R. L. Stevenson

R. L. Stevenson

Robert Louis Stevenson

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Robert Louis Stevenson
Robert Louis Stevenson par John Singer Sargent
Robert Louis Stevenson par John Singer Sargent

Activité(s) Romancier, poète, essayiste
Naissance 13 novembre 1850
à Édimbourg (Écosse)
Décès 3 décembre 1894
à Vailima (Samoa)
Langue d'écriture anglais, écossais
Genre(s) Roman d'aventures, littérature maritime, essai
Œuvres principales

Robert Louis Stevenson, né le 13 novembre 1850 à Édimbourg et mort le 3 décembre 1894 à Vailima (Samoa), est un écrivain écossais et un grand voyageur, célèbre pour son roman L'Île au trésor ainsi que pour sa nouvelle L'Étrange Cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde.

Sommaire

Biographie

Enfance et jeunesse

Robert Lewis Balfour Stevenson naît au 8, Howard Place à Édimbourg où se sont installés ses parents, Thomas Stevenson et Margaret Balfour, après leur mariage deux ans plus tôt, le 28 août 1848. Sa mère Maggie est la fille cadette du révérend Lewis Balfour, une famille des Borders. Son père Thomas, quant à lui, est un fervent calviniste appartenant à la célèbre lignée d'ingénieurs qu'est la famille Stevenson : son grand-père Robert, son père Thomas, ses oncles Alan et David, tous sont concepteurs de phares et ont apporté leur contribution à la sécurisation du littoral maritime écossais[1].

Le 13 décembre 1850 dans le plus pur respect de la tradition écossaise[2], il est baptisé « Robert Lewis » par son propre grand-père, le révérend Lewis Balfour.

Assez rapidement, Maggie Stevenson se montre incapable de s'occuper pleinement de son fils. En plus de son inexpérience de jeunesse — elle n'a alors que 21 ans — elle souffre de problèmes pulmonaires vraisemblablement hérités de son père, auxquels s'ajoutent des troubles nerveux. Il apparaît comme nécessaire d'engager une nourrice pour l'enfant. Trois se succèdent, mais c'est la dernière, entrée au service des Stevenson en mai 1852, qui marque Stevenson toute sa vie : Alison Cunningham, affectueusement surnommée « Cummy ». Le 14 décembre 1852, le petit « Smout », ainsi que ses parents le surnomment[3], tombe très malade, victime d'un refroidissement et d'une forte fièvre. Attribuant cela à la trop grande proximité de la Water of Leith[4], Thomas et Maggie déménagent en janvier 1853 pour s'installer au 1, Inverleith Terrace, dans une maison jugée plus saine pour l'enfant. Hélas, la demeure se révèle encore plus humide que la précédente et après une courte amélioration, Louis fait une rechute bien plus grave : le 10 mars 1853, le médecin lui diagnostique une attaque de croup. Dès lors, les neufs années qui suivent font vivre un calvaire à l'enfant : rhumes, bronchites, pneumonies, fièvres et infections pulmonaires se succèdent à chaque hiver en plus des maladies infantiles plus classiques. Ce n'est qu'en février 1857 qu'un docteur établit un rapprochement entre l'humidité de la maison et la santé de l'enfant. Les Stevenson déménagent alors dès le mois de mai au 17, Heriot Row[5]. Cette nouvelle demeure, plus saine et plus confortable que la précédente[6], est également plus en adéquation avec la nouvelle position sociale de Thomas, devenu entre-temps, en 1854, ingénieur attitré au Northern Lights Board. Mais il est déjà trop tard : la santé de Louis est définitivement ruinée.

Du fait de ses fréquentes maladies et de sa santé fragile, Louis est très peu sorti de chez lui, le « vilain climat » d'Édimbourg[7] risquant de lui être fatal. Sa vie s'organise donc dans la maison d'Heriot Row dont Thomas est fréquemment absent, appelé par sa fonction au Northern Lights à des tournées d'inspection. Maggie, elle aussi souvent malade, se déresponsabilise peu à peu de l'enfant, la brave Cummy étant là pour l'assumer. Face à des parents trop souvent absents, rien d'étonnant alors à ce que cette dernière, dotée de surcroît d'une forte personnalité, devienne pour Louis « sa seconde mère, sa première femme, l'ange de sa vie d'enfant »[8]. C'est elle qui garde le chevet du petit Smout dont les maladies occasionnent des nuits pénibles et fiévreuses remplies de cauchemars et d'insomnies, terreurs nocturnes évoquées dans son poème « North-West Passage »[9] ainsi que dans son texte « Un chapitre sur les rêves »[10]. Et c'est encore elle qui le distrait pendant les longues journées où il reste cloué au lit, en lui faisant la lecture : la Bible, le Voyage du pèlerin de Bunyan, la biographie du pasteur McCheyne, les écrits covenantaires comme ceux de Wodrow ou Peden ; ou encore en lui racontant l'histoire de l'Écosse et particulièrement celle des persécutions subies par les Covenanters durant le Killing Time, ainsi que des contes populaires de fantômes et de revenants[11]. Ils sont aussi très friands des récits d'aventures paraissant dans la revue Cassel's Family.

Le 7 octobre 1856, vient s'installer à Inverleith son jeune cousin Bob auquel sa famille souhaite épargner le triste spectacle des crises de démence de son père Alan. De trois ans plus âgé que Louis, il devient le compagnon de jeu de Louis : ensemble, ils s'amusent à s'inventer des histoires ou bien à peindre des figurines du théâtre de Skelt, dont les titres évocateurs enflamment l'imagination du jeune Louis[12].

Autres conséquences de sa santé défaillante, les périodes de cure ou bien de convalescence chez son grand-père, au presbytère de Colinton (Colinton Manse)[13]. C'est là qu'est son « Âge d'Or »[14]. Situé à quelques kilomètres d'Édimbourg, Louis y retrouve ses nombreux cousins et cousines et tout n'est que jeux et amusements sous la bienveillance de Jane Whyte Balfour — la fameuse « Auntie » dont il est fait mention dans A Child's Garden of Verses —, fille aînée de Lewis Balfour. À la mort de ce dernier le 30 avril 1860, un nouveau révérend vient le remplacer et c'en est fini de Colinton. « Auntie » quitte le presbytère pour s'installer à Spring Grove près de Londres.

Ses premières tentatives de scolarisation s'interrompent bien vite en raison de problème de santé : en 1856, crises de toux et fièvres découragent ses parents pour le reste de l'année, puis en 1857, après deux semaines de classe, une fièvre gastrique suivie d'une bronchite l'incapacitent durant tout l'hiver. Il entre en octobre 1861 dans la petite classe de l'Edinburgh Academy[15], mais il se montre plutôt solitaire : sa faible constitution l'empêchant de prendre part aux jeux, il peine à s'intégrer aux autres enfants. Au printemps 1862, c'est Thomas qui est pris de quintes de toux et Louis est encore une fois sorti de l'école afin d'accompagner ses parents dans le sud de l'Angleterre, avant de passer un mois à Hombourg en juillet. Puis les vacances sont prolongées jusqu'en automne en prenant une location à North Berwick, ce qui constitue le premier vrai contact avec la mer pour Louis dans ce qui était encore un petit village de pêcheurs sur le Firth of Forth, près de Dunbar. Lorsqu'arrive la rentrée scolaire, Maggie tombe presqu'aussitôt malade nécessitant une cure plus radicale. Le 2 janvier 1863, toute la petite famille accompagnée de Cummy, part alors pour un long périple : ils traversent d'abord la France et s'installent à partir du 4 février à Menton. Au terme de deux mois de cure, durant lesquels Louis a étudié avec un précepteur français, l'état de santé de Maggie s'est considérablement amélioré. Ils repartent donc tous le 31 mars 1863 pour visiter l'Italie durant plus d'un mois, avant de prendre le chemin du retour le 8 mai via l'Autriche et l'Allemagne. Le 29 mai 1863, après 5 mois de voyage et de dépaysement, Louis regagne enfin Heriot Row et voit s'approcher sans grand enthousiasme la perspective de la rentrée à l'Academy[16]. Devant la détresse de son fils, Thomas décide de lui changer les idées et lui propose de l'accompagner durant l'été dans sa tournée d'inspection des phares sur la côte de Fife. Louis accepte avec joie ce « premier voyage en qualité d'homme, sans jupons pour [l']assister »[17]. À leur retour, ils découvrent Maggie à nouveau souffrante et un nouveau séjour dans le Midi de la France semble s'imposer pour elle. Afin de ne pas à nouveau perturber la scolarité de Louis, ses parents décident de l'envoyer en pension à Burlington Lodge Academy près de chez « Auntie » à Spring Grove. Outre un premier contact plutôt négatif avec la société anglaise[18], c'est là qu'il écrit ses premiers récits d'aventures pour le magazine de l'école préfigurant déjà son œuvre à venir. Mais il vit assez mal cet éloignement et réclame à son père de pouvoir revenir[réf. nécessaire]. Thomas cède : il rejoint son fils le 19 décembre 1863 et tous deux vont retrouver Maggie et Cummy à Menton. Thomas repart pour Édimbourg fin janvier 1864 après avoir promis à son fils de ne pas le renvoyer à Spring Grove. Ils quittent Menton en mai 1864 pour passer les vacances sur les rives de la Tweed près de Peebles. Quand il ne passe pas ses journées à s'amuser avec ses cousins, Louis s'investit sérieusement dans plusieurs projets d'écriture[19].

En octobre 1864, Thomas l'inscrit dans une école pour enfants à problème. Son intégration parmi les autres élèves se passe mieux, mais il ne montre pas un grand intérêt pour les études[réf. nécessaire]. C'est que le but qu'il s'est fixé est déjà tout autre et qu'il consacre la plupart de son temps à y parvenir : apprendre à écrire. Il travaille notamment sur une pièce de théâtre inspirée de la vie de Deacon Brodie, homme d'affaire respecté le jour, criminel et voleur la nuit[20]. S'étant découvert avec un autre élève de l'école, les mêmes influences et la même passion de la littérature, ils se lisent à tour de rôle leurs compositions et collaborent à la publication d'un magazine. Sa rencontre avec l'une de ses idoles, l'auteur du célèbre The Coral Island, Robert Michael Ballantyne[21], n'est pas pour arranger son exaltation pour l'écriture. En février 1865, nouvelle interruption de scolarité pour suivre Maggie en cure à Torquay jusqu'en octobre. Au cours de la nouvelle année scolaire, Louis se lance, seul cette fois-ci, dans un autre projet de revue, dont trois numéros paraissent au début de l'année 1866. La revue ne survit pas au nouveau séjour à Torquay, d'avril à mai, que nécessite la santé de sa mère. Durant l'été qui suivit, Stevenson entreprend d'écrire un roman avec en toile de fond le soulèvement covenantaire de 1666 dans les Pentland Hills : l'Insurrection des Pentland. Mais son père, à la lecture de ses premiers brouillons, qualifie le travail de raté et l'encourage à abandonner la voie de la fiction au profit d'un simple récit historique. Louis, pour faire plaisir à son père, passe tout l'automne à la réécriture de Pentland Rising[22]. En récompense, Thomas fait imprimer l'œuvre de son fils à cent exemplaires chez un libraire d'Édimbourg et rachète la totalité du tirage[23].

Cette double influence qui fut la sienne, il la résume d'ailleurs très bien : « Un petit Écossais entend beaucoup parler de naufrages, de récifs meurtriers, de déferlantes sans pitié et de grands phares, ainsi que de montagnes couvertes de bruyère, de clans sauvages et de covenantaires pourchassés. »[24].

Prédestiné à perpétuer la dynastie des Stevenson, il entre à l'âge de 17 ans, en octobre 1867, à l'Université d'Édimbourg pour y préparer un diplôme d'ingénieur.

L'université et la vie de bohème

Malgré des travaux prometteurs (des dessins de phares commentés élogieusement), il s'applique en fait peu aux études, aspirant déjà à devenir écrivain[25]. Il mène alors une vie très dissolue, scandalisant famille et professeurs, notamment par sa relation avec une prostituée d'Édimbourg[26]. C'est à cette époque qu'il transforme la graphie « Lewis » de son nom en « Louis » à la française, la prononciation demeurant la même. Il adopte ainsi le nom de Robert Louis Stevenson et utilise désormais le sigle « R.L.S. » pour se désigner. Il abandonne ses études d'ingénieur en 1871, sa mauvaise santé s'accordant décidément mal avec le métier de constructeur de phares. Il se réoriente alors vers le droit — reçu à l'examen du barreau le 14 juillet 1875, il n'exerça pourtant jamais cette profession — pensant ainsi disposer de plus de loisirs afin de se consacrer à sa vocation secrète : l'écriture. En septembre 1872, il fréquente le club « L.J.R. » (Liberty, Justice, Reverence) fondé avec son cousin Bob, une société d'étudiants en rébellion prônant l'athéisme et le rejet de l'éducation parentale[27]. Bien évidemment, cela est fort peu au goût de son père. Le scandale familial atteint son paroxysme début 1873, quand il lui annonce qu'il a perdu la foi[28].

En 1876, il sillonne les canaux d'Anvers à Pontoise, voyageant à travers la France et la Belgique. Il publia son voyage, en 1878, dans le livre Un voyage dans les Terres.

En août, séjour à Barbizon où il rencontre Fanny Osbourne, née Van de Grift, elle-même en séjour à Grez (près de Fontainebleau). Cette Américaine de dix ans son aînée est une artiste-peintre qui vit séparée de son mari Samuel Osbourne et élève seule ses deux enfants Isobel et Lloyd. Entre eux deux, le coup de foudre est immédiat. Ils se retrouvent durant l'été 1877 de nouveau à Grez, puis à Paris en octobre. Ils veulent se marier mais Fanny n'est pas divorcée de son mari. En 1878, elle repart en Californie, pour obtenir ce divorce. De son côté, Stevenson voudrait bien la suivre mais ses finances ne lui permettent pas. De surcroît, son père menace de lui couper les vivres s'il persiste dans cette idée de mariage.

Robert Louis Stevenson par Girolamo Nerli

Déçu et en proie au doute, il part s'isoler au Monastier-sur-Gazeille. Depuis cette localité, il effectue une randonnée en compagnie d'une ânesse, nommée Modestine, le bât fixé sur l'animal est un sac servant à contenir ses effets et son sac de couchage. Parti le 22 septembre 1878 de Haute-Loire, il atteint douze jours plus tard la petite ville de Saint-Jean-du-Gard. Son parcours a cheminé dans le Velay, la Lozère ou ancien pays de Gévaudan (mont Lozère et Cévennes), en passant par les communes de Langogne, Luc, Le Bleymard, Le Pont-de-Montvert, Florac et Saint-Germain-de-Calberte, en pays camisard. Aujourd'hui cette randonnée de 230 km est connue sous le nom de « chemin de Stevenson » et est référencée comme sentier de grande randonnée GR70. Le récit de ce périple, Voyage avec un âne dans les Cévennes publié en 1879, demeure aujourd'hui encore le livre de chevet de nombreux randonneurs.

Mariage

En 1879, malgré l'avis contraire de sa famille, il part rejoindre Fanny Osbourne en Californie. Partant de Glasgow le 7 août, il atteint New York le 18 et retrouve Fanny à Monterey, après un voyage en chemin de fer.

En mars 1880, il manque de mourir d'une pneumonie et ne doit son salut qu'à l'attention de Fanny, qui se dévoue 6 semaines à son chevet. A peine rétabli, il l'épouse le 19 mai à San Francisco et ils partent en lune de miel, accompagnés du fils de Fanny, Lloyd. Cette lune de miel, qu'ils passent à Calistoga en Californie dans une mine d'argent désaffectée, est relatée Les Squatters de Silverado et publiée en 1883.

Entre 1880 et 1887 Stevenson voyagea beaucoup en Écosse, en Angleterre, séjourna à Davos, cherchant un climat bénéfique à sa santé. Il passa deux ans en 1883 et 1884 à Hyères dans un chalet appelé Solitude. Il écrivit alors : « Ce coin, notre jardin et notre vue sont subcélestes. Je chante tous les jours avec Bunian le grand barde. Je réside près du Paradis. Plus tard il écrivit « Heureux, je le fus une fois et ce fut à Hyères »

En 1887, après le décès de son père, il partit aux États-Unis, où il fut accueilli par la presse new-yorkaise comme une vedette, suite au succès de L'Étrange Cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde (1886). Il passa l'hiver dans les monts Adirondacks pour soigner sa tuberculose, et décida au printemps d'effectuer une croisière en Océanie où il visita les îles Marquises, les îles Gilbert et les Samoas.

Dernières années

Tombe de Stevenson sur le mont Vaea (Samoa)

En 1890, sa santé s'aggravant, il s'installe définitivement à Vailima aux Samoa dont le climat tropical est bénéfique à ses problèmes respiratoires. Sans négliger sa carrière littéraire, il s'investit beaucoup auprès des Samoans : lors d'une guerre civile en 1893, il prend même leur défense contre l'impérialisme allemand. Pleins de gratitude, les indigènes bâtissent en son honneur une route menant à sa plantation. Il devient même un chef de tribu, appelé respectueusement Tusitala (« le conteur d'histoires ») par ses membres. Il meurt d'une crise d'apoplexie à l'âge de 44 ans.

Il est enterré selon son désir face à la mer au sommet du mont Vaea surplombant Vailima. Lors de ses obsèques, 400 Samoans se relayèrent pour porter son cercueil au sommet du mont Vaea. Sa tombe porte en épitaphe les premiers vers de son poème Requiem composé à Hyères en 1884 :

« Under the wide and starry sky,
Dig the grave and let me lie,
Glad did I live and gladly die,
And I laid me down with a will
[29]. »

Son œuvre

À rebours de ses contemporains naturalistes, la poétique de Stevenson est résolument anti-réaliste. Elle privilégie les lois et les exigences de la fiction contre celles du réel, sans pour autant s'enfermer dans une quelconque tour d'ivoire. D'une part, c'est en œuvrant en vue de l'efficacité du récit que celui-ci pourra prétendre à fournir une représentation lisible du réel ; d'autre part, Stevenson représente moins la réalité même du réel de façon descriptive, qu'il ne donne à lire les représentations et les discours des êtres de ce monde : en témoigne la délégation récurrente du récit à des personnages narrateurs, par lesquels Stevenson donne à lire moins le réel même que les discours et les points de vue tenus sur ce réel. Souvent, ces discours sont ceux de la mauvaise foi, du mensonges et de l'hypocrisie de ses contemporains de l'époque victorienne ; à l'inverse, le choix d'un narrateur atypique est l'occasion de présenter un point de vue idéaliste et innocent. Dans les deux cas, cette mise en scène de la narration exerce une fonction critique de cette époque victorienne, qu'il revient au lecteur d'interpréter comme telle.

Ses nouvelles et romans d'aventure, romance et horreur manifestent une profonde intelligence de la narration, de ses moyens et de ses effets. Stevenson est également un très lucide théoricien du récit et de sa propre pratique, et quelques-uns de ses articles critiques, notamment "Une humble remontrance", constituent d'authentiques essais de poétique du récit. Stevenson exploite tous les ressorts du récit : il procède à la multiplication des narrateurs et des points de vue en insérant dans son récit mémoires ou lettres de personnages (L'Île au trésor, Le Maître de Ballantrae, L'Étrange Cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde), ce qui a pour effet de donner des versions différentes de la même histoire et de laisser ouverte l'appréciation des personnages et des événements comme la signification même du récit. Ainsi, L'Étrange Cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde s'achève significativement sur la confession de Jekyll, sans que les narrateurs précédents ne reprennent la parole, soit pour tirer le sens de cette aventure et des questions éthiques qu'elle pose, soit pour accréditer ou réfuter la version des événements que donne Jekyll : au lecteur de décider. Stevenson recourt souvent à des narrateurs à la compréhension limitée ou à des points de vue lacunaires (le notaire et le chirurgien dans L'Étrange Cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde), qui assurent un suspense maximal et favorise une incompréhension initiale propice au fantastique, et mettent en scène dans le même temps les limites étriquées de la compréhension scientiste des phénomènes (ainsi de phénomènes fantastiques) ou l'hypocrisie et la mauvaise foi toute victorienne de son temps (ainsi quant aux rapports fortement teintés d'homosexualité entre les personnages de L'Étrange Cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde). Ce jeu narratif trouve son apogée avec les narrateurs indignes de confiance, qui par leurs silences délibérés et leurs mensonges laissent des parts d'ombre et d'ambiguïté dans le récit et requièrent un lecteur actif, susceptible de lire entre les lignes (Le Maître de Ballantrae). Stevenson démontre également sa virtuosité formelle dans Les Nouvelles mille et une nuits : ce recueil de nouvelles propose une seule histoire, mais éclatée en une série de récits, chacun donnant une étape de l'histoire à laquelle est associée un personnage principal ; tout le jeu et la prouesse reposent sur le grand écart que ménage Stevenson entre le récit autonome de chaque nouvelle et la trame générale de l'histoire commune à chacune d'entre elles : chaque nouvelle semble proposer un récit entièrement différent et finit par rejoindre et à faire progresser de façon centrale l'intrigue principale.

L'art du récit de Stevenson se double d'une écriture extrêmement visuelle, propice aux scènes particulièrement frappantes, au très riche pouvoir de suggestion et fortement symboliques : le duel entre les deux frères dans Le Maître de Ballantrae, le piétinement de la fillette, le meurtre d'un notable à coups de canne ou la métamorphose dans L'Étrange Cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde. Selon un paradoxe qui n'est qu'apparent, cette visibilité de l'écriture stevensonienne passe par une très grande économie de moyens, et le procédé repose davantage sur la suggestion à partir d'un très petit nombre de détails que sur une description exhaustive qui serait moins efficace : là également, Stevenson confie au lecteur un rôle actif. Stevenson a lui-même théorisé cette pratique dans ses Essais sur l'art de la fiction, où il dévoile notamment comment une carte, objet visuel non narratif, a fourni la matrice de l'Île au trésor. Cette maîtrise peut passer inaperçue dans la mesure où son objectif n'est pas de se faire remarquer pour elle-même ni même d'innover pour innover, mais de servir l'efficacité, la puissance et la signification du récit. Stevenson souffre de ce fait, surtout en France où la notion d'avant-garde a largement déterminé le jugement esthétique, d'une réputation d'auteur de romans d'aventure ou de récits fantastiques pour adolescents. Il ne faut pas s'y tromper : il a été salué avec enthousiasme par les plus grands de ses contemporains et de ses successeurs, Henry James qui le considérait comme le plus grand romancier de son temps, Marcel Schwob et Alfred Jarry qui l'ont traduit, André Gide, Antonin Artaud (auteur d'un scénario adaptant Le Maître de Ballantrae), Vladimir Nabokov qui fit cours sur L'Étrange Cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde, Jorge Luis Borges (dont la préface de L'Invention de Morel, d'Adolfo Bioy Casares, reprend exactement les thèses de l'article "Une Humble remontrance"), Italo Calvino, Georges Perec et plus récemment Jean Echenoz.

Enfin, à la fin de sa vie, Stevenson fut l'un des premiers à décrire avec précision et fascination les paysages et les mœurs des contrées du Pacifique. Ses nombreuses contributions littéraires et sociologiques lui valurent l'estime des peuples du Pacifique. En pleine période du colonialisme triomphant, il a défendu la cause des autonomistes contre les puissances coloniales, surtout une fois installé à Samoa. Il a été honoré de la reconnaissance des habitants des Kiribati où son débarquement, un 12 juillet, a été repris comme point de départ de l'indépendance, 90 ans après. Aux Samoas, sur sa tombe, une épitaphe émouvante, le rappelle au souvenir des siens. La popularité de ses récits n'a jamais baissé, et nombreuses sont les adaptations, aussi bien en livre ( à noter en particulier les éditions pour jeunes magnifiquement illustrées par Pierre Joubert ou René Follet) qu'au cinéma.

Bibliographie

Romans et nouvelles

  • L'Île au trésor (Treasure Island, 1883), son premier grand succès, une histoire de pirates et de trésor caché qui a été adaptée au cinéma plusieurs fois. Le livre est dédié à son beau-fils Lloyd Osbourne, qui lui inspira l'idée de l'île, de ses mystères et de son trésor.
  • Le Voleur de cadavres (The Body Snatcher, 1884), un conte d'horreur basé sur un fait divers réel
  • Prince Othon (Prince Otto, 1885)
  • Dr. Jekyll et Mr. Hyde, (The Strange Case of Dr. Jekyll and Mister Hyde, 1886)
  • Enlevé ! (Kidnapped, 1886), les aventures du jeune David Balfour traqué dans les Highlands pour son implication dans le meurtre d'Appin
  • Les Mésaventures de John Nicholson (The Misadventures of John Nicholson, 1887)
  • La Flèche noire (The Black Arrow: A Tale of the Two Roses, 1888)
  • Le Maître de Ballantrae (The Master of Ballantrae, 1889)
  • Un Mort encombrant (The Wrong Box, 1889) [30]
  • Le Trafiquant d'épaves (The Wrecker, 1892) [30]
  • Catriona (Catriona, 1893), aussi connue sous le nom de David Balfour, il s'agit de la suite d'Enlevé !
  • Le Creux de la vague (The Ebb-Tide, 1894) [30]
  • Herminston, le juge pendeur (Weir of Herminston, 1896), inachevé et posthume
  • St Yves, prisonnier d'Édimbourg (Saint-Ives, 1897), inachevé et posthume

Recueils de nouvelles

Articles, essais, textes théoriques

  • Essais sur l'art de la fiction, textes rassemblés et édités par Michel Le Bris, Payot.
  • Une amitié littéraire. Correspondance Henry James - Robert Louis Stevenson, éd. Michel Le Bris, Payot.

Poésie

  • Le jardin poétique d'un enfant (A Child's Garden of Verses, 1885), recueil destiné à l'origine aux enfants mais très populaire aussi auprès de leurs parents. Il contient les fameux « My Shadow » et « The Lamplighter ». Ce recueil pourrait représenter une réflexion positive de l'enfance maladive de l'auteur.Traduction française (et préface) de Jean-Pierre Vallotton: Jardin de poèmes pour un enfant, édition bilingue, Hachette, Le Livre de Poche Jeunesse, collection Fleurs d'encre, 1992 et 1995.
  • Underwoods (1887)
  • Ballads (1890)
  • Songs of Travels (1896)

Essai

  • Une apologie des oisifs (An apology for idlers, 1877), essai philosophique qui fait l'éloge de l'oisiveté contre l'acharnement au travail

Sur les voyages

Œuvres documentaires sur le Pacifique

  • Dans les mers du Sud (In the South Seas, 1891), une collection d'articles de Stevenson et d'essais sur ses voyages dans le Pacifique.
  • A Footnote to History: Eight Years of Trouble in Samoa (1892), traduit en français sous le titre de Les Pleurs de Laupepa, Voyageurs Payot, 1995.

Notes et références

  1. (en) La page consacrée aux Stevenson sur le site du Northern Lighthouse Board [1]
  2. laquelle impose que l'enfant porte le prénom de son grand-père paternel (« Robert »), puis celui de de son grand-père maternel (« Lewis »)
  3. smout : mot écossais désignant un jeune saumon et, par extension, un enfant de petite taille (Dictionary of the Scots Language)
  4. rivière traversant Édimbourg et dans laquelle se déversait les égouts
  5. Maison qui existe toujours et devant laquelle on peut voir le fameux réverbère du poème The Lamplighter
  6. Stevenson fournit une description très précise de son intérieur dans sa nouvelle Les Mésaventures de John Nicholson
  7. « [...] Édimbourg paie fort cher sa situation remarquable par un bien vilain climat : le pire qui soit sous nos cieux. », « Édimbourg de ma jeunesse » (Edinburgh : Picturesque Notes) in À travers l'Écosse
  8. (en) R. L. Stevenson, A Child's Garden of Verses, « To Alison Cunningham From Her Boy » 
  9. In A Child's Garden of Verses
  10. In Essais sur l'art de la fiction
  11. sa nouvelle Thrawn Janet puise clairement dans cette influence
  12. « Un simple à un sous, et un en couleurs, à deux sous » (A Penny Plain and Twopence Coloured) in Essais sur l'art de la fiction
  13. « Le presbytère » (The Manse) in À travers l'Écosse
  14. « Ce fut mon Âge d'Or : et ego in Arcadia vixi. » in Graham Balfour, The life of Robert Louis Stevenson, p. 33
  15. Rosaline Masson, I Can Remember Stevenson, p. 14
  16. « La côte de Fife » (The Coast of Fife), À travers l'Écosse, p. 203-204. Stevenson resitue à tort la scène en automne
  17. « La côte de Fife », op. cit., p. 205
  18. « L'étranger de l'intérieur » (The Foreigner at Home), À travers l'Écosse, p. 148-149
  19. C'est à cette période qu'il écrivit La cave pestiférée (The Plague Cellar)
  20. Projet qu'il mène à bien en collaboration avec William E. Henley en 1880 (date à vérifier)
  21. Dans le cadre d'un projet de roman, Ballantyne venait prendre des renseignements sur les phares auprès de l'oncle de Stevenson, David. Il en résulta The Lighthouse publié en novembre 1865.
  22. Graham Balfour, The life of Robert Louis Stevenson, p. 52
  23. Ce qui fait de The Pentland Rising, à proprement parler, le premier livre écrit par Stevenson et donc lui confère une valeur inestimable auprès des collectionneurs.
  24. R. L. Stevenson, À travers l'Écosse, « L'étranger de l'intérieur »
  25. R. L. Stevenson, À travers l'Écosse, « L'éducation d'un ingénieur »
  26. M. Le Bris, Pour saluer Stevenson, p. 71, 78-79
  27. M. Le Bris, Pour saluer Stevenson, p. 214, note 2
  28. L'incident et la crise familiale qui s'ensuit sont retranscrits dans sa lettre à Charles Baxter datée du 2 février 1873 in Robert Louis Stevenson, The Letters of Robert Louis Stevenson, « Chapter I: Student Days at Edinburgh, Travels and Excursions, 1868-1873 » 
  29. Sous le vaste ciel étoilé / Creuse la tombe et laisse moi en paix; / Heureux ai-je vécu et heureux je suis mort / Et me suis couché ici de mon plein gré
  30. a , b  et c en collaboration avec son beau-fils Lloyd Osbourne

Voir aussi

  • Le chemin de Stevenson, autre nom du GR70 en hommage au périple qu'il accomplit et relate dans son Travels with a Donkey in the Cévennes.

Bibliographie

  • Michel Le Bris, R. L. Stevenson - Les années bohémiennes, Nil, 1994 (ISBN 2-84111-001-X) 
  • R. L. Stevenson, À travers l'Écosse, Complexe, 1992 (ISBN 2-87027-443-2).
    recueil de divers textes de Stevenson lui-même, rassemblés autour du thème de l'Écosse, dans lesquels se mêlent descriptions de promenades et souvenirs de jeunesse.
     
  • R. L. Stevenson, La Route de Silverado, Phébus, 2000 (ISBN 2-85940-689-1).
    recueil des textes majeurs L'Émigrant amateur, À travers les grandes plaines et Les Squatters de Silverado, accompagnés de divers textes et correspondances durant son séjour en Californie.
     
  • R. L. Stevenson, Essais sur l'art de la fiction, Payot, 1992 (ISBN 2-228-88542-8) 

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