations du pays, et servait également d'étalon pour les échanges avant l'introduction de l'argent pour la remplacer. Le blé (ZIZ, zizzu(m)), de type amidonnier, était lui aussi cultivé, mais dans des quantités moindres, tout comme l'épeautre (GIG, kibtu(m)). Au Ier millénaire, le riz (kurangu) est introduit, mais il n'est pas très répandu.

Araire à versoir, détail du kudurru de Meli-Shipak, XIIe siècle.

Le matériel agricole servant pour la céréaliculture est resté stable durant l’histoire mésopotamienne, il est en gros fixé au début du IIIe millénaire (ce qui ne veut pas dire que de lentes améliorations ne se soient pas produites). Les labours étaient effectués avec un araire (apparu à la période d'Uruk), dont certains modèles ont été assez complexes et dotés d’un semoir (à partir des Dynasties archaïques). On employait également la bêche (ou houe) triangulaire pour le travail du sol. Les moissons étaient effectuées à la faucille, en argile ou en silex. Une amélioration possible a été l’usage du métal pour confectionner certaines parties de ce matériel, dont le soc de l’araire.

Un texte sumérien baptisé l’Almanach du fermier[19] nous renseigne sur les techniques mises en œuvre pour la culture céréalière. Un père explique à son fils, agriculteur comme lui, les techniques permettant d'obtenir un meilleur rendement, qui lui ont été transmises par la divinité agraire Ninurta en personne. En premier lieu, il faut irriguer. Le cultivateur doit veiller à ce que l'eau ne se propage pas trop. Après l'évacuation des eaux, il fallait protéger la terre humidifiée du bétail et des autres rôdeurs, qui pourraient l'endommager. Puis il faut défricher le champ et l'enclore. On divise ensuite le champ en parties égales, pendant qu'il « brûle au soleil d'été », tandis que, d'un autre côté, les domestiques mettent les outils agricoles en état. Une fois le champ suffisamment bien entretenu, on peut labourer et semer. Ces deux opérations s'effectuaient selon le texte simultanément (mais il semble qu’on ait parfois pratiqué un hersage entre les deux), au moyen d’un araire, et les ouvriers agricoles étaient chargés de passer derrière la charrue pour enfoncer les graines dans le sol à profondeur convenable. Dans les textes de la pratique, on voit effectivement que les laboureurs sont regroupés par équipes, souvent dirigées par un chef, pouvant utiliser jusqu’à deux ou trois animaux de trait dans le cas des exploitations les plus importantes. Ces phases se déroulaient en automne.

La seule technique de bonification des terres attestée est la fumure, lors du passage des troupeaux d’ovins après la récolte. Cela étant assez limité, il fallait donc généralement recourir à la jachère une année sur deux s'il s'agissait de terres de qualité moyenne, et si une exploitation trop intense les avait affaiblies ou avait provoqué leur salinisation. Les meilleures terres pouvaient éventuellement s’en passer. En revanche, on pratiquait quelquefois un lessivage des terres avec les eaux des canaux, visant à évacuer le sel qui était remonté en surface.

Quand « le grain a percé le sol », il faut faire une prière à la déesse de la vermine des champs Ninkilim pour qu'elle éloigne tous ceux pouvant nuire à la récolte. Une fois les premières pousses sorties du sol, il faut arroser, puis l'opération sera répétée trois fois encore à différents stades de l'évolution des plants, et alors le rendement sera excellent. Le jour propice, on procède à la moisson. Les moissonneurs oeuvraient par groupes de trois : un faucheur, un lieur et un autre à la tâche non définie. La moisson devait s’effectuer au printemps, avant que ne survienne la crue des fleuves.

Après la moisson vient le battage, qui était fait grâce à un tribulum, une planche de bois à laquelle étaient collés des silex séparant le grain de la tige et coupant la paille, tiré par des bœufs. Grâce à ce système, très efficace et rapide comparé au fléau, on obtenait les grains et la paille qui allait servir aux matériaux de construction. Ensuite, on vannait le grain avec des fourches pour le nettoyer.

Une fois la récolte finie, le grain est stocké dans des greniers, dont on a pu conserver des traces par l’archéologie. On conservait le grain dans son enveloppe (non comestible), pour une conservation plus longue, à condition de le préserver de l’humidité.

Les céréales pouvaient être cuisinées sous forme de bouillie, de galettes de pain, ou de nourriture pour les animaux. L'orge pouvait aussi être utilisée pour faire de la bière (KAŠ, šikaru(m)), après fermentation. De nombreuses variétés de bières sont attestées. C’était la boisson alcoolisée la plus consommée en Mésopotamie, de loin ; sa production était de ce fait très rentable. Les femmes s’occupaient généralement de la production de bière.

Les grains d’orge servaient également de moyen de paiement courant, et sont un étalon de valeurs. On s’en servait également comme une partie des salaires en rations attribués aux travailleurs des grands organismes.

La céréaliculture mésopotamienne réclamait donc un travail important, bien organisé. Il supposait une organisation collective des ouvriers agricoles pour la gestion de l’eau aussi bien que pour les travaux des champs. Dans les périodes où la mise en valeur des terres peut être faite convenablement, il était possible d’atteindre des rendements forts sur les terres de basse Mésopotamie, jusqu'à 20/1 dans les meilleurs cas, même si 10/1 paraît plus courant, d'après certaines estimations. En haute Mésopotamie, la situation est plus difficile et des pénuries sont susceptibles de se produire. Les terroirs sur lesquels on pratique une agriculture sèche auraient eu un rendement faible, de l'ordre de 3/1, tandis que dans les zones irriguées la situation était meilleure (jusqu'à 7/1).

La culture du palmier-dattier

La culture du palmier-dattier occupait une place majeure en Mésopotamie, surtout dans la moitié sud. Cet arbre avait besoin de beaucoup d’eau, et on en trouvait de ce fait beaucoup le long des cours d’eau à l’état naturel. Il supporte de plus les sols salinisés, tout en appréciant le soleil et les fortes chaleurs. Autant de conditions favorables à son développement en basse Mésopotamie.

Le palmier était cultivé dans de grandes palmeraies que l'on voit représentées sur certains bas-reliefs à la période néo-sumérienne. Elles étaient irriguées, et divisées en plusieurs lots regroupant des arbres plantés au même moment. Plus courantes dans le sud mésopotamien, elles dépendaient de l'administration des grands organismes. Le palmier étant très répandu à l’état naturel, les palmeraies ne se sont imposées que quand il fallut améliorer la culture et le rendement de cet arbre. Les grands palmiers servaient d'abri à d'autres cultures maraîchères, les protégeant du vent, des tempêtes de sable et des trop grandes chaleurs (par le système des ombrages protecteurs). Les palmeraies et les jardins sont donc généralement une seule et même chose.

Le palmier ne commence à produire des fruits que vers la cinquième année, et vit une soixantaine d’années ; il faut donc un investissement à moyen terme pour développer une palmeraie, et ensuite planter régulièrement de nouveaux arbres. Les Mésopotamiens avaient développé la technique de fertilisation des palmiers : le pollen mâle était fixé sur les tiges femelles se trouvant au sommet de l'arbre, et ainsi on augmentait le rendement de celui-ci.

Le palmier est un arbre très pratique, car en le cultivant on peut disposer de nombreuses choses. Tout d'abord le bois. Il est en effet l'un des seuls arbres poussant dans le sud mésopotamien, et donc la seule source de bois, bien que sa qualité ne le place pas parmi les meilleurs arbres pour cela ; il est pratique pour construire des bateaux, et sert également à faire des poutres pour soutenir les toitures des habitations. Le palmier donne des dattes, qui constituent alors l'un des éléments de base de l'alimentation des habitants de la Mésopotamie, et ne sont pas une simple friandise. Leur forte teneur en calorie en fait de plus un aliment pratique. Son noyau peut de plus soit servir de combustible, ou bien, concassé, d'aliment pour le bétail. On peut de plus en tirer une boisson forte, du vin de palme (en réalité une sorte de bière).

Autres productions agricoles

Le lin (GADA, kitū(m)) est apparemment assez peu cultivé en Mésopotamie avant le Ier millénaire, bien qu’il soit connu depuis le néolithique. Il sert avant tout pour le textile, mais ses graines peuvent également être consommées ou servir pour la production d’une huile.

Le sésame (ŠE.GIŠ.Ì, šamaššammū(m)) est la culture de plein champ la plus importante après la céréaliculture. Elle est introduite en Mésopotamie vers la fin du IIIe millénaire depuis l’Inde. Sa culture nécessite l’irrigation ; les semailles ont lieu au printemps, et la récolte à la fin de l’été. On en tire de l’huile, servant pour l’alimentation, les soins corporels et l’éclairage. Les grains peuvent également être consommés.

Dans les jardins (GIŠ.KIRI6, kirū(m)), qui pouvaient être intégrés aux palmeraies, on faisait pousser divers légumes, il ne semble pas y avoir eu de spécialisation dans un type de produit. Sont avant tout attestés la salade, les concombres, les poireaux, l’ail, l’oignon, des légumineuses (lentilles, pois chiches, fèves). On faisait également pousser des arbres fruitiers, principalement des grenadiers et des figuiers, d’abord au nord puis au sud au Ier millénaire, et aussi des pommiers, cognassiers, poiriers. Des tamaris se trouvaient également dans les vergers. Les jardins des rois néo-assyriens présentent une plus grande variété de produits ; on tente notamment d’y acclimater l’olivier.

La vigne pousse dans le nord de la Mésopotamie, moins dans le sud. On consomme le raisin ou bien on en tire du vin (GEŠTIN, karānu(m)), pour l’arbre comme les produits qui en sont tirés). Le vin est cependant très peu consommé comparé à la bière ; il reste une denrée de luxe, dont les meilleurs crus sont d’ailleurs produits dans les régions montagneuses voisines de la Mésopotamie (Syrie, Anatolie orientale, Zagros), et importés par les cours royales de la région des deux fleuves.

L’élevage

Les exploitants individuels disposaient de leurs propres têtes de bétail, mais c’étaient les grands organismes qui avaient les plus grands troupeaux. Ils les confiaient à des bergers et bouviers qu’ils rétribuaient. Ces derniers doivent notamment conduire les troupeaux vers différentes régions en fonction de la saison, selon un principe analogue à la transhumance. Les grands organismes organisent la reproduction du bétail, et parfois même des croisements sont tentés. On veille à s’assurer du remplacement des bêtes tuées. L’engraissement fait également l’objet d’attentions, parfois des hommes sont assignés à cette tâche.

Les temples sont de grands consommateurs de bétail pour les besoins du culte : les sacrifices destinés aux divinités, et aussi pour la divination par hépatoscopie (à partir du foie des ovins), très répandue à l’époque paléo-babylonienne.

Les bêtes les plus répandues étaient les ovins (UDU, immeru(m) ) et les caprins (ÙZ, enzu(m)), de loin. Les pasteurs étaient chargés de les tondre et de donner leur laine à leur employeur ; si les animaux mouraient, ils devaient fournir la laine, les peaux et les tendons. Le lait (de chèvre, mais aussi de vache) était consommé, et servait à fabriquer du beurre ou du fromage, dont diverses variétés sont attestées.

Fragment d'une statue de bovin, calcaire ; Uruk, période de Djemdet Nasr (fin du IVe millénaire).

Les bovins (GU4, alpu(m) ) et les ânes (ANŠE, imēru(m) ) étaient surtout destinés aux travaux agricoles et aux transports. On trouvait également des porcs (ŠAH, šahū(m)). Les chevaux (ANŠE.KUR.RA, sīsu(m)) font leur apparition progressive à partir du début du IIe millénaire, et les dromadaires (ANŠE.A.AB.BA, ibilu) mille ans plus tard. On élevait également des chiens (UR.GI7, kalbu(m)) de chasse pour les souverains, comme sous la Troisième dynastie d’Ur.

Les oiseaux de basse-cour attestés depuis les débuts de l’histoire mésopotamienne sont les oies, les canards, et les pigeons. Les poules et les coqs n’apparaissent que plus tardivement, depuis l’Inde, sans doute vers le début du Ier millénaire.

L’apiculture ne se développe en Mésopotamie qu’au début du Ier millénaire, avant cela le miel et la cire devaient être importés, notamment depuis la Syrie.

Les nomades prenaient une part importante dans l’élevage ovin, qui était une de leurs activités principales, ainsi que dans celui des équidés. Ils pouvaient être embauchés comme pasteurs par les grands organismes, du fait de leur très bonne connaissance des terrains de parcours et des points d’eau dans les zones plus sèches.

Agriculture et religion

De nombreuses divinités sont considérées comme liées de près ou de loin à l’activité agricole et à l’élevage. L'art de cultiver la terre et d'élever les animaux était considéré comme étant un héritage de l'enseignement d'Enki/Ea, la divinité qui ordonna le Monde. Plusieurs divinités avaient une fonction nourricière pour la terre, notamment les dieux de l’Orage (Ishkur, Adad, Addu, Teshub), responsables de la pluie si importante en Mésopotamie. Parce qu’il contrôlait l’eau venant du Ciel, Adad était surnommé gugallu, comme les fonctionnaires chargés de contrôler l’irrigation. Ningirsu/Ninurta a également un caractère agraire, qui s’efface avec le temps, et un de ses symboles est l’araire. Marduk, le dieu de Babylone, avait peut-être un caractère agraire à l’origine, comme l’indique son symbole, la bêche. En haute Mésopotamie et au Levant, le dieu Dagan (dont le nom signifie « grain ») est important pour l’agriculture. Une légende lui attribue l’invention de l’araire.

Un texte sumérien montre l'opposition entre Enkimdu, le dieu-agriculteur, et Dumuzi, le dieu-pasteur, qui se disputent les faveurs d'Inanna/Ishtar, qui représente la fertilité. Cette dernière, d'abord attirée par le premier, se tournera finalement vers le second après les conseils de son frère Utu/Shamash, le soleil.

Le mariage entre les deux divinités était important dans la religion mésopotamienne. Un rituel, le mariage sacré, célébrait leur, lors du mois de Nisan, qui marquait le début de la récolte, qui est aussi le début de l'année mésopotamienne. Le nom de ce rituel vient du fait qu'il s'agissait d'une représentation de l'union de ces deux divinités, le roi de la cité d'Uruk, patrie de ces deux divinités, jouant le rôle de la Dumuzi, et la grande prêtresse de l'Eanna, le temple d'Inanna, jouait le rôle de la déesse. Une fois l'union de ces deux êtres consommée, on considérait que l'avenir du pays était assuré, et que la récolte serait bonne, la déesse de la fertilité ayant accordé ses grâces au dieu local. Si dans une année trouble cet évènement ne se produisait pas, on percevait donc cela comme un grand désastre. Ce rituel se poursuivit durant toute l'histoire mésopotamienne, même s'il perdit son caractère sexuel au début du IIe millénaire. Le rituel du Nouvel An (Akitu) avait encore pour fonction d'assurer la renaissance de la Nature pour la nouvelle année. On le retrouvera notamment à Babylone, mais aussi à Assur où il fut implanté.

Dumuzi était le fils de la déesse Duttur, elle-même patronne des pasteurs. Sa sœur Geshtinanna avait également un caractère agraire, et on trouve des champs portant son nom. Elle est identifiée à une autre déesse akkadienne liée au monde rural, Bēlet-sēri (la « dame de la steppe »).

À ce tableau, il faut ajouter Ashnan, déesse des céréales, et son frère Lahar, dieu du bétail. Un texte décrivait l'importance de ces deux dernières divinités, avant de les opposer dans une tenson. Le duel était arbitré par les grands dieux Enlil et Enki eux-mêmes, qui déclarèrent Ashnan gagnante, célébrant cette fois-ci la victoire du paysan sur le berger. D'autres de ces duels opposent le palmier au tamaris, qui se disputent pour savoir qui est le plus profitable aux hommes, pour leur vie quotidienne comme pour le culte rendu aux dieux, et également le grain et le mouton, et la houe et l'araire[20].

On trouve aussi les divinités des nuisibles, qu'il faut prier pour écarter tout danger d'endommager le bétail ou la récolte : Shumuqan, dieu des animaux sauvages, Ninkilim, déesse des souris et de la vermine des champs, comme le prescrit l’Almanach du fermier. Les paysans pouvaient aussi s'en remettre aux dieux de l'Orage pour faire pleuvoir, ou même à Nanna/Sîn, la lune, protecteur des pasteurs, et des gens qui se déplacent d’une manière générale.

Notes et références

  1. Ostrom, Elinor, La gouvernance des biens communs : Pour une nouvelle approche des ressources naturelles ; Ed. De Boeck, 2010, p. 92-112
  2. Fernand Braudel date la présence du chadouf en Mésopotamie du IIIe millénaire avant J.-C., d'où il passera en Égypte au milieu du IIe millénaire. Voir à ce sujet Fernand Braudel, Roselyne de Ayala, Paule Braudel, Jean Guilaine, Pierre Rouillard, Les mémoires de la Méditerranée: préhistoire et antiquité, Éditions de Fallois, 1998 (ISBN 978-2-87706-304-3) [lire en ligne] , p. 76.
  3. (en) M. Liverani, « Reconstructing the Rural Landscape of the Ancient Near East », in Journal of the Economic and Social History of the Orient 39, 1996, p. 1-49
  4. op. cit. ; pour une approche archéologique : (en) T. J. Wilkinson, Archaeological Landscapes of the Near East, Tucson, 2003
  5. R. McC. Adams, Heartland of Cities. Surveys of Ancient Settlement and Land Use on the Central Floodplain of the Euphrates, Chicago, 1981
  6. (en) G. van Driel, « On Villages », dans W. H. van Soldt (dir.), Veenhof Anniversary Volume: Studies Presented to Klaas R. Veenhof on the Occasion of His Sixty-fifth Birthday, Leyde, 2001, p. 103-118 ; (en) P. Steinkeller, « City and Countryside in Third Millennia Southern Babylonia », dans E. C. Stone (dir.), Settlement and Society: Essays dedicated to Robert McCormick Adams, Chicago, 2007, p. 185-211
  7. Résumé de ces débats dans (en) M. Van de Mieroop, Cuneiform Texts and the Writing of History, Routledge, 1999, p. 196-137
  8. B. Menu (dir.), La dépendance rurale dans l’Antiquité égyptienne et proche-orientale, Le Caire, 2004
  9. Voir la mise au point de (en) G. van Driel, « Land in Ancient Mesopotamia: “That What Remains Undocumented Does Not Exist” », dans B. Haring et R. de Maaijer (dir.), Landless and Hungry? Access to Land in Early and Traditional Societies, Leyde, 1998
  10. (en) K. Maekawa, « The Development of the É-MÍ in Lagash during Early Dynastic III », dans Mesopotamia 8/9, 1973-74, p. 77-144
  11. (en) M. Sigrist, Drehem, Bethesda, 1992
  12. Voir par exemple : (en) W. Hallo, « Notes on Neo-Sumerian Animal Husbandry », dans Ö. Tunca et D. Deheselle (dir.), Tablettes et images aux pays de Sumer et d'Akkad, Mélanges offerts à Monsieur H. Limet, 1996, p. 69-78 ; (en) M. Stepien, Animal Husbandry in the Ancient Neat East, A Prosopographic Study of Third-Millenium Umma, Bethesda, 1996
  13. (en) F. M. Fales, The Rural Landscape of the Neo-Assyrian Empire: A Survey, Helsinki, 1990
  14. Étude du document dans F. Joannès, La Mésopotamie au Ier millénaire avant J.-C., Paris, 2000, p. 51-55
  15. op. cit., p. 149-155
  16. (en) M. Stolper, Entrepreneurs and Empire, Istanbul, 1985
  17. (de) C. Wunsch, Das Egibi Archiv I. Die Felder und Gärten, Groningen, 2000
  18. F. Joannès, Archives de Borsippa, la famille Ea-Ilûta-Bâni : étude d'un lot d'archives familiales en Babylonie du VIIIe au Ve s. av. J.-C., Genève, 1989
  19. Traduction du texte : (en) etcsl.orinst.ox.ac.uk ; commentaire bref dans S. N. Kramer, L'histoire commence à Sumer, Paris, 1993, p. 92-95
  20. (en) etcsl.orinst.ox.ac.uk

Bibliographie

  • F. Joannès (dir.), Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne, Paris, 2001 ;
  • (en) J. N. Postgate, Early Mesopotamia, Society and Economy at the Dawn of History, Londres et New York, 1992 ;
  • (en) R. Westbrook (dir.), A History of Ancient Near Eastern Law, 2 vol., HdO 72/1, Leyde, 2003 ;
  • (en) R. M. Jas (dir.), Rainfall and agriculture in Northern Mesopotamia, Istanbul, 2000.



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