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Crise de Fachoda
La crise de Fachoda est un incident diplomatique sérieux qui opposa la France au Royaume-Uni en 1898. Son retentissement a été d'autant plus important que ces pays étaient alors traversés par de forts courants nationalistes. Elle a eu pour cadre le poste militaire avancé de Fachoda, au sud de l'Égypte.
Dans l’imaginaire collectif français, la crise de Fachoda reste comme une profonde humiliation infligée par l’archétype d’un Royaume-Uni triomphant et hautain, forcément de mauvaise foi. En somme, l’image même de la « perfide Albion » abondamment relatée par la presse et les caricaturistes de l’époque. Cet épisode reste comme l’un des événements fondateurs mais surtout représentatif de cette IIIe République naissante et fragile, au même titre d’ailleurs que les scandales politiques et financiers qui ont émaillé le dernier quart du XIXe siècle en France. La droite s’est immédiatement emparée de cet événement et l’a exalté afin de satisfaire ses visées nationalistes par le biais d’un colonialisme triomphant.
Le site de Fachoda (ou Kodok) est situé à 650 km au sud de la capitale soudanaise Khartoum. Fachoda est, entre 1865 – date de sa création – et 1884 – année de son démantèlement –, un poste militaire égyptien destiné à lutter contre les trafiquants arabes. Bien que désertée, cette place reste le principal point de contrôle du Bahr el-Ghazal. Cette région du Soudan, depuis le départ des britanniques suite à la révolte mahdiste de 1885, est extrêmement convoitée par les principales puissances coloniales européennes que sont le Royaume-Uni, la France, l’Italie et la Belgique. Ces dernières cherchent activement un débouché sur le fleuve et, de la sorte, un point d’ancrage vers l’Égypte.
En effet, le vide créé par le départ britannique, et au-delà des considérations stratégiques inhérentes à cette position, s’opère à un moment où le partage de l’Afrique[1] est presque terminé et où les occasions d’acquisition de nouveaux territoires se font de plus en plus rares. Ainsi, les projets d’expansion français vers l’est et les projets d’expansion britanniques du Caire au Cap, selon les vœux de Cecil Rhodes, se sont heurtés à Fachoda ce 18 septembre 1898 ; ceci dans un contexte d’extrême ferveur nationaliste de part et d’autre qui laisse d’ailleurs un moment craindre le pire, à savoir un conflit ouvert. Dans une certaine mesure, cet épisode anticipe le futur système d’alliances qui s’impose au début du XXe siècle.
Chronologie des relations franco-anglaise lors de la crise de Fachoda 1894
30 maiGabriel Hanotaux devient le ministre français des affaires étrangères et Théophile Delcassé ministre des Colonies. 1895
17 janvierFélix Faure est élu président de la République française 1896
21 septembreLord Kitchener et son armée anglo-égyptienne entrent au Soudan. 1897
FévrierJean-Baptiste Marchand quitte le Congo pour le bassin du Nil. 1898
28 juinThéophile Delcassé est nommé ministre français des Affaires étrangères. 1898
10 juilletJean-Baptiste Marchand atteint Fachoda. 1898
18 septembreLord Kitchener atteint Fachoda et se retrouve face au drapeau français. 1898
3 novembre :Jean-Baptiste Marchand reçoit l’ordre de retirer ses troupes. 1899
Janviercondominium anglo-égyptien sur le Soudan. 1904
8 avrilsignature des accords anglo-français dits de l’Entente cordiale. Sommaire
Les rivalités européennes en Afrique
La mainmise britannique sur l’Égypte
La fin du XIXe siècle voit une multiplication des heurts et des différends territoriaux entre les deux principales puissances coloniales, principalement en Afrique. La France, installée à Madagascar, occupe une position stratégique sur la route des Indes par le Cap. Cette difficulté est toutefois réglée par la reconnaissance des droits britanniques sur Zanzibar par la France alors que, dans le même temps, un accord est signé en août 1890 qui définit les zones d’influences françaises et britanniques dans la région du Niger.
Malgré cette entente, la question la plus épineuse concerne l’Égypte où les deux nations ont des prétentions. Le Royaume-Uni ne peut se permettre de négocier avec la France alors que cette région lui est vitale sur la route des Indes. La France, de son côté, et depuis l’expédition de Bonaparte en 1798, a pris pied en Égypte. Elle y est effectivement soutenue depuis 1811 par le pacha d’Égypte Méhémet Ali, théoriquement vassal du Sultan mais concrètement souverain indépendant. D’ailleurs, en 1856, Saïd Pacha, descendant et successeur de Méhémet Ali, accorde à Ferdinand de Lesseps la concession du futur canal de Suez inauguré par l’impératrice Eugénie en 1869 malgré l’opposition britannique. La France, initiatrice du projet, acquiert 52% des actions de la société d’exploitation du canal et le khédive[2], 45%. Ce canal, prouesse technique de 161 km de long, aux mains des Français, bouleverse considérablement la donne géopolitique. Le Royaume-Uni n’en est que trop consciente et rachète, au nez et à la barbe de la France, dès 1875, les actions détenues par Ismail alors confronté à une grave crise financière. Il doit d’ailleurs céder sa place à son fils Tewfik en 1879. Ce dernier, totalement soumis aux Européens, ne tarde pas à se heurter à une révolte menée par un militaire nationaliste, le colonel Arabi.
En juin 1882, le Royaume-Uni intervient militairement, mais seul, en Égypte. En effet, le cabinet Freycinet, désavoué par la Chambre menée notamment par Georges Clemenceau et Léon Gambetta, n’obtient pas les fonds nécessaires à une expédition conjointe, laissant désormais l’Égypte à la seule influence britannique. Bien que multipliant les critiques face à une action unilatérale britannique, la France est de facto exclue du jeu en Égypte où l’administration, l’armée et le khédive sont sous tutelle. D’ailleurs, l’intervention britannique à Fachoda s’effectue au nom, et sous les bannières, du khédive.
La question soudanaise
En 1885, suite à la bataille de Khartoum au cours de laquelle le gouverneur général britannique Gordon est tué, le Soudan tombe aux mains des troupes musulmanes et les forces britanno-égyptiennes sont chassées de la région. Cet épisode est un grave revers pour le Royaume-Uni qui commence aussitôt à préparer la reconquête du Soudan en faisant reconnaître ses droits sur la région par les autres puissances. En juillet 1890, un accord est conclu avec l’Allemagne à laquelle est concédée l’archipel d’Heligoland en mer du Nord. L’Italie, de son côté, notifie unilatéralement aux nations européennes en 1889 qu’elle s’attribue tout l’Empire éthiopien. Le Royaume-Uni, bien qu’ayant encouragé l’Italie à prendre possession des territoires de la côte orientale abandonnés par le khédive, n’a jamais donné son aval à une annexion pure et simple de l’Éthiopie dont la proximité avec le Soudan sous-entend d’éventuelles ambitions italiennes dans la région. Les Britanniques espéraient seulement contrarier les Français installés dans le modeste port d’Obock depuis 1862, mais dont les ambitions, au moins économiques envers l'Éthiopie, ne tardèrent pas à se concrétiser (création du port de Djibouti et du chemin de fer le reliant à Addis-Abeba). L’Italie, confirmant les craintes britanniques, déclare que les revendications britanniques dans la région sont caduques et proclame res nullius [6] le territoire du Haut-Nil. Léopold II, le roi des Belges, qui avait assuré une présence dans la région de l'enclave de Lado quelques années plus tôt s’aligne aussitôt sur cette position que défendra également, avec peu de succès, la France lors des négociations avec le Royaume-Uni au moment de la crise.
La cinglante défaite italienne à Adoua face aux troupes de Ménélik II, le 1er mars 1896, est habilement exploitée par le Royaume-Uni comme prétexte à la reconquête alors que la France et la Belgique se font de plus en plus menaçantes sur le Soudan. De plus, la défaite britannique face aux mahdistes et la défaite italienne face aux Éthiopiens pouvaient être considérées comme une réelle menace pour l’avenir de la colonisation. Herbert Kitchener, sirdar[7] de l’armée égyptienne, reçoit l’ordre de mettre fin à la sécession mahdiste. Avec près de trois mille hommes et une trentaine de canonnières, il remonte la vallée du Nil, écrase les mahdistes à Omdourman près de Khartoum avant de poursuivre sa progression vers le Haut-Nil où il découvre, le 18 septembre 1898, le drapeau français flottant sur Fachoda.
Une précaire implantation française
L’expédition Marchand
C’est dès novembre 1894 que Théophile Delcassé, ministre des Colonies, ordonne à Victor Liotard, gouverneur du Haut-Oubangui [8], d’organiser une expédition vers le Haut-Nil. L'objectif est alors surtout de pousser les Britanniques à faire quelques concessions sur le statut de l’Égypte.
En mars 1895, sir Edward Grey, sous-secrétaire d’état aux Affaires étrangères, déclare que l’éventualité d’une mission française dans la région serait un « acte tout à fait inamical et serait considéré comme tel par l’Angleterre ». Gabriel Hanotaux, ministre des Affaires Étrangères, réfutant les accusations britanniques, reçoit toutefois dès juillet le capitaine d’infanterie de marine Jean-Baptiste Marchand afin d’étudier avec lui le projet d’une éventuelle expédition vers Fachoda dont le caractère stratégique quant à l’installation d’un barrage sur le Nil a été démontré par le polytechnicien français Alexandre Prompt. Au mois de septembre, de la même année, un remaniement ministériel voit le départ de Théophile Delcassé au profit d’Émile Chautemps qui suspend aussitôt l’expédition de Victor Liotard. La rupture est évitée de peu avec Londres mais le double jeu de la France est manifeste.
Jean-Baptiste Marchand, tout au long de l’année 1895, se heurte à l’instabilité ministérielle et ne peut faire adopter son projet. Ce n’est que le 24 février 1896, avec l’appui du président Félix Faure et du lobby colonial, que l’explorateur obtient l’accord officiel ainsi que le financement de l’opération. Le retour de Gabriel Hanotaux en avril lui permet d’accélérer les préparatifs de départ vers le Congo français. Afin, sans doute, de ménager le gouvernement britannique, le gouvernement français avait déclaré que la mission Marchand n’était pas « un projet de conquête » et qu’elle était une expédition « exclusivement pacifique ». Malgré le caractère secret de celle-ci, les journaux ainsi que les diplomates étrangers sont parfaitement au fait du projet suite à de nombreuses négligences de l’administration française.
Parti fin juin de Marseille, Jean-Baptiste Marchand débarque un mois plus tard à Loango. Rien n’est pourtant joué car, dans le même temps, une expédition belge est elle aussi en route. Commandée par le baron Francis Dhanis, elle part de Stanleyville dans l'État indépendant du Congo en septembre 1896 avec cinq mille fantassins indigènes et trente-sept canons, en direction de Fachoda. Elle atteint le lac Albert en février 1897. En avril, cependant, l'avant-garde se rebelle. Ses hommes, de l'ethnie des Tetela, se retournent contre leurs officiers. Le 18 mars, ils attaquent le gros de la colonne indigène qui se range du côté des assaillants (articles détaillés : Expéditions de l'État indépendant du Congo vers le Nil, Révolte des Batetela). Les Belges mettent trois ans à réprimer cette révolte. De son côté, ce n’est qu’après deux années d’un très difficile voyage à travers la forêt tropicale, en compagnie de douze officiers et sous-officiers blancs: - Capitaine Marcel Joseph Germain - Capitaine Baratier - Capitaine Charles Mangin - Capitaine Victor Emmanuel Largeau - Lieutenant Félix Fouqué - Enseigne Dyé - Médecin Major Dr. Jules Emily - Adjudant De Prat - Sergent Georges Dat - Sergent Bernard - Sergent Venail - Interprète Militaire Landerouin et cent cinquante tirailleurs sénégalais et plusieurs milliers de porteurs, que Jean-Baptiste Marchand atteint Fachoda le 10 juillet 1898 sachant qu'il y avait avec eux le Lieutenant Gouly décédé de maladie et de soif pendant l'expédition et le lieutenant Simon malade et rapatrié en france, décédé à son arrivée. Deux autres expéditions devaient le rejoindre depuis l'Éthiopie mais ne purent le faire. Cependant deux membres de l'une d'entre elles se trouvaient à Fachoda, en compagnie du Négus d'Éthiopie, quarante jours avant l'arrivée de Jean-Baptiste Marchand.
Vers une situation de crise
En août, après la victoire face aux mahdistes, Horatio Herbert Kitchener reçoit de Salisbury, premier ministre britannique, des ordres très stricts. Le sirdar doit repousser toute invasion étrangère dans le Haut-Nil. Prévenu de l’implantation française à Fachoda après que Jean-Baptiste Marchand se fut heurté à quelques derviches du Mahdi (le 25 août, un combat l'oppose à trois milles derviches mahdistes montés sur deux steamers, le Safieh et le Tewfikieh), Lord Kitchener se rend sur place et se trouve devant Fachoda le 18 septembre. Le général britannique exige l’évacuation des lieux par le détachement français, tout en cherchant à éviter un affrontement direct. Cela transparaît dans le rapport Marchand :
- « Après les présentations réciproques, le sirdar me demanda si je me rendais bien compte de la signification de l’occupation française de Fachoda territoire égyptien […]
- - C’est bien par ordre du gouvernement français que vous occupez Fachoda ?
- - Oui, mon général, c’est par ordre de mon gouvernement que Fachoda est aujourd’hui poste français.
- - C’est mon devoir alors de protester au nom de la Sublime Porte et de Son Altesse le khédive que je représente au Soudan contre votre présence à Fachoda.
- Inclinaison de tête.
- - Sans doute, votre intention est de maintenir l’occupation de Fachoda.
- - Oui, mon général ; et j’ajoute qu’au besoin nous nous ferons tous tuer ici avant…
- Le sirdar me coupe la parole :
- - Oh, il n’est pas question de pousser les choses aussi loin. Je comprends et j’admets que chargé d’exécuter les ordres de votre gouvernement, votre devoir vous commande de rester à Fachoda jusqu’à ordre contraire […]. J’espère que nous pourrons arriver tous deux à une entente qui me permettra de remplir cette simple formalité après laquelle nous laisserons les choses en l’état jusqu’à la décision de nos gouvernements.[9] »
Les deux hommes s’en remettent donc à leurs chancelleries respectives. À Paris, Théophile Delcassé, ministre des Affaires étrangères depuis juin 1898, pense d’abord résister mais doit rapidement se faire une raison devant l’intransigeance de Salisbury soutenu par une opinion britannique déchaînée, depuis le jubilé de Victoria en 1897, par le jingoïsme[10] ambiant. Alphonse Chodron de Courcel, l’ambassadeur français à Londres, expédie à ce sujet un télégramme prioritaire à Théophile Delcassé dans lequel il explique que « la population britannique, toutes classes confondues, accepte l’idée d’une guerre. ». Quelques jours plus tard, il ajoute : « A mon avis, il convient de décider de notre propre chef […] l’évacuation de Fachoda. ». Le 28 octobre, le premier ministre britannique explique à de Courcel qu’il « ne peut y avoir de possibilité de négociation ni de compromis tant que le drapeau français flotte sur Fachoda ». Théophile Delcassé répond, par le biais de l’ambassadeur britannique : « Ne me demandez pas l’impossible, ne me mettez pas au pied du mur. » tout en questionnant avec inquiétude : « Vous ne feriez pas de Fachoda une cause de rupture entre nous ? » ce à quoi répond affirmativement Monson. Au cours de ces négociations, la Royal Navy effectue des démonstrations devant Brest et Bizerte.
De plus, le gouvernement français n’est pas sans savoir que l’alliance russe est peu fiable et que l’Allemagne cherche à tout prix à diviser les deux puissances coloniales. Il n’est pas si ancien le temps où, suite au relèvement trop rapide de la jeune République après sa défaite contre la Prusse, Bismarck projetait une guerre « préventive » contre la France. Guillaume II, au sujet des manœuvres de la marine britannique écrivait de manière révélatrice : « la situation va devenir intéressante. ». Le 1er novembre, Théophile Delcassé, conscient du déséquilibre des forces militaires et diplomatiques « Ils ont des soldats. Nous n'avons que des arguments » [11], aussi bien sur place qu’en Europe, est contraint de céder devant les exigences britanniques. Le 3, la nouvelle est officiellement confirmée au gouvernement de Salisbury par de Courcel. Le 11 décembre, Jean-Baptiste Marchand quitte Fachoda pour Djibouti qu’il ne gagnera que six mois plus tard. Pour justifier cette soudaine retraite au peuple français, le gouvernement prétend un mauvais état sanitaire de la troupe de Marchand, évitant dès lors l'humiliation nationale.
Un règlement pacifique
Une défaite diplomatique de la France
Après ce conflit évité de justesse par Théophile Delcassé, un sentiment national d'impuissance et d'humiliation règne sur la France, ce qui débouche par la suite à une certaine vague d'anglophobie. Le 21 mars 1899, une convention franco-britannique est signée, qui limite les zones d’influence respectives des deux puissances coloniales à la ligne de partage des eaux entre le Nil et les affluents du lac Tchad. Afin de sauver la face et pour limiter la portée de l’humiliation, cet accord est intégré, en tant qu’acte additionnel, au texte du 14 juin 1898 qui fixait les limites nord du Dahomey et de la Côte-de-l'Or et rectifiait à l’avantage de la France certains points de la ligne Say-Barraoua. La « peur de l'autre » venant des deux nations se dissipe par la suite grâce à la conclusion de "l'Entente cordiale", signée le 8 avril 1904 par l'Angleterre et la France. Cette entente, au début comparée à de la défiance, se transforme peu à peu en amitié. Concrètement, la France reçoit en compensation le Ouadaï, le Kanem, le Baguirmi, le Tibesti, provoquant de vives réactions de la Sublime Porte, magnifiquement ignorées par le Royaume-Uni. De plus, exploitant son succès, le gouvernement britannique impose la création, en janvier 1899, du condominium britanno-égyptien du Soudan, placé sous l’autorité de Lord Kitchener.
Malgré la ferveur nationaliste, les deux gouvernements ont toujours gardé une relative sérénité et des rapports cordiaux face à cette crise. L’opinion britannique, malgré le succès de la diplomatie britannique, aurait pu garder une certaine animosité vis-à-vis de la France si la Seconde Guerre des Bœrs n’était survenue aussitôt. En France, les réactions furent violentes mais de courte durée. En effet, la question de l’Alsace-Lorraine, la laïcité et surtout l’affaire Dreyfus ont, sûrement plus que Fachoda, exacerbé les sensibilités du moment.
Les prémices d'une future entente
Quant à Théophile Delcassé, bien qu’anglophobe, il amorce le rapprochement avec le Royaume-Uni, prenant à contre-pied la politique de Gabriel Hanotaux. Le courage de Théophile Delcassé réside dans le fait qu’il commence à mener une politique réaliste bien souvent à l’encontre des émotions de son opinion publique. La caution allemande à la Seconde Guerre des Bœrs, et le refus de tout soutien français à cette cause, contribue également au réchauffement des relations tout comme la stricte neutralité française dans la guerre survenue entre la Russie et le Japon, soutenu par le Royaume-Uni. Les visites réciproques de Édouard VII à Paris et du président Émile Loubet à Londres sont la manifestation d’une plus grande coopération. Le 8 avril 1904, la France signe à Londres une convention par laquelle elle s’engage « à ne pas faire obstruction à l’action du Royaume-Uni dans ce pays l’Égypte par des demandes visant à limiter le temps d’occupation britannique, ou de quelque autre manière. ». En outre, ce texte règle tous les contentieux territoriaux entre les deux nations.
En échange de la promesse française, Londres laisse à Paris tout loisir d’établir un protectorat sur le Maroc. Cette concession est ouvertement dirigée contre l’Allemagne qui ne cache pas ses ambitions dans ce pays. Lors des crises marocaines, le soutien de Londres ne fera jamais défaut. L’exigence allemande du départ de Delcassé à cette occasion, montre le poids de ce personnage dans la réalisation de l’Entente cordiale ; cette impossible alliance qui se dessine pourtant entre la France et le Royaume-Uni. La France échange donc un territoire qui ne lui appartient pas contre une possession stratégique, contrôlant l’entrée de la Méditerranée, face à Gibraltar, sur la route des Indes. Le Royaume-Uni, de son côté, se libère de vingt années de dissensions sur la question africaine et donne un gage de confiance à un futur allié.
Conclusion
L’incident de Fachoda est donc indéniablement un échec d'une diplomatie française impuissante qui pensait faire céder un régime britannique décidé à garantir ses intérêts en Égypte. En somme, l’expédition Marchand, en plus d’être mal préparée, n’était appuyée que par un régime républicain isolé en Europe, affaibli par l’affaire Dreyfus et qui n’avait pas les moyens de sa politique coloniale incarnée par un Gabriel Hanotaux peu au fait des réalités du terrain, aveuglé par son rêve d’expansion et encouragé en cela par le Comité de l’Afrique française et les militaires. Le manque de concertation franco-britannique sur la question égyptienne est bien réel et c’est cette absence de dialogue qui a conduit à la crise. Le gouvernement britannique, conscient de sa supériorité, rechignait également à discuter des questions importantes avec une France dont l’instabilité gouvernementale déroutait les dirigeants britanniques et influait sur la cohérence de sa politique extérieure.
La France sort malgré tout relativement gagnante en obtenant immédiatement, en guise de contrepartie, des territoires sahariens du Soudan occidental. Plus tard, elle confirma cet avantage en troquant ce qu’elle ne possédait pas au Soudan contre son hégémonie sur le Maroc.
Toutefois, l’échec français à Fachoda est un choc salutaire qui permet aux deux ennemis irréductibles de sortir de cette logique d’affrontement en recadrant leurs politiques étrangères respectives, dorénavant tournées contre l’adversaire commun qu’est devenue l’Allemagne.
Voir aussi
Bibliographie indicative
- Sur les relations internationales :
- Milza Pierre, Les Relations internationales 1871-1914, Armand Colin, 1990.
- Morgan M.C., Foreign Affairs 1886-1914, 1973.
- Sur la colonisation de l’Afrique :
- Brunschwig Henri, Le Partage de l’Afrique noire, Flammarion, 1971.
- Uzoigwe G.N., Britain and the Conquest of Africa: the Age of Salisbury, Ann Harbor, 1974.
- Wesseling H., Le Partage de l’Afrique 1880-1914, Denoël, 1991.
- Sur Fachoda (en l'absence de relation de Marchand, celles de Baratier et d'Emily, commandant adjoint et médecin de la mission, sont les plus intéressantes):
- Baratier, Albert. Au Congo. Souvenirs de la mission Marchand. De Loango à Brazzaville. Paris: A. Fayard, 1914.
- Baratier, Albert. Vers le Nil. Souvenirs de la mission Marchand. De Brazzaville à Fort-Desaix. Paris: A. Fayard, 1925.
- Baratier, Albert. Souvenirs de la mission Marchand. [III.] Fachoda. Paris : B. Grasset, 1941.
- Emily (médecin-général), Fachoda, mission Marchand, 1896-1899, Hachette 1935.
- Michel, Charles, Vers Fachoda à la rencontre de la mission Marchand. Paris: Plon, 1900.
- Michel, M., La Mission Marchand (1895-1899), Mouton, 1972.
- Webster Paul, Fachoda La bataille pour le Nil, Édition du Félin, 2001.
- Levering Lewis D., The Race to Fashoda, Weidenfeld, 1987.
Liens externes
- Un court article consacré à la mission Marchand, sur le site de la LDH de Toulon.
- http://bibliolib.net/article.php3?id_article=540
- La reculade de Fachoda sur herodote.net
Notes
- ↑ Voir l'article consacré au partage de l'Afrique et à la conférence de Berlin.
- ↑ Le titre de khédive peut être traduit par vice-roi ou souverain. Il a été attribué par le sultan à Ismail, le successeur de Saïd, par un firman de la Porte.
- ↑ Sous le terme de Franc, les musulmans regroupaient, depuis les croisades, tous les Européens.
- ↑ « Celui qui est guidé par Dieu ». Selon les musulmans, personnage messianique qui doit venir délivrer l’Homme du mal. Plusieurs souverains musulmans prirent ce nom.
- ↑ Religieux musulmans appartenant à une confrérie.
- ↑ Littéralement « la chose de personne ». Concrètement, territoire considéré comme libre et disponible à la conquête.
- ↑ Nom donné de 1882 à 1925 au général britannique commandant en chef de l’armée égyptienne.
- ↑ L’Oubangui est une rivière de l’Afrique équatoriale, affluent du Congo. Le territoire du Haut-Oubangui recouvre en partie celui de l’actuelle république Centrafricaine.
- ↑ Texte cité in M. Michel, La Mission Marchand, 1895-1899, Paris, Mouton, 1972, p. 257-258.
- ↑ Expression issue d’une chanson de 1878 aux accents russophobes : By Jingo. Forme exacerbée du chauvinisme britannique assimilable, avec des nuances, au nationalisme. Les plus exceptionnelles poussées de jingoïsme se sont manifestées lors des jubilés d’or (1887) et de diamant (1897) de la reine Victoria.
- ↑ Delcassé, sous la direction de Maurice Vaïsse, L'Entente cordiale de Fachoda à la Grande Guerre, édition complexe, 2004
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