- Bataille du pont du Loc'h
-
La bataille du pont du Loc'h se déroula le 25 janvier 1800 et opposa les troupes républicaines aux Chouans.
Sommaire
Carte
Prélude
Le général républicain Olivier Harty commandait la garnison de Vannes. Prévenu de l'arrivée imminente dans l'Ouest du général Brune à la tête d'une armée de 30 000 hommes, Harty décida de tenter un coup d'éclat par une attaque surprise visant à dégager Vannes et à briser le blocus de la ville qui affamait la population. Harty savait que les Chouans avaient accumulés des réserves de vivres abondantes dans les landes de Lanvaux, il espérait se saisir des vivres pour ravitailler ses troupes, et par la même occasion, chasser Cadoudal de Grand-Champ qui était sa base principale, et ce, avant même l'arrivée du général Brune.
Le 22 janvier 1800, Harty se mit en marche à la tête de la majeure partie de la garnison de Vannes, soit 2 500 hommes issus des 22e et 81e demi-brigades, 70 cavaliers, Chasseurs à cheval et Gendarmes, ainsi que 2 pièces d'artillerie. Il fut rapidement rejoint par plus de 1 000 hommes de la 52e demi-brigade venus d'Auray. Cette armée, forte de 3 500 à 4 000 hommes, prit la direction de Grand-Champ.
La bataille
Prise de Grand-Champ
Cadoudal est averti de cette avancée, disposant de forces en inférieures en nombre, il choisit de se replier sur Plaudren. Les républicains s'emparent ainsi de Grand-Champ sans avoir à combattre. Les réserves de vivres étant dispersées dans les fermes et villages environnants, Harty donne l'ordre de s'en saisir. Les habitants avaient pris la fuite face à l'avancée des républicains, l'ordre est exécuté, mais la tâche devait prendre du temps[1].
Les chouans à l'Est et les républicains à l'Ouest sont alors séparés par la rivière du Loc'h que deux ponts traversaient : celui de Penhoët et celui du Loc'h. Le premier n'est pas défendu et le deuxième est gardé par seulement 8 Chouans. La cavalerie républicaine s'empare facilement de ces deux ponts et les 8 défenseurs sont pris et fusillés. Deux bataillons de la 22e, soit environ 1 000 hommes, prennent position sur le pont du Loc'h et les soldats de la 52e se postent sur le pont de Penhoët. Harty espére également l'arrivée en renfort des généraux Gency et Grigny[1].
Mais Cadoudal prépare sa contre-attaque. Réfugié d'abord à Plaudren, puis au château de Beauchêne à Trédion, il rassemble les légions de Bignan, Vannes et Auray, de plus la Légion de Muzillac et de Redon commandée par Sol de Grisolles sont en marche pour rejoindre le combat. Cadoudal s'aperçoit également que les troupes républicaines étaient assez distancées et que Harty n'avait pas fait protéger la route de Vannes au Sud, un encerclement était donc possible. Dans la nuit du 24 janvier, les chouans se mettent en mouvement. Pierre Guillemot, à la tête de la légion de Bignan, franchit les collines qui séparent la vallée de la Claye et celle du Loc'h et fait camper sa troupe à quelques centaines de mètres du pont du Loc'h, près du château de Coëtcandec et de la chapelle de l'Ermitage. Cadoudal, de son côté, gagne les landes de Parc-carré. Ainsi les chouans forment un demi-cercle autour des lignes républicaines, et si Sol de Grisolles arrivait suffisamment tôt, les républicains peuvent se retrouver encerclés[1].
Récit de Jean Rohu « Dans les premiers jours de janvier 1800, quatre mille hommes sortis de Vannes vinrent à Grand-Champ s'approvisionner de grains. Ils avaient leur centre à Pont-er-Loc sur la grande route, leur gauche à Locqueltas, et leur droite à Locmaria.
Le général Georges, voyant la totalité de la garnison de Vannes en campagne, conçut le projet de la combattre et de l'empêcher de rentrer en ville. Il vint en conséquence avec quatre légion se placer entre Vannes et les bleus. Guillemot de Bignan tenait la droite de notre armée, ma légion et celle de Vannes était au centre ; de Sol de Grisolles devait former la gauche, mais ayant reçu en route des lettres qui annonçaient la pacification de la Vendée, il ne voulut pas donner et se tint toute la journée spectateur de nos efforts. Gomès, major de la légion de Guillemot, était placé avec neuf cents hommes à Camezon, sur les derrières de l'ennemi[2]. »
Attaque de la légion de Bignan
Le 25 janvier, à 7 heures du matin, les chouans passent à l'attaque. Au Nord, Guillemot, à la tête de la légion de Bignan, attaque d'abord le village de Kercadio. Les républicains se replient immédiatement avec perte de 5 hommes et se regroupent de l'autre côté de la rivière, en un instant la rive droite est prise. Rapidement les chouans traversent la rivière à Camezon et forcent les républicains à reculer encore. Si Sol de Grisolles était arrivé à ce moment, le 22e aurait été mis en déroute mais Sol était encore loin, car un accrochage avec le général Grigny près de Muzillac l'avait retardé. Depuis Locmaria, Harty avec des réserves se porte à la rencontre de Guillemot. Les deux troupes s'affrontent sur la lande de Morboulo, près de Locqueltas. Les combattants, dissimulés derrière des talus, échangent des tirs pendant une heure, jusqu'à ce qu’une colonne de chouans commandée par le lieutenant-colonel Gomez réussisse à contourner et attaquer le flanc droit des républicains. Dès lors ce fut la débandade, les bleus prennent immédiatement la fuite vers Locmaria mais ils peuvent rallier les réserves ce qui les sauve du désastre. Une centaine de républicains sont tués dans cette action et une quarantaine d’autre faits prisonniers. Malgré tout, les républicains restent en nombre et Guillemot furieux de ne pas avoir été appuyé par Cadoudal et surtout de ne pas avoir vu Sol de Grisolles apparaître, ne refuse de sacrifier la vie de ses hommes, il rassemble ses forces et regagne ses positions initiales de la chapelle de l'Ermitage[1].
Récit de Jean Rohu « Guillemot aussi, dans sa marche avant jour, rencontra l'ennemi au bourg de Locqueltas, le combattit à outrance et d'une seule compagnie en tua quarante et en prit quarante-deux ; mais comme il ne faisait pas jour, il ne put être efficacement soutenu par ses bataillons qui s'égarèrent, et il fut obligé de céder. Je le vis en sortant de cette mêlée, et il avait l'air bien courroucé[2]. »
Récit de Julien Guillemot « A l'heure indiquée, la légion de Bignan commença le feu par l'attaque du poste établi au village de Kercadio, où cinq soldats furent tués, deux auprès du four, un dans le chemin et deux au bas du champ qui fait face à la maison.
Tous les autres postes furent également chassés au-delà du ruisseau; mais mon père sut bientôt que M. Desol de Grisolles n'était pas arrivé et que les Républicains placés sur la rive gauche se portaient en masse sur la lande du Morboulo pour l'attaquer sur sa gauche et le mettre entre deux feux; alors mon père détacha le lieutenant-colonel Gomez, avec le bataillon de Sérent et une partie de celui de Pleugriffet, verrs cette même lande, et se porta en avant avec les deux bataillons bretons.
Il prit position dans deux champs qui appartiennent à M.Berthois, juge-de-paix à Vannes, sur le bord de la lande de Morboulo, en face des Républicains placés sur la lande.
A l'arrivée du général Harty, venu de Locmaria avec un renfort, ceux-ci exécutèrent une charge dans ces deux champs. Elle ne réussit pas; mon père y était aussi; son chapeau fut percé d'une balle et son manteau d'une autre.
Les Républicains, forcés de se retirer, reprirent leur position derrière le fossé qui bordait la lande; mais alors Gomez, qui avait habilement manœuvré, arriva par leur droite, sans être vu, et commença sur eux un feu terrible : un rang entier tomba dès la première décharge. Pour moi, mes chers neveux, qui suivais les combattants avec mon frère François, à l'insu de mon père, je comptai 47 soldats morts sur la même ligne, se touchant, et un plus grand nombre dans les brousailles du landier voisin.
Les Bleus prirent alors la fuite vers Locmaria, poursuivis par toute la légion de Bignan jusqu'à la grande route au-delà de Locqueltas.
Il était alors dix heures, la vallée était libre, et la légion de Bignan était encore seule sur le champ de bataille; ce que voyant mon père, il réunit ses hommes, trop éparpillés pour résister aux forces qui se trouvaient à Locmaria et Talhouët, et reprit la route de l'Hermitage dans le plus grand ordre, emmenant 94 prisonniers.
Il était très-mécontent, « très-courroucé, » dit Rohu dans ses Mémoires, ne pouvant se rendre compte de l'inaction des autres légions[3]. »Attaque des grenadiers de La Haye Saint-Hilaire
À l'Est, Cadoudal commande les légions d'Auray et de Vannes. Guillaume Gambert se poste avec son bataillon près de Meucon afin de repousser d'éventuels renforts venus de Vannes. Sur le flanc droit les bataillon de Audran et de Duchemin occupent les villages de Brembis et de Trémériau. Les 1 200 grenadiers commandés par Édouard de La Haye-Saint-Hilaire avancent sur la grand route. La légion d'Auray commandée par Jean Rohu arrive à proximité de Grand-Champ au moment où les troupes républicaines quittent le bourg pour aller combattre Guillemot au pont du Loc'h. Si les chouans prennent Grand-Champ, les républicains se retrouverons pris à revers[1].
Cependant une méprise des grenadiers contrecarre la réalisation de ce plan. Le brouillard s'est levé le matin et Harty a envoyé une colonne de 110 hommes du 52e escorter un convoi de 17 charrettes de grain pour Vannes. Cette troupe rencontre les chouans entre Talhouët en Locmaria et Meucon, à cause du brouillard, les grenadiers chouans croient avoir affaire à tout la demi-brigade et lancent l'attaque. Les républicains, totalement dépassés par le nombre prennent la fuite avec la perte de 17 hommes, tués ou prisonniers. 50 à 60 autres parvinrent à regagner Vannes sans encombre mais 33 autres, parvenant à percer les lignes chouannes, se retranchent dans le village de Guernic. Les Chouans somment les Républicains de mettre les armes, menaçant de faire fusiller le lieutenant du détachement qu'ils ont capturé. Mais les 33 républicains refusent et réussissent à tenir leurs positions face à 800 chouans jusqu'à ce que des renforts venus de Vannes ne leur vienne en aide et ne pousse les chouans à se retirer. Le lieutenant républicain fut néanmoins fusillé. Le retrait des grenadiers du champ de bataille était très préjudiciable à la cause des chouans, Cadoudal a beau envoyer courrier sur courrier à La Haye Saint-Hilaire, les grenadiers n'obéissent pas à leurs chefs, sans doute parce que Saint-Hilaire n'avait pris que récemment la tête de cette troupe, et que, originaire de Haute Bretagne, il ne parlait pas le breton[1].
Récit de Jean Rohu « Le comte de Saint-Hilaire à la tête de douze cents grenadiers, arrivé avant le jour sur la grande route, rencontra le convoi de grains des bleus qui filait sur Vannes, et dans l'obscurité il prit le convoi pour l'armée entière, l'attaqua, s'en empara, et croyant toujours que l'armée fuyait devant lui, il continua à poursuivre jusqu'aux portes de Vannes, ce qui l'empêcha de se trouver avec nous sur le champ de bataille où ses grenadiers nous auraient été si utiles[2]. »
Récit de Julien Guillemot « Il était très-mécontent, « très-courroucé, » dit Rohu dans ses Mémoires, ne pouvant se rendre compte de l'inaction des autres légions ; mais Georges Cadoudal ne l'était pas moins, et voici pourquoi, mes chers neveux : dès que le général Harty eut entendu, du bourg de Locmaria, l'attaque du poste qu'il avait placé au village de Kercadio, au-delà de Camzon, il s'empressa, avant de se rendre sur les lieux, de faire partir le convoi de grain pour Vannes avec une escorte, ne conncaissant sans doute pas les dispositions prises pendant la nuit.
Le convoi avait à peine dépassé le village de Talhouët qu'il fut attaqué par le bataillon de M. de Saint-Hilaire et enlevé de suite.
Les soldats qui composaient l'escorte prirent la fuite à travers la lande vers Plescop, et, après une course d'une lieue, arrivés aux vieux château du Reste, ils y entrèrent et se défendirent avec tant de courage qu'ils rendirent vains tous les efforts des 800 hommes qui les avaient poursuivis.
Ceux-ci avaient fait prisonnier le commandant de l'escorte, et voyant toutes leurs attaques inutiles, ils voulurent en tirer parti : ils firent avancer ce malheureux officier jusqu'à la porte du château pour engager les assiégés à mettre bas les armes : « Sauvez la vie de votre officier, leur criait-il, ayez pitié d'un père de famille.-Va-t-en, vieille bête, vieille ganache, » lui répondait-on de l'intérieur du château.
Cependant, le général Georges, resté dans la lande du Brugo avec les hussards désertés de Hennebon et un tiers seulement des hommes qu'il avait amenés, se trouvait forcé à l'inaction. Il envoyait courriers sur courriers pour ordonner à M. de Saint-Hilaire de revenir, et celui-ci employait tous les moyens pour se conformer aux ordres qu'il recevait, mais inutilement.
Les Chouans qu'il commandait, vraiment hommes d'élite pour un jour de bataille, ne pouvaient être gouvernés que par Georges Cadoudal ou Rohu. Ils n'écoutaient pas leur chef de bataillon, que le plus grand nombre ne comprenait même pas ; aussi ne revinrent-ils que dans l'après-midi, après avoir brûlé presque toutes les cartouches.
À leur retour, ils fusillèrent l'officier, et, comme plusieurs compagnies du bataillon d'Elven et de celui de Vannes se trouvaient alors réunies, Georges Cadoudal jugea à propos de livrer ce qu'on a appelé depuis le deuxième combat de cette journée[3]. »Attaque de la division d'Auray
Pendant ce temps, Harty a envoyé sa cavalerie et 4 compagnies de la 52e soutenir le détachement. Ils se heurtent à la légion de Rohu. Cadoudal s'occupe alors de réorganiser ses forces, regroupant une partie des grenadiers ainsi que des soldats de Guillemot s'étant trop écartés lors de la poursuite. L'affrontement est à l'avantage de Rohu, les chouans de la légion d'Auray, soutenus par deux canons, résistent à la décharge en se mettant à couvert puis lancent une charge victorieuse sur les républicains qui prennent la fuite[1].
Récit de Jean Rohu « Au jour, j'arrivai au centre, ma place de bataille désignée d'avance : deux pièces de canon vinrent s'y placer en batterie : elles étaient commandées par deux officiers sortis du port de Lorient, dont un vint me demander si je croyais que nos boulets eussent porté à l'endroit où nous voyions l'ennemi, et auquel je répondis que pour nous en assurer il n'y avait qu'à tirer un coup de canon ; c'était M.Brèche, que je voyais pour la première fois et qui est aujourd'hui maréchal de camp. M.Allano, aumônier de ma légion, donna la bénédiction et sur l'ordre du général, je mis pied à terre et m'avançai au combat, dirigeant mon premier bataillon par les champs à droite de la grande route et mon second par la gauche ; Hermely, en simple volontaire, car son bataillon n'y était pas, parut un instant auprès de moi.
Rendus à portée de l'ennemi, dont nous n'étions séparés que par un fossé, j'entendis un officier bleu faire les commandements: Arme, joue!- et je fis signe aux miens de baisser la tête ; à celui de ; Feu ! je criai : En avant ! et franchissant le fossé, nous nous trouvâmes au milieu des ennemis qui, n'ayant pas eu le temps de charger leurs armes, furent mis dans une telle déroute qu'un instant après je voyais la grande route couverte de ceux qui fuyaient devant nous, et si Gomès, qui cependant était un excellent militaire était venu en ce moment à l'encontre de ces fuyards, ils eussent été obligés de se rendre ou de se jeter dans les marais de Grandchamp.
Près de l'auberge située sur cette route, deux compagnies marchant à ma rencontre m'arrêtèrent. Mon bataillon de droite s'étant éparpillé dans la poursuite, je repassai la grande route pour prendre celui de gauche; mais il ne s'était pas avancé autant que nous, et tandis que je le cherchais, les bleus marchant toujours nous obligèrent à revenir à notre première position que nous gardâmes toute la journée, jusqu'à ce que nos adversaires, ayant reçu du renfort , vinrent s'ouvrir un passage sur Vannes[2]. »Récit de Julien Guillemot « Il (Cadoudal) fit attaquer les positions des Républicains entre Locmaria et Talhouët.
Dès le commencement de l'affaire, il tomba de cheval et remonta la montagne, à pied, pour envoyer l'ordre à MM. Audran et Jacques Du Chemin d'avancer et d'attaquer la droite de l'ennemi avec leurs bataillons.
Il ne fut point obéi. Ces deux bataillons, qui tenaient en échec les troupes placées à Talhouët, gardèrent leurs positions toute la journée, sans tirer un coup de fusil ; de sorte que le général républicain put facilement s'ouvrir un passage pour retourner à Vannes[3]. »Percée de Harty
Harty regroupe ses forces entre Locqueltas et Locmaria, seule la 22e demeure au pont du Loch qu'elle a réoccupée. Les républicains sont de plus en plus resserrés et harcelés par les cavaliers chouans, aussi, le général décida de tenter une percée. Il est alors midi et le 3e bataillon de la 22e, épaulé par un canon, est envoyé au secours des 4 compagnies de la 52e afin de protéger leur fuite. Les chouans de Rohu, dispersés dans la poursuite, doivent reculer. Mais La Haye Saint-Hilaire parvient à regrouper le corps entier des grenadiers et peuvent rejoindre les troupes de Cadoudal. De son côté, Sol de Grisolles arrive enfin sur le champ de bataille. Une sortie tentée par la garnison de Vannes est également repoussée assez aisément. La situation des républicains devient critique mais les chouans manquent d'organisation et si Grisolles arrive enfin, ses soldats, épuisés et peu enthousiastes, ne refusent de pas passer à l'attaque, quelques autres compagnies, notamment celles d'Audran et Duchemin, agissent de même, quant à Guillemot, il n'avait pas réapparut[1].
Harty, constatant le manque d'entente entre les différents chefs chouans se décide à lancer sa percée. Le 1er bataillon arrête le mouvement de contournement des chouans et tout le reste de l'armée, cavalier en tête, artilleurs au centre, et fantassins en queue chargent le centre des lignes chouannes. Les cavaliers chouans, la plupart anciens soldats républicains ayant désertés, chargent les chasseurs à cheval républicains. La percée est réussie mais les pertes sont lourdes et les républicains doivent lutter jusque sous les murs de Vannes[1].
Récit de Jean Rohu « La cavalerie se présenta la première, derrière laquelle nous repassâmes de gauche et à la droite de la route : l'artillerie suivait de très-près, ainsi que l'infanterie serrée en masse : rendus sur la lande, nos hussards désertés d'Hennebont se battirent avec acharnement contre leurs anciens camarades. Ils se connaissaient et on les entendait se provoquer et s'appeler par leurs noms. Nos hommes, ayant marché toute la nuit précédente, étaient tellement fatigués que nous ne pûmes pas longtemps poursuivre l'ennemi[2]. »
Récit d'Alexis Le Louer « Sur les 2 heures de l'après-midi, les républicains se trouvaient si étroitement resserés dans la plus grande route qu'à peine pouvaient-ils se retourner ; il n'y eut qu'une manœuvre hardie de leur général, qui était à 100 ou 150 pas de moi, qui les tira de ce pas ; il fit escalader les fossés à droite et à gauche à sa troupe, et ce fut là que nous reçûmes quelques échecs ; ensuite il fit sa cavalerie dans le centre pour se faire une ouverture pour aller à Vannes, et il est à présumer que la cavalerie ne demandait pas mieux, car, aussitôt l'ordre donné, ils s'élancèrent à bride abattue du centre de la grande route sur la hauteur de la lande, sans attendre leur infanterie ; là ils voltigèrent à travers les balles qu'on leur tirait ; ce fut là qu'ils parvinrent à terrasser une partie de nos gens qui se trouvaient à la débandade de 3, 4, 5, 10, 20 et 30 à quarante ; mais leur infanterie était toujours au prises avec la nôtre. Nous eûmes l'avantage dans le combat par nos positions. [...] Les républicains furent continuellement harcelés jusqu'aux portes de Vannes. Nous les voyions fuir sans ordre ; nous ne perdîmes aucune de nos pièces de canons, quoiqu'on disait qu'on nous en eût pris une, parce qu'un boulet avait cassé l'un des affûts ; nous en prîmes une aux républicains, mais ils la reprirent. J'eus plusieurs de ma compagnie de tués à côté de moi ou loin de moi. Je blessai un républicain à la fin du combat, mais je ne fus pas jusqu'à lui ; je manquai de perdre la vie de plusieurs coups de canons tirés sur nous, ainsi que sur les autres, mais Dieu me sauva, ainsi qu'une partie des nôtres. Nous n'eûmes que des branchages dans le bas-fond d'abbatues au-dessus de nos têtes, et d'autres qui nous firent sauter des mottes de terre aux yeux, et plusieurs balles qui m'effleurèrent la figure et le corps[4]. »
— Alexis Le Louer
Les pertes
Au final, les chouans restent maîtres du champ de bataille mais n'ont pu détruire l'armée de Harty. De plus, les républicains étaient parvenus à se saisir de grandes quantités de vivres. Les corps des chouans morts sont enterrés dans les cimetières de Locqueltas et de Locmaria, ceux des républicains dans les landes de Morboulo et du Brugo[1].
« Le jour suivant, les Royalistes morts sur le champ de bataille, étaient amenés par charretées dans le cimetière de Locqueltas et de Locmaria, pour y recevoir la sépulture. Les Bleus tués par la légion de Bignan, la reçurent au Morboulo, dans un lieu qui sert maintenant de courtil à chanvre, et qui appartient à Bertho, du village de Kerdadec; les autres furent enterrés sur le bord de la lande du Brugo, en Grand-Champ[3]. »
« Nous laissâmes quatre cents morts sur le champ de bataille, et à l'appel du lendemain, à Vannes, il manquait neuf cents hommes aux bleus[2]. »
Un autre chouan, Le Louer, parla de 1 100 républicains tués[1].
« Nous tuâmes aux républicains 1 100 hommes suivant l'aveu de leurs généraux qui en firent le dénombrement à Vannes ; mais je crois qu'il y en avait bien plus. [...] Nous ne perdîmes que 3 à 400 hommes ; nous eûmes beaucoup de blessés, mais il n'en mourut que très peu, à peine 1 ou 2 sur 10[4]. »
— Alexis Le Louer
Cependant le rapport du général républicain Olivier Harty n'avoue que 22 morts, approximativement 63 blessés et environ 100 disparus contre 500 à 600 Chouans tués. Soit 4 morts (1 officier et 3 sous-officiers), et 13 blessés (dont 1 officier) pour la 22e demi-brigade. Et 17 tués (dont 3 officiers), et environ 50 blessés pour la 52e demi-brigade[5]. Cependant au regard des pertes chouannes, ces chiffres semblent bien faibles. Dans ses mémoires, Julien Guillemot ne donne aucune estimation générale sur le nombre de républicains tués, mais il affirme qu'il compta 5 républicains de la 22e demi-brigade tués à Kercadio, dont il indique même l'endroit précis où se trouvaient les cadavres, et au moins 47 autres à la lande de Morboulo[3]. De même, Rohu affirme que la compagnie à la pointe de l'attaque de la division de Guillemot tua une quarantaine de républicains[2]. Selon François Cadic, les pertes des républicains sont probablement d'environ 300 morts[1].
Bien qu'il ne fut pas lui-même présent, le général chouan Louis d'Andigné évoque également le combat dans ses mémoires, ses notes laissent à penser que le combat fut acharné:
« Quatre ou cinq mille Républicains s'étaient réunis pour l'attaquer (Cadoudal); il marcha au-devant d'eux avec sept ou huit mille hommes environ. Le combat fut disputé; quatre ou cinq cents hommes de chaque côté restèrent sur place. Mais les royalistes, moins bien disciplinés, finirent par plier[6]. »
Le colonel chouan Toussaint du Breil de Pontbriand a laissé également quelques lignes à propos du combat. Alors officier dans les environ de Dinan, il n'était pas non plus présent à cette bataille et ses notes semblent s'appuyer sur les écrits d'un chef chouan morbihannais François Le Chevalier :
« Il (Cadoudal) ne voulait pas céder sans combattre. Il attendit Brune à Grand-Champ, avec environ vingt mille hommes, et lui livra bataille ; elle dura plusieurs heures, mais les Royalistes furent contraint de céder au nombre. Cadoudal, voyant plusieurs de ses divisions rompues, ordonna la retraite, qu'iul fit en assez bon ordre. Il ne fut pas poursuivi. Neuf cents Royalistes restèrent sur le champ de bataille ; le général Brune perdit deux mille hommes, presque tous tués en enlevant des positions à la baïonnette[7]. »
— Toussaint du Breil de Pontbriand
Les prisonniers
Quelques jours plus tard, le général républicain Guillaume Brune écrivit au premier consul Napoléon Bonaparte que 61 soldats républicains de la 22e demi-brigade égarés lors de la bataille ont été fait prisonniers et fusillés sur ordre de Cadoudal[5]. Cependant, les soldats de la 22e demi-brigade avaient affronté les troupes de Guillemot, Cadoudal quant à lui avait été aux prises avec les hommes de la 52e demi-brigade, aussi cette fusillade semble plutôt avoir été ordonnée par Pierre Guillemot.
En effet, dans ses mémoires, Julien Guillemot, fils du colonel chouan, rapporte que 94 républicains sont capturés par les Chouans de la légion de Bignan[3]. Cependant ils étaient 42 pour Rohu[2] et 43 selon Le Louer[4]. En outre, plusieurs dizaines d'autres républicains avaient été capturés par les hommes de Cadoudal. D'après Julien Guillemot, Pierre Guillemot donne la liberté aux soldats de ligne, mais il exige des représailles pour les exécutions de 16 de ses hommes et fait fusiller les 32 volontaires capturés[3].
Récit d'Alexis Le Louer « Le lendemain matin, nous nous en fûmes au château de M. de Kerscouble où nous avions avec nous 43 soldats républicains tous blessés, à l'exception de 6 ou 7, pris dans une prairie pendant la bataille. Les autres divisions prirent de même de pareils détachements plus ou moins grands. Je fis donner à boire et à manger aux 43 premiers, suivant l'ordre que je reçus de mon chef de bataillon Alexandre qui donna cinq piastres aux gens du village dans lequel ils étaient, pour deux barriques de cidre et 1 louis ou 2 pour autre chose. Les braves habitants chez lesquels nous les avions menés, se faisaient un devoir de déchirer leurs draps et leurs chemises pour leur en faire des bandes et de la charpie pour leurs blessures, j'en vis panser plusieurs ; mais, pendant le pansement, il y eut un gallot qui voulut aller se reposer dans le grenier de sa maison ; il prit son fusil et monta à l'échelle ; le chien du fusil prit à un des bâtons et le coup partit ; il eut toute la paume de la main enlevée, de sorte qu'on ne lui voyait que les cartilages des doigts et du dedans de la main.
Au bout de deux jours, nous apprîmes que les républicains n'avaient point accordé de grâce aux prisonniers faits sur nous et qu'ils les avaient mis à mort. M. de Gommez vint à moi et me dit d'un ton grave ; « Monsieur, si vous ne les faites pas fusiller, je vous ferai fusiller moi-même ; il y a 3 ou 4 jours que nous les avons sur le corps et ils nous ont compté plus de dépenses qu'ils ne valent », je lui dis : « Fusillez-les vous même ou faites-les fusiller par vos gens. — Restez-là me dit-il, je m'en vais au quartier en faire mon rapport à M.Guillemot. » MM. Alexandre, Mathurin Le Sergent et autres vinrent, et nous partîmes pour le château de Kernicol.
Pour agir de représailles, et en vertu des ordres donnés par les généraux de faire fusiller sans aucune distinction de grade tous les prisonniers républicains, on en agit avec conséquence, parce qu'ils eurent la barbarie d'agir avec férocité à l'égard des nôtres. Je ne voulus pas participer à cette boucherie, quoiqu'on m'en eût invité de partager leurs dépouilles ; j'aurais préféré les avoir fusillés au champ de bataille que d'être leurs bourreaux après les avoir gardés et soignés ; de plus, je leur avais donné ma parole que je ne leur aurais pas fait de mal[4]. »— Alexis Le Louer
Récit de Julien Guillemot « Au sujet des prisonniers, mon père donna à Gomez l'ordre de mettre en liberté les soldats qui servaient pour leur compte, et de faire fusiller les volontaires et ceux qui appartenaient aux colonnes mobiles. Un de ces derniers s'écria :
- N'est il pas cruel de fusiller des prisonniers de guerre?
- Oui, lui répondit mon père, il est bien cruel d'en venir à cette extrémité. Mais qu'avez-vous fait des seize hommes que vous avez pris avant-hier?
- C'est vrai, répondit un autre soldat, ils ont été tués.
- Vous les avez massacrés ! ajouta mon père, et tout fut dit.
Le soir même, ces hommes, au nombre de trente-deux, le double des Chouans massacrés, furent fusillés[3]. »Ces 16 chouans mentionnés, mais dont le nombre n'est peut-être pas exact, étaient peut-être ceux qui gardaient le pont du Loc'h. Selon le rapport du général Harty, 8 chouans avaient été capturés aux Pont du Loc'h par des cavaliers et fusillés le 22 janvier soit deux jours avant la bataille.
En revanche Cadoudal fait libérer tous ses prisonniers :
« Le général, en renvoyant les prisonniers, leur donna à chacun un écu de trois livres et de voitures à ceux qui étaient blessés[2]. »
Bibliographie
- François Cadic, Histoire populaire de la chouannerie, t. II, éditions Terre de Brume, 2003, p. 285-292.
- Charles-Louis Chassin, Les pacifications dans l'Ouest, t. III, éditions Paul Dupont, 1899, p. 559-560.
- Julien Guillemot, Lettres à mes neveux sur la Chouannerie, 1859. lire en ligne sur google livres
- Jean Rohu, Mémoires autographes, La Découvrance, coll. « Les Inédits de l'Histoire », 1999, 80 p. texte en ligne sur google livres, p.416-417
- Alexis Le Louer, Mémoires inédits, La Découvrance, coll. « Les Inédits de l'Histoire », 1999, 210 p.
Références
- François Cadic, Histoire populaire de la chouannerie, t. II, p. 285-292.
- Jean Rohu, Mémoires autographes, p. 70-73.
- Julien Guillemot, Lettre à mes neveux sur la Chouannerie , p. 162-166.
- Alexis Le Louer, Mémoires inédits, p. 142-146.
- Charles-Louis Chassin, Les pacifications dans l'Ouest, t. III, p. 559-560.
- Mémoires du général d'Andigné Tome II , p.9.
- Toussaint Du Breil de Pontbriand, Mémoire du colonel de Pontbriand sur les guerres de la Chouannerie, édition Plon, Paris, 1897 (réimpr. Y. Salmon, 1988), p.418.
Catégories :- Bataille des guerres de la Révolution française
- Bataille sur le sol breton
- Bataille de 1800
- Chouannerie en Morbihan
Wikimedia Foundation. 2010.