Guerre d'Ethiopie

Guerre d'Ethiopie

Seconde guerre italo-éthiopienne

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Seconde guerre italo-éthiopienne
Informations générales
Date octobre 1935 - mai 1936
Lieu Éthiopie
Issue Victoire italienne, annexion de l'Éthiopie, fondation de l'Afrique orientale italienne
Belligérants
Flag of Italy (1861-1946).svg Royaume d'Italie Flag of Ethiopia (1897).svg Empire d'Éthiopie
Commandants
Flag of Italy (1861-1946).svg Benito Mussolini
Flag of Italy (1861-1946).svg Emilio De Bono
Flag of Italy (1861-1946).svg Pietro Badoglio
Flag of Italy (1861-1946).svg Rodolfo Graziani
Flag of Ethiopia (1897).svg Hailé Sélassié Ier
Flag of Ethiopia (1897).svg Imru Haile Selassié
Flag of Ethiopia (1897).svg Kassa Haile Darge
Flag of Ethiopia (1897).svg Seyum Mangasha
Flag of Ethiopia (1897).svg Mulugeta Yeggazu
Flag of Ethiopia (1897).svg Desta Damtew
Flag of Ethiopia (1897).svg Nasibu Emmanual
Forces en présence
env. 500 000 combattants, 549 avions, 795 tanks env. 800 000 combattants, 3 avions
Pertes
entre 500 et 1000 morts env. 275 000 morts

La Seconde guerre d'Éthiopie ou campagne d'Abyssinie est un conflit opposant l’Italie fasciste de Benito Mussolini à l’Empire d'Éthiopie d'Hailé Sélassié entre octobre 1935 et mai 1936. Elle s’inscrit dans le cadre de la seconde tentative de l’Italie de s’emparer du pays après la défaite d’Adoua en 1896, qui avait fait du pays l’un des derniers pays libre d’Afrique.

L’Éthiopie et l’Italie sont alors membres de la Société des Nations visant selon sa charte à assurer la prévention des guerres au travers du principe de sécurité collective. Le déclenchement de cette guerre marque ainsi le retrait de l’Italie de la Société des Nations et son rapprochement avec l’Allemagne nazie. Parallèlement l’incapacité de l’organisation internationale à avoir pu empêcher l’invasion fasciste discrédite la Société des Nations sur le plan international à la veille de la Seconde Guerre mondiale.

L'occupation italienne s'étend de mai 1936 au 5 mai 1941, date de la libération par la campagne d'Afrique de l'Est.

Sommaire

Origine et déclenchement de la crise

En Europe, le dictateur Benito Mussolini prend le pouvoir en Italie à partir de 1922. Du point de vue de l'Italie fasciste, la guerre d'Éthiopie répond à une triple logique :

  • L'Italie a pris du retard dans la course aux colonies : elle ne possède que la Libye, l'Érythrée et la Somalie, maigres territoires comparés aux empires français et britannique ; à cause de cela, elle manque de matières premières et voit son surplus de population émigrer dans d'autres pays.
  • L'Italie cherche aussi à venger l'humiliante défaite d'Adoua de 1896.
  • Enfin, le régime fasciste de Mussolini axe sa propagande sur la grandeur italienne et les conquêtes extérieures, la présence de l’Éthiopie à la Société des Nations est considérée comme un affront à la politique raciale et fasciste, que Mussolini juge « indigne de figurer parmi les peuples civilisés »[1].

La succession d’évènement qui mènera à l’invasion fasciste est déclenchée par l’incident de Walwal. Prétexte qui sera qualifié par Hailé Sélassié, en 1936, dans son discours d’ « Appel à la Société des Nations » de « provocation évidente »[2].

Carte de l'Éthiopie

Le traité Ethio-Italien signé en 1928 délimite la frontière entre le Somaliland italien et l’Éthiopie à 21 lieues de la cote de Benadir. L’Italie établit un poste frontière à l’oasis de Walwal (Ual-Ual en italien) dans le désert de l’Ogaden en 1930 protégé par des dubats Somalis.

Cet article fait partie de la série:
Histoire de l’Éthiopie

Histoire ancienne
Pays de Pount (-3000 / -1000)
D'mt (-800 / -700)
Aksoum (-100 / Xe siècle)
Liste des rois de D'mt
Liste des rois d’Axoum
Royaume d’Éthiopie
Liste des rois d'Éthiopie
Dynasties :
Dynastie Zagwe
Dynastie salomonide
Histoire médiévale
Période gondarienne
Période des Masâfént
Interaction avec les puissances coloniales
Théodoros II (1855 / 1868)
Yohannès IV (1872 / 1889)
Ménélik II (1889 / 1913)
Bataille d’Adoua (1896)
XXe siècle
Hailé Sélassié (1930 / 1974)
Campagne d’Abyssinie (1935 / 1941)
Résistance éthiopienne
Campagne d’Afrique de l’Est (1941)
Révolution éthiopienne (1974)
Derg (1974 / 1991)
Autres
Liste des dirigeants d'Éthiopie
Chronologie de l'Éthiopie

Le 22 novembre 1934, une commission frontalière anglo-éthiopienne tombe inopinément sur un détachement italien aux puits de Wal-Wal, théoriquement en territoire éthiopien. Le 23, une fusillade éclate pour une raison inconnue, et un officier italien est tué (on ignore qui tira le premier coup de feu). Les Italiens ripostent à la mitrailleuse, puis par avions et chars interposés, forçant les Éthiopiens à fuir et tuant un officier anglais.

Les tractations qui suivent cet incident deviennent vite très tendues. Mussolini prétend que Walwal appartenait bel et bien à l'Italie depuis des années, bien que faisant partie intégrante du territoire éthiopien [3], et exige des excuses publiques devant le drapeau italien. Hailé Sélassié Ier refuse et demande le retrait des Italiens, qui se sont effectivement avancés très loin à l'ouest, mais la France le dissuade de provoquer un scandale à la Société des Nations. Il ne portera l'affaire à Genève qu'en 1935. À ce moment, la conférence de Stresa éclipse Walwal et permet à Mussolini de reprendre la main.

L’organisation internationale exonèrent les deux parties de leur responsabilité en septembre 1935; l'année 1935 se passe en débats stériles à la SDN : commission d'experts, commission des Treize, des Cinq, des Dix-huit…

Le Royaume-Uni et la France, soucieux de conserver l’Italie comme allié contre l’Allemagne, ne décident de prendre aucune mesure pour décourager le développement militaire italien. L’Italie commence ainsi à accumuler ses troupes aux frontières éthiopiennes, en Érythrée et dans le Somaliland italien: elle finit par constituer un corps expéditionnaire de 400 000 hommes, dirigé par le maréchal Pietro Badoglio. Le gendre du Duce, le comte Ciano et les fils du dictateur participeront à la campagne. Dans le même temps, il excite les tensions au sein de l'empire britannique en aidant Ibn Saoud, et il envoie ses navires, avions et sous-marins dans des manœuvres d'intimidation devant Malte, Alexandrie, et les ports grecs. Les avions italiens survolent même Athènes. Par contre, les sous-mariniers italiens se ridiculisent en paniquant face à des grenades d'exercice.

La France et le Royaume-Uni ne bougent pas. Pourtant, ils tiennent Suez, Aden, Djibouti, le Puntland, le Soudan anglo-égyptien, le Kenya, et pourraient facilement intervenir contre un rival trop gourmand. En effet, Mussolini est la pièce maîtresse de la nouvelle alliance face à Hitler : il ne faut pas le froisser. De plus, le Foreign Office a une crainte panique de voir les sous-marins et les avions italiens attaquer les navires anglais à Malte. On évoque même un raid-suicide de la Regia aeronautica sur Londres.

Conscient des importantes retombées internationale qu’aura cet invasion, Mussolini s’attache à consolider les liens internationaux dans un premier temps. Entre le 4 et le 7 janvier 1935, Mussolini rencontre à Rome le ministre français des affaires étrangères Pierre Laval: des accords en vertu de quoi la France cède à l'Italie la Somalie française (actuellement Djibouti) sont signés et elle s'engage à appuyer diplomatiquement l'Italie en cas de guerre contre l'Éthiopie[4]. Laval espère ainsi rapprocher Mussolini de la France afin de donner naissance à une alliance anti-nazie.

Le 16 janvier, Mussolini prend le poste de ministre des colonies.

Le 19 janvier, la Société des Nations reconnaît la « bonne foi » de l'Italie et de l'Éthiopie dans l'incident de Ual Ual et décide que le cas doit être traité par les deux parties, le 17 mars, l’Éthiopie présente un nouveau recours, faisant appel à l'article XV de l'organisation.

Soldats italiens s'embarquant à Montevarchi pour aller combattre lors de la seconde guerre italo-éthiopienne, 1935.

Le 2 octobre, Mussolini annonce la déclaration de guerre à l'Éthiopie du balcon du palais Venezia. En attaquant ce pays, membre de la Société des Nations, Mussolini viole l'article XVI de l'organisation : « si un membre de la ligue recourt à la guerre, il sera jugé ipso facto comme s'il avait commis un acte de guerre contre tous les membres de la ligue, qui, ici prennent l'engagement de le soumettre à la rupture immédiate de toutes les relations commerciales et financières ».

Alors que le Pape Pie XI tient des propos ambigus au cours des années de l’invasion de l’Éthiopie par les troupes fascistes, ses prêtres se montrent beaucoup moins équivoques dans leur soutien aux forces italiennes. Le développement du fascisme clérical est notamment évoqué dans l’ouvrage The Vatican in the Age of the Dictators, 1922-1945, où Anthony Rhodes, rapporte :

« Dans une lettre datée du 19 octobre 1935, le prêtre italien d’Udine écrit: « Cela n’est ni le temps ni convenable pour nous de nous prononcer sur le bien-fondé ou de cette situation. Notre devoir en tant qu’italien, et encore plus en tant que chrétien, est de contribuer au succès de nos forces armées ». Le prêtre de Padua écrit le 21 octobre, « En ces temps difficiles que nous vivons, nous vous demandons d’avoir confiance dans nos dirigeants et nos forces armées ». Le 24 octobre, le prêtre de Cremona bénit les drapeaux du régiments en déclarant : « Que la bénédiction du seigneur soit sur nos soldats, qui, sur le sol africain, conquerront des terres nouvelles et fertiles au nom du génie italien, en leur apportant les cultures romaines et chrétiennes. Que l’Italie redevienne ainsi le guide chrétien du monde entier »[5].

Le 18 novembre, l'Italie est frappée par les sanctions économiques de la Société des Nations que 52 états approuvent, en riposte l'Italie met en œuvre des programmes économiques autarciques. Les sanctions se montrent en fait inefficaces, puisque de nombreux pays les ayant voté officiellement maintiennent de bons rapports avec l'Italie en l'approvisionnant en matières premières. L'Allemagne nazie est un de ceux-ci.

En décembre 1935, les secrétaires britannique Hoare et français Laval tenteront de proposer une solution de compromis mais leur plan est inacceptable : il amputerait l'Éthiopie des deux tiers de son territoire, et la transformerait en protectorat italien de fait. Bien sûr Hailé Sélassié ne peut sacrifier ainsi son royaume, et Mussolini n'a aucun intérêt à cesser les hostilités : la guerre lui promet plus.

Le déroulement de la guerre

Il faudra sept mois de combat à l’armée mussolinienne pour conquerir l'Éthiopie.

Devant le conflit devenant imminent, l’empereur Haïlé Selassié décrète une mobilisation générale. Son armée est composée d’environ 500 000 hommes, dont beaucoup ne sont souvent armés que de lances et de boucliers. Seuls quelques soldats disposent encore d’armes modernes, dont certains fusils usagés datant d’avant 1900[6]. Un embargo sur les armes, imposé en 1918 par les trois puissances coloniales limitrophes (France, Angleterre et Italie), avait en effet fortement limité depuis près de 20 ans l'armement de l'empire. De plus l'aviation éthiopienne ne possédait qu'un seul appareil : celui du Négus.

Hailé Sélassié rappellera cette complicité de la communauté internationale dans son « appel à la société des Nations » en juin 1936 :

« Lorsque le danger s’est montré de plus en plus explicite, conscient de mes responsabilités envers mon peuple, j’ai essayé d’acquérir des armes durant les six premiers mois de l’année 1935. De nombreux gouvernements s’étaient accordés pour décréter un embargo pour m’en empêcher, alors qu’ils permettaient au gouvernement italien d’acheminer toutes infrastructures à travers le canal de Suez, troupes, armes et munitions, sans la moindre protestation. »

— Hailé Sélassié, « Appel à la Société des Nations », 27 juin 1936[7]

Soucieux de s’assurer la victoire, Benito Mussolini triple les moyens en hommes : en mai 1936, presque un demi-million d'hommes est engagé sur le théâtre des opérations dont 87 000 askari, 492 tankettes, 18 932 véhicules et 350 avions. Dans l'arsenal à disposition des Italiens, il y a aussi des armes chimiques et bactériologiques interdites par la convention de Genève: 60 000 grenades à l'arsine pour l'artillerie, 1 000 tonnes de bombes à ypérite pour l'aéronautique et 270 tonnes de produits chimiques agressifs pour l'emploi tactique[8].

Le 2 octobre 1935, l'offensive est déclenchée.

Dès le début des opérations, le 3 octobre, Mussolini prend la direction des opérations et envoie presque quotidiennement des ordres radiotélégraphiés à ses généraux présents sur le champ de bataille). Parmi ses ordres, ceux relatifs à l'emploi des armes chimiques[9],[10].

Le 6 octobre, Adoua, ville symbole de l’humiliation italienne, tombe.

Le premier ordre qui concerne l'emploi des armes chimiques arrive de Mussolini à Graziani : le 27 octobre 1935, Graziani prépare l'assaut de la place forte de Gorrahei, les six tonnes de grenades conventionnelles sont insuffisantes pour avoir raison des défenseurs, le 29, Graziani demande à Mussolini l'autorisation d'utiliser des armes chimiques pour des « opérations défensives » et il l'obtient rapidement avec le mandat d'exterminer l'entière formation ennemie[11].

Mussolini furieux de l’avancée des troupes qu’il juge malgré tout insuffisamment rapide, fait démissionner De Bono le 14 novembre, et autorise le 28 décembre, le nouveau Badoglio, « à utiliser, même à grande échelle, toutes armes chimiques ou lance-flammes »[12].

La folie fasciste culmine en certain points où sont largués 40 tonnes de bombes en moins de 5 heures, accompagné de larges quantités de gaz moutarde[13].

Dans la même période, entre le 22 décembre 1935 et les premiers jours de 1936, sur le front nord, Badoglio reçoit l'ordre d'employer les bombes chimiques contre les Éthiopiens passés à l'offensive dans le Sciré. L'ordre, déjà en cours d'exécution, soumet les civils, le bétail et les récoltes à une importante pluie de gaz, le bombardement est suspendu pour des raisons politiques en vue d'une réunion de la SDN prévue à Genève le 5 janvier mais Badoglio l'ignore et poursuit les bombardements chimiques jusqu'au 7 puis de nouveau les 12 et 18 janvier[14].

Le 9 janvier, Mussolini autorise la guerre totale avec ces paroles :

« J'autorise Votre Excellence à employer tous les moyens de guerre, je dis tous, qu'ils soient aériens comme de terre. Décision maximum. »

— Télégramme secret de Mussolini à Pietro Badoglio[15]

Les bombardements chimiques d'artillerie et par avions se poursuivent aussi bien sur le front Nord (jusqu'au 29 mars 1936) que sur le front Sud (jusqu'au 27 avril), employant un total de 350 tonnes d'armes chimiques. Dans ce contexte, fin janvier, malgré l'emploi massif d'armes chimiques, les armées italiennes du front Nord sont en graves difficultés (harcelées par les troupes du ras Kassa, Badoglio est sur le point d'ordonner l'évacuation de Mékélé), Mussolini n'hésite pas à proposer à son général l'emploi d'armes bactériologiques. Badoglio exprime sa nette divergence d'opinion mettant en évidence auprès de Mussolini les réactions internationales que ce choix provoquerait et sa propre crainte sur les conséquences incontrôlables d'une arme jamais essayée jusque là: Le Duce reçoit ces observations et le 20 février, il retire sa proposition[16].

La conduite d'une vraie politique d'extermination envers les Éthiopiens ne se limite pas à l'emploi des armes chimiques mais est conduite avec d'autres moyens, comme l'ordre de ne pas respecter les marquages de la Croix rouge ennemie ce qui conduit à la destruction d'au moins 17 hôpitaux (dont un suédois) et installations médicales éthiopiennes ou par l'emploi de troupes askari (libyens de religion musulmane) contre les armées et la population chrétienne d’Éthiopie. Le personnel de la Croix-rouge rapporte notamment à cette époque la façon dont il est délibérément visé comme une cible désignée : « De toute la partie du front que j'ai pu reconnaître de mes propres yeux, aucun endroit n'a été bombardé avec la même intensité que le camp de l'ambulance suédoise »[17].

Les troupes libyennes se rendent coupables de massacres envers les civils et les prisonniers[18].

Les crimes envers les rebelles, la population et les moines éthiopiens dans les sanctuaires chrétiens éthiopiens (ils sont tués par centaines à Debra Libanos et ailleurs) se poursuivent même lorsque la guerre est finie et au moins jusqu'en 1940[19].

De l'autre côté, les troupes du négus, moins nombreuses et moins bien armées, résistèrent parfois héroïquement, comme lors de la bataille de May Chaw ou de la bataille d'Amba Alagi.

Le 5 mai 1936, Addis-Abeba tombe. Le 9 mai la victoire est proclamée du haut du balcon du palais Venezia devant une foule italienne en liesse. Le soir même Mussolini proclame l'empire italien devant vingt millions d'Italiens. Victor-Emmanuel III devient empereur, Mussolini et Badoglio reçoivent leurs bâtons de maréchaux d'Empire. Mussolini confie qu'il aurait préféré destituer le roi.[réf. nécessaire]

L'appel à la Société des Nations

L’empereur retourne à Addis-Abeba, en effectuant un arrêt à Lalibela pour prier, puis prend le chemin de l'exil sauvegardant ainsi la souveraineté du pays. Si l'Éthiopie a perdu la guerre, elle sauvegarde ainsi son indépendance en refusant de signer l'armistice[20]. Il prend ensuite le train pour Djibouti. Puis sous escorte britannique le 2 mai 1936, s’embarque pour Haïfa, puis jusqu’à Jérusalem où il prie à l’église éthiopienne. Il s’envole alors pour l’Angleterre, où l’asile lui est donné à Bath, dans l’ouest du pays, où il séjournera cinq ans.

le 27 juin 1936, il lance à Genève un appel à la Société des Nations devant les puissances européennes assemblées. Dans son discours, Hailé Sélassié dénonce les agissements de l’occupant comme des actes « barbares », et met en garde la communauté internationale contre les conséquences à venir de leurs positions, déclarant notamment :

« J’ai décidé de venir en personne, témoin du crime commis à l’encontre de mon peuple, afin de donner à l’Europe un avertissement face au destin qui l’attends, si elle s’incline aujourd’hui devant les actes accomplis »

— Hailé Sélassié, « Appel à la Société des Nations », 27 juin 1936[21]

« C’est la sécurité collective. C’est l’existence même de la Société des nations. C’est la confiance que chaque État place dans les traité internationaux. C’est la valeur des promesse faites aux petits États que leur intégrité et leur indépendance seront préservées. C’est le choix entre d’un côté le principe de l’égalité entre nations, et de l’autre celui de l’acceptation de leur vassalité. En un mot, c’est la moralité internationale qui est en jeu »

— Hailé Sélassié, « Appel à la Société des Nations », 27 juin 1936[22]

« Je déclare à la face du monde entier que l’Empereur, le gouvernement, et le peuple d’Éthiopie ne s’inclineront pas devant la force, qu’ils maintiennent leur revendication d’utiliser tous les moyens en leur pouvoir afin d’assurer le triomphe de leurs droits et le respect de l’alliance »

— Hailé Sélassié, « Appel à la Société des Nations », 27 juin 1936[23]

Malgré les mises en garde de l'Empereur devant le danger fasciste que laisse apparaître cette guerre, ainsi que les pressions opiniâtres du comte Carlo Sforza, la Société des Nations se contente de décréter des sanctions économiques jamais entrées en application.

Les répercussions à l’étranger

L'Italie s'empare d'un pays riche, dont la position est stratégique dans la corne de l'Afrique. Cette conquête permet en effet à l'Italie de joindre ses territoires d'Érythrée et de Somalie, et finalement d'encercler le Somaliland britannique et Djibouti. Le tout forme l'Afrique orientale italienne.

Le déclenchement de l’invasion de l’Éthiopie marque deux tournants majeurs sur le plan international : elle est le point de départ du rapprochement entre Mussolini et Hitler, et elle décrédibilise la Société des Nations en marquant, selon les mots de Stanley Baldwin, Premier ministre du Royaume-Uni, à la Chambre des communes le 23 juin 1936, son « échec total » à la « sécurité collective ».

Cette aventure laissera à Mussolini la conviction que la France, l'Angleterre et la Société des Nations sont des reliques d'un autre âge. Le monde tel que le veut le fascisme doit les effacer. Il se tourne alors vers une autre alliance, celle de l'Allemagne.

L’action hésitante, voire l’inaction de la Société des Nations et l’utilisation d’armes chimiques prohibées par les armées fascistes ont un impact considérable sur l’opinion internationale. Des associations se créées en défense de l’Éthiopie, c’est le cas en Angleterre, aux États-Unis, en Hollande entre autres. Deux journaux pro-éthiopiens sont créés: New Times et Ethiopia News, par Sylvia Pankhurst, en Angleterre; et « the Voice of Ethiopia », par le médecin éthiopien, Melaku Bayen, aux États-Unis.

L’emploi d’armes chimiques était largement connu dans le monde entier à cette époque, exceptée en Italie où une censure sévère était appliquée[24].

Quelques pays refusent de reconnaître la victoire des troupes mussoliniennes : les États-Unis, l’Union soviétique, le Mexique, la Nouvelle-Zélande et Haïti[25].

Mais l’invasion a surtout un impact considérable en Afrique, et parmi les descendants d’Afrique à travers le monde. Léopold Sédar Senghor déclare sa solidarité au pays dans un poème à l'Éthiopie. Les protestation se multiplient de la Jamaïque à Haïti. L’ancien leader ghanéen Kwame Nkrumah, alors étudiant, écrit dans sa biographie qu’il est alors à Londres quand il voit la Une de presse « Mussoloni envahit l’Abyssinie ». Il fut immédiatement saisi d’une émotion violente :

« A ce moment, ce fut comme si tout Londres m’avait déclaré la guerre. Pendant quelques minutes je ne pu rien faire d’autre qu’observer les visages des passants impassibles, me demandant intérieurement si ces gens-là était conscient de leur colonialisme maladif, et priant pour que le jour vienne où je puisse jouer mon rôle dans la chute de ce système. Mon nationalisme remontait à la surface; j’en étais prêt à passer par l’enfer s’il le fallait, pour atteindre cet objectif »

— Kwame Nkrumah[26]

Certains italiens anti-fascistes s’opposent aussi à l’invasion, c’est le cas de Carlo Rosselli, en exil en France, qui lance le journal « Giustizia e Libertà ». Il est plus tard assassiné à Paris par La Cagoule, sur ordres de Mussolini.

Les suites de la guerre

En 1937, voulant célébrer à sa manière le quinzième anniversaire de la marche sur Rome des chemises noires fascistes, il vole l'obélisque d’Aksoum, principal symbole de l’histoire et de l’identité du royaume pré-chrétien d’Aksoum, et le fait placer devant le ministère des Colonies (devenu ensuite le siège de la FAO-l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture), célébrant ainsi son éphémère « empire africain ».

Hitler a remilitarisé la Rhénanie, la guerre civile espagnole a éclaté.

L'Empereur parti, une résistance s'organise contre l'occupant italien, sous la houlette de Ras Abebe Aregai. En 1940, l'Angleterre fournit enfin des armes aux réfugiés éthiopiens qui peuvent alors, depuis le Kenya, lancer une offensive sur Addis Abeba.

L'occupation prend fin le 5 mai 1941, date du retour d'Hailé Sélassié à Addis Abeba.

Annexes

Notes et références

  1. Discours radiodiffusé de Mussolini déclarant la guerre à l'Éthiopie, 2 octobre 1935
  2. “I declare in the face of the whole world that the Emperor, the Government and the people of Ethiopia will not bow before force; that they maintain their claims that they will use all means in their power to ensure the triumph of right and the respect of the Covenant.”, Hailé Sélassié, « Appel à la Société des Nations », Genève, 1936 [lire en ligne]
  3. Berhanou Abebe, "Histoire de l'Éthiopie: d'Axoum à la révolution"
  4. William L. An Encyclopaedia of World History, Houghton Mifflin Company, Boston, 1948, pag. 990.
  5. Anthony Rhodes , « The Vatican in the Age of the Dictators, 1922-1945 », Hodder & Stroughton, London, 1973
  6. The condition of the Ethiopian Army on the eve of the war is discussed by Richard Pankhurst, Economic History of Ethiopia (Addis Ababa: Haile Selassie I University, 1968), pp. 605-608.
  7. “When the danger became more urgent, being aware of my responsibilities towards my people, during the first six months of 1935 I tried to acquire armaments. Many Governments proclaimed an embargo to prevent my doing so, whereas the Italian Government through the Suez Canal, was given all facilities for transporting without cessation and without protest, troops, arms, and munitions.”, Hailé Sélassié, « Appel à la Société des Nations », Genève, 1936 [lire en ligne]
  8. Ministère de la Guerre, Relazione dell'attività svolta per l'esigenza A.O., Istituto Poligrafico dello Stato, Roma, 1936, allegato n. 76.
  9. Angelo Del Boca, Italiani, brava gente? Un mito duro a morire, Neri Pozza Editore, Vicenza, 2005, ISBN 88-545-0013-5, pag. 193.
  10. Pour une étude complète, étude systématique des armes chimiques pendant la période 1935-1940 sur le font Éthiopien, voir Angelo Del Boca, I gas id Mussolini, Il fascismo e la guerra d'Etiopia, Editori Riuniti, Roma, 1996.
  11. Angelo Del Boca, Italiani, brava gente? Un mito duro a morire, Neri Pozza Editore, Vicenza, 2005, ISBN 88-545-0013-5, pag. 194.
  12. John Brown, “Public diplomacy Press Review”, Institute for the Study of Diplomacy, Georgetown University, Washington DC, 22 Mai 2004, à partir d’un article de Richard Pankhurst [lire en ligne]
  13. John Brown, “Public diplomacy Press Review”, Institute for the Study of Diplomacy, Georgetown University, Washington DC, 22 Mai 2004, à partir d’un article de Richard Pankhurst [lire en ligne]
  14. Angelo Del Boca, Italiani, brava gente? Un mito duro a morire, Neri Pozza Editore, Vicenza, 2005, ISBN 88-545-0013-5, pag. 194-195.
  15. Angelo Del Boca, Italiani, brava gente? Un mito duro a morire, Neri Pozza Editore, Vicenza, 2005, ISBN 88-545-0013-5, pag. 196.
  16. Angelo Del Boca, Italiani, brava gente? Un mito duro a morire, Neri Pozza Editore, Vicenza, 2005, ISBN 88-545-0013-5, pag. 196-197.
  17. Bernard Bridel, « Les ambulances à Croix-Rouge du CICR sous les gaz en Éthiopie », Le Temps, 2003[lire en ligne]
  18. Angelo Del Boca, Italiani, brava gente? Un mito duro a morire, Neri Pozza Editore, Vicenza, 2005, ISBN 88-545-0013-5, pag. 198-200.
  19. (it)Évocation des massacres) Angelo Del Boca, Italiani, brava gente? Un mito duro a morire, Neri Pozza Editore, Vicenza, 2005, ISBN 88-545-0013-5, pag. 200-201 e 205-224
  20. Berhanou Abebe, "Histoire de l'Éthiopie: d'Axoum à la révolution", p.182
  21. “I decided to come myself to bear witness against the crime perpetrated against my people and give Europe a warning of the doom that awaits it, if it should bow before the accomplished”, Hailé Sélassié, « Appel à la Société des Nations », Genève, 1936 [lire en ligne]
  22. “t is collective security: it is the very existence of the League of Nations. It is the confidence that each State is to place in international treaties. It is the value of promises made to small States that their integrity and their independence shall be respected and ensured. It is the principle of the equality of States on the one hand, or otherwise the obligation laid upon smail Powers to accept the bonds of vassalship. In a word, it is international morality that is at stake.”, Hailé Sélassié, « Appel à la Société des Nations », Genève, 1936 [lire en ligne]
  23. “I declare in the face of the whole world that the Emperor, the Government and the people of Ethiopia will not bow before force; that they maintain their claims that they will use all means in their power to ensure the triumph of right and the respect of the Covenant.”, Hailé Sélassié, « Appel à la Société des Nations », Genève, 1936 [lire en ligne]
  24. John Brown, Public diplomacy Press Review, Institute for the Study of Diplomacy, Georgetown University, Washington DC, 22 mai 2004, à partir d’un article de Richard Pankhurst [lire en ligne]
  25. John Brown, “Public diplomacy Press Review”, Institute for the Study of Diplomacy, Georgetown University, Washington DC, 22 mai 2004, à partir d’un article de Richard Pankhurst [lire en ligne]
  26. John Brown, “Public diplomacy Press Review”, Institute for the Study of Diplomacy, Georgetown University, Washington DC, 22 Mai 2004, à partir d’un article de Richard Pankhurst [lire en ligne]

Bibliographie

  • (fr) Berhanou Abebe, Histoire de l’Éthiopie d'Axoum à la révolution, Paris, Maisonneuve & Larose, coll. « Monde africain », 1998 (ISBN 2-7068-1340-7) ;
  • (en) Haile Selassie I, My Life and Ethiopia's Progress: The Autobiography of Emperor Haile Sellassie I, New York, Frontline Books, 1999. (ISBN 0948390409)

Vidéographie

Articles

  • (en) A History of Early Twentieth Century Ethiopia, Dr. Richard Pankhurst, 1997: ensemble d'articles publiés dans le quotidien éthiopien Addis Tribune
  • (en) Appel à la Société des Nations, Sa Majesté Impériale Haile Selassie Ier, juin 1936, Genève, Suisse (Texte intégral) [lire en ligne]
  • (fr) La force contre le droit : le Comité international de la Croix-Rouge et la guerre chimique dans le conflit italo-éthiopien 1935-1936, Rainer Baudendistel, Revue internationale de la Croix-Rouge no 829, 1998 [lire en ligne]
  • (fr) Les ambulances à Croix-Rouge du CICR sous les gaz en Éthiopie, Bernard Bridel, Le Temps, 2003 [lire en ligne]

Liens externes

Voir aussi

  • Portail de l’histoire militaire Portail de l’histoire militaire
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