- Perfide Albion
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Perfide Albion est une expression péjorative française courante désignant l'Angleterre et, par extension, la Grande-Bretagne et le Royaume-Uni. Après l'Entente cordiale, de nombreux efforts ont été consentis pour améliorer les relations entre les deux pays, mais sous couvert d'humour, l'expression « perfide Albion » resurgit régulièrement.
Dans le quotidien Le Monde[1], Marc Roche, correspondant à Londres, mentionne l'usage de cette expression par Bossuet au XVIIe siècle.
Beaucoup plus tard, l'expression figure dans un poème écrit en 1793 par Augustin Louis de Ximénès[2]. Elle a surtout été popularisée en France à la fin du XIXe siècle par sa reprise à tout propos dans La Famille Fenouillard de Christophe.
Sommaire
Pourquoi « perfide » ?
Dans un de ses sens, « perfide » signifie « qui ne respecte pas sa foi, sa parole ». Autrement dit, une personne ou une entité à laquelle on ne peut pas faire confiance. Mais si l'on remonte au très dévot catholique Bossuet, c'est toutefois à un contexte religieux qu'il faut se référer : « L'Angleterre, ah, la perfide Angleterre, que le rempart de ses mers rendait inaccessible aux Romains, la foi du Sauveur y est abordée. » L'expression a une connotation religieuse que l'on peut rapprocher d'une autre expression qui a fait florès : le « Juif perfide ». Parlant de personne, « perfide » a d'abord le sens de « sans foi, incrédule »[3].
De fait, le terme « perfide » fait déjà partie de la rhétorique politique au XVIIe siècle. Ainsi Madame de Sévigné : « Le roi et la reine d'Angleterre sont bien mieux à Saint-Germain que dans leur perfide royaume. »
L'expression refait son apparition à chaque fois qu'une situation de concurrence ou de tension entre la France et le Royaume-Uni se présente[4].
Exemples de « perfidie » britannique
Vu l'antagonisme quasi permanent des deux pays depuis près d'un millénaire, les « faits » servant à établir cette prétendue « perfidie » britannique sont évidemment légion.
On citera par exemple des faits de guerre perçus comme ne respectant pas les usages de l'époque.
- En 1415, à la bataille d’Azincourt, sur ordre de Henri V, les Anglais achèvent les chevaliers français faits prisonniers, alors que le code d’honneur commandait de les épargner et de négocier une rançon en échange de leur libération.
- En 1755, sans déclaration de guerre, les Britanniques capturent 300 navires de commerce français et emprisonnent 6 000 marins. Cette action préventive semble avoir eu une grande influence sur l’issue de la guerre de Sept Ans.
- En 1801, Horatio Nelson sous les ordres du commodore Hyde Parker attaque et défait par surprise et sans déclaration de guerre la flotte danoise à la bataille de Copenhague.
- En 1878, les bateaux anglais entrent dans la mer de Marmara en menaçant de s'immiscer pendant la Guerre russo-turque de 1877-1878, et empêchent la prise de contrôle d'Istanbul par les Russes malgré la neutralité garantie auparavant.
- En 1908, Lord Fisher recommande au roi Édouard VII de « copenhaguer la flotte allemande », c'est-à-dire de la détruire dans les eaux nationales allemandes comme lors de la bataille de Copenhague, interrogeant : « Pourquoi attendre et donner à l’Allemagne l’avantage de choisir le moment de l’attaque ? ». Selon l’amiral Bacon, Fisher « calculait que quand le programme naval allemand (…) serait terminé, l’Allemagne nous déclarerait la guerre ; septembre ou octobre 1914 était la date prévue par lui », à cause de la fin de travaux de modification du canal de Kiel. Mais le roi lui répond que l'idée est contraire à la notion même de droit[5].
- En 1940, alors que l’armistice a été signé entre l’État français (Régime de Vichy) et le Troisième Reich, les Britanniques lancent l’opération Catapult. Elle vise à neutraliser la marine française par tous les moyens possibles, de peur que celle-ci ne tombe entre les mains des forces de l’Axe. Elle entraîne la mort de 1300 marins français et la perte de plusieurs navires lors de la bataille de Mers el Kebir.
Pourquoi « Albion » ?
L'origine du mot viendrait de alba qui signifie blanc (en latin, on trouve l'adjectif albus : blanc) et renverrait à la blancheur des falaises crayeuses de Douvres. Albion est le nom latin de la Grande-Bretagne, que Pline l'Ancien mentionne dans ses écrits : Albion et Albiones[3].
Au début du VIIIe siècle, l'historien anglo-saxon Bède le Vénérable ouvre ainsi son Histoire ecclésiastique du peuple anglais : « La Bretagne est une île de l'Océan qui autrefois se nommait Albion »[6].
Dans le Dictionnaire des expressions et locutions[7], Alain Rey et Sophie Chantreau y ajoutent une autre explication : Albion aurait été donné à l'Angleterre, « fille des mers », par allusion à Albion, nom d'un géant, fils du dieu Neptune. Albion, une ancêtre de Britannia ?
Selon une légende celtique, Albion tiendrait son nom d'Albine, aînée des Danaïdes qui, condamnées à errer en mer pour le meurtre de leurs maris, auraient débarqué sur la côte anglaise[8].
En gaélique, Alba est le nom de l'Écosse.
Quelques citations
- « Frémis, frémis Albion perfide » (Henri Somin, Ode sur la mort du duc de Montebello, 1809).
- « La perfide Albion qui a brûlé Jeanne d’Arc sur le rocher de Sainte-Hélène. » (Christophe, La Famille Fenouillard)
- « Et la guerre ? Et les forfanteries de la perfide Albion tournant en eau de boudin ? Farce ! Farce ! » (Gustave Flaubert, Correspondances, 1878)
- « La perfide Albion devient la chère et loyale Angleterre » (François Crouzet).
Notes et références
- Le Monde daté du 23 janvier 2007 (page 32)
- « Attaquons dans ses eaux la perfide Albion », in L'ère des Français (1793).
- Gaffiot, édition 2000
- Jeux olympiques d'été de 2012 devant la candidature de Paris a, par exemple, donné l'occasion de revoir fleurir l'expression La désignation de Londres pour les
- Académie de Marine, dans Les missions navales sur stratisc.org Cité par Michel Tripier, de l'
- Bède le Vénérable, Histoire ecclésiastique du peuple anglais, Livre I, chapitre 1
- Entrée « Albion », dans la collection Les usuels, Édition Le Robert, 2002
- Perfide Albion » Christine Guillou, in Les dossiers de Weblettres, octobre 2005. D'après l'article «
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