- Nouvel antisémitisme
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Le nouvel antisémitisme est le concept selon lequel une nouvelle forme d'antisémitisme se serait développée à la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle, émanant simultanément de la gauche, de la droite et de l'islam fondamentaliste, et tendant à se manifester comme une opposition au sionisme et à l'État d'Israël.Le concept postule généralement que la majorité de ce qui se prétend n'être qu'une critique d'Israël par les différents individus ou organisations mondiales est en fait une diabolisation et cela, couplé avec une résurgence des attaques contre les Juifs et les symboles juifs et une augmentation de l'acceptation des croyances antisémites dans les discours publics, représente une évolution dans l'apparence des croyances antisémites.
Les partisans de ce concept arguent que l'antisionisme, l'antiaméricanisme, l'antimondialisation, le tiers-mondisme et la diabolisation d'Israël, ou l'application de doubles standards pour juger de sa conduite, peut être considéré comme de l'antisémitisme ou constituer une forme déguisée d'antisémitisme[1].
Les critiques de ce concept arguent qu'il mélange antisionisme et antisémitisme, définit trop étroitement la critique légitime d'Israël et trop largement la diabolisation, trivialise la signification de l'antisémitisme, et exploite l'antisémitisme afin de faire taire le débat[2].
Sommaire
Historique du concept
Les années 1970: les premiers débats
En 1974, Arnold Forster et Benjamin Epstein de la Ligue antidiffamation publient un livre intitulé The New anti-Semitism, exprimant leurs inquiétudes en ce qui concerne ce qu'ils décrivent comme une nouvelle manifestation de l'antisémitisme, provenant de la gauche radicale, de la droite radicale et de personnalités pro-arabes aux États-Unis[3]. Forster et Epstein affirment qu'il prend la forme d'une indifférence aux craintes du peuple juif, d'une apathie en traitant des préjugés à l'encontre des Juifs et une incapacité à comprendre l'importance d'Israël pour la survie du peuple juif[4].
En analysant le travail de Forster et Epstein dans le magazine Commentary, Earl Raab soutient qu'un nouvel antisémitisme émerge réellement en Amérique, sous la forme d'une opposition aux droits collectifs du peuple juif, mais il critique Forster et Epstein pour l'avoir amalgamé avec la critique anti-israélienne[5]. Allan Brownfeld écrit que la nouvelle définition de l'antisémitisme donnée par Forster et Epstein banalise le concept en le transformant en « une forme de chantage politique » et en « une arme afin de faire taire toute forme de critique à l'égard d'Israël ou de la politique des États-Unis au Moyen-Orient[6], » tandis qu'Edward S. Shapiro, dans son A Time for Healing: American Jewry Since World War II, écrit que « Forster et Epstein sous-entendent que le nouvel antisémitisme montre l'incapacité des Gentils à estimer les Juifs et Israël[7]. »
Des années 1980 à nos jours: convergence politique
L'historien Robert Wistrich aborde la question en 1984 dans un exposé fait à la résidence du président d'Israël Chaim Herzog et affirme qu'un « nouvel antisionisme antisémite » est en train d'émerger, dont les caractéristiques distinctives sont l'identification du sionisme au nazisme et la croyance que les sionistes ont collaboré activement avec les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Il déclare que de telles accusations étaient courantes dans l'ancienne Union soviétique, mais ajoute que ce type de rhétorique serait maintenant utilisée par une partie de la gauche radicale, particulièrement par les groupes trotskistes en Europe de l'Ouest et en Amérique[8].
Arguments pour et contre le concept
Un nouveau phénomène
Jack Fischel, ancien titulaire de la chaire d'histoire à l'Université de Millersville en Pennsylvanie, écrit que le nouvel antisémitisme est un nouveau phénomène regroupant une coalition de « gauchistes bruyamment opposés à la politique d'Israël et d'antisémites d'extrême droite, partisans de la destruction d'Israël, qui ont été rejoints par des millions de Musulmans, y compris les Arabes qui ont immigré en Europe… et qui ont emporté avec eux leur haine d'Israël en particulier et des Juifs en général. C'est ce nouvel alignement politique qui rend unique ce nouvel antisémitisme[9]. » Mark Strauss dans le magazine Foreign Policy y relie l'antimondialisation, pointant le forum social de 2003 comme un « instantané de l'évolution du phénomène » décrit comme « un kaléidoscope de anciennes haines brisées puis réassorties en motifs aléatoires, à la fois familiers et étranges[10] »:
« C'est l'image médiévale du Juif assassin du Christ, ressuscitée dans les éditoriaux des journaux cosmopolites européens. Ce sont la Croix-Rouge et le Croissant-Rouge internationaux qui refusent de mettre l'Étoile de David sur leurs ambulances[11]. C'est le Zimbabwe et la Malaisie, pays quasiment dépourvus de Juifs, qui mettent en garde contre une conspiration juive pour contrôler les finances du monde. Ce sont les néonazis qui se parent du keffieh à damiers des Palestiniens et les Palestiniens qui font la queue pour acheter des copies de Mein Kampf[10]. »
Le philosophe français Pierre-André Taguieff estime que l'antisémitisme classique, basé sur le racisme et le nationalisme, a été remplacé par une nouvelle forme basée sur l'antiracisme et l'antinationalisme. Il identifie certaines de ses caractéristiques principales comme l'identification du sionisme au racisme ; l'utilisation d'arguments apparentés à la négation de la Shoah, tels que des doutes sur le nombre des victimes ou l'affirmation qu'il y a une « industrie de la Shoah » ; un discours emprunté au tiers-mondisme, à l'anti-impérialisme, à l'anticolonialisme, à l'antiaméricanisme et à l'antimondialisation ; et la dissémination de ce qu'il nomme le « mythe du "Palestinien intrinsèquement bon, la victime innocente par excellence"[12]. »
Selon Irwin Cotler, professeur de droit à McGill University, il n'existe aucun indice pour mesurer le nouvel antisémitisme.
Il affirme que l'antisémitisme classique est une discrimination contre les Juifs en tant qu'individus, et que le nouvel antisémitisme, par contre, est une « discrimination contre les Juifs en tant que peuple et son incarnation en Israël. Dans les deux cas, l'essence de l'antisémitisme est la même, une attaque contre ce qui est le cœur de l'autodéfinition juive à chaque époque. » Il est difficile de mesurer cet antisémitisme, car les indices utilisés par les gouvernements pour détecter des discriminations, dans la vie de tous les jours, dans l'habitation, la santé, l'éducation ou l'emploi, ne sont utiles que pour mesurer des discriminations contre des personnes. Ceci rend plus difficile à montrer que le concept est un concept valide[13].Un nouveau phénomène, mais non lié à l'antisémitisme
Qu'il y ait eu une résurgence des attaques et attitudes antisémites est accepté par certains des opposants au concept du « nouvel antisémitisme ». Ils doutent cependant qu'il s'agisse d'une différente sorte d'antisémitisme.
Brian Klug, maître de recherche en philosophie à St Benet's Hall, Université d'Oxford qui a donné un rapport d'expert en février 2006 à une commission d'enquête du parlement britannique sur l'antisémitisme dans le Royaume-Uni, et en novembre 2004 à une conférence sur l'antisémitisme au Bundestag allemand, ne pense pas qu'il y ait « un seul et unique phénomène » qui pourrait être appelé "nouvel" antisémitisme. Il reconnaît que les inquiétudes des communautés juives soient fondées, mais pense que ces manifestations sont imputables à l'antisémitisme classique[15] Pour lui, la création de ce concept est basée sur un argument circulaire ou une tautologie. Il considère que c'est un concept inutile car il dévalue le terme "antisémitisme", conduisant à un cynisme largement répandu sur son utilisation. Les gens compatissants qui soutiennent les Palestiniens se sentent accusés à tort d'antisémitisme[14].
Klug définit l'antisémitisme classique comme « un fantasme européen invétéré sur les Juifs en tant que Juifs, » définissant les Juifs, quelle que soit la façon dont ils sont vus (race, religion, ethnie, etc.), et quelle que soit l'origine idéologique de l'antisémitisme (de la droite ou de la gauche), comme « un peuple à part, non seulement par leurs coutumes mais par leur caractère collectif. Ils sont arrogants, secrets, rusés, essayant toujours de faire du profit. Loyaux seulement aux leurs, quel que soit l'endroit où ils vont, ils forment un état dans l'état, faisant leurs proies des sociétés parmi lesquelles ils résident. Mystérieusement puissants, ils contrôlent les banques et les médias. Ils vont même pousser les gouvernements à faire la guerre si cela est dans leur intérêt. Telle est l'image du Juif, transmise de génération en génération"[16] » :
« Quand l'antisémitisme est partout, il n'est nulle part. Et quand tout antisioniste est un antisémite, nous ne pouvons plus reconnaître le phénomène réel. Le concept d'antisémitisme perd de sa signification[15] »
Il souligne que, bien que le concept de nouvel antisémitisme continue à définir l'antisémitisme comme « une hostilité à l'égard des Juifs, en tant que Juifs, » la source de cette hostilité a changé et, qu'en conséquence, continuer à utiliser la même expression d'« antisémitisme » pour le décrire peut prêter à confusion.
L'hostilité envers les Juifs en tant que Juifs est de nos jours basée sur le conflit arabo-israélien, et non plus sur les anciens fantasmes européens. Israël se proclame lui-même comme l'Etat du peuple juif, et de nombreux Juifs s'alignent eux-mêmes sur Israël pour cette raison. Klug reconnaît qu'inclure, du fait de cet alignement, les Juifs en tant que Juifs dans cette hostilité, plutôt que l'hostilité envers les Israéliens ou les sionistes, est un préjugé, car c'est une généralisation concernant des individus ; néanmoins, ce préjugé n'est pas « enraciné dans l'idéologie du "Juif," » et par conséquent, c'est un phénomène différent de l'antisémitisme[14].L'opposition à Israël n'est pas nécessairement de l'antisémitisme
Earl Raab, directeur fondateur du Nathan Perlmutter Institute for Jewish Advocacy à l'université de Brandeis écrit qu'il existe bien une nouvelle vague d'antisémitisme dans le monde, et que la plupart des préjugés contre Israël sont guidés par cet antisémitisme, mais il insiste sur la distinction à faire entre antisémitisme et opinions anti-israéliennes, soulignant que des accusations d'antisémitisme basées sur des opinions anti-israéliennes manquent généralement de crédibilité. L'amalgame effectué entre antisémitisme et « anti-israélisme » résulte d'une « grave erreur de compréhension ... suggérant que si d'une façon ou d'une autre, nous arrivions à supprimer l'antisémitisme, nous supprimerions du même coup l'anti-israélisme. Ceci réduit les problèmes de préjugés envers Israël à des proportions de caricatures. »
Raab décrit les préjugés contre Israël comme une « sérieuse violation de la morale et du bon sens, » et confirme qu'ils sont souvent liés à l'antisémitisme, mais il le distingue de l'antisémitisme en tant que tel[17].Steven Zipperstein, professeur de culture et d'histoire juive à l'Université Stanford, estime que cette tendance à l'amalgame existe aussi chez les Juifs, qui ont une tendance à voir l'État d'Israël comme une victime, car ils étaient eux-mêmes jusqu'à très récemment les « victimes quintessencielles. » Zipperstein conclut qu'une croyance en la responsabilité de l'État d'Israël dans le conflit israélo-arabe est considérée comme faisant partie « de ce qu'une personne honnête, progressiste et raisonnablement informée pense[18]. »
Tariq Ali, un historien et militant politique pakistano-britannique, voit dans le concept de nouvel antisémitisme une tentative de corruption du langage dans l'intérêt de l'État d'Israël. Il écrit que la campagne contre le « supposé nouvel antisémitisme » en Europe, est un « stratagème cynique de la part du gouvernement israélien pour protéger l'état sioniste contre toute critique de sa brutalité régulière et constante à l'encontre des Palestiniens. » Il fait remarquer que la plupart des groupes pro-palestiniens et antisionistes qui sont apparus après la guerre des Six Jours, ont pris grand soin de maintenir la distinction entre antisionisme et antisémitisme[19].
La troisième vague
Pour l'historien Bernard Lewis, le « nouvel antisémitisme » représente la « troisième vague » ou « vague idéologique » de l'antisémitisme, les deux premières vagues étant l'antisémitisme religieux, qui s'est développé avec l'arrivée du christianisme en raison du rejet du Christ comme Messie par les Juifs, et l'antisémitisme racial, né en Espagne, dans le contexte des campagnes de conversions forcées de Juifs, suite auxquelles des doutes sur la sincérité des convertis ont conduit au nouveau concept de limpieza de sangre (pureté du sang[20]).
Selon Lewis, si l'antisémitisme est « un cas particulier de préjugés, de haine ou de persécutions dirigés contre des gens qui sont, d'une certaine façon, différents des autres, » il s'en distingue par deux caractéristiques : les Juifs sont jugés selon un standard différent de celui appliqué aux autres, et ils sont accusés de diablerie cosmique.
Il associe la « troisième vague » avec les Arabes, et écrit qu'elle s'est développée en partie en raison de l'établissement de l'État d'Israël. La forme occidentale de l'antisémitisme, que Lewis nomme la « version satanique et cosmique de la haine du Juif, » arrive au Moyen-Orient en plusieurs étapes. Elle commence avec l'arrivée des missionnaires chrétiens au XIXe siècle, et s'accompagne des premières accusations de crime rituel contre les Juifs, notamment lors de l'affaire de Damas. Elle grandit progressivement au XXe siècle jusqu'à l'avènement du Troisième Reich.
Cet antisémitisme s'amplifie encore avec l'humiliation consécutive aux défaites contre l'armée israélienne lors de la guerre israélo-arabe de 1948-1949, puis de la Guerre des Six Jours, en 1967[20].
Là-dessus s'est rajoutée l'action des Nations unies dont le traitement de la situation des réfugiés de 1948 a, selon Lewis, conforté le monde arabe dans ses préjugés et convaincu que la discrimination à l'égard des Juifs était acceptable : en effet, les Nations unies n'ont pas réagi lorsque l'ancienne communauté juive de Jérusalem-Est a été expulsée et que ses monuments désacralisés ou détruits, ni lorsque les réfugiés juifs ont fui ou été chassés des pays arabes. À l'inverse, des arrangements élaborés ont été effectués pour les Arabes chassés des territoires qui deviendront l'état d'Israël. Tous les gouvernements arabes impliqués dans le conflit annoncèrent qu'ils n'accepteraient dans leur pays aucun Israélien quelle que soit sa religion, et qu'ils ne donneraient pas de visas aux Juifs, quel que soit le pays dont ils sont citoyens. Lewis est sûr que le manque de protestation des Nations unies a envoyé un message clair au monde arabe[20].Lewis écrit que la troisième vague d'antisémitisme a en commun avec la première vague, que les Juifs peuvent s'y soustraire : de même qu'avec l'antisémitisme religieux, les Juifs pouvaient prendre leur distance avec le judaïsme et, pour certains, atteindre des postes élevés à l'intérieur de l'église et de l'Inquisition, ils peuvent, en se joignant aux critiques, y échapper, alors que leur condition était immuablement fixée par l'antisémitisme racial. Le nouvel antisémitisme permet aussi, d'après Lewis, aux non-Juifs de critiquer et d'attaquer les Juifs sans se sentir suspectés des crimes des nazis[20].
Antisémitisme, mais pas nouveau
Yehuda Bauer, professeur des études sur la Shoah à l'Université hébraïque de Jérusalem, considère que le concept de « nouvel antisémitisme » est faux : il s'agit d'une nouvelle crise d'antisémitisme ancien, resté latent et réapparu du fait du conflit israélo-palestinien. Il déclinerait donc grandement si un compromis était atteint concernant le conflit israélo-palestinien, mais ne disparaîtrait pas[21].
Dina Porat, professeur à l'Université de Tel-Aviv, estime, elle aussi, qu'il n'y a pas de nouvel antisémitisme, mais que l'on peut parler d'un antisémitisme dans une nouvelle enveloppe, apparue en Europe de l'Ouest depuis la seconde Intifada[21].
Un stratagème politique contradictoire
Pour Norman Finkelstein, le « nouvel antisémitisme » est un argument utilisé périodiquement depuis les années 1970 par des organisations telles que la Ligue antidiffamation « non pas pour combattre l'antisémitisme, mais plutôt pour exploiter la souffrance historique des Juifs dans le but d'immuniser Israël contre les critiques[22]. »
La plupart des témoignages présentés pour montrer un nouvel antisémitisme seraient uniquement le fait d'organisations liées d'une façon ou d'une autre à Israël, ainsi que celles qui ont « un intérêt à gonfler les faits antisémites, » et divers incidents survenus au cours des dernières années, ne se sont jamais produits ou ont été abusivement attribués à l'antisémitisme[24]. Il cite, comme exemple de tels abus, le rapport de 2003 de l'Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes qui inclut des images du drapeau palestinien, le support à l'OLP, et la comparaison entre Israël et l'Afrique du Sud du temps de l'apartheid dans sa liste d'activités et de croyances antisémites[25]. Il n'y aurait, en réalité, pas eu de montée significative de l'antisémitisme : « Que démontrent les preuves ? Des investigations sérieuses ont été menées. Tous les faits montrent qu'il n'y a pas de preuve du tout d'une montée d'un nouvel antisémitisme, que ce soit en Europe ou en Amérique du Nord. Les preuves sont inexistantes. Et en fait, il y a un nouveau livre sorti par un inconditionnel d'Israël. Son nom est Walter Laqueur, un très important chercheur. Le livre se nomme The Changing Face of Anti-Semitism (La face changeante de l'antisémitisme). Il est sorti en 2006, chez Oxford University Press. Il observe les preuves et dit : non. Il y a quelque antisémitisme en Europe parmi la communauté musulmane, mais la notion qui est au cœur de la société européenne ou de la société nord-américaine est que l'antisémitisme est absurde. Et en fait, une augmentation significative de l'antisémitisme est absurde"[26]. »
Il écrit que ce qui est appelé le nouvel antisémitisme consiste en trois composantes: (i) « exagération et fabrication ; » (ii) « fausse dénomination de la critique légitime de la politique israélienne ; » et (iii) « le débordement injustifié mais prévisible de la critique d'Israël aux Juifs en général[27]. » Il soutient que les apologistes d'Israël ont nié une relation causale entre la politique d'Israël et l'hostilité envers les Juifs, car « si la politique israélienne et son soutien par une majorité de Juifs conduit à une hostilité à l'égard des Juifs, cela signifierait qu'Israël et ses soutiens juifs seraient responsables eux-mêmes de l'antisémitisme[28]. »
Finkelstein demande pourquoi une occupation par un état juif autoproclamé ne causerait pas d'antipathie à l'égard des Juifs, étant donné que les guerres du Vietnam et d'Iraq ont contribué à un antiaméricanisme, et que l'agression de l'Allemagne nazie a conduit à des sentiments antigermaniques. La seule surprise, selon lui, est que cette antipathie ne soit pas allée plus loin, alors que la majorité des organisations juives apporte un soutien à l'État d'Israël dénué de critique, qu'Israël se définit lui-même juridiquement comme l'état souverain du peuple juif, et que les Juifs eux-mêmes soutiennent quelquefois que faire une distinction entre Israël et les communautés juives de par le monde est un exemple d'antisémitisme.
Il cite Phyllis Chesler qui pense d'un côté que « quelqu'un qui ne fait pas la différence entre les Juifs et l'État juif est un antisémite, » mais qui d'autre part affirme « qu'Israël est notre cœur et notre âme… nous sommes [de] la [même] famille[29], » ainsi que Gabriel Schoenfeld, l'éditeur du magazine Commentary, qui écrit que « les propagandistes antisémites iraniens se sont attachés à effacer toutes distinctions entre Israël, le sionisme et les Juifs[30], » et Hillel Halkin, qui soutient « qu'Israël est l'état des Juifs … diffamer Israël, c'est diffamer les Juifs[31]. »
Il semblerait qu'être antisémite, conclut Finkelstein, c'est « d'identifier et de ne pas identifier Israël avec les Juifs[32]. »Une redéfinition inappropriée
En septembre 2008, Antony Lerman, écrit dans le journal israélien Haaretz que le concept de "nouvel antisémitisme" a conduit à "un changement révolutionnaire dans les discussions sur l'antisémitisme". Il indique que la plupart des discussions contemporaines concernant l'antisémitisme se sont focalisées sur Israël et le sionisme, et que l'équation antisionisme égal antisémitisme est devenue pour beaucoup une "nouvelle orthodoxie". Il ajoute que cette redéfinition a souvent conduit à "des Juifs attaquant d'autres Juifs pour leur supposé antisionisme antisémite". Lerman accepte la "légitimité de principe" de la dénonciation d'un antisémitisme juif supposé, mais il ajoute que la littérature colossale dans ce domaine "dépasse tout entendement" ; les attaques sont souvent au vitriol, et incluent des points de vue qui ne sont pas forcément antisionistes.
Lerman soutient que cette redéfinition a eu des répercussions malencontreuses. Il écrit que les études sérieuses sur l'antisémitisme contemporain sont devenues "pratiquement inexistantes", et que le sujet est maintenant étudié et analysé principalement par "des gens manquant de compétences sérieuses sur le sujet, et dont le but principal est de condamner les critiques juives sur Israël et de promouvoir l'équation 'antisionisme = antisémitisme' ". Lerman conclut que cette redéfinition a servi en fin de compte à étouffer la discussion légitime, et qu'elle ne peut pas servir de base pour la lutte contre l'antisémitisme[33].
Peter Beaumont, dans The Observer, fait remarquer que les partisans du concept de "nouvel antisémitisme" ont essayé de mettre à profit les sentiments anti-Juif et les attaques de certains Musulmans européens pour faire taire toute opposition envers la politique du gouvernement israélien. "Critiquer Israël," écrit-il, "et vous êtes un antisémite, aussi sûrement que si vous jetiez de la peinture sur une synagogue de Paris"[34].
Perspectives internationales
Union européenne
L'Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (EUMC) (remplacé en 2007 par l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne) note un développement des incidents antisémites en France, Allemagne, le Royaume-Uni, la Belgique et les Pays-Bas entre juillet 2003 et décembre 2004[35]. En septembre 2004, la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance, une commission du Conseil de l'Europe, appelle tous ses membres à vérifier que leurs lois contre le racisme couvrent bien l'antisémitisme, et en 2005, l'EUMC propose une définition de l'antisémitisme afin de définir un standard à utiliser pour la collecte des données[36]: "L'antisémitisme est une certaine perception des Juifs, qui peut s'exprimer sous forme de haine à l'égard des Juifs. Les manifestations rhétoriques et physiques de l'antisémitisme sont dirigées contre des Juifs et des individus non-juifs et/ou leurs biens, vers les institutions communautaires et les établissements religieux juifs." Ce texte inclut à titre d'exemples :
- Dénier au peuple juif le droit à l'autodétermination, en déclarant que l'existence de l'État d'Israël est dans son principe raciste.
- Appliquer un double standard en exigeant d'Israël un comportement non prévu ou non demandé aux autres nations démocratiques.
- Utiliser des symboles et des images associés à l'antisémitisme classique (par exemple en proclamant que les Juifs ont tué le Christ ou en les accusant de meurtres rituels) pour caractériser Israël et les Israéliens.
- Faire des comparaisons entre la politique des Israéliens actuels et celle des nazis.
- Tenir les Juifs collectivement responsables de l'action de l'État d'Israël[37],[38].
L'EUMC ajoute que critiquer Israël ne peut pas être considéré comme de l'antisémitisme, tant que la critique est "identique à celle constatée contre d'autres nations"[37].
France
En 2004, le Ministre de l'Intérieur de l'époque, Dominique de Villepin a demandé un rapport sur le racisme et l'antisémitisme à Jean-Christophe Rufin, président d'Action contre la faim et ancien vice-président de Médecins sans frontières, dans lequel celui-ci récuse la perception que le nouvel antisémitisme en France ne provient uniquement que des immigrés d'Afrique du Nord et que de l'extrême droite[39],[40]. Dans son rapport daté d'octobre 2004, Rufin écrit que: "le nouvel antisémitisme apparaît plus hétérogène" et identifie ce qu'il appelle une nouvelle et "subtile" forme d'antisémitisme dans "l'antisionisme radical" tel qu'il est exprimé par les mouvements d'extrême gauche et d'antimondialisation, dans laquelle la critique des Juifs et d'Israël est utilisée comme prétexte pour "légitimer le conflit armé palestinien"[41],[42].
La question de l'existence d'un nouvel antisémitisme a été relancée en 2009 par Laurent Mucchielli, sociologue et directeur au CNRS, qui aurait mis en évidence une diminution dans le pays de l'anti-sémitisme sur une longue période, ce qui l'a amené à publier le « retour de l’antisémitisme : discours rituel au dîner annuel du CRIF. » Pour le sociologue, le pic d’actes antisémites effectivement constaté en janvier 2009 s’explique par une raison conjoncturelle : la guerre de Gaza. Ce phénomène avait déjà été observé lors de la deuxième Intifada en 2000. Selon M. Mucchielli, il n’y a pas d’augmentation tendancielle de l’antisémitisme en France, 90% des Français considérant en outre les juifs comme des Français comme les autres. Laurent Mucchielli dénonce en revanche « une incapacité [du CRIF à prendre ses distances avec l’État israélien, ce qui est le pendant et l’amplificateur de l’incapacité de nombreux Français maghrébins à distinguer la politique israélienne de la communauté juive en général. » [43]
Meïr Waintrater, représentant le CRIF, conteste cette étude, « qui est en fait un petit article publié sur plusieurs sites Internet, » en arguant que son auteur interprète les données de façon tendancieuse, en omettant les statistiques relatives aux agressions racistes et antisémites, lesquelles montrent une augmentation quantitative et qualitative à partir de l’an 2000. Il reproche en outre à Laurent Mucchielli « d'accuser les institutions juives de ne pas être capables de prendre leurs distances vis-à-vis de l’État israélien, cette incapacité expliquant selon lui, sans la justifier bien sûr, la montée des actes antijuifs. »[44]
Royaume-Uni
La commission d'enquête interpartis du Parlement britannique, sur l'antisémitisme au Royaume-Uni, a publié son rapport en septembre 2006. Elle a adopté la position exprimée par le rapport MacPherson après le meurtre en 1993 du jeune noir Stephen Lawrence, qu'un acte raciste est défini par sa victime, et que c'est la communauté juive qui est le mieux à même de déterminer ce qui est antisémite[45].
Le rapport indique que les activistes d'extrême gauche et les extrémistes musulmans utilisent la critique d'Israël comme "prétexte" pour l'antisémitisme[46], et que la "découverte la plus inquiétante" est que l'antisémitisme apparaît être en train de se banaliser[47]. Il constate que l'antisionisme peut devenir antisémite quand il adopte la position que le sionisme est "une force globale de puissance et de malveillance illimitées tout au long de l'histoire", une définition qui "ne prend pas en considération ce que pense la plupart des Juifs de ce concept: que c'est un mouvement de libération nationale juif.." Ayant redéfini le sionisme, la rapport affirme que, que les motifs traditionnels antisémites de "puissance de conspiration, de manipulation et de subversion juives" sont souvent transférés des Juifs sur le sionisme. Le rapport note que c'est là le "cœur du nouvel antisémitisme, sur lequel beaucoup de choses ont été écrites", ajoutant que l'antisionisme est devenu la lingua franca des mouvements antisémites"[48].
Lord Janner of Braunstone, ancien député travailliste d'origine juive, donne des témoignages concernant les remarques antisémites qui lui furent adressées au Parlement. Après l'arrestation de Saddam Hussein, une de ses pairs s'est approchée de lui et lui a dit: "Nous nous sommes débarrassés de Saddam Hussein. Les vôtres sont les suivants", et quand il lui demanda ce qu'elle entendait par "les vôtres", elle répondit: "Oui, vous ne pouvez pas en permanence continuer à tuer des Palestiniens, vous savez". Oona King, de mère juive et de père afro-américain, ancienne député travailliste de Bethnal Green and Bow, donne aussi comme témoignage que de nombreux électeurs lui ont dit qu'ils ne voteront pas pour elle car elle était financée par les services secret israéliens[49].
Israël
En novembre 2001, en réponse à une émission télévisée d'Abou Dabi présentant Ariel Sharon buvant du sang d'enfants palestiniens, le gouvernement israélien met en place le "Forum de coordination pour contrecarrer l'antisémitisme", dirigé par le rabbin Michaël Melchior, vice-ministre des affaires étrangères. Selon Melchior, "à chaque génération, l'antisémitisme essaie de cacher sa face hideuse derrière des déguisements variés, et la haine de l'État d'Israël est son déguisement actuel". Il ajoute que "la haine contre Israël a franchi la ligne rouge, passant de la critique au venin antisémite effréné, qui est une traduction précise de l'antisémitisme classique dont les conséquences passées sont toutes trop connues du monde entier"[50].
Organisation des Nations unies
De nombreux commentateurs confirment que l'Organisation des Nations unies (ONU) a bien condamné l'antisémitisme[51]. Lawrence Summers, à l'époque président de l'Université Harvard, écrit que la Conférence mondiale contre le racisme de l'ONU a omis de condamner les violations des droits de l'homme en Chine, au Rwanda ou partout dans le monde arabe, tout en se focalisant sur un présumé "nettoyage ethnique" ou "crimes contre l'humanité" d'Israël[52].
David Matas, avocat-conseil du B'nai B'rith Canada, soutient que l'ONU est un forum pour les antisémites, citant l'exemple du représentant palestinien à la Commission des droits de l'homme de l'ONU, qui affirma en 1997 que les docteurs israéliens avaient injecté aux enfants palestiniens le virus du SIDA[53]. Steve Chabot, membre du Congrès américain, a déclaré à la Chambre des représentants en 2005, que la commission a mis "plusieurs mois pour corriger dans son rapport une affirmation de l'ambassadeur de Syrie que les Juifs avaient tué des enfants non-juifs pour faire de la matza pour Pessa'h (la Pâque juive)"[54].
Anne Bayefsky, une spécialiste canadienne du droit, qui a interpellé l'ONU concernant le traitement d'Israël, indique que l'ONU a détourné le langage des droits de l'homme pour discriminer et diaboliser les Juifs. Elle écrit que plus d'un quart des résolutions condamnant des violations des droits de l'homme par un État, ont été dirigées contre Israël. "Mais il n'y a pas eu une seule résolution sur la répression, qui dure depuis des décennies, des droits civils et politiques de 1,3 milliard de gens en Chine, ou sur le million de femmes travailleuses migrantes en Arabie saoudite, gardées comme des esclaves virtuelles, ou sur le racisme virulent au Zimbabwe qui a conduit plus de 600 000 personnes au bord de la famine"[55].
En 2008, dans un rapport sur l'antisémitisme rédigé par le Département d'État des États-Unis et adressé au Congrès américain :
« Les motifs pour critiquer Israël à l'ONU peuvent provenir de préoccupations légitimes sur la politique ou de préjugés illégitimes. (…) Cependant, indépendamment du but, les critiques disproportionnées d'Israël sont barbares et sans scrupules et les mesure discriminatoires correspondantes adoptées par l'ONU contre Israël ont pour effet d'associer des particularités négatives aux Juifs en général, et donc d'alimenter l'antisémitisme[56]. »
États-Unis
Le Département d'État américain dans son rapport de 2004 sur le suivi de l'antisémitisme a identifié quatre sources de développement de l'antisémitisme, principalement en Europe:
- "Les préjugés anti-juifs traditionnels…qui comprend les ultranationalistes et d'autres groupes, qui pensent que la communauté juive contrôle les gouvernements, les médias, les sociétés internationales et le monde de la finance."
- "Le fort sentiment anti-israélien qui franchit la ligne entre la critique objective de la politique israélienne et l'antisémitisme."
- "Les sentiments anti-Juifs exprimés par certains dans la population musulmane en forte croissance en Europe, basés sur une antipathie de longue date à l'égard d'Israël ainsi que des Juifs, ainsi que sur l'opposition musulmane à la politique en Israël et dans les territoires occupés, et plus récemment en Iraq."
- "La critique des États-Unis et de la mondialisation qui englobe Israël et les Juifs qui sont identifiés aux deux."[35].
En juillet 2006, la Commission américaine des droits de l'homme a publié un rapport sur "l'antisémitisme sur les campus", qui déclare que "le sectarisme antisémite n'est pas moins déplorable moralement quand il est camouflé comme anti-israélien ou antisioniste"[57]. A cette époque, la Commission annonce aussi que l'antisémitisme est un "sérieux problème" sur de nombreux campus d'un bout à l'autre des États-Unis[58]
En septembre 2006, l'Université Yale annonce qu'elle vient de créer le Yale Initiative for Interdisciplinary Study of Antisemitism, (YIISA)[59], le premier institut en Amérique du Nord, situé dans une université et dédié à l'étude de l'antisémitisme. Charles Small, directeur de l'institut, a mentionné dans un communiqué de presse que l'antisémitisme "se remanifeste de nouveau internationalement d'une manière que de nombreux chercheurs et décideurs politiques prennent très au sérieux… D'une façon croissante, les communautés juives de par le monde se sentent menacées. C'est presque comme retourner au labo. Je pense que nous devons comprendre la manifestation actuelle de cette maladie"[60]. YIISA a organisé plusieurs séminaires et publié plusieurs documents sur le sujet, par exemple: "Le débat académique et publique sur la signification du 'Nouvel antisémitisme' ".
Voir aussi
- Antisémitisme
- Antisémitisme en France
- Antijudaïsme
- Antisionisme
- Judéophobie
- Racisme
- Xénophobie
- Progressive Jewish Thought and the New Anti-Semitism (essai d'Alvin H.Rosenfeld)
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(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article en anglais intitulé « New antisemitism » (voir la liste des auteurs)
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