Alexsandre Suvorov

Alexsandre Suvorov

Alexandre Souvorov

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Alexandre Souvorov
Alexandre Souvorov
Naissance 24 novembre 1729
Moscou
Décès 18 mai 1800 71 ans)
Saint-Pétersbourg
Origine Russe
Allégeance Flag of Russia.svg Empire russe
Grade Feld-maréchal
Conflits Guerre de Sept ans
Guerre russo-turque de 1768-1774
Guerre russo-turque de 1787-1792
Guerres de la Révolution française
Faits d’armes Bataille de Praga
Bataille de Cassano
Bataille de la Trebbia
Bataille de Novi
Distinctions Ordre de Saint-Alexandre Nevski
Grand'croix de l'Ordre de Saint-Vladimir
Comte d'Otchakov et de Rymnicki

Alexandre Vassilievitch Souvorov (Suwarow ou Souwarow Rimniski ou Rimnitskoï) (Алекса́ндр Васи́льевич Суво́ров) (né le 24 novembre 1729 à Moscou, mort le 18 mai 1800 à Saint-Pétersbourg), est un militaire russe de l'époque de Catherine II et de Paul Ier qui n'a perdu aucune bataille.

Sommaire

Formation militaire

Né d'une famille noble venant de Novgorod, fils d'un officier supérieur distingué, il fut élevé à l'école des Cadets de Saint-Pétersbourg. Entré au service à l'âge de 13 ans, après avoir passé par tous les grades inférieurs, il est colonel à 32 ans.

Il sert d'abord en Finlande contre les Suédois puis se distingue contre les troupes prussiennes durant la Guerre de Sept Ans. En 1759, il participe à la bataille de Kunersdorf, où les Russes remportent une grande victoire contre Frédéric II de Prusse. Souvorov y démontre son courage et son opiniâtreté. En 1762, il devient colonel.

En 1768, il sert en Pologne à l'occasion de la guerre de la Confédération de Bar. Ses troupes dispersent les forces polonaises et s'emparent de Cracovie. Les campagnes de 1769 à 1772, qui précédent le premier démembrement de la Pologne, lui valent le grade de général major et la décoration de l'ordre d'Alexandre Newski.

Le général

En 1773, Souvorov est envoyé en Crimée où la guerre contre les Turcs sévit depuis 1768. Il s'y bâtit une réputation d'invincibilité en écrasant l'armée tatare à Kozludji.

Rappelé en Prusse, après la guerre de Pologne, dans laquelle les confédérés polonais luttent contre l'envahisseur russe, Souvorov contribue à la défaite de l'armée d'Iemelian Pougatchev, qui avait soulevé des peuplades de Cosaques et de Tartares, dévasté et soumis une vaste étendue de pays, et qui, secondé par les moines et les mécontents de l'intérieur, se flattait déjà de placer sur sa tête la couronne sanglante de Pierre III, dont il avait pris le nom.

Arrivé dans la région du Don, il s'empare du chef cosaque rebelle que des traîtres lui ont livré pour la somme de 100,000 roubles. Il est le premier à l'interroger puis le ramène dans une cage à Moscou où il sera décapité.

De 1777 à 1783, Souvorov continue à se distinguer en Crimée et dans le Caucase. Il soumet entre autres une révolte de tribus caucasiennes en 1780.

Lieutenant général après la victoire remportée sur les Turcs, sous les murs de Silistrie, il soumit, en 1783, les Tartares de Kuban et Badzinck, et leur fit prêter serment de fidélité à sa souveraine.

Ses exploits le font monter en grade. Il est promu lieutenant général en 1780 et général d'infanterie en 1783, il fut récompensé par la grand'croix de l'Ordre de Saint-Vladimir et par le portrait de Catherine II de Russie, que l'impératrice lui envoya enrichi de diamants[1]. Il était courtisan, il l'était à sa manière[2].

Guerre contre la Turquie

Timbre de l'Union soviétique, Alexandre Souvorov, 1980 (Michel 5009, Scott 4878)

En 1787, suite à l'annexion de la Crimée par les Russes, la Turquie déclare la guerre à la Russie. Catherine II veut d'abord s'emparer d'Otchakov, qui contrôle l'embouchure du Dniepr. C'est Souvorov qui y est envoyé. Le général vainc d'abord ses adversaires à Kinburn. Puis il assiège Otchakov dont il s'empare en 1788.

Il franchit ensuite le Prout, battant les Turcs successivement à Fokchany et à la rivière Rymnick. Par la suite, il sera nommé comte d'Otchakov et comte de Rymnicki.

Après les victoires remportées par les Russes et les Autrichiens réunis, pendant les années 1788 et 1789, après la défaite de 10 000 Russes sur les bords de la rivière Rymnick, une place importante résistait, c'était Izmail, la plus importante forteresse turque sur le Danube et l'une des plus importantes d'Europe[3].

En 1790, Souvorov assiège Izmail[4]. Le 7 décembre, il donne un ultimatum de 24 heures aux assiégés sinon ce sera l'assaut et la mort. Les Turcs refusent de se rendre; Souvorov la prend d'assaut[5]. Pendant trois jours, il laisse ses soldats massacrer les civils de la ville. [6]

Le traité de Iassy de 1792 donne aux Russes tout le littoral de la mer Noire entre Azov et le Kouban, comprenant les embouchures du Dniestr et du Bug.

La campagne de Pologne

Après la paix russo-turque, Souvorov est de nouveau transféré en Pologne où vient d'éclater une insurrection menée par Tadeusz Kosciuszko. Chargé par Catherine II de l'écraser, il s'y engage avec ardeur. Souvorov avait donné à Ismaïl une preuve d'obéissance qui devait le faire préférer à tous les généraux russes pour cette mission. Ce fut lui, en effet, qui fut chargé d'entrer dans ce pays, avec un nombreux corps d'armée, pour seconder les opérations du général de Fersen, qui venait déjà d'accabler, par ses forces supérieures, la petite armée polonaise.

Il remporte d'abord la bataille de Maciejowice où il réussit à faire prisonnier Kosciuszko lui-même. Sa faible troupe était vaincue et dispersée. Souvorov n'était par chargé de vaincre, mais d'anéantir.

Attaquant, avec sa fougue ordinaire, tous les corps polonais qui tenaient la campagne, il marcha droit, sur Varsovie qu'il encercle. Le 4 novembre 1794, une foule de citoyens tente de lui résister dans le faubourg de Praga. L'assaut est donné, l'armée russe marche sur sept colonnes, s'empare, dès la première attaque, des fortifications qu'une artillerie insuffisante défendait et sur ordre de Catherine II de Russie, massacre près de 9 000 citoyens[7].

Article détaillé : bataille de Praga.

Après la prise de la ville[8], la tsarine le nomme feld-maréchal. Il commande Varsovie jusqu'à sa rentrée à Saint-Pétersbourg en 1795.

La disgrâce

Malheureusement pour Souvorov, sa souveraine, pour laquelle il professait un véritable culte, meurt d'une attaque d'apoplexie foudroyante : il la regrettera amèrement pendant les dernières années de sa vie. Le 17 novembre 1796, Paul Ier succède à Catherine II.

Paul Ier, commença son règne par faire des innovations dans le système militaire, qui déplurent à toute l'armée[9] et particulièrement à Souvorov.[10] Voulant se débarrasser des familiers de sa mère, il renvoie Souvorov [11]qui tombe en semi-disgrâce.

Le général profite de sa retraite pour publier un livre, L'art de la victoire, contenant ses idées sur la guerre. Il était disgracié et exilé dans ses terres.

La campagne d'Italie

Statue de Suvorov à Tiraspol, capitale de la Transnistrie

En 1798, la Russie, alliée à la Grande-Bretagne et à l'Autriche, soutenus par la Turquie, déclare la guerre à la France. Paul Ier rappelle Souvorov[12], à la demande expresse de François Ier d'Autriche. Celui-ci voudrait le voir commander les troupes qui assureront la reconquête de l'Italie, dont Napoléon Bonaparte vient de s'emparer.[13]

Le 18 avril 1799, il prit le commandement en chef des armées combinées austro-russes.[14] À la tête d'une armée russo-autrichienne, Souvorov entre donc en Italie au printemps 1799.[15].

Article détaillé : Campagne d'Italie (1799-1800).

A l'automne, Souvorov passe le col du Saint-Gothard afin de soutenir le général Korsakov qui s'apprête à envahir la France. Mais Korsakov, mal soutenu par les Autrichiens jaloux des succès de Souvorov, s'est fait battre le 25 septembre par les troupes du général André Masséna à la bataille de Zurich. Les Russes sont alors obligés de se replier vers le Vorarlberg[16].

Choqué, Paul Ier dissout l'alliance et rappelle Souvorov. C'est alors que le feld-maréchal se décida à abandonner les Autrichiens à eux-mêmes et à ramener à son souverain les faibles restes de l'armée confiée à son commandement. Mais la retraite sur Lindau présentait de sérieuses difficultés [17]

Après des peines et des fatigues inouïes, Souvorov parvint en Allemagne avec les restes d'une armée naguère brillante et victorieuse.

En apprenant la retraite du feld-maréchal, Paul Ier approuva sa conduite, il annonça hautement l'intention de célébrer ses victoires en Italie en faisant entrer Souvorov à Saint-Pétersbourg sous un arc de triomphe ; mais tout à coup les dispositions de l'Empereur changèrent, et au lieu d'une entrée triomphale, le tsar, jaloux de sa popularité, a annulé la cérémonie. Il lui fait même l'injure de le dégrader.

Souvorov, après avoir séjourné, pendant le mois de janvier de l'année 1800, à Prague où il eut plusieurs conférences avec le général autrichien Bellegarde et l'ambassadeur britannique Spencer Smith, et où il célébra le mariage de son fils avec une princesse de Courlande, continua de rouler vers Saint-Pétersbourg, d'après les ordres précis de Paul Ier, déterminé à rompre avec la coalition qu'il accusait de l'avoir trahi et qui s'indignait de voir un feld-maréchal russe en rapport avec un diplomate anglais, quand lui, empereur, renvoyait au cabinet britannique, percée de son épée, la dépêche par laquelle on lui refusait la souveraineté promise de l'île de Malte.

Au lieu des honneurs qu'il attendait et qui lui étaient dus, Souvorov trouva un ordre d'exil ; ce fut secrètement et de nuit qu'il entra dans la capitale de l'Empereur, et il ne fit que traverser Pétersbourg pour aller chercher un asile auprès d'une de ses nièces. [18] Forcé de s'éloigner, le vieux guerrier, accablé de chagrin, se retira dans sa terre de Pollendorff dans le gouvernement d'Estland, où il ne languit que peu de temps ; tombé dangereusement malade, il fut bientôt aux portes du tombeau.

L'empereur, se repentant alors de sa conduite injuste et cruelle envers un homme qui avait couvert de gloire les armées russes, l'envoya visiter par ses deux fils, Alexandre, depuis empereur, et Constantin, qui avait partagé avec le feld-maréchal une partie des dangers de la dernière campagne. [19]

C'est dans la quasi-pauvreté que l'un des plus grands généraux de son temps décède le 18 mai 1800.

Notoriété

Le monument dédié à Alexsandre Suvorov, dans les Alpes suisses

Après la mort de Paul Ier, Alexandre Souvorov est vite reconnu par la Russie entière comme un grand héros et le plus grand génie militaire de l'histoire du pays. Au XIXe siècle comme au XXe siècle, il sera une source d'inspiration pour tous les généraux.

Un musée militaire à son nom est ouvert en 1908 à Saint-Pétersbourg. Des monuments lui sont érigés à Saint-Pétersbourg, Otchakov, Izmaïl, Ladoga, Kherse, Simferopol, Kaliningrad, Rymnick et dans les Alpes suisses. Le 29 juillet 1942, Le Présidium du Soviet Suprême crée l'Ordre de Souvorov afin de récompenser le succès d'actions offensives contre des forces supérieures ennemies. Le premier récipiendaire est le maréchal Georgui Joukov. Un cuirassé de la Marine impériale de Russie porta le nom de Knyaz Souvorov en l'honneur du général.

La Transnistrie lui a rendu hommage en le représentant sur plusieurs de ses billets.

Vie

La vie de Souvorov était austère et dure[20].

A Vérone, il refusa l'appartement qu'on lui avait préparé et en choisit un autre beaucoup plus simple, dont il fit enlever les glaces comme un objet de luxe qui blessait ses yeux[21]. Il ne portait son uniforme que dans les occasions où il s'agissait de faire respecter en lui le général des armées de son souverain ; dans toutes les autres, ou le trouvait vêtu de toile, ou dans les plus grands froids, d'une touloupe (pelisse commune) en peau de mouton. Mais, par un contraste frappant, quand, dans les jours d'apparat, il quittait sa peau de mouton, pour le grand uniforme de feld-maréchal, il se chargeait d'ornements, de tous ses cordons, de ses plaques en diamants et décorations de toute espèce, attachait à son chapeau une aigrette en brillants qui lui avait été donnée par Catherine, et à son cou le portrait de cette princesse.

Souvorov possédait un assez grand fond d'instruction et parlait avec facilité plusieurs langues, mais il se refusait aux longues écritures diplomatiques et politiques. « La plume sied mal, disait-il, dans la main d'un soldat. » On s'occupait à la cour de l'originalité de caractère de Souvorov, de sa manière de vivre, de la singularité de son langage et de la rudesse de ses mœurs. Sa mise aussi prêtait aux sarcasmes des courtisans qui ne l'aimaient pas[22]. Les soldats adoraient un chef qui partageait toutes leurs fatigues, qui vivait au milieu d'eux sans faste, sans recherche et aussi simplement qu'eux-mêmes. Connaissant tout l'empire de la religion, de la superstition même sur les soldats russes, il obligeait les officiers à réciter le soir, après la retraite, des prières publiques devant leurs troupes[23]. Aussi actif qu'audacieux, il possédait au suprême degré l'art d'exalter l'enthousiasme du soldat et de l'attacher à sa destinée.

Minutieux et sévère dans le service, il voulait, avec raison, que la discipline fût rigoureuse et que l'obéissance envers le chef fût exacte et absolue[24].

Souvorov avait une fortune immense, mais on n'eut à lui reprocher aucune déprédation ; tout ce qu'il possédait lui avait été donné par Catherine[25].

L'Empereur Alexandre, aussitôt son avènement au trône, rendit à Souvorov la justice que Paul Ier, son père, lui avait refusée. Il lui fit élever une statue, et tous les anciens compagnons d'armes du feld-maréchal furent appelés à l'inauguration de ce monument. Le grand duc Constantin, qui participait un peu de la nature de Souvorov, prononça publiquement, en présence des troupes assemblées, l'éloge du vieux guerrier ; tous les corps de l'armée, en défilant devant la statue, lui rendirent les honneurs militaires que le feld-maréchal recevait de son vivant.

Marié assez jeune, Souvorov avait aimé sa femme à l'idolâtrie : elle exerçait sur lui un empire absolu. Sa faiblesse pour son fils était également extrême[26].

Personnalité exceptionnelle, adulé par ses soldats, admiré par les grands capitaines de son temps, ce petit homme (il mesure à peine 1 m 60) n'a jamais subi de défaite de toute sa carrière. Tacticien hors pair, il remporta la plupart de ses batailles parfois avec des effectifs inférieurs en nombre à ceux de ses adversaires, jouant sur l'audace, la rapidité, la mobilité, et surtout cherchant à inculquer à ses hommes une éducation militaire faite d'esprit d'initiative et de responsabilisation, au rebours de l'éducation militaire prussienne, brutale, rigide et lourde de l'armée de Frédéric II (toujours battu par Souvorov), considérée pourtant à l'époque comme un modèle d'efficacité. Son génie militaire, étayé par un palmarès de victoires sans précédent dans l'histoire militaire, en fait un égal d'Alexandre ou de César.

Notes et références

  1. Il porta toujours depuis ce portrait quand il quittait la pelisse de peau de mouton qui formait son vêtement à l'armée.
  2. Il avait compris qu'un dévouement sans bornes, d'importants services ne suffiraient pas pour le faire distinguer de Catherine ; il voulut se singulariser par des bizarreries propres à frapper l'imagination d'une souveraine blasée sur tout. Souvorov avait deviné Catherine, comme il avait deviné le soldat russe, l'impératrice le préférait à tout parce qu'il ne ressemblait à personne.
  3. Pendant sept mois le général Gudowitsch l'avait vainement assiégée. Le favori Potemkine, accoutumé à faire tout fléchir sous ses volontés, dans les camps comme à la cour, et indigné d'un échec qu'il crut porté à sa gloire comme généralissime, ordonna à Souvorov de laver cet affront dans le sang des Musulmans et d'emporter Ismaïlov, à tout prix.
  4. Souvorov marcha avec la plus grande célérité par un hiver rigoureux, franchit tous les obstacles, et trois jours après son arrivée devant la place, il rassemble ses soldats et leur annonce l'assaut : « Amis, leur dit-il, ne regardez pas les yeux de l'ennemi, regardez sa poitrine, c'est là qu'il faut enfoncer vos baïonnettes ; pas de quartier, les provisions sont chères. »
  5. Deux fois les Russes sont repoussés avec un horrible carnage ; Suwarow ordonne une troisième attaque. Cette fois ses grenadiers emportent d'abord les ouvrages extérieurs et pénètrent enfin, après des efforts inouïs, dans l'intérieur de la ville. Ils se précipitent aussitôt dans les mosquées où les habitants s'étaient réfugiés, dans les maisons et les jardins ; tout ce qui se trouve sur leur passage est inhumainement égorgé, et leur chef farouche, les animant au carnage, leur criait d'une voix de tonnerre : KOLI ! KOLI ! Tue ! tue !
  6. Le meurtre et le pillage marchèrent de front ; près de 12 000 Russes et plus de 30 000 Turcs périrent dans cette journée sanglante, et Suwarow, sur les ruines embrasées de la cité conquise, écrivait à Catherine dans le style singulier et laconique qu'il savait lui plaire :
    « Mère, la glorieuse Ismaïlow est à tes pieds. »
    C'est en vers quelquefois que Suwarow adressait ses rapports à l'impératrice. Ainsi, dans une de ses premières campagnes, après avoir pris la ville de Toutoukaï, en Bulgarie, il en avait instruit Catherine par un distique russe, qu'on peut traduire ainsi.
    Gloire à Dieu ! gloire à vous aussi !
    La ville est prise, et m'y voici.
    Ses ordres du jour et ses proclamations à l'armée étaient souvent aussi rédigés en vers.
  7. Michał Tymowski, Une histoire de la Pologne, p.99
  8. Varsovie ouvrait ses portes à Souvorov peu de jours après, et quand une députation vint lui présenter les clefs de la ville, il les porta à sa bouche et dit en les élevant vers le ciel : « Dieu tout-puissant, je vous rends grâce de ne m'avoir pas fait payer cette place aussi cher que… » et se tournant du côté de Praga, la voix lui manqua et il versa des larmes. Mais il avait obéi. Catherine était satisfaite. Elle lui écrivit : « Vous savez que je n'avance jamais personne avant son tour ; je suis incapable de faire tort à un plus ancien ; mais c'est vous qui venez de vous faire feld-maréchal vous-même, par la conquête de la Pologne. » Cette lettre accompagnait l'envoi d'une couronne de laurier en or massif parsemée de diamants valant à elle seule cinq cent mille roubles et un bâton de commandement en or également enrichi de pierreries. A ces riches présents, l'impératrice joignit le don de plusieurs propriétés considérables et de vingt mille paysans.
  9. Souvorov ne put cacher son mécontentement, en voyant l'uniforme prussien remplacer l'ancien uniforme russe. Paul prétendait tout régler : il avait prescrit la poudre et la queue, réglé la dimension des boucles et la longueur précise de la queue, et envoyait, à cet effet, aux chefs des différents corps d'armée, de petits bâtons devant servir de modèles et de mesures.
  10. Souvorov dit en recevant celui de ces paquets qui lui était adressé : « La poudre à poudrer n'est pas de la poudre à canon, les bouclés ne sont pas des fusils et les longues queues ne valent pas des baïonnettes. » Souvorov était jalousé, les soldats l'adoraient, mais les chefs, dont il proscrivait le luxe et sur lesquels il faisait peser une discipline rigoureuse, le détestaient. Ce propos qui donna lieu à beaucoup d'autres de la part des soldats, fut rapporté à l'Empereur. Paul, vivement irrité, fit demander à Souvorov sa démission.
  11. Le feld-maréchal voulut que ce fût de lui-même que son armée apprît qu'il allait cesser de la commander, et il fut extraordinaire dans cette occasion comme dans presque toutes les autres. Il fit ranger ses soldats en bataille devant une pyramide de tambours et de timbales entassés ; il était lui-même à côté de ce monument militaire, en grand uniforme, décoré de tous ses ordres et le portrait de Catherine à la boutonnière. « Camarades, dit-il aux soldats, je vous quitte peut-être pour longtemps, peut-être pour toujours, après avoir passé cinquante ans parmi vous sans jamais vous perdre de vue, que quelques instants. Votre père qui mangeait et buvait avec vous, couchait au milieu de vous, va manger, boire et coucher dans la solitude de ses enfants, et pensant à eux pour toute consolation. Telle est la volonté de notre père commun, de notre empereur et maître. Je ne perds pas l'espoir qu'elle s'adoucira un jour en faveur de ma vieillesse : alors, quand Souvorov reparaîtra au milieu de vous, il reprendra ces dépouilles qu'il vous laisse comme un gage de son amitié et un appel à vos souvenirs ; vous n'oublierez pas qu'il les portait toujours dans les batailles qu'il remportait à votre tête. » — Et se dépouillant de tous ses ordres, il les déposa sur l'espèce de trophée qu'il avait à côté de lui, ne gardant sur sa poitrine que le portrait de l'impératrice.
  12. L'Empereur adressa à Souvorov une lettre dont on a toujours ignoré le contenu, mais qui portait pour inscription, en gros caractères, ces mots de bon augure : Au feld-maréchal Souvorov. « Cette lettre n'est pas pour moi, dit le vieux guerrier, en lisant l'adresse : Si Souvorov était feld-maréchal, il ne serait pas isolé et gardé dans un village, on le verrait à la tête de l'armée. » Il fallut que le courrier reportât la lettre cachetée à l'Empereur.
  13. Faire la guerre aux Français, dont la gloire l'importunait, c'était combler les vœux de Souvorov, il avait voué une haine implacable à une nation dont les brillants exploits éclipsaient tous les siens. Le premier moment d'humeur passé, et croyant avoir fait suffisamment comprendre à l'Empereur l'injustice de sa conduite, il accepta le commandement qui lui était offert
  14. Il avait introduit dans son armée un maniement d'armes particulier: Lorsque l'officier commandait marche aux Turcs, les soldats portaient la baïonnette en avant. À l'ordre marche aux Prussiens, le mouvement était accéléré et la baïonnette croisée deux fois. Aux mots marche aux Français, le soldat devait s'élancer avec impétuosité, réitérer par trois fois l'action de la baïonnette, l'enfoncer dans la terre, qui figurait alors les Français abattus, et la retourner avec force. Selon quelques-uns des biographes, Souvorov avait défendu d'enseigner aux troupes les manœuvres relatives aux retraites, soutenant qu'elles n'en auraient jamais besoin. Assertion bizarre, les manœuvres en arrière étant parfois aussi urgentes que celles en avant, en bataille, ou par le flanc. Si une pareille injonction a jamais été donnée, ce qui est peu probable, les généraux français, et Masséna à leur tête, ont dû convaincre Souvorov de son absurdité
  15. Dès le jour de son arrivée à l'armée, il publia un ordre du jour par lequel il recommandait à ses soldats d'employer de préférence, contre l'ennemi, la baïonnette et l'arme blanche
  16. Souvorov éprouva lui-même dans sa marche par la Suisse italienne des obstacles de toute nature, que la plus persévérante intrépidité pouvait seule tenter de vaincre ; la saison était rigoureuse, les chemins dans les montagnes avaient été rendus presque impraticables, les provisions manquaient et les troupes victorieuses des Français l'entouraient et le harcelaient de toutes parts. La position des Russes était telle que déjà Masséna pouvait espérer attacher le fameux Souvorov vaincu à son char de triomphe
  17. les Russes, démoralisés, abattus, restaient sourds cette fois à la voix de leur général. Un jour, les grenadiers, qui formaient l'avant-garde, accablés de fatigue, refusèrent de se porter plus loin en avant ; ils se trouvaient en face des hauteurs escarpées que défendait un corps considérable de Français ; on ne pouvait les aborder que par un défilé où les Russes craignaient de périr jusqu'au dernier. Souvorov s'avance vivement à la tête de l'avant-garde, commande de marcher et donne l'exemple : les grenadiers restent immobiles, « Ah ! vous refusez de me suivre, s'écrie-t-il, vous voulez déshonorer mes cheveux blancs, je n'y survivrai pas. » C'était là un de ses moyens ordinaires quand dans une bataille il voyait une colonne plier, il s'élançait au milieu des fuyards en leur criant : « Je veux mourir ; je ne saurais survivre à la perte d'une bataille ! » Et les soldats qui l'adoraient revenaient au combat avec une nouvelle ardeur. Cette fois, Souvorov parle vainement aux Russes révoltés. Aussitôt il ordonne froidement de creuser une fosse de quelques pieds de long, s'y étend devant ses soldats étonnés et leur dit : « Puisque vous refusez de me suivre, je ne suis plus votre général, je reste ici. Cette fosse sera mon tombeau. Soldats, couvrez de terre celui qui vous guida tant de fois à la victoire. » Emus jusqu'aux larmes, mais électrisés par ce peu de mots, les soldats jurent de ne jamais l'abandonner et se précipitent à sa suite dans le terrible défilé où un grand nombre d'entre eux trouvent la mort, mais où le reste força enfin le passage et l'ouvrit aux débris de l'armée.
  18. Toutes ses tentatives pour parvenir jusqu'à l'Empereur furent vaines
  19. Ces deux princes ayant rapporté que Souvorov était à toute extrémité, celui-ci vit bientôt paraître auprès de son lit un officier chargé de lui apporter la parole de son souverain, que la grâce qu'il voudrait demander lui serait accordée. Le feld-maréchal, expirant, se mit alors à faire l'énumération de tous les bienfaits et de toutes les marques d'honneur qu'il avait reçues de l'impératrice Catherine, puis il ajouta : « Je n'étais qu'un soldat plein de zèle, elle a senti la volonté que j'avais de la servir. Je lui dois plus que la vie, elle m'a donné les moyens de m'illustrer. Allez dire à son fils que j'accepte sa parole impériale. Voyez ce portrait de Catherine, jamais il ne m'a quitté ; la grâce que je demande, c'est qu'il soit enseveli avec moi dans ma tombe et qu'il reste à jamais attaché sur mon cœur. »
  20. Il se levait habituellement avec le jour et commençait, en plein air et en présence de ses soldats, à se faire arroser le corps nu de quelques seaux d'eau froide. Extrêmement sobre à table, il n'était pas, non plus, difficile pour son coucher.
  21. Il ne voulut pas se servir du lit, fit jeter à terre quelques bottes de foin sur lesquelles il étendit son manteau et se coucha
  22. Tout cela, comme nous l'avons dit, était un calcul habile ; Suwarow, avide de fortune et de renommée, doué d'un esprit délié et d'un tact admirable, crut devoir se frayer une voie nouvelle pour arriver à la faveur de sa souveraine. Catherine aimait Souvorov, qui, en sa présence, outrait jusqu'à ses défauts : c'était pour elle un caractère d'une espèce à part et qui méritait d'être distinguée
  23. Il n'engageait jamais une action sans faire plusieurs signes de croix et sans baiser une petite image de la vierge ou de saint Nicolas qu'il portait toujours sur lui ; il ne manquait pas de faire mettre à l'ordre du jour, la veille d'une bataille, que tous ceux qui seraient tués, le lendemain, iraient en paradis
  24. Lui-même se proposait pour exemple. Il se faisait donner publiquement un ordre quelconque par un de ses aides-de-camp, en montrait de l'étonnement d'abord, et finissait par demander de qui venait cet ordre. « Du maréchal Souvorov lui-même, répondait l'aide-de-camp. » Souvorov faisait aussitôt ce qui lui avait été prescrit en disant d'une voix ferme et élevée : « Il faut qu'on lui obéisse. »
  25. A Ismaïlow, les Russes firent un butin considérable ; Suwarow, pour sa part, n'accepta pas même un cheval. Ce à quoi il tenait surtout, c'était à ses diamants ; confiés à la garde d'un Cosaque, ils ne le quittaient jamais. Il y avait au fond du cœur de cet homme singulier et sous cette écorce âpre et dure, une sensibilité particulière ; il aimait l'impératrice, il l'aimait comme on aime Dieu : tout ce qui lui rappelait le souvenir de Catherine, de celle qu'avec l'armée russe il avait nommée mère, avait pour lui un prix inestimable ; ses diamants lui venaient de l'impératrice et ils étaient de glorieuses conquêtes. Cet amour pour Catherine était un amour de dévouement filial. Souvorov était trop laid pour avoir jamais espéré faire partager à sa souveraine, au cœur facile, un sentiment plus tendre ; Catherine, comme disait Napoléon, était une maîtresse femme, tout à fait digne d'avoir de la barbe au menton ; elle faisait tout trembler autour d'elle, et supportait sans impatience les brusqueries du feld-maréchal qui lui disait durement la vérité, et dont la rude franchise contrastait singulièrement avec les plates adulations dont l'environnaient les amants à gage choisis par Potemkin.
  26. Il l'avait destiné de bonne heure à la carrière des armes, mais il ne voulut jamais, dans ses campagnes, l'avoir auprès de lui. Ce fils, jeune militaire d'une grande espérance, brave, généreux, humain, était parvenu au grade de général major d'infanterie. Il avait épousé, ainsi que nous l'avons dit plus haut, une jeune et belle princesse de la Courlande, alliance illustre qui semblait lui promettre le plus brillant avenir. Mais, en 1811, se rendant de Bucarest à Jassy, et traversant la rivière de Rimniski, alors débordée, il y périt misérablement. Une singulière fatalité voulut que le jeune Souvorov se noyât dans cette même rivière sur le bord de laquelle son père avait remporté une de ses plus fameuses victoires, et à laquelle il avait dû son surnom de Rimniskoï ou Rimniski.

Source partielle

« Alexandre Souvorov », dans Charles Mullié, Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850, 1852 [détail de l’édition] (Wikisource)

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