Nizârites

Nizârites

Les nizâriens, nizârites, nizaris sont une communauté mystique (chiite ismaélienne) active depuis le XIe siècle. Ils sont aussi appelés bâtinîs[1] ou batiniens car il professent une lecture ésotérique du Coran, le bâtin[2] étant le côté secret des choses.

En 1094, à la suite d'une scission importante dans le chiisme ismaélien fatimide, une nouvelle prédication (da‘wa al-jadîda) fut organisée par Hasan-i Sabbâh, à partir du fort érigé sur le mont Alamût, au sud-ouest de la mer Caspienne. À la fin du Moyen Âge, le développement de la communauté ismaélienne se poursuivit clandestinement sous le couvert du soufisme et a coïncidé avec l'essor de l’ismaélisme oriental (25 millions de fidèles de nos jours), avec à leur tête l'Aga Khan.

Sommaire

Origine

À l'origine, ceux qu'on appelle les nizâriens ne sont que les adeptes de l'ismaélisme en Perse, c'est-à-dire une communauté chiite minoritaire dans une région sous la tutelle de vizirs sunnites. Sous la direction de leur chef charismatique Hassan-i Sabbâh, parfois surnommé « le Vieux de la Montagne », les ismaéliens prennent le contrôle du fort d'Alamût en 1090 et étendent leur influence en Iran ainsi qu'en Syrie.

Après la mort du calife fatimide Mustansir Billâh, en 1094, une grave scission se produit dans la communauté ismaélienne au sujet de la succession à l'imamat. Al-Mustansir aurait, selon la tradition nizârite, désigné son fils Nizâr comme héritier ; par contre son jeune fils Ahmad gagne l'appui de son beau-père, le vizir Al-Afdhal, qui le place sur le trône avec le titre d'Al-Musta‘lî.

Hasan-i Sabbâh et les ismaéliens de Perse font allégeance à Nizâr et à sa descendance. Les ismaéliens s'emparent de la forteresse de Qadmûs (la Cademois pour les croisés) dans la région du Jabal Bahrâ‘ en 1132 ; Masyâf, la place forte la plus importante, est prise en 1140-1141. C'est ainsi que les ismaéliens nizâriens de Syrie furent dirigés par des délégués envoyés par les seigneurs d'Alamût ; le plus célèbre d'entre eux était Rachid ad-Din Sinan (1162-1192) qui dirigea la prédication (da‘wa) ismaélienne en Syrie.

Selon la version ismaélienne, l'imam Nizâr, après s'être réfugié à Alexandrie, est attaqué à plusieurs reprises par le vizir Al-Malik al-Afdhal. Finalement l'armée d'Al-Afdhal arrête Nizâr et son gouverneur, et ils sont menés devant Al-Musta‘lî. Le gouverneur est tué sur-le-champ et l'imâm Nizâr meurt emprisonné en 1097. Avant de mourir, Nizâr désigne son fils Al-Hâdî pour lui succéder au trône de l'imamat et ce dernier rejoint Hasan ibn Sabbâh à Alamût. L’Empire fatimide était très affaibli par la crise économique et le manque d’unité parmi les ismaéliens. De plus, le pouvoir militaire entre les mains initialement du vizir Badr al-Jamâlî (un ancien esclave arménien) puis de son fils Al-Afdhal, commençait à décliner, alors que le pouvoir à Alamût subsistera jusqu'au XIIIe siècle.

Selon Wladimir Ivanow et Henry Corbin, le petit-fils de Nizâr (Al-Muhtadî ?) était amené à la forteresse d'Alamût par Hasan ibn Sabbâh, qui dirigea la campagne nizârienne au nom de l'imam. La situation était analogue à la période de clandestinité (dawr al-satr), qui prévalait avant la montée des fâtimides, car les imâms restaient cachés (mastûr) à la vue du public pour éviter les persécutions dont ils étaient l’objet. Cette période de l'histoire est très confuse, car nous avons très peu de sources historiques ismaéliennes, la majorité des documents disponibles sont ceux écrits par les historiens sunnites, les plus âpres adversaires des ismaéliens nizâriens. Ces derniers croient que la descendance de Nizâr a survécu mais elle est demeurée cachée du public pour éviter les persécutions. Durant cette période d’incertitude Hasan-i Sabbâh était le représentant officiel qui entretenait une relation privilégiée avec l’imam pour mener la communauté à travers cette période turbulente.

Ainsi les historiens sunnites, ‘Atâ-Malik Juwaynî (gouverneur de Bagdad), Rashid al-din Fadl Allah et l'auteur du livre intitulé Sargudhasht-i Sayyidnâ nous ont rapporté une version partielle et non objective de l'ismaélisme qui s’est développé à Alamût. Hasan ibn Sabbâh était à la fois un homme politique et religieux. Selon Christian Jambet, « il créa un réseau de forteresses, permettant de contrôler le territoire alentour, réseau qui, consolidé à partir de 1124 par son successeur Kiya Buzurg-Ummîd, comprenait des zones telles le Rudbar avec Alamût, centre de la nouvelle convocation, le Daylam et la région de Qazvin, le fief de Gerdkuh plus à l'est, non loin de Damghan, la région de Ray, quelques positions au Khuzestan, une forte implantation au Quhistan, entre Nichapur et Qâ’in. » [3]. Les régions appartenant aux ismaéliens nizâriens faisaient face aux différentes attaques de l’armée Saljûqs, de plus les Abbassides voulaient isoler les nizâriens afin de les faire disparaître de la région.

Le fils de Kiyâ Buzurg-Ummîd, Muhammad II, entreprit en 1138 de consolider le petit territoire nizârien, jusqu’à sa mort en 1162. Par la suite, comme la période était plus favorable et plus paisible, l’imâm Hasan ‘Alâ Dhikrihi al-Salâm, le descendant légitime de Nizâr, assuma pleinement la responsabilité l’administration de l’État nizârien.

La « Grande Résurrection »

En 1162, Hasan II succède à son père (Al-Qâhir). Il va totalement bouleverser les conceptions religieuses nizâriennes. Le 8 août 1164, il proclame la « Résurrection des Résurrections » (Qiyâmât al-Qiyâmât) devant une assemblée de croyants réunis à Alamût. Cette proclamation initiait les croyants au sens caché (bâtin) de la révélation afin de dévoiler la vérité (haqîqat), elle avait pour conséquence la levée de la loi religieuse (sharî‘a), non pas en l’abolissant mais en la considérant comme une étape préliminaire avant de la parachever avec la signification intérieure. Le cycle prophétique de Mahomet désormais achevé, les imams avaient pour mission de dévoiler le sens caché, en expliquant la dimension intérieure du Coran, en allant au sens premier, c’est-à-dire à la source de la révélation.

L’ismaélien nizârien Abû Ishâq-i Qohistânî, de la fin du XVe siècle, rapporte un extrait de la Grande Résurrection :

« Ô vous, les êtres qui peuplez les univers ! Vous, génies, hommes et anges ! Sachez que Mawlâ-nâ (notre Seigneur) est le Résurrecteur (Qâ’im al-Qiyâma). Il est le Seigneur des êtres, il est le Seigneur qui est l’existence absolue (wujûd mutlaq), excluant ainsi toute détermination existentielle, car il les transcende toutes. Il ouvre la porte de sa miséricorde, et par la lumière de sa connaissance il fait que tout être soit voyant, entendant, parlant, vivant pour l’éternité[4]. »

Le règne de Hasan ‘Alâ Dhikrihi al-Salâm est bref, il est tué par blessure en 1166[5]. Son successeur l'imam Nûr al-dîn Muhammad poursuit cette mission spirituelle jusqu'en 1210. L’imam suivant, Jalâl al-dîn Hasan, proclame que la communauté entre à nouveau dans une période de clandestinité (satr). Hasan III met plus d’emphase sur la sharî‘a afin d'établir de bonnes relations avec les sunnites, ce qui lui permet d'acquérir de nouveaux territoires. Son fils Muhammad III donne un peu moins d'importance à la sharî‘a, il restructure la doctrine et la pratique de la dissimulation de la foi (taqiyya) est rétablie pour entrer de nouveau en période de clandestinité (satr).

Les nizâriens et les croisés en Syrie

Selon Isabelle Baudron, les relations entre les Templiers et les ismaéliens d'Alamût sont attestées dans la chronique de Jean de Joinville, biographe de Saint Louis. L'auteur rapporte la visite du Vieux de la Montagne, chef des nizâriens, à Acre. Il est alors reçu par le roi Louis IX. Au-delà de cette rencontre, il y a un échange de cadeaux entre les deux souverains, rendu possible par un frère prêcheur breton qui parlait l'arabe. Plusieurs fois, les nizâriens ont rendu visite aux croisés à Acre et notamment aux Hospitaliers. Le Vieux de la Montagne avait demandé l'aide de Saint Louis contre les Mongols qui envahissaient la Perse (et qui finirent par prendre Alamût) (voir le récit haut en couleur de la rencontre entre les émissaires d'Alamût et Saint Louis).

Le déclin

L'État ismaélien à Alamût prend fin au XIIIe siècle avec l'invasion des Mongols dirigée par le conquérant Houlagou Khan. Rukn al-Din Khûrshâh est assassiné au cours de cette invasion vers 1255-1256. L'ismaélisme nizârien se perpétue en Perse, caché sous le manteau du soufisme ; un début d'émigration vers l'Inde s'amorce.

Néanmoins en Syrie au début du XIVe siècle, le voyageur Ibn Battuta rapporte :

« Je quittai cette ville[6], et je passai par le château de Kadmoûs, puis par celui de Maïnakah[7], celui d’Ollaïkah[8], dont le nom se prononce comme le nom d’unité d’ollaïk, et celui de Misyâf, et enfin par le château de Cahf[9]. Ces forts appartiennent à une population qu’on appelle Elismâïliyah[10] ; on les nomme aussi Elfidâouiyah[11] ; et ils n’admettent chez eux aucune personne étrangère à leur secte. Ils sont, pour ainsi dire, les flèches du roi Nâcir[12], avec lesquelles il atteint les ennemis qui cherchent à lui échapper en se rendant dans l’Irâk, ou ailleurs. Ils ont une solde ; et quand le sultan veut envoyer l’un d’eux pour assassiner un de ses ennemis, il lui donne le prix de son sang ; et s’il se sauve après avoir accompli ce qu’on exigeait de lui, cette somme lui appartient ; s’il est tué, elle devient la propriété de ses fils. Ces Ismaéliens ont des couteaux empoisonnés, avec lesquels ils frappent ceux qu’on leur ordonne de tuer. »

— Ibn Battûta, op. cit., vol. I [lire en ligne], p. 157-158 .

Les descendants

On connaît mal l’histoire des nizâriens dans la période qui suivit les destructions et les massacres des Mongols. Ce qui reste de la communauté se disperse en groupes isolés et tente de survivre le plus discrètement possible, toujours sous la menace de persécutions des sunnites. Le mouvement connaît une certaine résurgence au XVe siècle. La petite ville iranienne d’Anjudan est choisie comme siège de la communauté et des missionnaires sont envoyés en Inde et en Asie centrale.

Au XIXe siècle, Hasan ‘Alî Shâh, imam héritier de la longue succession des imams ismaéliens nizâriens, reçoit le titre d’Aga Khan des mains du Shâh d’Iran. Obligé de quitter l’Iran pour des raisons politiques, Hasan ‘Alî Shâh s’installe en Inde. L'administration britannique impose aux Khôjas de le reconnaître comme leur imam, beaucoup refusent. De nos jours, c'est le prince Shâh Karîm al-Husaynî Aga Khan IV qui dirige la communauté ismaélienne.

Les imams nizâriens aux XIe et XIIe siècles

Imams ismaéliens
Les imams nizâriens en Perse et en Syrie
Règne Imam Représentant de l’imam Région(s)
1094 - 1095 Nizâr Hassan ibn al-Sabbâh Perse
1095 - 1096 ? `Alî ben Nizâr al-Hâdî Hassan-i Sabbâh Perse et Syrie
1096 ? - 1124 al-Muhtadî ? Hassan-i Sabbâh Perse et Syrie
1124 - 1138 Qâhir? Kiya Buzurg-Ummîd Perse et Syrie
1138 - 1162 Qâhir? Muhammad Buzurg-Ummîd Perse et Syrie
1162 - 1166 Hasan II Rachid ad-Din Sinan Perse et Syrie
1166 - 1210 Muhammad II Perse et Syrie
1210 - 1221 Hasan III Perse et Syrie
1221 - 1255 Muhammad III Perse et Syrie
1255 - 1257 Rukn ad-Dîn Khurshâh Perse et Syrie

Notes à propos des nizârites

Doctrine du « ta‘lim »

Souvent défini comme l'enseignement de l'imam, la doctrine du ta‘lîm fut développée plus particulièrement par Hasan-i Sabbâh. Al-Ghazali utilisa le mot de ta‘lîmiyya pour désigner les ismaéliens afin de les attaquer avec une hostilité spécialement violente dans son traité Kitâb al-Mustazhirî. Les ismaéliens en général ne suivent pas le sens littéral du Coran, mais beaucoup plus le sens ésotérique (bâtin) qui est donné par l'imam ; cet enseignement est appelé communément ta‘lîm. Ainsi les ismaéliens accordent beaucoup d'importance à l'exégèse spirituelle (ta'wîl), qui consiste à découvrir le sens caché derrière le zâhir. Le ta'wîl donné par l'imam éclaircit les versets allégoriques du Coran et donne le sens ésotérique des réalités transcendantales (haqâ'iq). Grâce à cet enseignement ta‘lîm, le croyant (murîd) a la possibilité de connaître et de s'unir à la déité. La Charia|charia, dans le sens de religion littérale, est néanmoins utile dans l'ismaélisme ; elle constitue la première étape de l'initiation. Comme l'imam est sâmit (« silencieux »), ce n'est pas lui qui enseigne les mustajîbs (néophytes), c'est le hujja qui transmet la ta‘lîm de l'imam. Grâce à son inspiration divine (ta'yîd) et à son raisonnement pur (‘aqlânî), le hujja est capable de transmettre l'enseignement de l'imam à l'adepte. L'homme laissé à lui-même est incapable de percevoir les réalités spirituelles, car il a tendance à associer à la déité des qualités anthropomorphiques.

Durant le Cycle d'épiphanie (Dawr al-kashf) où l'Imâm se manifeste intégralement; le zâhir et le bâtin sont en concomitance; les adeptes connaissent le bâtin du zâhir, la présence du Hujja n'est donc plus nécessaire. Il n'y a donc plus de ta‘lîm.

Étymologie de « assassin »

Existe-t-il un lien étymologique entre les termes « haschisch » et « assassin » ? Sur ce sujet, les avis divergent. Dans le Trésor de la langue française informatisé, on peut lire la thèse qui a largement prévalu en Occident depuis les Croisades jusqu'à nos jours : le terme assassin provient de l'italien assassino, assessino, lui-même emprunté à l'arabe hashishiyyin, nom donné aux Ismaëliens de Syrie par leurs ennemis[13], et désignant les consommateurs de haschich. Cette étymologie et la légende qui l'accompagne ont nourri l'imagination de nombreux auteurs, parmi lesquels on peut citer l'écrivain slovène Vladimir Bartol (Alamut), le scénariste et dessinateur de bandes dessinées italien Hugo Pratt (La Maison dorée de Samarkand). Depuis les attentats du 11 Septembre, enfin, certains voudraient établir des parallèles, sinon une filiation, entre les méthodes (présumées) de la secte des assassins et celles d'Al-Qâ`ida[14].

Cette grille de lecture est toutefois remise en cause à plusieurs niveaux :

  1. D'abord, lors du voyage de Marco Polo, Alamût n'est plus qu'une ruine, ce qui affaiblit considérablement la portée de son témoignage : contrairement à ce qu'il prétend, il n'a pas été le témoin oculaire direct des faits qu'il relate. Son témoignage ne mentionne d'ailleurs pas explicitement le haschisch dans le conditionnement des fedayins[15], mais « certain breuvaige à boire, par le moyen duquel ilz eſtoient incontinent troublez de leur eſperit, & venoient à dormir profondement ».
  2. Ensuite, sur le plan pharmacologique, le haschisch ne paraît pas à première vue la substance tirée du règne végétal la plus indiquée pour conditionner des hommes à l'assassinat politique, ni à faciliter son exécution (timing, coordination psychomotrice indispensable pour l'approche de la cible). Rappelons qu'à cette époque la pharmacopée arabe fait appel de manière courante à l'opium et à des solanacées qui seront qualifiées au XIXe siècle d'héroïques (jusquiame, belladone). Le psychiatre libanais Antoine Boustany analyse les rapports des haschischins du XIIe siècle et des terroristes des Temps modernes avec la drogue : « À mon avis, accusation et rumeur sont dénuées de fondement et ne sont pas conformes à la réalité chez ce corps d'élite. Les présenter comme de vulgaires drogués ou des malades agissant sous l'effet de substances toxiques relève de l'aberration, d'une méconnaissance des faits et à la limite du dénigrement. [...] Mais dire qu'ils sont mus par une “drogue” sans seringue, divine ou idéologique, rend mieux compte de la réalité et paraît plus satisfaisant pour l'esprit. »[16]
  3. L'orientaliste français Henry Corbin penche pour une construction mentale fantasmatique, et parle de « roman noir qui a obscurci longtemps le nom de l’Ismaélisme en absence de textes authentiques. Les responsables sont sans doute, en premier lieu, l’imagination des Croisés et celle de Marco Polo. Mais au XIXe siècle encore, un homme de lettres et orientaliste autrichien, von Hammer-Purgstall, projetant… son obsession des « sociétés secrètes », les soupçonna de tous les crimes qu’en Europe les uns attribuèrent aux Francs-Maçons, les autres aux Jésuites; il en résulta cette Geschichte der Assassinen de 1818, qui passa longtemps pour sérieuse. À son tour, Silvestre de Sacy, dans son Exposé de la religion des Druzes de 1838, soutient avec passion son explication étymologique du mot “Assassins” par le Hashshâshîn (ceux qui font usage du hashîsh). […] Le plus étrange est que des Orientalistes se soient faits ainsi, en compagnie d'auteurs avides de sensationnel, les complices, jusqu'à nos jours, de cette rumeur anti-ismaélienne qui aurait pour origine le califat abbasside de Baghdad. Wladimir Ivanow et la Ismaili Society de Karachi (anciennement à Bombay), démentent cette étymologie ». Bernard Lewis, dans son livre traduit et préfacé en 1984 par Maxime Rodinson, fait cette même critique en excluant la possibilité que le mot « assassin » vienne de l'arabe Hashshâshîn[17] mais il ne propose pas de solution alternative.
  4. Amin Maalouf donne, dans son roman Samarcande (mettant en scène, entre autres, Hassan ibn al-Sabbah), une étymologie différente. Le mot proviendrait de asâs[18], qui signifie « base », « fondement » : « D'après les textes qui nous sont parvenus d'Alamout, Hassan aimait appeler ses adeptes Assassiyoun, “ceux qui sont fidèles au Assas”, au “Fondement” de la foi (Assas veut également dire “Gardien” en arabe), et c'est ce mot, mal compris des voyageurs étrangers, qui a semblé avoir des relents de haschich. »

Apparition

Les Nizârites ont un grand rôle dans le jeu vidéo " Assassin's Creed ". Le héros du jeu ( Altaïr ) est lui même un membre de ce groupe. Le héros est appelé à combattre une conjuration de templiers. Dans le jeu, les assassins sont appelés haschichiuns.

Assassins

Le mot apparaît en Europe au moment de la rencontre entre les Croisés et le monde musulman, au Moyen Orient.

En 1175, un rapport d'un envoyé de l'empereur Frédéric Barberousse en Égypte et Syrie note : « Sachez, qu'aux confins de Damas, d'Antioche et d'Alep, il existe dans les montagnes une certaine race de Sarrasins qui, dans leur dialecte, s'appellent Heyssessini, et en romain, segnors de montana. Cette race d'hommes vit sans lois ; ils mangent de porc contre les lois des Sarrasins et disposent de toutes les femmes, sans distinction, y compris leurs mère et sœurs. Ils vivent dans les montagnes et sont presque inexpugnables car ils s'abritent dans des châteaux bien fortifiés. [...] Ils ont un maître qui frappe d'une immense terreur tous les princes sarrasins proches ou éloignés, ainsi que les seigneurs chrétiens voisins, car il a coutume de les tuer d'étonnante manière. [...] De leur prime jeunesse jusqu'à l'âge d'homme, on apprend à ces jeunes gens à obéir à tous les ordres et à toutes les paroles du seigneur de leur terre qui leur donnera alors les joies du paradis parce qu'il a pouvoir sur tous les dieux vivants. On leur apprend également qu'il n'y a pas de salut pour eux s'ils résistent à sa volonté. [...] Alors, comme il leur a été appris et sans émettre ni objection ni doute, ils se jettent à ses pieds et répondent avec ferveur qu'ils lui obéiront en toutes choses qu'il donnera. Le prince donne alors à chacun un poignard d'or et les envoie tuer quelque prince de son choix[19]. »

Ce récit se faisait probablement l'écho de ceux des musulmans sunnites opposés à la secte, encore inconnue pour les chrétiens.

Quelques années plus tard, c'est l'évêque Guillaume de Tyr qui écrira sur eux : « Le lien de soumission et d'obéissance qui unit ces gens à leur chef est si fort qu'il n'y a pas de tâche si ardue, difficile ou dangereuse que l'un d'entre eux n'accepte d'entreprendre avec le plus grand zèle à peine leur chef l'a-t-il ordonné. S'il existe, par exemple, un prince que ce peuple hait ou dont il se défie, le chef donne un poignard à un ou plusieurs de ses affidés. Et quiconque a reçu l'ordre d'une mission l'exécute sur-le-champ, sans considérer les conséquences de son acte ou la possibilité d'y échapper. Empressé d'accomplir sa tâche, il peine et s'acharne aussi longtemps qu'il faut jusqu'à ce que la chance lui donne l'occasion d'exécuter les ordres de son chef. Nos gens comme les Sarrasins les appellents Assissini ; l'origine de ce nom nous est inconnue. »

En 1192, après les meurtres de princes et d'officiers musulmans, tombe sous leurs coups de poignard le premier chrétien, Conrad de Montferrat, roi du royaume latin de Jérusalem. Ce meurtre va marquer les esprits des croisés et faire passer le surnom donné à la secte dans le langage courant.

Il faudra les recherches historiographiques, à partir du XIXe siècle, pour sortir le Vieux de la Montagne et ses partisans des récits moyenâgeux et comprendre l'histoire de cette branche de la religion musulmane.

Notes et références

  1. En arabe : bāṭinīy, باطنيّ.
  2. En arabe : bāṭin, باطِن, « occulte », « secret », « ésotérique ».
  3. Chapitre d’introduction de Christian Jambet dans La Convocation d'Alamût, de Nasîr al-dîn Tûsî, p.  12-13.
  4. Extrait traduit par Henry Corbin, Huitième Centenaire d’Alamût, p. 299-300.
  5. Daftary, 1990, p. 391.
  6. Sahyoûn, où se trouve la forteresse de Qal'at Salah El-Din connue sous les noms de Qal`at Sahyun ou Château de Saône.
  7. Château de Maïnakah, en arabe qalʿa manīqa, قلعة المنيقة (position : 35° 14′ 03″ N 36° 05′ 46″ E / 35.23428, 36.096139)
  8. Château d’Ollaïkah, en arabe qalʿa al-ʿulayqa, قلعة العليقة, se prononce comme ollaïk (en arabe ʿullayq علّيق, « ronce ») d'après Ibn Battuta (position : 35° 10′ 38″ N 36° 07′ 22″ E / 35.177128, 36.122816)
  9. Château de Cahf, en arabe qalʿa al-kahf, قلعة الكهف, « citadelle de la caverne » (position : 35° 01′ 18″ N 36° 05′ 32″ E / 35.021773, 36.092234)
  10. Elismâïliyah : « les ismaéliens »
  11. Elfidâouiyah : « les fedayin », de l'arabe fidāʾī, فدائي, « celui qui se sacrifie », pl. fidāʾīyūn, فدائّون. Ce nom a été repris par les commandos palestiniens dans le conflit avec l'État d'Israël.
  12. An-Nâsir Muhammad sultan mamelouk burjite d'Égypte qui règne sur la Syrie au moment du voyage d'Ibn Battuta.
  13. Définitions lexicographiques et étymologiques de « Assassin » du CNRTL.
  14. Philippe Ilial, La “secte des assassins” à travers les chroniques médiévales.
  15. Marco Polo, Le Livre des merveilles, édition Jehan Longis, 1556 Lire en ligne, p. 17-19.
  16. Antoine Boustany, Drogues de paix, drogues de guerre, Paris, Hachette, coll. « Littératures », septembre 1998, 232 p., partie Folie chimique ou divine ?, chap. 2 (« VI »), p. p. 126-144 
  17. Bernard Lewis, Les Assassins. Terrorisme et politique dans l'Islam médiéval, éd. Complexe (ISBN 2-87027-123-9), p. 46-47.
  18. (persan asās, اساس, « base », « fondement », « fondation », « racine »), qu'on peut rapprocher pour son sens de al-Qâ`ida (arabe qāʿida, قاعدة, « base », « fondement », « fondation », « socle », « règle », « principe »).
  19. Bernard Lewis, Les Assassins. Terrorisme et politique dans l'Islam médiéval, éd. Complexe, Bruxelles, 2001, ISBN 2-87027-845-4, p. 37.

Annexes

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • Ibn Battûta (trad. C. Defremery et B. R. Sanguinetti (1858)), Voyages, De l’Afrique du Nord à La Mecque, vol. I, Paris, François Maspero, coll. « La Découverte », 1982, (format .pdf) 398 p. (ISBN 2-7071-1302-6) [lire en ligne] [présentation en ligne] 
  • 1807 Jean de Joinville, Memoirs of John Lord de Joinville, traduit par T. Johnes Hafod.
  • 1818 Von Hammer-Purgstall, Geschichte der Assassinen.
  • 1838 Sylvestre de Sacy, Exposé de la religion des Druses.
  • 1891 Nizâm al-Mûlk, Traité de gouvernement, trad. Schefer, Paris.
  • 1938 Wladimir Ivanow, « Some Ismaili Strongholds in Persia », Islamic Culture, vol. 12, p. 383–396.
  • 1938 Wladimir Ivanow, « Tombs of Some Persian Ismaili Imams », Journal of Bombay Branch of the Royal Asiatic Society, vol. 14, p. 63–72.
  • 1955 Marshall G. S. Hodgson, The Order of Assassins, La Haye.
  • 1958 J. A. Boyle, The History of the World Conqueror by Ala-ad-Dîn Ata-malik Juvaini, Manchester, vol. 2.
  • 1960 Wladimir Ivanow, Alamût and Lamasar, Association ismaélienne, Téhéran.
  • 1965 Henry Corbin, Huitième Centenaire d’Alamût, éd. Mercure de France, p. 285–304.
  • 1967 Clifford Edmund Bosworth, The Islamic Dynasties, Edinburgh University Press, p. 127-128.
  • 1984 Bernard Lewis, Les Assassins. Terrorisme et politique dans l'Islam médiéval, éd. Complexe, Bruxelles (ISBN 2-87027-123-9).
  • 1986 Henry Corbin, Histoire de la philosophie islamique, éd. Gallimard, Paris.
  • 1988 Amin Maalouf, Samarcande. Il y conteste l'étymologie du terme « assassin ».
  • 1990 Christian Jambet, La Grande Résurrection d'Alamût. Les formes de la liberté dans le shî’isme ismaélien, éd. Verdier, Lagrasse (Aude). Étude complète. Lire sur le site de l'éditeur le très intéressant compte rendu qu'en fit alors Benny Lévy : [1].
  • 1990 Farhad Daftary, The Ismâ‘îlî: Their History and Doctrines, Cambridge University Press.
  • 1996 Nasîr al-dîn Tûsî, Rawdat al-taslîm, traduit par Christian Jambet dans La Convocation d’Alamût, Lagrasse, éd. Verdier, Lagrasse (Aude).
  • 2002 Diana Steigerwald, « The Multiple Facets of Isma‘ilism », Sacred Web: A Journal of Tradition and Modernity, vol. 9, p. 77–87.
  • 2006 Diana Steigerwald, « Ismâ‘îlî Ta’wîl », The Blackwell Companion to the Qur’ân, sous la direction d’Andrew Rippin, éd. Blackwell Publishing, Oxford, p. 386–400.
  • 2009 Christine Millimono, La Secte des assassins, XIe-XIIIe siècle. Des “martyrs” islamiques à l'époque des croisades, éd. L'Harmattan, Paris, 2009, 262 p. (ISBN 9782296075979)
  • 2010 Jad Hatem, Un paradis à l'ombre des épées. Nietzsche et Bartol, éd. L'Harmattan, Paris.

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