Wébérien

Wébérien

Max Weber

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Max Weber
Max Weber en 1894
Max Weber en 1894

Naissance 21 avril 1864
Erfurt, Confédération germanique Confédération germanique
Décès 14 juin 1920 (à 56 ans)
Munich, République de Weimar République de Weimar
Nationalité allemande
Profession(s) sociologue

Max Weber (21 avril 1864-14 juin 1920), sociologue et économiste allemand, est, avec Vilfredo Pareto, Émile Durkheim, Georg Simmel et Karl Marx, l'un des fondateurs de la sociologie moderne.

Sommaire

Introduction

Max Weber est considéré comme le fondateur de la sociologie compréhensive, c'est-à-dire d'une approche sociologique qui fait du sens subjectif des conduites des acteurs le fondement de l'action sociale.

Son œuvre est dominée par une recherche sur la rationalité, et, plus spécifiquement, sur le processus de rationalisation. Il lui semble, en effet, que l'Occident est marqué par l'extension d'un type particulier de rationalité -la rationalité en finalité- à l'ensemble des actions sociales. Ce qu'il nomme la rationalisation de l'action pratique dans le monde lui semble ainsi être la spécificité de l'Occident moderne — processus marqué, en particulier, par la naissance et le développement du capitalisme et de la bureaucratie. Il travailla aussi sur de nombreux objets, souvent liés à sa réflexion sur la rationalité, comme la domination, l'État, le droit, la musique etc.

Toutefois, la part la plus importante de son œuvre de sociologue est constituée par une sociologie des religions : il considérait, en effet, que les religions ont apporté une contribution décisive à la rationalisation du monde.

« Ce qui importe donc, en premier lieu, c'est de reconnaître et d'expliquer dans sa genèse la particularité du rationalisme occidental [...]. L'apparition du rationalisme économique [...] dépend de la capacité et de la disposition des hommes à adopter des formes déterminées d'une conduite de vie caractérisée par un rationalisme pratique. Là où une telle conduite de vie a rencontré des entraves d'ordre psychique, le développement d'une conduite de vie rationnelle dans le domaine économique a rencontré, lui aussi, de fortes résistances intérieures. Or, parmi les éléments les plus importants qui ont façonné la conduite de vie, on trouve toujours, dans le passé, les puissances magiques et religieuses ainsi que les idées éthiques de devoir qui sont ancrées dans la croyance en ces puissances.[1] »

C'est avec L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, publié sous la forme de deux articles en 1904 et 1905, que naît son projet d'analyse des déterminations religieuses du processus de rationalisation. Cet ouvrage, qui analyse les effets de la réforme protestante sur l'activité économique capitaliste, est devenu, par son modèle d'analyse du social, centré sur les individus et leurs motivations à agir, un classique de la sociologie, sur laquelle il a exercé une influence considérable. Après 1905, Weber va s'intéresser aux autres religions du monde, faisant ressortir, dans une série d'études comparatives (Confucianisme et Taoïsme, Hindouisme et Bouddhisme, Le judaïsme antique), la spécificité du processus de rationalisation qu'a connu le monde occidental, et l'influence des croyances religieuses chrétiennes sur celui-ci.

Réception de son œuvre

La réception de l'œuvre de Max Weber n'a été que progressive, particulièrement en France. Sa stature ne s'impose, en Allemagne, qu'une dizaine d'années après sa mort, de même qu'aux États-Unis, notamment grâce au sociologue Talcott Parsons qui s'inspire de Weber dans sa théorisation de l'action sociale et qui traduit L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme en anglais.

En France, la domination de l'école durkheimienne avant guerre, puis la prégnance de la pensée marxiste après guerre permettent d'expliquer la lenteur de la réception d'une œuvre qui était, pour une large part, en opposition avec ces deux courants de pensée. C'est essentiellement à Raymond Aron que l'on doit (notamment grâce à son ouvrage Les Étapes de la pensée sociologique paru en 1967) la découverte, en France, de Max Weber. Depuis, l'œuvre weberienne n'a cessé d'exercer son influence sur l'ensemble de la sociologie française : ainsi, des figures aussi opposées que celle de Raymond Boudon et de Pierre Bourdieu s'en réclament. Les traductions françaises, longtemps lacunaires et de mauvaise qualité, ont connu, depuis une dizaine d'années, un fort développement, notamment sous l'impulsion du traducteur Jean-Pierre Grossein qui a proposé, en 2003, une nouvelle traduction de L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme. On peut voir, dans cette activité éditoriale, l'importance toujours croissante et l'actualité jamais démentie d'une pensée sociologique de premier plan.

Influences philosophiques

La philosophie contemporaine, notamment l'École de Francfort, a été marquée par sa caractérisation de la modernité comme rationalisation de la vie.

Par les travaux de Catherine Colliot-Thélène, les lectures de Weber ne sont plus perçues comme anti-Marx. On sait que Weber a en effet lu Marx. Dans son Max Weber et l’histoire, elle cite entre autres une confidence faite par Max Weber peu avant sa mort à un de ses amis : « La sincérité d’un intellectuel aujourd’hui, singulièrement d’un philosophe, peut se mesurer à la façon dont il se situe par rapport à Nietzsche et à Marx. Celui qui ne reconnaît pas que sans le travail de ces deux auteurs, il n’aurait pu mener à bien une grande partie de son travail se dupe lui-même et dupe les autres. Le monde intellectuel dans lequel nous vivons a été en grande partie formé par Marx et Nietzsche. ». Le chapitre 2 de cet ouvrage fait le point sur « Max Weber et le marxisme ». On trouve déjà chez Bourdieu cette idée que Weber peut être lu comme une prolongation de Marx.[2]

Sa sociologie politique, en particulier sa définition de l'État moderne comme groupement politique détenant le monopole de la violence physique légitime, exerce toujours une influence considérable sur la pensée politique moderne.

Biographie

Karl Emil Maximilian Weber, aîné de huit enfants, naquit le 21 avril 1864 à Erfurt dans une famille de la bourgeoisie protestante. Un de ses frères cadets, Alfred, deviendra également un sociologue important. Son père (également Max), initialement haut fonctionnaire, sera élu député du Parti libéral-national au Reichstag après l’unification allemande. Sa mère (Hélène, née Fallenstein), d'origine huguenote par sa famille maternelle (les Souchay), était une femme cultivée et profondément croyante. Max Weber grandit ainsi dans un milieu riche et cultivé : son père était l'héritier d'une famille d'industriels, sa mère était issue de la bourgeoisie intellectuelle. À partir de 1869, la famille s’installa à Berlin.

Max Weber et ses frères en 1879.

S’ennuyant à l’école et ayant peu de contacts avec les enfants de son âge, le jeune Max Weber était en revanche un lecteur insatiable, dont les lectures (Cicéron, Kant, Machiavel, etc.) témoignaient d'une grande précocité intellectuelle. À côté de ses études, le jeune Max Weber a également bénéficié de l'influence formatrice du milieu d'hommes politiques et de savants de premier plan qu'invitait son père à la maison. Après l’obtention de son Abitur (équivalent du baccalauréat), il s’inscrivit en droit à la faculté d’Heidelberg. Outre les cours de droit, il y suivit également des cours d’économie politique, de philosophie, d’histoire et de théologie. C’est à cette même période que Weber perdit sa timidité : membre d'une corporation d'étudiant, il se livra à des duels, participa à des beuveries, tout en s'endettant.

En 1883, à 19 ans, Max Weber partit pour Strasbourg afin de débuter son service militaire. Il y trouvera une seconde famille. Weber, hébergé par sa tante (sœur de sa mère), rentra en effet dans une relation d'échange intellectuel durable avec le mari de cette dernière, l’historien Hermann Baumgarten, en qui il put sans doute trouver une autre figure d'identification que celle de son père. À la différence de ce dernier, H. Baumgarten était un libéral hostile au compromis avec la politique de Bismark.

En 1884, il reprend ses études à Berlin, sous la pression de sa famille qui souhaite le séparer des Baumgarten. Il vivra dans la maison familiale les huit années suivantes, à l'exception des périodes d'exercice militaire et d'un bref séjour à l'université de Göttingen en 1886 où il obtient sa licence en droit. Devenu un travailleur acharné, Weber se spécialise en histoire du droit, tout en poursuivant un cursus conduisant vers une carrière d'avocat. Il obtint son doctorat en 1889, sous la direction du professeur Levin Goldschmitt, avec une thèse portant sur le développement des sociétés commerciales en nom collectif dans les cités italiennes du Moyen Âge. Dès 1891, il achève sa thèse d'habilitation, L’importance de l’histoire agraire romaine pour le droit public et privé, qui le qualifie pour être professeur à l'université.

Ces années furent décisives dans la formation de Max Weber à un autre titre : il commença à s'intéresser aux problèmes sociaux de son époque et rejoignit, en 1888, le Verein für Socialpolitik (Association pour la politique sociale), association formée par des économistes issus de l'École historique et pour qui la réflexion économique devait jouer un rôle décisif dans le traitement des problèmes socio-économiques de la jeune nation allemande. En 1892, le Verein engagea une étude sur la «question polonaise», c'est-à-dire sur l'afflux d'une importante immigration de travailleurs agricoles polonais à l'Est de l'Allemagne. Max Weber dirigea l'enquête et rédigea son rapport final. Ce dernier fut salué comme une étude empirique de la plus grande importance et conféra à Weber une utile réputation de spécialiste des problèmes agricoles.

Marianne Weber née Schnitger

À 29 ans, en 1893, Max Weber accède au poste de professeur de l’histoire de droit romain et de droit commercial à la faculté de Berlin. Il se marie cette même année avec une parente de sa mère, Marianne Schnittger. Sa femme, figure de la cause féministe, sera une actrice de la vie intellectuelle et politique allemande, jusqu'à sa mort en 1954. Elle aura un rôle décisif dans l'édition de l'œuvre de Max Weber, supervisant notamment la publication du très grand nombre d'écrits posthumes de son mari, en particulier son opus magnum, Économie et société. Elle écrira également une importante biographie de Max Weber. Si leur mariage fut bâti sur une complicité intellectuelle constante, il est probable qu'il n'ait jamais été consommé. Le couple demeura, en tout cas, sans enfant. Il est, en outre, probable que Max Weber n'ait eu aucune expérience érotique jusqu'à l'immédiate avant guerre, dans le cadre d'une relation extraconjugale.

En 1894, Max Weber est nommé à une chaire d’économie politique à l'Université de Fribourg. Il y prononce en mai 1895 sa leçon inaugurale, « L’État national et la politique économique », qui fait sensation. Max Weber y exprime son nationalisme de manière enflammée, soutenant l'impérialisme allemand et affirmant la primauté des valeurs germaniques pour un théoricien allemand de l'économie politique. Max Weber n'a pas cessé de soutenir la politique de puissance de l'Allemagne réunifiée. Il changera toutefois, au fil de sa vie publique, souvent de position politique. À la fin de sa vie, il soutiendra une démocratisation du régime, sous la forme d'un régime parlementaire, seul apte, pour lui, à sélectionner des leaders politiques charismatiques. Comme l'écrit R. Aron, « Weber fut un national-libéral, mais il n'était pas libéral au sens américain, il n'était même pas à proprement parler un démocrate au sens que Français, Anglais ou Américains donnaient ou donnent à ce terme. Il mettait la grandeur de la nation et la puissance de l'État au-dessus de tout. »[3]

En 1897, quelques mois après la mort de son père, avec lequel il avait rompu peu de temps auparavant à la suite d'une violente dispute, il est atteint d’une grave dépression nerveuse qui le contraint à interrompre ses activités de professeur et de chercheur. Cette crise durera près de cinq ans et aura d'importantes conséquences sur la vie de Max Weber : elle le contraindra à interrompre durablement ses activités de professeur, et suspendra pour un temps son travail de recherche. Weber part alors se reposer au bord du lac Léman sur les conseils de son médecin. Il reprend ses cours un an plus tard mais fait une rechute en 1899. Il repart alors une seconde fois en voyage : il visite la Corse, l’Italie et la Suisse. Max Weber ne surmonte sa dépression qu'en 1903. Reprenant alors ses activités intellectuelles, il réoriente ses recherches vers la sociologie : il fonde ainsi la Société allemande de sociologie avec Ferdinand Tönnies et Georg Simmel, dont il démissionnera en 1912. Il prend également alors, avec Edgar Jaffé et Werner Sombart, la direction des Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik, qui deviennent la première revue de sociologie allemande. C'est dans cette revue qu'il publiera la plupart de ses travaux de sociologie, à commencer par L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme dont la première partie paraît dès 1904. Face à sa fragilité nerveuse, Weber, aidé en cela par un héritage, renonce toutefois à enseigner. Il ne retrouvera l'enseignement que plus de 10 ans plus tard, après la guerre.

Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, Weber, qui a 50 ans, demande à être rappelé comme officier de réserve. Il s’occupera alors, mais seulement durant une courte période, de la gestion de huit hôpitaux de la région d’Heidelberg. Il entame alors une période d'intense activité intellectuelle. C'est, en effet, durant la guerre que Weber débute la rédaction de son vaste projet de sociologie comparée des religions mondiales. Il publie ainsi, sous forme d'articles, dans les Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik, en 1916 Confucianisme et taoïsme, en 1916-1917 Hindouisme et bouddhisme, et en 1917-1918 Le judaïsme antique.

En 1918, après avoir refusé la défaite et appelé à la résistance, Weber fit partie de la délégation allemande qui signa le traité de Versailles. Il participa également à la commission en charge de rédiger la nouvelle Constitution du Reich. Au milieu de l'agitation révolutionnaire de 1918, Max Weber sera l’un des membres fondateurs du Parti démocrate allemand. Pendant cette même période, le Frankfurter Zeitung publiera une série d’articles de Weber sur la politique allemande regroupés sous le titre « Le parlement et le gouvernement dans une Allemagne réorganisée ».

En 1918, il part pour Vienne où un poste temporaire d’enseignement d’économie l’attend. Il revient à Munich en 1919 pour occuper la chaire de sociologie que l’université de Munich a créée spécialement pour lui. Weber, à l'invitation de l'association libre des étudiants, y prononce deux conférences, qui auront une influence durable : « La vocation du savant » en 1917 et « La vocation du politique » en 1919.

Max Weber meurt subitement en 1920, à l’âge de 56 ans, des suites d'une pneumonie mal soignée. Avec lui s'éteint la première génération de sociologues, puisque Émile Durkheim et Georg Simmel sont décédés peu de temps auparavant (respectivement en 1917 et 1918). Au moment de sa mort, Weber est sur le point de conclure son grand projet de sociologie comparative des religions : il regroupe, en 1920, les grands textes de ce projet (notamment L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme), jusque là uniquement parus en revue, dans un vaste Recueil de sociologie des religions, dont la moitié paraîtra après sa mort. Toutefois, Weber laisse une part importante de son œuvre à l'état de manuscrit (à commencer par Économie et société), ou d'articles publiés seulement en revue (notamment ses textes d'épistémologie).

Éléments d'épistémologie

L'épistémologie (c'est-à-dire la réflexion sur la science) de Max Weber est d'une très grande sophistication et complexité. On ne rendra compte ici que de quelques-uns de ses éléments.

Les « sciences de la culture »

Weber est un représentant important de la tradition allemande dualiste et anti-positiviste à partir de laquelle s'est construite la sociologie allemande. À l'opposé de la tradition positiviste, dominante alors en France, pour qui il y a unité des méthodes scientifiques, la tradition allemande, dominée par l'herméneutique, s'est construite sur l'opposition entre les sciences de nature et les sciences de la culture, en insistant sur la spécificité de l'action humaine. Ainsi, alors que pour Durkheim la sociologie doit s'établir sur des méthodes propres, mais fondées sur les sciences de la nature, Weber pense que la sociologie, tout comme l'histoire ou l'économie politique, fait partie des « sciences de la culture ». Pour Weber, ces sciences sont trop éloignées des sciences de la nature pour qu'elles puissent s'inspirer de leurs méthodes.

Comme le note Raymond Aron, « les caractères originaux de ces sciences sont [pour Max Weber] au nombre de trois : elles sont compréhensives, elles sont historiques et elles portent sur la culture. » [4]

  • Les sciences de la culture sont compréhensives parce que les actions humaines sont constituées par les processus par lesquels les hommes donnent un sens subjectif au monde, et orientent leur activité en fonction de celui-ci. Pour rendre compte des actions humaines, il faut donc comprendre les intentions et les motifs subjectifs qui sont à leur origine (cf. infra, la compréhension comme méthode)
  • Les sciences de la culture sont, d'autre part, nécessairement historiques parce que le sens subjectif qui constitue les actions humaines est toujours structuré à partir d'une situation historique donnée.
  • Le fait que les sciences de la culture s'intéressent à la culture semble aller de soi. Ce que Weber veut dire, c'est que les actions humaines, étant des actions subjectives, se constituent dans le cadre d'un univers de sens plus vaste, c'est-à-dire d'une culture. Or, une culture se caractérise tout d'abord par l'affirmation d'un ensemble de valeurs.

« Jugements de valeurs » et « rapports aux valeurs » : la neutralité axiologique

Article détaillé : neutralité axiologique.

Ce dernier point pose un certain nombre de problèmes épistémologiques, sur lesquels Max Weber a apporté une réflexion décisive. Si les sciences sociales ont pour objet la culture, elles sont, par ailleurs, constituées elles-mêmes dans le cadre d'une culture, c'est-à-dire de valeurs. Dès lors, comment peuvent-elles échapper aux évaluations normatives, fondées sur des valeurs, sur leur objets et prétendre à l'objectivité ?

Pour surmonter ce problème, Weber opère la distinction entre « jugements de valeurs » et « rapports aux valeurs ». Alors que les premiers sont subjectifs et ne doivent pas avoir de place dans le travail scientifique (à l'exception du moment où le chercheur choisit son objet, en raison de la valeur qu'il lui accorde), le « rapport aux valeurs » signifie que l'analyse d'une réalité sociale doit tenir compte de la place occupée par les valeurs dans la société analysée, sans porter de jugement normatif sur celles-ci. L'activité scientifique n'est elle-même orientée par aucune valeur, à l'exception de celle de la vérité : c'est le concept de neutralité axiologique (Cf. cet article).

« L'idéal-type »

Article détaillé : idéal-type.

Le fait que les sciences sociales soient des sciences de la culture pose un autre problème fondamental : pour Max Weber, les sciences de la culture ont à faire face à l'infinité du flux historique ; le monde de la culture est constitué, pour lui, d'une infinité de faits et d'une multiplicité inextricable de causes. Toute analyse doit donc se fonder sur un travail préalable de purification du réel, par lequel le chercheur construit ses objets et ses catégories d'analyse en simplifiant et en systématisant les traits qui sont pour lui, en fonction de sa problématique, essentiels.

Max Weber introduit ainsi le concept d'idéal-type : par ce travail de grossissement et d'idéalisation des traits qui lui semblent fondamentaux, le chercheur construit des idéaux-types, grâce auxquels il pourra guider sa recherche. Ceux-ci forment des « tableaux de pensée homogène »[5], où l'on a rassemblé, en une définition cohérente, l'ensemble des traits, pas nécessairement les plus courants, mais les plus spécifiques et les plus distinctifs pour caractériser l'objet. En ce sens, l'idéal-type est toujours une « utopie » comme l'indique Weber [6] : mais c'est pour cela qu'il constitue un instrument d'intelligibilité fondamental. Son caractère utopique est ce qui permet de lire le réel, d'y repérer l'objet sous ses différentes formes empiriques, et de l'analyser en considérant son écart par rapport à son type-idéal.

La causalité

Article détaillé : Causalité.

Weber, posant la compréhension contre l'explication, qui prévaut dans les sciences dures, interroge les relations de causalité. Il dit qu'il n'y a jamais une seule cause à un phénomène donné, mais un ensemble de causes, dont, éventuellement, on ne peut jamais venir à bout. Le sociologue doit donc tenter d'isoler un certain nombre de causes, mais celles-ci ne relèvent pas de la causalité simple. Cette causalité est relativement proche[réf. nécessaire] de la notion de généalogie, développée par Nietzsche, et que reprendra Foucault. C'est-à-dire qu'il est plutôt question de conditionnement que de causalité au sens habituel. L'ouvrage dans lequel sa conception de la causalité est la plus sensible, c'est L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme. Les deux plus grandes erreurs communes de compréhension de cette œuvre sont, d'une part de croire qu'il s'agit du protestantisme et du capitalisme, et d'autre, part, que la causalité énoncée par Weber est : l'éthique protestante a causé le capitalisme, ou son esprit. Ces deux erreurs de compréhension ont donné lieu à de grands débats lors de la publication de l'ouvrage (controverse avec W. Sombart : rédaction des Anti critiques)[réf. nécessaire]. Concernant la seconde, on peut dire[réf. nécessaire] que l'éthique protestante (et principalement la traduction de la Bible par Luther, qui traduit le mot latin de travail, non pas par Arbeit, i.e. travail, mais par Beruf, i.e. métier) a conditionné dans une certaine mesure l'esprit du capitalisme ; autrement dit, que si l'on recherche la généalogie de l'esprit du capitalisme (Nietzsche dirait la morale du capitalisme), on trouverait dans la strate historique la plus récente, l'éthique du protestantisme. Par ailleurs, on remarque que Nietzsche est un des principaux précurseurs de Max Weber (de même que de Simmel), Weber tentant de développer certaines inspirations du philosophe dans le cadre de la science : la causalité et l'idéal-type, principalement.

La sociologie compréhensive

Définition de la sociologie

« Nous appelons sociologie une science qui se propose de comprendre par interprétation l'action sociale et par là d'expliquer causalement son déroulement et ses effets. »

— [7]

Telle est la définition de la sociologie que Weber propose dans les premières pages d'Économie et société. Par cette définition, il fait de la sociologie une science de l'action sociale, en opposition à l'approche holiste de Durkheim, pour qui la sociologie est science des faits sociaux.

La compréhension comme méthode

Pour Weber, le monde social est ainsi constitué par l'agrégation des actions produites par l'ensemble des agents qui le composent. L'unité de base de la sociologie est donc l'action sociale d'un agent. Cette approche individualiste se fonde sur la conviction que les sciences sociales (que Weber nomme « sciences de la culture ») diffèrent des sciences de la nature, en ce que l'homme est un être de conscience, qui agit en fonction de sa compréhension du monde, et des intentions qu'il a. Analyser le social, c'est donc partir de ces actions et des intentions qui les constituent. D'où la définition que Weber propose de l'action : « Nous entendrons par « action » un comportement humain quand et pour autant que l'agent lui communique un sens subjectif[8] »

Dans l'ensemble des comportements des hommes, la sociologie ne s'intéresse ainsi qu'à ceux qui sont le produit d'un sens subjectif (et qui sont les seuls à être qualifiables d'action).

Weber ajoute une nouvelle restriction : parmi ces actions construites par un sens, la sociologie ne prend en compte que les actions proprement sociales, c'est-à-dire les actions dont le sens est orienté vers autrui (vers d'autres acteurs sociaux, quels qu'ils soient). Ainsi, pour Weber, la collision accidentelle de deux cyclistes n'est pas une action sociale.

La sociologie doit donc être compréhensive, en ce qu'elle doit rechercher le sens, les motifs, des comportements humains, puisque ceux-ci sont constitutifs des actions dont il s'agit de rendre compte.

La seconde partie de la définition de la sociologie par Weber est souvent mise de côté. Elle est pourtant essentielle, et fait la spécificité de la sociologie compréhensive weberienne. Pour Weber, la sociologie n'est pas qu'une science de la compréhension, elle vise aussi à « expliquer le déroulement et les effets » de l'action. Qu'est-ce que cela signifie ? Premièrement, cela veut dire que pour Weber, il faut vérifier, en faisant ressortir des régularités objectives, que l'interprétation du sens d'une action que l'on propose est la bonne. D'autre part, une fois le sens de l'action expliqué, il faut ensuite mener une analyse causale des conséquences qu'a cette action. Or ces conséquences sont, pour Weber, le plus souvent non voulues, non conformes aux intentions de l'acteur. Ainsi, la croyance religieuse calviniste, qui refuse la jouissance des biens matériels, a conduit à la production massive de biens matériels au sein du système de production capitaliste [9].

Typologie des déterminants de l'action

Max Weber en 1917.

Weber, dans son analyse des motifs des actions, propose sa célèbre typologie des déterminants de l'action. Pour Weber, les actions sociales ressortissent à quatre types fondamentaux : l'action peut être a) traditionnelle b) affectuelle c) rationnelle en valeur ou, enfin, d) rationnelle en finalité.

L'action traditionnelle correspond aux types d'actions quasi « réflexes », « mécaniques » qui sont le produit de l'habitude, et où le sens et les motifs constitutifs de l'action ont, pour ainsi dire, disparu par répétition. Paradoxalement, Weber, qui fait du sens, au moins relativement conscient, le déterminant de l'action, indique que ce type d'action, où le sens a disparu, est le plus courant. L'action traditionnelle renvoie au "poids de l'éternel hier", ce qu'on fait parce qu'il en a toujours été ainsi.

L'action affectuelle est le type d'acte commis sous le coup d'une émotion, comme une gifle donnée sous le coup de la colère.

L'action rationnelle en valeur correspond aux actions par lesquelles un acteur cherche à accomplir une valeur. Cette valeur vaut, pour l'acteur, absolument : il ne se soucie pas des conséquences que peut avoir son action - seul lui importe l'accomplissement des exigences nées de la valeur qui est, pour lui, fondamentale. Un homme prêt à affronter un duel pour sauver son honneur, au prix possible de sa mort ; un capitaine de navire ne le quittant qu'en dernier lors d'un naufrage ; un chrétien prêt à se retirer de la vie dans un monastère ; sont autant d'exemples de ce type d'actions construites par la recherche de l'accomplissement d'une valeur. La spécificité de l'analyse de Weber est qu'il insiste sur le fait que si le but de ce type d'action (la valeur) est irrationnel, les moyens choisis par l'acteur ne le sont pas : c'est en cela que l'action est rationnelle en valeur.

Enfin, l'action rationnelle en finalité correspond aux types d'action où l'acteur détermine rationnellement à la fois les moyens et les buts de son action. Un chef d'entreprise efficace agit en fonction de ce type de rationalité, par exemple : il ne se soucie pas des conséquences morales de ses actes (licenciements, par exemple), seul lui importe l'efficacité, déterminée rationnellement, de ses actions. Elle est rationnelle aussi parce que pour l'acteur les moyens choisis sont les plus efficaces pour atteindre les buts qu'il se donne. Ainsi, s'il considère qu'il a plus de chances de réussir un examen en chantant une danse pour lui porter chance que de réviser ses cours, un candidat au dit examen agit rationnellement de ce point de vue. Le jugement de l'observateur n'entre pas en ligne de compte pour juger de la rationalité de l'action. C'est aussi en ce sens que la sociologie de Weber est dite compréhensive ; on se place du point de vue de l'acteur. Pour Weber, ce type d'action est le seul véritablement compréhensible.

La rationalisation

Max Weber et sa femme Marianne en 1893.

Weber accorde une grande importance au processus de rationalisation du monde. Pour lui, les principales civilisations du monde ont connu un processus de rationalisation, par lequel les actions et les représentations des hommes sont devenues plus systématiques et méthodiques. Toutefois, il lui semble que ce processus a connu une direction spécifique en Occident.

Pour Weber, le monde occidental se caractérise, en effet, par une rationalisation orientée vers l'action pratique dans le monde, c'est-à-dire par une volonté de contrôle et de domination systématique de la nature et des hommes. Au cœur de ce rationalisme de l'action pratique, se trouve le capitalisme moderne, c'est-à-dire le système économique apparu en Occident à la fin du Moyen-âge, qui constitue, pour Weber, l'organisation économique la plus puissante et la plus rationnelle (au sens de la rationalité en finalité) dans la production de biens matériels.

Toutefois, si le rationalisme économique est la puissance dominante au sein de ce processus de rationalisation, celui-ci affecte l'ensemble des sphères de l'action, à commencer par les actions sociales élémentaires. En effet, pour Weber, la rationalisation a pour conséquence le développement des actions de type rationnelle en finalité, où buts et moyens sont sélectionnés en fonction de leur seule efficacité -et non de leur contenu moral, par exemple. Cela tend à rendre les relations sociales à la fois impersonnelles, instrumentales et utilitaires : dans leurs relations, les acteurs ne se considèrent que comme des moyens impersonnels dans la poursuite de fins.

Fortement lié à ce processus de rationalisation, est le phénomène de désenchantement du monde : pour Weber, le monde occidental se caractérise par la disparition de la croyance en la magie et, plus largement, par l'effacement de la croyance dans l'action de Dieu dans le monde. Les événements du monde sont considérés comme le pur produit de forces physiques, dont la compréhension est, en principe, toujours accessible à l'homme. Le monde en vient ainsi à être considéré comme dépourvu de sens, étant un pur mécanisme physique sans intention. Le désenchantement du monde a comme effet une vacance du sens[10] : la signification fondamentale du monde, de l'existence, a disparu pour l'homme moderne.

Dans son analyse du processus de rationalisation de l'Occident moderne, Weber insiste sur le fait que la transformation des dispositions mentales, ou ethos, des acteurs a joué un rôle crucial. La rationalisation de l'action naît avant tout de la modification des principes d'action (notamment éthiques) gouvernant la conduite de vie des hommes (comme le rappelle la citation de l'« Avant-propos » supra). Ainsi, dans son analyse de la naissance du capitalisme, Weber fait peu de place à la modification des moyens de production (ce qui constitue l'analyse de Marx) : pour lui, le capitalisme est principalement né de l'apparition d'une nouvelle éthique économique, trouvant son origine dans la religion protestante.

Le capitalisme

Couverture de l'édition originale de L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme.

Pour Max Weber, le capitalisme moderne, c'est-à-dire le capitalisme d'entreprises fondées sur l'utilisation rationnelle du travail libre (du salariat), est apparu en Occident grâce à un ensemble de pré-conditions structurelles : en particulier, la présence d'une classe rationnelle constituée par la bourgeoisie libre de la ville médiévale a occupé une place essentielle. Toutefois, pour Weber (en cela il s'oppose à Marx), les principales causes de l'émergence du capitalisme sont davantage éthiques et psychologiques que techniques ou économiques. Il estime ainsi que ce qui a été décisif dans la diffusion du capitalisme fut l'apparition d'une nouvelle morale économique, que Weber nomme « esprit du capitalisme ». Dans ce nouvel ethos économique, la conduite de vie des acteurs est dirigée par le principe selon lequel la finalité de l'existence est le travail dans le cadre d'une profession : le travail devient une fin en soi. C'est une fois que les acteurs eurent incorporé cet habitus, ou « esprit », nouveau que le capitalisme a trouvé sa force d'expansion fondamentale. « Le problème majeur de l'expansion du capitalisme moderne n'est pas celui de l'origine du capital, c'est celui du développement de l'esprit du capitalisme[11]. »

Weber pense que l'origine de cet esprit se trouve dans l'ascèse du travail dans le monde qui a été au centre du protestantisme calviniste, et plus largement puritain. En effet, dans le puritanisme, le travail est la plus haute tâche que peut accomplir l'homme pour la gloire de Dieu et, surtout, le fidèle peut trouver dans sa réussite professionnelle la confirmation de son statut d'élu de Dieu. Weber estime que c'est dans la sécularisation de cette ascèse, en affinité élective avec l'« esprit du capitalisme », que le capitalisme a trouvé la force de vaincre le « monde de forces hostiles » qui s'opposait à lui.

Si les historiens de l'économie et les sociologues s'accordent sur la rupture intervenue au XVIe siècle avec les principes traditionnels de l'action économique telle que définie par la lecture thomiste d'Aristote, et reconnaissent l'apport des analyses de Weber[12], ses conclusions historiques furent rapidement contestées. Ainsi Werner Sombart a beaucoup insisté dès les années vingt sur l'influence juive, qui pouvait se manifester avec l'esprit de la Renaissance et la tolérance nouvelle à leur égard[13].

La sociologie de la religion

Dans L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, Confucianisme et taoïsme, Hindouisme et bouddhisme, Le judaïsme antique, Max Weber développe une véritable sociologie de la religion. Un recueil de textes sur ce thème, Sociologie des religions, a été publié par Gallimard en 1996.

Les trois principaux thèmes auxquels il s'intéresse sont la portée des idées religieuses sur les activités économiques, les rapports entre hiérarchies sociales et idées religieuses, et les caractéristiques spécifiques de la civilisation occidentale.

Son objectif était de trouver une explication aux évolutions différentes des cultures occidentales et orientales. Après ses recherches, Weber en vint à penser que les idées religieuses puritaines (et plus largement chrétiennes) avaient eu une portée considérable sur le développement du système économique en Europe et aux États-Unis, mais fit remarquer qu'elles n'avaient pas été les seules causes du développement. Les autres facteurs remarquables signalés par Weber sont le rationalisme de la recherche scientifique, les progrès conjoints des mathématiques, de l'enseignement universitaire et du droit, et l'esprit d'entreprise. Il conclut en écrivant que l'étude de la sociologie de la religion doit conduire à une meilleure compréhension d'un des principaux aspects de la civilisation occidentale, à savoir une certaine émancipation de l'explication magique du monde, un « désenchantement du monde » ; un chemin suivi entre autres par Marcel Gauchet, notamment dans Le désenchantement du monde (1986).

Œuvres

Selon l'ordre chronologique de leur édition en français :

Notes et références

  1. « Avant-propos » du Recueil d'études de sociologie des religions (1920), in Sociologie des religions, Gallimard, 1996, p. 503.
  2. Compte-rendu de l’intervention de Florence WEBER Histoire des usages français de Max Weber, 18 avril 2006
  3. R. Aron, Les étapes de la pensée sociologique, collection Tel, Gallimard, 1967, p. 562.
  4. Les Étapes de la pensée sociologique, Ibid, p. 504.
  5. Essais sur la théorie de la science, Pocket, 1992, p. 172-173.
  6. Ibid, p. 173.
  7. Économie et société, Pocket, 1995, p. 28.
  8. Ibid (traduction modifiée).
  9. Ce dernier point a inspiré la théorie des effets pervers de Raymond Boudon.
  10. «Le désenchantement du monde, ce n'est pas donc pas seulement la négation de l'interférence du surnaturel dans l'ici-bas, mais aussi : la vacance du sens», C. Colliot-Thélène, Max Weber et l'histoire, PUF, 1990, p. 66.
  11. L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme, Pocket, 1990, p. 71.
  12. Ainsi l'historien Pierre Chaunu écrit-il dans L'Aventure de la Réforme (Bruxelles, Complexe, 1991, p. 157) : « Qui contestera la thèse de Max Weber ? Qui niera que la carte de la Réforme décalque celle de la révolution industrielle, des hautes performances intellectuelles, des économies florissantes, des États de droit ? »
  13. Werner Sombart, Les juifs et l'activité économique, trad. Jankelevich, 1923, Payot depuis Die Juden und das Wirtschaftsleben (1911).

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

Les études de qualité sur Max Weber sont rares en langue française. On retiendra :

  • Raymond Aron, Les Étapes de la pensée sociologique, Gallimard, 1967.
    Le chapitre sur Weber a vieilli, mais demeure une référence historique.
  • Catherine Colliot-Thélène, Max Weber et l'histoire, PUF, 1990.
    Une lecture philosophique de Weber.
  • Catherine Colliot-Thélène, Etudes wébériennes, PUF, 2001
  • Catherine Colliot-Thélène, Sociologie de Max Weber,La Découverte, 2006
  • Annette Disselkamp, L'Ethique protestante de Max Weber, PUF, 1994.
  • Julien Freund, Sociologie de Max Weber, PUF, 1966.
  • Dirk Kaesler, Max Weber. Sa vie, son œuvre, son influence, Fayard, 1996.
    Offre un résumé systématique des œuvres de Weber, ainsi qu'une bibliographie complète.
  • Wilhelm Hennis, La Problématique de Max Weber, PUF, 1996 ISBN 2-13-046650-8
    L'ouvrage qui a rénové les études webériennes.

Liens externes

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