- Nombre normal
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Pour l’article homonyme, voir nombre normal (informatique) (en), i.e. nombre qui est dans un intervalle normal de format en virgule flottante.
En mathématiques, un nombre normal est un nombre réel tel que la fréquence d'apparition de tout n-uplet dans la suite de ses « décimales » dans toute base est équirépartie[1].
Sommaire
Définition
Supposons B un ensemble fini de cardinal b>1 et x un nombre réel. Si s est une suite finie de chiffres en base B, nous écrivons N(s,n) pour le nombre d'apparitions de la suite s parmi les n premiers chiffres de x. Le nombre x est appelé normal en base B si
Le nombre x est dit nombre normal (ou quelquefois nombre absolument normal) s'il est normal dans toute base. S'il n'est normal qu'en base b, on dit que c'est un nombre normal en base b.
Théorème du nombre normal
Le concept de nombre normal fut introduit par Émile Borel en 1909. En utilisant le lemme de Borel-Cantelli, il démontra le théorème du nombre normal: presque tous les nombres réels sont normaux, dans le sens où l'ensemble des nombres non-normaux est de mesure nulle (pour la mesure de Lebesgue).
Théorème — Dans , presque tout nombre (au sens de la mesure de Lebesgue) est normal en toute base.
DémonstrationSoit ω un nombre appartenant à l'intervalle [0,1[ et soit b un entier supérieur ou égal à 2. Notons Alors ω possède un unique développement propre en base b : il existe une unique écriture de ω sous la forme :
tel que, pour tout n, et tel que la suite ne se termine pas par une suite infinie de chiffres b-1. On se donne un "mot"[2] et on s'intéresse à la fréquence d'apparition de ce mot dans la suite des n premiers chiffres du développement de ω en base b.
On se place sur l'espace probabilisé où où désigne la tribu borélienne de et où est la mesure de Lebesgue restreinte à Alors, sous la famille est une famille de variables aléatoires uniformes sur A et indépendantes, c'est-à-dire que, pour toute partie finie B de
Dans le cas particulier d'un mot m de longueur 1, i.e. si m est simplement un chiffre de A, les variables aléatoires
sont des variables de Bernoulli indépendantes de paramètre 1/b, et, en vertu de la loi forte des grands nombres, la fréquence d'apparition de m dans la suite des n premiers chiffres du développement de ω :
vérifie :
Ainsi presque tout élément ω de Ω=[0,1[ est simplement normal en base b. Le cas des mots de longueur 1 est plus simple que le cas général. Examinons le cas d'un mot m=(m1,m2) de longueur 2 dans A2 , qui capture déjà toute la difficulté du cas général : la fréquence de m est encore définie par
pour des variables aléatoires
qui sont encore des variables de Bernoulli, cette fois de paramètre 1/b2. Cependant, ces nouvelles variables de Bernoulli ne sont pas indépendantes :
Il reste qu'en vertu du lemme de regroupement, les familles et sont deux familles de variables de Bernoulli indépendantes. Posons
et considérons les ensembles
Ainsi, il découle de la loi forte des grands nombres que les deux ensembles et ont une mesure de Lebesgue égale à 1. Comme
la convergence de vers une limite l implique successivement la convergence de puis la convergence de vers cette même limite l. On voit par ailleurs que
Tout cela combiné entraîne que si alors , ou bien encore :
En vertu de l'inégalité de Boole, donc
Pour un mot m de longueur k strictement supérieure à 2, le raisonnement est très analogue, faisant intervenir des variables de Bernoulli :
de paramètre 1/bk , non indépendantes, mais telles que les familles sont des familles de variables de Bernoulli indépendantes, ceci pour On définit alors, pour des sous ensembles de [0,1[, où les moyennes des termes de la famille convergent, qui sont, comme précédemment, de mesure 1 en vertu de la loi forte des grands nombres, et pour lesquels une inclusion
est encore vérifiée. On conclut alors, à nouveau, que
Comme le langage[2] (i.e. l'ensemble des mots finis m écrits à l'aide de l'alphabet à b symboles A) est un ensemble dénombrable, et comme l'ensemble des nombres réels normaux en base b appartenant à [0,1[ s'écrit :
on en déduit[3] que :
puis que :
Ainsi, presque sûrement (au sens de la mesure de Lebesgue), tout nombre est normal. Propriétés et exemples
Le théorème des nombres normaux établit l'existence des nombres normaux, mais n'en construit explicitement aucun : on parle de démonstration non constructive. Wacław Sierpiński[4] fut le premier à donner un exemple de nombre normal.
L'ensemble des nombres non-normaux n'est pas dénombrable. En effet, il y a une quantité non dénombrable de réels qui ne contiennent pas le chiffre 5 dans leur expansion décimale, et aucun de ceux-ci n'est normal.
Le nombre de Champernowne , qui contient dans son développement décimal la concaténation de tous les nombres naturels est normal en base 10, mais il n'est pas démontré qu'il le soit dans les autres bases.
La constante de Copeland-Erdős , obtenue en concatenant les nombres premiers est connue comme étant un nombre normal en base 10.
Un nombre peut tout à fait être normal dans une base mais pas dans une autre, par exemple
est normal en base 2[5] mais pas en base 6[6].
Aucun nombre rationnel n'est normal dans aucune base, puisque la suite de chiffres dans le développement des nombres rationnels est périodique à partir d'un certain rang. Wacław Sierpiński a fourni la première construction explicite d'un nombre normal en 1917. Un nombre normal calculable fut construit par Verónica Becher et Santiago Figueira ; un exemple de nombre normal non-calculable est donné par la constante de Chaitin .Il est extrêmement difficile de démontrer la normalité de nombres pourtant simples. Par exemple, on ne sait pas si √2, , ln(2) ou e sont normaux (mais tous sont conjecturés comme normaux, conformément aux expériences). Nous ne savons même pas démontrer qu'un chiffre donné apparait infiniment souvent dans le développement décimal de ces constantes. David Bailey et Richard Crandall ont conjecturé en 2001 que tout nombre algébrique irrationnel est normal ; bien qu'aucun contre-exemple ne soit connu, on ne connait pas non plus de nombre algébrique qui soit normal dans une base.
Tout nombre aléatoire est bien entendu normal. Par ailleurs, tout nombre normal est aussi un nombre univers, bien que la réciproque soit fausse.
Note et références
Note
- Jean-Paul Delahaye, "Le fascinant nombre Pi", Belin, Pour la science (ISBN 9782842418250)
- (en) M. Lothaire, Combinatorics on Words, Addison–Wesley, coll. « Encyclopedia of Mathematics and its Applications », 1983 (réimpr. 1997), 260 p., pour le vocabulaire et les notations de la théorie des langages. À ce propos, les mêmes raisonnements conduisent Émile Borel, en 1913, à soulever le paradoxe du singe savant, qui a connu une certaine fortune dans l'imagination populaire : l'anecdote mise à part, il s'agit d'étudier le nombre d'occurrences d'un mot très long dans une séquence infinie de caractères aléatoires indépendants, tirés d'un alphabet A fini. Voir Émile Borel, « Mécanique Statistique et Irréversibilité », dans J. Phys. 5e série, vol. 3, 1913, p. 189–196. Voir
- Inégalité de Boole". Car l'intersection dénombrable d'évenements de probabilités 1 est encore un événement de probabilité 1, voir la page "
- W.Sierpinski, Démonstration élémentaire du théorème de M.Borel sur les nombres absolument normaux et détermination effective d'un tel nombre, Bulletin de la Société Mathématique de France Tome 45, p.125-132, 1917.
- http://www.ams.org/journals/proc/2006-134-09/S0002-9939-06-08551-0/S0002-9939-06-08551-0.pdf%7C Démonstration de la normalité de α en base 2
- A non-normality result, D.H Bailey, September 12 2007
Références
- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Normal number » (voir la liste des auteurs)
- (en) David H. Bailey (en) et Richard Crandall (en), « On the Random Character of Fundamental Constant Expansions », Experimental Mathematics 10 (2001), 175-190
- (en) V. Becher et S. Figueira, An example of a computable absolutely normal number », Theoretical Computer Science 270 (2002), 947-958
- É. Borel, « Les probabilités dénombrables et leurs applications arithmétiques », Rend. Circ. Mat. Palermo 27 (1909), 247-271
- (en) D. G. Champernowne, « The Construction of Decimals Normal in the Scale of Ten », Journal of the London Mathematical Society 8 (1933), 254-260
- W. Sierpiński, « Démonstration élémentaire d'un théorème de M. Borel sur les nombres absolument normaux et détermination effective d'un tel nombre », Bull. SMF 45 (1917), 125-144
Voir aussi
Catégories :- Propriété décimale
- Approximation diophantienne
- Théorie analytique des nombres
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