- Chronique anglo-saxonne
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La Chronique anglo-saxonne (Anglo-Saxon Chronicle) est un ensemble d'annales en vieil anglais relatant l'histoire des Anglo-Saxons. Le manuscrit original, qui date de la fin du IXe siècle, a probablement été composé dans le royaume de Wessex, sous le règne d'Alfred le Grand. De multiples copies en ont été distribuées aux monastères d'Angleterre, chacune mise à jour indépendamment des autres : l'une d'entre elles l'est encore en 1154.
Il subsiste neuf manuscrits de la Chronique, d'importance historique variable. Tous ne sont pas conservés dans leur intégralité, et aucun d'entre eux n'est le manuscrit original. La rédaction de la plus ancienne copie subsistante semble avoir débuté vers la fin du règne d'Alfred, tandis que la plus récente a été composée à l'abbaye de Peterborough après un incendie ayant frappé le monastère en 1116. La quasi-totalité du contenu des chroniques se présente sous forme d'annales. Elles commencent toutes avec l'année 60 av. J.-C., et décrivent l'histoire des Anglo-Saxons jusqu'à l'année de leur rédaction. Des ajouts successifs leur ont été ensuite apportés au fil du temps. C'est l'ensemble de ces manuscrits qui est désigné sous le nom de « Chronique anglo-saxonne ».
La Chronique n'est pas une source neutre : parfois, la comparaison avec d'autres sources médiévales montre que ses compilateurs ont omis des faits, ou les ont relatés de façon partiale. En outre, il arrive que les différentes versions de la Chronique se contredisent par endroits. Toutefois, prise dans son ensemble, elle constitue la principale source historique pour la période s'étendant entre l'abandon de la Bretagne par les Romains en 410 et la conquête normande de l'Angleterre en 1066 : une grande partie des informations présentes dans la Chronique n'apparaît nulle part ailleurs. Ses manuscrits sont également des sources importantes pour l'histoire de la langue anglaise : la fin du texte de la Chronique de Peterborough est notamment l'un des plus anciens exemples connus de moyen anglais.
Sept des neuf manuscrits subsistants de la Chronique anglo-saxonne sont conservés à la British Library. Les deux autres se trouvent à la bibliothèque bodléienne d'Oxford et à la bibliothèque du Corpus Christi College de Cambridge.
Composition
Étant donné que tous les manuscrits connus de la Chronique anglo-saxonne sont des copies, la date et le lieu de composition de la version originale du texte sont incertains. L'hypothèse la plus répandue veut qu'elle ait été rédigée par un scribe du Wessex, vers la fin du neuvième siècle[N 1]. Après la compilation de la Chronique originale, des copies en sont réalisées et distribuées à divers monastères. Par la suite, des copies supplémentaires ont été produites, à destination d'autres monastères ou pour remplacer des manuscrits perdus. Certaines copies ont été mises à jour indépendamment les unes des autres. Les copies dont on dispose aujourd'hui font partie de ces copies tardives[1].
Le plus ancien manuscrit existant, la « Chronique de Winchester », a été rédigé par un seul scribe jusqu'à l'année 891. Dans la marge de la ligne suivante, il écrit encore « DCCCXCII » (892), mais la suite du manuscrit a été composée par d'autres scribes[2]. La Chronique semble donc avoir été rédigée au plus tard en 892, une hypothèse que corrobore l'usage, par l'évêque Asser, d'une version de la Chronique dans sa Vie du Roi Alfred (Life of King Alfred), dont on sait qu'elle a été écrite en 893[3]. On sait que le manuscrit de Winchester est au moins une copie de troisième main de la Chronique originale : rien ne prouve donc que la Chronique ait été compilée à Winchester[4].
La date de rédaction des annales originales est difficile à estimer. L'hypothèse la plus répandue la situe sous le règne d'Alfred le Grand, roi du Wessex de 871 à 899, célèbre pour avoir organisé la défense du royaume contre les Danois. Au-delà de ses prouesses sur le champ de bataille, Alfred tente de faire revivre le savoir et la culture, et encourage l'usage de l'anglais comme langue écrite. Il est possible que la Chronique et sa distribution dans plusieurs centres culturels soit un résultat des réformes apportées par Alfred[5].
Les manuscrits
Parmi les neuf manuscrits encore existants, sept sont entièrement rédigés en vieil anglais. Un autre (l'« épitomé bilingue de Cantorbéry ») présente les annales en vieil anglais avec leur traduction en latin, et le dernier, la « chronique de Peterborough », est en vieil anglais sauf pour sa dernière entrée, qui est en moyen anglais primitif. Le plus ancien manuscrit (Corp. Chris. MS 173) est connu sous les noms de « chronique de Winchester » ou « chronique de Parker » (d'après Matthew Parker, archevêque de Cantorbéry au XVIe siècle et possesseur de ce manuscrit).
Six des manuscrits de la Chronique ont été publiés en 1861 par B. Thorpe. Son édition présente les six textes en colonnes numérotées de A à F. Suivant cette convention, les trois autres manuscrits sont souvent appelés [G], [H] et [I].
Ces neuf manuscrits sont listés ci-dessous. Du manuscrit G, victime d'un incendie en 1731, il ne reste que quelques pages[2].
Version Nom de la chronique Localisation Cote du manuscrit A The Parker Chronicle ou The Winchester Chronicle
(Chronique de Parker ou Chronique de Winchester)Corpus Christi College MS. 173 B The Abingdon Chronicle I
(Chronique d'Abingdon I)British Library Cotton MS. Tiberius A vi. C The Abingdon Chronicle II
(Chronique d'Abingdon II)British Library Cotton MS. Tiberius B i. D The Worcester Chronicle
(Chronique de Worcester)British Library Cotton MS. Tiberius B iv. E The Laud Chronicle ou The Peterborough Chronicle
(Chronique de Laud ou Chronique de Peterborough)Bodleian Library MS Laud 636 F The Bilingual Canterbury Epitome
(Épitomé bilingue de Cantorbéry)British Library Cotton MS. Domitian A viii. G ou A² ou W Copie de la Winchester Chronicle British Library Cotton MS. Otho B xi., 2 H Cottonian Fragment
(Fragment cottonien)British Library Cotton MS. Domitian A ix. I An Easter Table Chronicle
(Chronique d'une table de Pâques)British Library Cotton MS. Caligula A xv. Relations entre les manuscrits
On estime que tous les manuscrits ont une source commune, mais les liens entre les textes sont plus complexes qu'une transmission directe par le biais de la recopie. Voici un résumé des relations connues[2] :
- [A²] est une copie de [A] réalisée à Winchester, probablement entre 1001 et 1013.
- [B] a servi pour la compilation de [C] à Abingdon au milieu du XIe siècle. Cependant, l'auteur de [C] avait également accès à une autre version qui n'a pas survécu.
- [D] inclut des éléments de l'Histoire ecclésiastique du peuple anglais de Bède le Vénérable, ainsi que d'un ensemble d'annales northumbriennes du VIIIe siècle. Il s'agit vraisemblablement d'une copie d'une version nordique qui n'a pas subsisté.
- [E] inclut des éléments qui semblent être issus des mêmes sources que [D], mais quelques ajouts présents dans cette dernière en sont absents, comme le « Registre mercien » (Mercian Register). Le manuscrit [E] a été composé au monastère de Peterborough, quelque temps après un incendie survenu en 1116 qui a probablement détruit la copie de la Chronique qui s'y trouvait. Il semble avoir été élaboré à partir d'une version originaire du Kent, probablement de Cantorbéry.
- [F] semble inclure des éléments de la même version cantorbérienne qui a servi pour [E].
La Vie du Roi Alfred d'Asser, écrite en 893, inclut une traduction des entrées 849-887 de la Chronique. Des manuscrits encore existants, seul [A] aurait pu exister à cette date, mais Asser s'éloigne en plusieurs points du texte de [A], et il est donc possible qu'il se soit servi d'une version disparue[N 2].
L'historien Æthelweard a produit une traduction latine de la Chronique à la fin du Xe siècle. Sa version provenait sans doute de la même branche que [A][6].
Par endroits, le texte d'Asser est cohérent avec [A] et avec le récit d'Æthelweard, mais il s'oppose à [B], [C], [D] et [E]. Ces quatre manuscrits doivent donc avoir une origine commune[7].
Entre 1120 et 1140, un auteur inconnu a rédigé à Abingdon une chronique en latin connue sous le nom d'Annales de saint Neots (Annals of St. Neots). Ce texte inclut des éléments d'une copie des Chroniques, mais il est très difficile de dire laquelle, l'annaliste ayant été sélectif dans son usage de ce texte. Il s'agissait peut-être d'une version nordique, ou d'un dérivé latin de cette version[6].
Il existe une erreur de chronologie entre les années 756 et 845 dans tous les manuscrits connus, mais le compilateur des Annales de saint Neots a de toute évidence utilisé une copie dans laquelle cette erreur était absente, et qui leur était probablement antérieure. La copie dont disposait Æthelweard présentait l'erreur de chronologie, mais possédait une phrase supplémentaire dans l'entrée pour 855 qui a disparu dans toutes les copies connues. L'erreur et la phrase manquante correspondent donc à deux étapes distinctes du processus de copie, ce qui implique que les manuscrits existants sont, au mieux, des copies de troisième main du manuscrit original[7].
Histoire des manuscrits
[A] La Chronique de Winchester
La « Chronique de Winchester », ou « de Parker », est le plus ancien manuscrit de la Chronique encore existant. Sa rédaction a commencé au Old Minster de Winchester vers la fin du règne d'Alfred. Le manuscrit débute par une généalogie d'Alfred, et la première annale est celle de l'année 60 av. J.-C. Le travail du premier scribe cesse avec l'année 891, et les entrées suivantes ont été rédigées par divers scribes tout au long du Xe siècle. Le huitième scribe, qui rédige les années 925-955, travaille clairement à Winchester même : ses entrées présentent des événements survenus dans la ville, et il utilise le nom commun ceaster « cité » pour faire référence à Winchester[8]. Le texte du manuscrit diverge de celui des autres copies après l'entrée pour 975.
Ce volume, qui inclue une copie des Lois d'Alfred et Ina après l'entrée pour 924, est transféré à Cantorbéry au début du XIe siècle. Des interpolations, qui ont nécessité d'effacer quelques passages du manuscrits, ont été apportées au texte durant son séjour à Cantorbéry. Les entrées supplémentaires semblent issues de la même version du manuscrit dont dérive [E][8].
La dernière entrée en langue vernaculaire est celle de l'année 1070. Elle est suivie par les Acta Lanfranci, un texte latin qui couvre les événements survenus entre 1070 et 1093 concernant l'Église, puis d'une liste de papes et d'archevêques de Cantorbéry à qui les papes ont envoyé le pallium.
Après la dissolution des monastères, le manuscrit est acquis par l'archevêque de Cantorbéry Matthew Parker (1504-1575). À sa mort, il le lègue au Corpus Christi College de l'université de Cambridge, dont il a été le maître de 1544 à 1553. Il fait aujourd'hui partie de la bibliothèque Parker[2].
[B] La Chronique d'Abingdon I
[B] a été rédigé par un seul scribe dans la deuxième moitié du Xe siècle. Il commence avec une entrée pour 60 av. J.-C. et s'achève sur l'entrée pour 977. Un manuscrit aujourd'hui séparé (British Library MS. Cotton Tiberius Aiii, f. 178) servait à l'origine d'introduction à cette chronique : il s'agit d'une généalogie, comme celle de [A], mais étendue jusqu'à la fin du Xe siècle. On sait que [B] se trouvait à Abingdon au milieu du XIe siècle, étant donné qu'il a servi à la composition de [C]. Il a été envoyé peu après à Cantorbéry, où il a reçu ajouts et corrections. Comme [A], il s'achève sur une liste de papes et d'archevêques de Cantorbéry à qui les papes ont envoyé le pallium[2].
[C] La Chronique d'Abingdon II
[C] inclut des éléments issus d'annales locales d'Abingdon, où il a été composé. Il contient également une traduction en vieil anglais de l'histoire du monde d'Orose, suivie d'un ménologe et de quelques vers sur les lois du monde naturel et de l'humanité. C'est seulement après que débute la copie de la Chronique, qui commence en 60 av. J.-C. Le premier scribe a copié les annales jusqu'à l'entrée pour 490, avant qu'un second scribe prenne le relais jusqu'à l'entrée pour 1048. [B] et [C] sont identiques entre 491 et 652, mais des différences plus loin montrent clairement que le second scribe disposait également d'une autre copie de la Chronique. Après l'annale pour 915, il a également inséré le « Registre mercien » (Mercian Register), un texte qui couvre les années 902-924 et s'intéresse principalement à Ethelfleda. Le manuscrit se poursuit jusqu'en 1066 et s'achève au milieu de la description de la bataille de Stamford Bridge. Quelques lignes ont été ajoutées au XIIe siècle pour compléter le récit de l'affrontement[2].
[D] La Chronique de Worcester
[D] semble avoir été rédigé au milieu du XIe siècle. Après 1033, il inclut quelques éléments concernant Worcester, ce qui semble indiquer qu'il a été composé dans cette ville. On peut identifier cinq scribes différents dans les entrées avant 1054, après quoi il semble avoir été mis à jour de façon ponctuelle. Le texte inclut des éléments de l'Histoire ecclésiastique de Bède le Vénérable, ainsi que d'un ensemble d'annales de Northumbrie du VIIIe siècle. Il est possible que certaines entrées aient été composées par l'archevêque d'York Wulfstan (II).
[D] contient plus d'informations sur les affaires du Nord et de l'Écosse que les autres manuscrits, et il est possible qu'il s'agisse d'une copie destinée à la cour écossaise anglicisée. La présence d'une version « nordique » de la Chronique à Worcester s'explique peut-être par le fait que les sièges épiscopaux de York et de Worcester ont été occupés par les mêmes personnes entre 972 et 1016 (Oswald à partir de 972, Ealdwulf à partir de 992, et Wulfstan à partir de 1003).
Des parties du manuscrit ont disparu vers le XVIe siècle, et dix-huit pages contenant des entrées de remplacement tirées d'autres sources ont été insérées à l'intérieur. Ces pages ont probablement été rédigées par John Joscelyn, le secrétaire de Matthew Parker[2].
[E] La Chronique de Peterborough
Article détaillé : Chronique de Peterborough.En 1116, le monastère de Peterborough est ravagé par un incendie qui détruit une bonne partie des bâtiments. Il est possible que la copie de la Chronique conservée au monastère ait été perdue lors de ce sinistre. En tout cas, une nouvelle copie est réalisée peu après, apparemment à partir d'une version kentique, vraisemblablement issue de Cantorbéry. Le manuscrit est rédigé d'une traite jusqu'à l'entrée pour 1121 par un seul scribe, qui ajoute des éléments concernant son abbaye absents des autres versions. Le texte original de Cantorbéry qu'il copie est semblable, mais pas identique à [D] : le « Registre mercien » n'apparaît pas dans [E], de même qu'un poème concernant la bataille de Brunanburh (937), présent dans la plupart des versions de la Chronique. Le scribe original poursuit la rédaction des annales jusqu'en 1131. Ces entrées sont ajoutées de manière ponctuelle, et représentent probablement des comptes-rendus contemporains des événements. Finalement, en 1154, un autre scribe rédige un récit des années 1132-1154 ; sa datation est réputée peu fiable. Cette dernière entrée est en moyen anglais et non en vieil anglais. L'archevêque de Cantorbéry William Laud (1573-1645) a possédé un temps ce manuscrit, d'où son autre nom de « chronique de Laud[2] ».
[F] L'Épitomé bilingue de Cantorbéry
Vers 1100, une copie de la Chronique a été réalisée à Christ Church, probablement par l'un des auteurs des notes apportées à [A]. Cette version est écrite en vieil anglais et en latin : chaque entrée en vieil anglais est suivie de sa traduction latine. La version copiée par le scribe est similaire à celle employée par le scribe de Peterborough pour la rédaction du manuscrit [E], bien qu'il semble s'agir d'une version abrégée. Cette copie [F] présente la même introduction que [D], et c'est la seule, avec [E], où n'apparaît le poème sur la bataille de Brunanburh. Le manuscrit contient de nombreuses annotations interlinéaires, certaines de la plume du scribe original et d'autres issues d'auteurs ultérieurs[2], parmi lesquels l'érudit du XVIe siècle Robert Talbot[9].
[G] Copie de la Chronique de Winchester
[G] est une copie de [A] (d'où son autre nom [A²], donné par Albert Hugh Smith) réalisée à Winchester. La dernière annale copiée est celle pour l'année 1001, qui constitue donc la date la plus ancienne à laquelle peut remonter ce manuscrit. Une liste épiscopale présente en appendice implique qu'elle a dû être réalisée vers 1013. Ce manuscrit a été presque entièrement détruit en 1731, lors de l'incendie d'Ashburnham House, où se trouvait la collection Cotton. Il ne subsiste que sept pages (folios 39-47) des 34 du manuscrit original[10]. Cependant, une transcription en avait été réalisée par Laurence Nowell, un érudit du XVIe siècle, et Abraham Wheloc reprend cette transcription dans son édition de la Chronique imprimée en 1643. C'est pourquoi elle est également appelée [W], comme Wheloc[2].
[H] Fragment cottonien
[H] consiste en une seule feuille, contenant les annales pour 1113 et 1114. L'entrée pour 1113 inclut la phrase « il vint à Winchester », et il est donc probable que le manuscrit ait été réalisé dans cette ville. Ce qui reste de ce manuscrit est insuffisant pour établir des rapports plausibles avec les autres manuscrits de la Chronique[2].
[I] Chronique de la table de Pâques
Un manuscrit gravement brûlé contient quelques entrées de la Chronique (folios 133-137), ainsi que diverses notes sur des charmes, le calcul des dates de fêtes chrétiennes et des annales concernant Christ Church[11]. La plupart des entrées de la Chronique se rapportent également à Christ Church. Elles sont en anglais jusqu'en 1109 (décès d'Anselme), puis toutes les suivantes (sauf une) sont en latin[12]. Une partie du texte [I] a été rédigée par un scribe peu après 1073[2], avec la même encre et la même écriture que le reste du manuscrit. Après 1085, les annales ont été rédigées par divers scribes, au moment des faits qu'elles décrivent. L'entrée d'origine concernant la conquête normande de l'Angleterre indique simplement « Her forðferde eadward kyng » ; par la suite, un autre scribe a ajouté « 7 her com willelm »[12]. Le manuscrit est resté un certain temps à l'abbaye Saint-Augustin de Cantorbéry[2],[13].
Manuscrits perdus
Un catalogue de la bibliothèque de Durham mentionne deux manuscrits sous le nom de cronica duo Anglica. En outre, la donation de Parker à l'université de Cambridge comprenait un manuscrit intitulé Hist. Angliae Saxonica, mais celui-ci (MS. Hh.1.10) a perdu 52 feuilles, dont l'intégralité de cette version de la Chronique[7].
Sources, fiabilité et datation
La Chronique se base sur de multiples sources. Ainsi, l'entrée pour 755, qui décrit comment Cynewulf s'empare du trône du Wessex au détriment de Sigeberht, est nettement plus longue que les entrées adjacentes, et inclut des citations directes des participants aux événements. Il semble plausible que le scribe les ait tirées d'une saga préexistante[14]. Les premières entrées, jusqu'à l'année 110, sont probablement issues d'un des petits volumes encyclopédiques sur l'histoire du monde qui circulaient à l'époque de la rédaction de la Chronique originale. Le résumé chronologique de l'Histoire ecclésiastique de Bède a également servi de source. Les dates et généalogies des rois de Northumbrie et de Mercie, ainsi que la liste d'évêques du Wessex, proviennent probablement de sources distinctes. L'entrée pour 661 indique une bataille livrée par Cenwalh ayant eu lieu « à Pâques » ; cette précision indique une source contemporaine ayant survécu et servi à l'auteur de la Chronique[15].
Dès le VIIe siècle, on commence à tenir des annales au Wessex[N 3]. Les éléments compilés sous le règne d'Alfred se rapportent à l'histoire du Kent, des Saxons du Sud, de la Mercie et tout particulièrement des Saxons de l'Ouest[16]. La Chronique est née de la tradition des Tables de Pâques, conçues pour aider le clergé à déterminer les dates des fêtes dans les années à venir : chaque page de ces Tables se compose d'une séquence de lignes horizontales suivies par des informations astronomiques, avec un espace contenant de brèves notes sur les événements de l'année pour la distinguer des autres. Au fur et à mesure de sa croissance, la Chronique perd son allure de liste. Ces notes prennent de plus en plus de place et se transforment en chroniques historiques. De nombreuses entrées parmi les plus tardives, notamment celles rédigées par les contemporains, contiennent une part importante de récit historique[17].
Comme toute source, la Chronique doit être prise avec un minimum de recul. Par exemple, entre 514 et 544, elle fait référence à Wihtgar, supposément inhumé sur l'île de Wight, au « fort de Wihtgar », Wihtgaræsbyrg dans l'original, qui aurait donné son nom à l'île toute entière. En réalité, le nom de l'île de Wight dérive du nom latin Vectis et non pas de Wihtgar. Le véritable nom de la forteresse était sans doute Wihtwarabyrg, « le fort des habitants de Wight », interprété à tort soit par le chroniqueur, soit par une source antérieure, comme faisant référence à Wihtgar[18],[19].
La datation des événements décrits est également à considérer avec précaution. Outre les dates purement fausses, les scribes ont parfois commis des erreurs supplémentaires. Par exemple, dans le manuscrit [D], le scribe a omis l'année 1044 dans la liste sur la gauche, et par conséquent, les annales copiées à la suite sont fausses de 1045 à 1052, qui a deux entrées. Il est encore plus délicat de déterminer le moment où débute une année donnée, la date du 1er janvier n'étant pas universelle à l'époque. Ainsi, dans [E], l'entrée pour 1091 débute à Noël et se poursuit sur le reste de l'année, suivant l'ancienne coutume faisant commencer l'année à Noël. D'autres entrées semblent faire commencer l'année le 25 mars, comme l'année 1044 dans le manuscrit [C] : elle s'achève sur le mariage d'Édouard le Confesseur le 23 janvier, puis un événement ayant eu lieu le 22 avril est décrit sous 1045. D'autres années encore semblent débuter en septembre[20].
Les manuscrits proviennent de différents endroits, et chacun d'entre eux reflète les partis-pris de ses auteurs. On a affirmé que la Chronique devait être considérée comme œuvre de propagande produite par la cour d'Alfred et écrite afin de le glorifier et de susciter loyauté à son égard[21]. Cette thèse n'est pas universellement acceptée[N 4], mais les origines des manuscrits ont clairement pesé sur la description des rapports entre le Wessex et les autres royaumes, ainsi que sur les descriptions des déprédations commises par les Vikings. L'entrée pour 829, qui décrit l'invasion de la Northumbrie par Egbert de Wessex, en offre une illustration. D'après la Chronique, après avoir conquis la Mercie et l'Essex, Egbert devient bretwalda, ce qui implique la souveraineté sur toute l'Angleterre. Ainsi, lorsqu'il marche sur la Northumbrie, ce pays lui offre « soumission et paix ». Les chroniques northumbriennes intégrées dans l'histoire de Roger de Wendover au XIIIe siècle offrent une version différente des faits : « Lorsque Egbert eut obtenu tous les royaumes du Sud, il conduisit une grande armée en Northumbrie, et dévasta cette province par violent pillage, et fit payer tribut au roi Eanred »[22],[23].
Une comparaison des différents manuscrits permet parfois de constater les partis-pris des scribes. Par exemple, Ælfgar, comte d'Est-Anglie et fils de Léofric, comte de Mercie, est brièvement exilé en 1055. Les manuscrits [C], [D] et [E] décrivent ainsi cet événement[24] :
- [C] : « Le comte Ælfgar, fils du comte Léofric, fut mis hors-la-loi sans faute aucune [...] »
- [D] : « Le comte Ælfgar, fils du comte Léofric, fut mis hors-la-loi presque sans faute aucune [...] »
- [E] : « Le comte Ælfgar fut mis hors-la-loi parce qu'on lui lança qu'il était traître au roi et à tout le peuple du pays. Et il admit cela devant tous les hommes rassemblés là, bien que les mots eussent jailli contre sa volonté. »
Un autre exemple qui mentionne Ælfgar montre une autre facette de la faillibilité de la Chronique : l'omission. En 1058, Ælfgar, devenu comte de Mercie, est à nouveau exilé, mais cette fois-ci, seul le manuscrit [D] trouve quelque chose à dire : « En cette année le comte Ælfgar fut chassé, mais il revint bientôt, avec violence, avec l'aide de Gruffydd. Et vint alors une flotte pillarde de Norvège ; il est fastidieux de dire comment tout cela advint ». Dans ce cas précis, d'autres sources existent et permettent de clarifier la situation : cette année-là, l'Angleterre subit une attaque norvégienne de grande envergure, mais [E] n'en dit rien et [D] la mentionne tout juste. On a parfois affirmé que lorsque la Chronique est muette, les autres sources qui mentionnent des événements majeurs doivent être dans l'erreur, mais cet exemple prouve que la Chronique omet bien des événements importants[24].
Importance
La Chronique anglo-saxonne est la principale source d'informations pour l'histoire de l'Angleterre anglo-saxonne. Sans la Chronique et l'Histoire ecclésiastique de Bède, il serait impossible d'écrire l'histoire des Anglais entre le départ des Romains et la conquête normande[25]. Il est clair que des registres et annales ont commencé à être tenus en Angleterre avec l'introduction du christianisme dans l'île, mais aucun registre de ce genre n'a subsisté sous sa forme originale. Néanmoins, ils ont incorporés dans des œuvres ultérieures, et la Chronique en contient probablement un grand nombre. L'histoire qu'elle relate n'est pas seulement celle dont ont été témoins ses compilateurs, mais aussi celle couchée sur le papier par des annalistes antérieurs, dont les travaux ne sont souvent conservés nulle part ailleurs[26].
Les trois principaux historiens anglo-normands, Jean de Worcester, Guillaume de Malmesbury et Henri de Huntingdon (ainsi que Siméon de Durham), ont tous à disposition une copie de la Chronique, dont ils se servent pour composer leurs propres œuvres. Quelques historiens de la fin du Moyen Âge utilisent également la Chronique, d'autres s'inspirent à leur tour de ceux qui s'en sont servi, si bien que la Chronique occupe une position « centrale dans le courant de la tradition historique anglaise[27] ».
Par ailleurs, son importance ne se limite pas aux informations historiques qu'elle fournit : elle constitue également un témoignage important de l'évolution de la langue anglaise à ses débuts[25]. La « Chronique de Peterborough » passe du vieil anglais livresque classique au moyen anglais primitif après 1131, fournissant des textes comptant parmi les plus anciens connus en moyen anglais[2].
La Chronique présente également un certain intérêt littéraire. Les annales du Xe siècle et du XIe siècle contiennent plusieurs poèmes célébrant des souverains et leurs réussites : The Battle of Brunanburh (937), Capture of the Five Boroughs (942), The Coronation of King Edgar (973), The Death of King Edgar (975), The Death of Prince Alfred (1036) et The Death of King Edward the Confessor (1066)
Histoire des éditions
En 1692, le juriste et théologien Edmund Gibson (futur évêque de Londres) publie la Chronicum Saxonicum, l'une des premières éditions de la Chronique, présentant les textes en latin et en vieil anglais sur deux colonnes en vis-à-vis. Elle reste l'édition de référence jusqu'au XIXe siècle[28]. Elle est supplantée en 1861 par l'édition de Rolls de Benjamin Thorpe, qui présente six versions en vis-à-vis, dans des colonnes intitulées [A] à [F] (à l'origine de la notation actuelle des manuscrits).
En 1865, John Earle rédige Two of the Saxon Chronicles Parallel, révisé et édité par Charles Plummer en deux volumes en 1892 et 1899. Cette édition présente les manuscrits [A] et [E], ainsi que des passages issus d'autres versions. Elle est très utilisée dans la première moitié du XXe siècle, et encore rééditée en 1952[29].
Depuis les années 1980, un nouvel ensemble d'éditions annotées paraît sous le titre The Anglo-Saxon Chronicle: A Collaborative Edition. Certains volumes sont encore à paraître, dont un dédié à la « version nordique », mais les volumes existants, comme l'édition du manuscrit [A] par Janet Bately, sont devenus des références[2]. La traduction de 1996 de Michael Swanton, The Anglo-Saxon Chronicle, présente les versions [A] et [E] en vis-à-vis, avec des variantes et leçons tirées des autres manuscrits.
Annexes
Notes
- « les historiens s'accordent au moins pour dire que la Chronique originale s'étendait au moins jusqu'en 890 ». Keynes et Lapidge suggèrent que « le retour des Vikings en Angleterre semble avoir occasionné la « publication », fin 892 ou début 893, de la Chronique anglo-saxonne ». Voir Abels, p. 15, et Keynes & Lapidge, p. 41. Par exemple, Richard Abels affirme que
- Par exemple, Asser n'inclut pas Esla dans la généalogie d'Alfred. [A] l'inclut, mais pas [D]. Voir Keynes & Lapidge, Alfred the Great, p. 228-229, note 4.
- 648 de la Chronique marque le début d'une relation contemporaine des événements. Voir Yorke, p. 128. Stenton propose que l'entrée pour
- « résister à la tentation de faire de la Chronique une forme de propagande dynastique des Saxons de l'Ouest ». Par exemple, Keynes et Lapidge (Alfred the Great, p. 55) estiment qu'il faut
Références
- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Anglo-Saxon Chronicle » (voir la liste des auteurs)
- Swanton, p. xx-xxi.
- Swanton, p. xxi-xxviii.
- Keynes & Lapidge, Alfred the Great, p. 55.
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- Hunter Blair, Roman Britain, p. 12.
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- Ker, Catalogue of Manuscripts, p. 175.
- Cotton Catalogue. Consulté le 11 avril 2007. Voir sous Caligula A.xv pour une description du manuscrit.
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- P. Wormald, « The Ninth Century », p. 139, in Campbell & al'.', The Anglo-Saxons.
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- Hunter Blair, An Introduction, p. 355.
- Hunter Blair, Roman Britain, p. 11.
- Lapidge, Encyclopedia of Anglo-Saxon England, p. 36.
- Law Books - October 2002 List. Consulté le 19/02/2008 Le titre complet de ce volume est : Chronicon Saxonicum; Seu Annales Rerum in Anglia Praecipue Gestarum, a Christo Nato ad Annum Usque MCLIV. Deducti, ac Jam Demum Latinitate Donati. Cum Indice Rerum Chronologico; Accedunt Regulae ad Investigandas Nominum Locorum Origines; Et Nominum Locorum ac Vivorum in Chronico Memoratorum Explicatio. Une description détaillée de la première édition se trouve ici :
- Whitelock, English Historical Documents, p. 129.
Bibliographie
- (en) The Anglo-Saxon Chronicle, éd. D. Whitelock, D. Douglas et S.I. Tucker, Londres, 1961 (édition reprenant tous les manuscrits).
- (en) The Anglo-Saxon Chronicle, trad. Michael Swanton, New York, Routledge, 1996, ISBN 0-415-92129-5 (traduction en anglais moderne des quatre manuscrits les plus importants et des variantes les plus significatives dans les autres manuscrits).
- (en) The Anglo-Saxon Chronicle: A Collaborative Edition, éd. gén. D. Dumville et S. Keynes, Cambridge, D.S. Brewer, 1983-2001 (édition de référence en plusieurs volumes, un par manuscrit).
- Une Chronique anglo-saxonne : traduite d'après le manuscrit 173 de Corpus Christi College, Cambridge, éd. Marie Hoffmann-Hirtz. Strasbourg: Librairie Universitaire d'Alsace, 1933.
- (en) Richard Abels, Alfred the Great: War, Kingship and Culture in Anglo-Saxon England, Longman, 2005 (ISBN 0-582-04047-7)
Liens externes
- (en) Transcription et description sur le site Labyrinth de l'université de Georgetown en Virginie (États-Unis d'Amérique), ne contient actuellement que le manuscrit A.
- (en) Édition en cours de l'ensemble du corpus par Tony Jebson.
- (en) Plusieurs traductions (en anglais moderne) et éditions électroniques du texte sont disponibles en ligne. Celle du révérend James Henry Ingram (1774–1850), aujourd'hui vieillie, fait partie du domaine public et peut ête téléchargée sur le site du projet Gutenberg ou sur le site O.M.A.C.L. (édition électronique par Douglas B. Killings, The Anglo-Saxon Chronicle).
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