Estampe

Estampe
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La Grande Vague, fameuse estampe d'Hokusai

À l’origine, le terme estampe[1] désigne le résultat de l’impression d’une gravure sur bois (voir xylographie) ou sur métal, ou d'un dessin sur pierre.
Boutard, dans son Dictionnaire des arts du dessin, la limite même, en 1826, à « l'espèce de tableau » que l'on obtient par le moyen de la gravure en taille-douce[2].

Sommaire

Problématique

Par la suite, la lithographie, la sérigraphie, et bien d'autres techniques jusqu'à, récemment, celle de l'estampe numérique s’ajoutèrent à la gravure en relief ou en creux.

« On classe aussi comme estampe des pochoirs ou des monotypes et même des reproductions réalisées à partir d'une plaque de verre ou d'un film opaques, gravés manuellement, de telle sorte qu'on peut utiliser ceux-ci comme négatifs photographiques ; ces clichés sur verre intéressèrent un certain nombre de créateurs dont Corot », écrit encore Béguin[2].

Une définition aussi large éloigne de l'idée d'empreinte due à un relief. Qu'est-ce qui permet de dire que l'on a affaire à une estampe ? Ce n'est ni la matrice gravée comme intermédiaire (voir les bois gravés par Gauguin à Tahiti), ni la présence du support papier[3], ni l'encrage[4] qui sont les critères objectifs pour cerner la notion d'estampe. En fin de compte,

« estampe est aujourd'hui le terme le plus approprié pour différencier cette catégorie d’impression, d'une reproduction […] ensuite pour inclure à la fois la gravure traditionnelle et toutes les réalisations obtenues par quelque élément imprimant que ce soit pourvu que ce dernier ait été préparé manuellement[2]. »

Une autre question qui se pose est celle de l'appellation : qu'est-ce qui mérite de recevoir le label « estampe originale » ? Une estampe est qualifiée d'« originale » lorsque le support imprimant (planche en bois, plaque de métal, pierre lithographique) a été réalisé par l’artiste. « L’élément imprimant exécuté par un homme de métier, d’après l’œuvre d’un artiste, ne donne lieu qu’à une estampe d’interprétation[2]. » Cette différenciation posait encore quelques problèmes et l'on a eu recours à la loi pour trancher le débat :

« Sont considérées comme gravures, estampes et lithographies originales les épreuves tirées en noir ou en couleurs, d'une ou plusieurs planches, entièrement conçues et réalisées à la main par le même artiste, quelle que soit la technique employée, à l'exclusion de tous procédés mécaniques ou photomécaniques. » (Texte de loi de 1967 reprenant la définition du Comité de la gravure française de 1936.)

Cependant, il faut constater que malgré l'existence d'un texte de loi, la délimitation entre estampe originale et estampe d'interprétation n'est pas aussi simple à définir, en tout cas d'un point de vue qualitatif. Tant aux siècles passés que dans les périodes récentes, nombreux sont les artistes qui ont, par la gravure, contribué aussi à la diffusion de l’œuvre de leurs contemporains, et à leur renommée ; au XXe siècle, une artiste comme Cécile Reims, par exemple, en est un des brillants représentants[5].

Historique

Faire l'historique de l'estampe, c'est étudier dans le détail l'évolution du goût, les lieux de diffusion et les moyens de diffusion de celle-ci.

XVe et XVIe siècles

En Europe, la xylographie, développée autour des années 1400, est la technique la plus ancienne pour les imprimés. Elle touche un public populaire, car elle permet de réaliser facilement des reproductions. L'explosion des ventes d'estampes bon marché au milieu du XVe siècle entraîne une diminution de la qualité ; les imprimés populaires étaient souvent très grossiers. La gravure sur métal permet la production d'estampes de meilleure qualité qui s'adressent à des milieux plus cultivés. « Une grande partie des estampes illustrent des thèmes religieux comme la Passion du Christ ou l'iconographie de la Vierge et des saints[6]. » Les sujets profanes sont aussi très appréciés : thèmes courtois, satire, vie quotidienne, divertissements comme les jeux de cartes.

Martin Schongauer devient vite célèbre et il est copié par de nombreux artistes tels Gherardo del Fora ou Nicoletto de Modène. Dürer voudra l'avoir pour maître et Rembrandt collectionnera ses œuvres. Les artistes du nord de l'Europe font le voyage en Italie, se déplacent à la recherche de mécènes[7], leurs œuvres sont appréciées, achetées, copiées. Les estampes de Lucas van Leyden sont les premières à atteindre des prix exorbitants. La Réforme[8] et l'importance prise par la bourgeoisie en Allemagne du nord et aux Pays-Bas vont influencer les thèmes des estampes : natures mortes, paysages, portraits et scènes de genre sont parmi les plus demandés. C’est à Anvers que Jérôme Cock crée, vers 1550, la première grande entreprise d’édition d’estampes.

Très vite se pose le problème de la reproduction des œuvres : aux échanges que Dürer pouvait effectuer avec ses confrères[9] se substitue une attitude plus vigilante concernant la copie et la commercialisation[10]. Le développement de l'estampe nécessite donc le développement en parallèle d'un arsenal juridique : c'est le cas à Venise ou à Nuremberg, où une législation appropriée défend la notion toute nouvelle de « propriété intellectuelle ».

Le système dans lequel l'artiste est aussi marchand et imprimeur va très vite être abandonné.

« Jérôme Cock[11] avait dissocié les techniques de production des techniques commerciales et introduit, à l'intérieur de la production, une certaine division du travail. Ainsi apparaissent les mentions du dessinateur (del.), du peintre (pinx.) ou de l'inventeur du motif (inv.), distinctes de celles du fabricant (fec.), graveur (sculp., inc.) et aussi de celles de l'éditeur, dont l'excudit (excud.) semble indiquer plus précisément qu'il est propriétaire de la planche, donc des droits de reproduction[12]. »

Les ateliers s'installent dans les grands centres commerciaux et travaillent le cuivre[13]. Dans ce système, le graveur est mieux payé que le dessinateur[14]. On assiste alors à la naissance de dynasties de graveurs de reproduction qui multiplient les ateliers dans toute l'Europe : les De Passe, les Sadeler, les Wierix à Cologne, Utrecht, Paris, Londres, Anvers, Venise, Munich, Vérone, Rome.

Le développement du commerce de l'estampe au XVIIe siècle

Ce système[15] ne met en lumière que les peintres célèbres et influence très fortement le goût : « À son tour, le graveur - qui instinctivement interprétait les formes dans le sens de sa propre vision - voyait l'art antique à travers les regards des théoriciens de son époque : on a montré ainsi qu'un graveur du XVIe siècle avait reproduit une fresque décrite par Vasari en introduisant dans sa copie les erreurs qui s'étaient glissées dans la description de l'écrivain[12]. » Au XVIIe siècle, l'estampe est devenue un commerce florissant et les artistes réservent leur signature en fonction de la clientèle : Rubens, François de Poilly, ou dans une moindre mesure Antoine van Dyck, sont très représentatifs de cet état d'esprit. Dans ce cadre, l'importance de la gravure d'artiste est minime.

En Italie, « à Florence, les sujets sont inspirés de la grande tradition de la fresque et des retables d'autel et les gravures traduisent les conquêtes spatiales et plastiques de la Renaissance. L'iconographie reflète la culture encyclopédique et néoplatonicienne, l'esprit moraliste et allégorique[6]. » Avant la Contre-Réforme, gravure d'artiste et gravure ne semblent pas être dissociées[16]. De 1572 à 1630, sous l'impulsion des institutions religieuses et de l'éditeur Lafréry, Rome devient le haut lieu de la gravure de reproduction[17]. Ensuite, certains mécènes et des membres des cercles intellectuels remirent à l'honneur la gravure d'artiste[18].

En France, les années 1630 voient le public bourgeois et les anoblis s'intéresser à l'estampe : « Les cabinets de curiosité font partie de l'arsenal indispensable de tout homme éclairé : le carton d'estampe en est le noyau[12]. » Le graveur de reproduction voit son succès grandir et son statut se rapprocher de celui de l'artiste : la preuve en est l'entrée des graveurs à l'Académie royale fondée en 1648 [19], la déclaration royale de 1660[20] », et l'achat par Colbert de la collection de Marolles. L'entrée à l'Académie fixe une condition draconienne : l'anoblissement exige que l'académicien s'engage « à ne pas tenir boutique et à briser son enseigne ». De plus, l'administration, par le biais de la Communauté des libraires, impose le dépôt légal[21]. Cela ne semble pas entraver la vente des estampes : les prix ne dépendent pas de la notoriété de l'artiste, mais plutôt de la taille du cuivre et du temps de travail[22].

Du XVIe siècle au XVIIe siècle, on assiste à un engouement pour le portrait : cela commence par les vignettes de Thomas de Leu et atteint son apogée avec les burins de Pierre Drevet[23]. « Tout le monde veut se faire portraire et graver... un graveur, homme d'esprit et qui fait commerce d'estampes, vendait les princes pendant leur vie, les auteurs après leur mort. Il disait d'une planche gravée : il faut se dépêcher de tirer car le prince ne vivra pas longtemps... une vanité bête multiplie de toutes parts les portraits. voilà bien les planches de cuivre ! Qu'a-t-on besoin de la physionomie de ces personnages subalternes? On grave et le peintre et le graveur et l'imprimeur en taille-douce et le papetier ; ce sera sans doute bientôt le tour du vendeur d'estampes[24]... » L'estampe ne représente que les personnages illustres : les exemples de portraits de bourgeois sont rares au XVIIIe siècle. Cependant, si les peintres méprisent le genre, rappelons qu'à partir de 1704, pour être reçu à l'Académie, tout graveur devait présenter deux portraits.

Le XVIIe siècle et la question de la copie

Le problème des copies se posa au XVIIIe siècle ; un marché se développa en utilisant aussi bien les retirages[25] que les copies élaborées par de plus ou moins bons aquafortistes[26]. « Par sa diffusion même, l'estampe facilite la copie et, parce qu'elle est déjà elle-même une reproduction, elle se distingue mal des reproductions qu'on fait d'elle. Ainsi, une fois sortie de l'atelier, l'estampe devient pour quiconque le veut, un modèle à copier. »[12] Après 1880, l'héliogravure ou la phototypie permit d'obtenir de très bons fac-similés : l'illusion pouvait être complète grâce à des retouches à la main, à un tirage avec un papier similaire à celui utilisé par l'artiste[27]. « Les problèmes d'attribution - qui sous-entendent l'unité de l'auteur- et ceux d'authentification - qui sous-entendent l'unicité de l'œuvre - sont souvent, face à la nature composite et plurielle de l'estampe, peu pertinents, causant une irréductible arrière-pensée au moment même de l'inscrire au rang des chefs d'œuvre de l'art. » [12]

Les collections et le marché de l'estampe

C'est à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle que les collections d'estampes s'organisent : Claude Maugis et sa collection sur Dürer, le duc de Mortemart et ses 25 000 estampes, Florent-le-Comte et le premier manuel de collectionneur, les conseils aux amateurs de Dezailler d'Argenville dans le Mercure de France en 1727. « On n'y trouve guère de jugement proprement formel et le goût se remarque non au choix des épreuves mais à l'équilibre de l'ensemble. la gravure y est appréciée comme reproduction, son rôle est de donner l'idée des bons tableaux et des dessins des grands maîtres. » Le classement par thème est préféré au classement par auteur, ce dernier risquant de lasser le simple collectionneur. Qui dit collection, dit modification des attributions du marchand d'estampes : celui-ci devient un connaisseur capable d'aiguiller correctement un client vers une œuvre . Après 1730, on voit se multiplier les catalogues recensant les œuvres à vendre avec préface du marchand[28]. C'est dans ce contexte qu'est publié le Dictionnaire des graveurs anciens et modernes de Basan en 1767, puis l'Idée générale pour une collection d'estampes de Heinecken en 1771[29]. Si l'estampe devient l'élément central des « cabinets » européens[30], son rôle devient majeur dans les écoles d'art : que ce soit l'École libre de Blondel (1741) ou l'École des beaux-arts (1795).

Le marché de l'estampe s'élargit : en ville il intéresse des couches de population de plus en plus larges, en province il séduit un public instruit. L'eau-forte profite de cette démocratisation de l'estampe : le procédé est à la mode parmi les artistes amateurs issus « du milieu aisé de la finance, ... de la noblesse, ... de la haute bourgeoisie, et occupant ainsi de longs loisirs. On y trouve aussi les mécènes et les curieux comme le comte de Caylus et l'abbé de Saint-Non[12]. » Ce développement suit celui des miniatures et des gouaches[31]. C'est cet engouement qui est à l'origine de la taille-douce imprimée en couleurs à partir de plusieurs planches[32]. Les graveurs vont utiliser la manière noire pour les modelés, l'aquatinte à partir de 1760 pour imiter le lavis, la manière de pastel dès 1769 et la manière d'aquarelle en 1772.

Le XIXe siècle et la lithographie

Boutique de Backner, marchand d'estampes et éditeur, Panoramas du Boulevard, vers 1815.
Boutique de Delpech, éditeur de Raffet, de Charlet, etc., vers 1815.
Boutique de Gibaut, marchand d'estampes et éditeur, boulevard des Italiens, vers 1835.
Boutique de Vignères, éditeur d'estampes, barraques de la place du Carrousel, vers 1849.

La reproduction du dessin trouve une solution avec l'invention de la lithographie en 1796 et son importation en France en 1802. C'est en 1818 que J.-B. Isabey, selon l'imprimeur Engelmann, « fut le premier à exécuter des dessins soignés en lithographie. » En 1824, la lithographie est dotée d'une section spécifique au Salon et six ans plus tard le nombre de lithographies exposées dépassait la centaine d'œuvres. Les portraits et les paysages se multiplient, leur prix de vente est bon marché : Lemercier, imprimeur parisien, possédait dans son atelier quatre-vingts presses. La « France des notables » goûte fort ce nouveau procédé, les rééditions successives entre 1820 et 1878 des Voyages pittoresques et romantiques dans l'ancienne France le prouvent.

La nouvelle ère de l'estampe

L'estampe entre dans une ère nouvelle : recherches sur le papier (1772 Jacob-Christian Schaeffer[33],1797 Nicolas-Louis Robert[34] ), progrès de la presse à vapeur (1814), encre industrielle (1818), physionotraces de Gilles-Louis Chrétien[35], images d'Épinal pour un public plus populaire[36]. Le travail est parcellisé ; « des dizaines de graveurs se relayaient jour et nuit, sous surveillance, chacun penché sur quelques centimètres carrés d'une image qu'on reconstituait ensuite pour former de vastes planches destinées à l'illustration ds livres bon marché et des premiers magazines éducatifs[12] ». L'acier prend le pas sur la lithographie et la galvanoplastie[37]en 1836 facilite les tirages d'estampe. Ainsi Benjamin Delessert peut-il proposer un « Concours d'estampes utiles ».

La concurrence de la photographie

« La vulgarisation de l'art est-elle la ruine de l'art[38]? » Question qui se pose dès l'invention de la photographie. Avant 1860, le graveur soit recopie le modèle photographié sur la plaque, soit retravaille le daguerréotype ; on essaie une solution intéressante : le « cliché-verre », qui permet une œuvre à mi-chemin entre le dessin, l'eau-forte et la photographie. Des graveurs comme Calamatta, Nanteuil refusent catégoriquement que la photographie soit reconnue comme une œuvre d'art, mais c'est un combat d'arrière-garde. La gravure de reproduction est intéressante pour les marchands comme pour les artistes car elle génère des revenus substantiels : « Ce qui a consacré la fortune de l'Hémicycle du Palais des Beaux-Arts de P. Delaroche , c'est la magnifique estampe qu'en a gravé Henriquel-Dupont[39]. » Ces graveurs de reproduction vont se sentir à la fois mis en danger par les procédés mécaniques de reproduction, et par le goût de plus en plus vif pour la gravure originale. Ils sont obligés de se reconvertir et ce dès le début du Second Empire : les exemples les plus connus sont Daubigny, Whistler et Meryon. Les peintres, comme Manet, Millet vont être amenés à reproduire leurs propres tableaux : petit à petit se met en place le nombre limité de reproduction et la destruction de la planche en fin de tirage. C'est le critique Burty qui l'impose à Millet au grand dam de ce dernier : « Je trouve cette destruction des planches tout ce qu'il y a de plus brutal et de plus barbare. Je ne suis pas assez fort en combinaisons commerciales pour comprendre à quoi cela aboutit (24 janvier 1869). » E. Galichon va également dans cette voie et parle de la « distance qu'il y a entre les gravures émanant directement de l'artiste qui y met son âme et celles peut-être plus soigneusement exécutées de ces traducteurs qui ne reproduisent qu'avec froideur les chefs-d'œuvre. » L'estampe s'éloigne de la reproduction ; la création de la Société des Aquafortistes de Cadart ou le réveil de L'Etching Club en Angleterre en sont les signes les plus visibles. Europe et États-Unis emboîtent le pas. Whistler, surtout Degas et Pissarro, par leur pratique, font émerger la gravure d'artiste, l'estampe « originale » : variation des papiers, numérotation ds tirages, monotypes, augmentation du nombre des états, signature manuscrite. Les États-Unis, à travers leurs collectionneurs et leurs artistes venant en France, vont être un puissant levain pour cette nouvelle orientation : « L'esprit américain est spécialement adapté à l'expression artistique sous cette forme et il ne fait pas de doute qu'elle prendra un essor vigoureux[40]. »

En 1889, la reconnaissance de l'estampe comme œuvre d'art majeur est entérinée par la création de la Société des peintres-graveurs français : estampes, dessin et peintures sont présentés sur un pied d'égalité. Deux problèmes restent en suspens : la lithographie qui apparaît comme le moyen de diffusion bon marché et l'emploi de la couleur suspecté de vouloir séduire un public facile. « Par ses principes, ses origines et ses traditions, l'art de la gravure est sans contredit l'art du noir et du blanc », déclare en 1898 le président de la section de gravure et de lithographie du Salon.

Le succès de l'estampe se manifeste à travers la parution de nombreuses revues : L'Estampe originale (mai 1893), L'Épreuve (1894), L'Estampe moderne (1897), L'Estampe et l'Affiche (1897). Vers 1900, « le marché de l'estampe est définitivement installé dans le champ artistique[12] », même si les graveurs de reproduction n'ont pas encore disparu. Le bois gravé connaît une renaissance avec les expressionnistes allemands, le précurseur en étant Gauguin : « pour la Brücke, comme pour Munch, la gravure fut un moyen de séduire un public beaucoup plus vaste que ne l'aurait été une simple toile. Marginaux, étrangers aux groupes artistiques reconnus, ce type de gravures, qui ne pouvait que difficilement s'intégrer dans le circuit des marchands et des galeries apparaissait à la fois comme un moyen de provocation, de diffusion, de séduction — au niveau des thèmes et de la liberté des formes — à l'égard d'un public qui ne manquerait pas de réagir à la violence du style[41]. »

L'estampe hors d'Europe

L'URSS et la Chine socialiste redécouvrent la gravure sur bois et le rôle de l'estampe populaire. Aux États-Unis, la Work Projects Administration permet aux graveurs de poursuivre leur travail malgré la crise économique. En France, les commandes passées aux artistes permettent aux ateliers de passer un cap difficile : c'est le cas de l'atelier Blanc qui survit grâce à la commande de Bernheim à Jacques Villon ou de l'atelier Lacourière avec la commande Vollard à Picasso. L'Atelier 17 de S.W.Hayter ouvert à Paris en 1927 est le prototype de l'atelier de gravure qui fonctionne sur le modèle des ateliers de peinture. Friedlander et Goetz suivront dans cette voie : la priorité est donnée aux innovations, l'œuvre n'a d'autre but qu'elle-même.

« Serait-il trop paradoxal d'affirmer que l'estampe en tant qu'objet d'art n'existe qu'en fonction d'une industrie dont le rôle est de diffuser de l'idéologie et qui a donc besoin d'être idéalisée ? Un graveur extrémiste proclamera que l'estampe n'a rien à faire avec la reproduction et la diffusion, l'extrémiste opposé, que l'estampe doit être démystifiée et rentrer dans le rang des images imprimées. Les uns oublient que, quoi qu'ils fassent, l'estampe est par nature une reproduction. Les autres que, quoi qu'ils fassent, elle est devenue la reproduction d'une différence[12]. »

En Chine et au Tibet, les images imprimées se limitèrent aux illustrations accompagnant le texte jusqu'aux temps modernes. Le livre imprimé le plus ancien, le Soutra du Diamant, contient une grande estampe en page de couverture, de même que plusieurs textes bouddhistes. Plus tard, certains artistes chinois notables créèrent des estampes pour les livres, mais les impressions séparées ne se sont pas répandues en Chine en tant que courant artistique.

Au Japon, l'estampe de genre « ukiyo-e » se développa pendant la période Edo de 1600 à 1868 : il « trouve son expression initiale à la fin du XVIe siècle. C'est l'époque où une culture et un art bourgeois émergent comme facteurs déterminants de la civilisation japonaise. »[42]

Élaboration

Article détaillé : Gravure.

En Europe et au Japon, traditionnellement, l'artiste ne dessinait le plus souvent que la gravure, et la création des planches était confiée à des artisans spécialisés, dont certains pouvaient devenir célèbres. Ces cuivres étaient ensuite laissés entre les mains d'imprimeurs.

Les estampes en ligne blanche se rapprochent des gravures plus grossières qui ne creusent l'image qu'en lignes minces. La plaque est ensuite imprimée normalement, créant un fond noir et une image blanche. Ce procédé fut inventé au seizième siècle par l'artiste suisse Urs Graf, mais devint populaire à partir du XIXe siècle. Félix Vallotton fut le pionnier de ce genre.

Impression

  • Une fois la plaque ou la planche gravée, on peut imprimer :
Par étampe : utilisée pour les tissus et les estampes les plus anciens (années 1400) cette méthode était réalisée en mettant le papier ou le tissu sur une table, et sous la plaque gravée, et en pressant ou frappant cette dernière avec un marteau.
Par frottement : la méthode la plus commune d'Extrême-Orient à toute époque, et plus tard en Europe. Assez fréquente pour les tissus aussi, ainsi que pour les estampes modernes. Le bloc est posé face vers le haut, le papier posé par dessus. L'arrière du tissu est frotté avec une palette rigide, une pièce de bois plate ou du cuir[43]. Des mécanismes complexes étaient utilisés au Japon pour maintenir le bloc parfaitement en position et appliquer une pression correcte. Ceci était particulièrement utile quand les estampes polychromes firent leur apparition, et que chaque couleur devait être parfaitement alignée (« repérée »).
À l'aide d'une presse : Les presses firent leur apparition vers 1480 en Europe pour les imprimés et les livres. De simples presses empesées étaient peut-être utilisées auparavant. Un abbé de Mechelen, décédé en 1465, possédait « unum :instrumentum ad imprintendum scripturas et ymagines [...] cum 14 aliis lapideis printis » c’est-à-dire « un instrument d'impression de textes et d'images [...] avec quatorze pierres pour imprimer », à une époque où une presse du type de Gutenberg avait peu de chances de se trouver à cet endroit[44]. Les presses ne sont utilisées en Asie que depuis une époque relativement récente.
  • Le choix des papiers est important :
« D'une manière générale, on peut distinguer parmi les papiers pour estampe, ceux qui sont destinés à subir un relief, du fait de la plaque imprimante, et ceux qui ne reçoivent qu'une impression à plat. Les premiers sont les papiers à taille-douce qui reçoivent, d'une part, le coup de planche et, d'autre part doivent se gaufrer dans les tailles ; ce sont également tous les papiers à estampage. Ces papiers sont souvent utilisés humides et, de ce fait, doivent pouvoir résister au mouillage et au trempage. Les seconds sont tous les papiers pour lithographie, sérigraphie, offset...et, dans une certaine mesure, pour la gravure sur bois, l'écrasement des parties imprimées ne créant pas de véritable enfoncement[2]. » Les marques sont relativement nombreuses : Abbey Mills Text, Arjomari, Arches, japon nacré, Rives pur chiffon, Johannot, Arches 88, Moulin de Laroques, Canson et Montgolfier, Fabriano, Rosaspina, Van Gelder, Richard de Bas.
Quelques formats contemporains : A0 = 841 x 1 189 mm - A1 = 594 x 881 mm - A2 = 420 x 594 mm - A3 = 297 x 420 mm - A4 = 210 x 297 mm - A5 = 148 x 210 mm.
Principaux formats traditionnels : Couronne : 36 x 46 cm - Double couronne : 46 x 72 cm - Coquille : 44 x 56 cm - Raisin : 50 x 65 cm - Jésus : 56 x 76 cm - Double colombier : 90 x 126 cm.
Et, pour finir : 1 rame = 500 feuilles ; 1 demi-rame = 250 feuilles ; 1 ramette = 125 feuilles (1/4 de rame) ; 1 main = 25 feuilles.
  • L'emploi de la couleur
En Chine, où les estampes individuelles ne se développèrent qu'au dix-neuvième siècle, les estampes en couleurs apparaissent surtout dans des livres de luxe sur l'art, traitant en particulier de la peinture, médium plus prestigieux.
Au Japon, la technique des couleurs, appelée nishiki-e, fut utilisée pour des imprimés à partir de 1760. Le texte était normalement monochrome, tout comme les illustrations de livres, mais la popularité croissante du ukiyo-e créa une demande pour un nombre de couleurs croissant et une plus grande complexité des techniques. Au dix-neuvième siècle, la plupart des artistes travaillaient en couleurs. Les étapes de cette évolution furent :
Sumizuri-e (墨摺り絵, « dessins imprimés à l'encre ») - Impression monochrome à l'encre noire.
Benizuri-e (紅摺り絵, « dessins imprimés cramoisis ») - Détails à l'encre rouge ou ajoutés à la main après le processus d'impressions : parfois réalisé en vert.
Tan-e (丹絵) - Détails orange utilisant un pigment rouge nommé tan.
Aizuri-e (藍摺り絵, « dessins imprimés indigo »), Murasaki-e (紫絵, « Dessins pourpres »), et autres styles où une autre couleur est utilisée avec, et non au lieu de, l'encre noire.
Urushi-e (漆絵) - Une méthode où l'encre est épaissie avec de la colle, et retouchée à l'or, au mica ou d'autres substances. Urushi-e réfère aussi à des peintures utilisant des laques au lieu de peintures. La laque n'était pas utilisée en estampe.
Nishiki-e (錦絵, «estampes de brocart») - Une méthode impliquant des blocs multiples pour chaque portion de l'image, permettant un grand nombre de couleurs à utiliser pour parvenir à des images infiniment complexes et détaillées. Un bloc séparé est gravé et appliqué seulement à la partie de l'image lui correspondant. Des marques nommées kentō (見当) étaient utilisées pour le positionnement de chaque bloc.
  • Les codes anglo-saxons de l'estampe :
C1 = Intaglio printing, C2 = Copper engraving, C3 = Etching, C4 = Dry point, C5 = Aquatint, C6 = Soft ground, C7 = Mezzotint, C8 = Steel engraving
X = Relief printing, X1 = Woodcut, X2 = Wood engraving, X3 = Linocut, X4 = Plaster cast, X5 = Zinc engraving, X6 = Cardboard engraving
L = Lithography
S = Silkscreen
H = Héliogravure
M = Monotype
O = Offset
Tm = Mixed media
Comp = Computer

Notes

  1. Il faut remonter au francique pour trouver stampôn qui veut dire « piler, broyer » (voir stampfen en allemand). Ensuite on retrouve au XIIe siècle, un verbe estamper, qui donne estampe : c'est-à-dire un « cachet destiné à la fabrication d'une empreinte ». Ce n'est qu'au XVIe siècle, donc tardivement, que le mot italien stampa fut inclus dans le vocabulaire français avec son sens d'« impression ».
  2. a, b, c, d et e André Béguin, Dictionnaire technique de l'estampe, Bruxelles, 1977.
  3. Un billet de banque, un timbre-poste ou une feuille de papier fait main et incluant des motifs devraient être qualifiés d'estampes.
  4. Une contre-épreuve (« c'est-à-dire un monotype tiré à partir d'une épreuve dont l'encre n'est pas encore séchée et qui donne le pâle reflet inversé de l'estampe que l'on vient de tirer » écrit M. Melot) ressemble beaucoup à un dessin au crayon lithographique.
  5. Entre 1967 et 1975, elle a gravé au burin et à la pointe sèche quelque deux cents dessins de Hans Bellmer.
  6. a et b M. C. Paoluzzi, La Gravure, Solar, 2004.
  7. Jacopo de' Barbari est à la cour du prince électeur de Saxe de 1500 à 1506, puis à celle de Marguerite d'Autriche. Les frères Beham (Hans Sebald et Barthel), élèves de Dürer, vont exercer à Rome.
  8. L'estampe devient un moyen de diffusion des idées, ainsi du Portrait de Martin Luther par Hans Baldung Grien et par Lucas Cranach en 1521.
  9. « Lucas de Leyde me fit cadeau de son œuvre entier ; il reçoit en échange une collection de mes gravures que j'estime à huit florins... » « Je donne à Polonius tout mon œuvre gravé. Par l'entremise du peintre il dit être envoyé à Rome et l'on me promet en échange des dessins de Raphaël. »
  10. « En 1512, le conseil de la ville de Nuremberg édicte l'arrêt suivant : un étranger se permet de vendre aux abords de l'hôtel de ville des images munies de la marque de Dürer mais qui ne sont que des contrefaçons ; on l'obligera à enlever toutes ses marques, sinon on lui confisquera tout », écrit Michel Melot (« La nature et le rôle de l'estampe » in L'Estampe, Skira, 1981).
  11. À Anvers et en liaison avec la maison Plantin dans les années 1558.
  12. a, b, c, d, e, f, g, h et i Michel Melot, « La nature et le rôle de l'estampe » in L'Estampe, Skira, 1981.
  13. Selon les comptes de la maison Plantin, une gravure sur bois revient trois fois moins cher qu'une gravure en taille-douce.
  14. « 12 à 20 florins pour un dessin, ... plus de 50 florins pour celui qui le grave », Michel Melot.
  15. L'investissement est lourd : le travail du buriniste est lent mais les tirages dépassent quelquefois le millier d'épreuves (tirages à 3 000 de gravures d'après Poussin.
  16. Exemple de l'inscription Academia Leonardi Vinci.
  17. Le graveur Enea Vico est particulièrement prolifique.
  18. Niccolo Simonelli, au service des Chigi, aida Salvator Rosa, Pietro Testa ou G. B. Castiglione.
  19. C'est le cas de Dorigny, connu pour les reproductions de Simon Vouet.
  20. « La gloire de la France... est de cultiver autant que possible les arts libéraux, tel qu'est celui de la gravure en taille-douce, au burin et à l'eau-forte, qui dépend de l'imagination de ses auteurs et ne peut être assujetti à d'autres lois que celles de leur génie...
  21. À partir de 1642.
  22. De Poilly voit son œuvre gravé (gravure de reproduction) atteindre les mêmes prix que les estampes d'après Rubens ou celles de Rembrandt et ce en 1751-1752.
  23. Voir les propos de Claude Mellan ou de Gérard de Lairesse.
  24. Louis-Sébastien Mercier.
  25. Un peu plus tardivement, rappelons le retirage des 85 planches sauvées de Rembrandt en 1906.
  26. Rembrandt et les copies faites par Basan, Watelet, Novelli ou Cumano.
  27. Ce fut le cas pour des artistes comme Rembrandt, Dürer et Goya.
  28. Gersaint et sa préface de la vente La Roque.
  29. Il faudrait parler du dictionnaire de Fueslin en 1771, de Strutt en 1785, de Huber en 1787
  30. À Londres, Vienne ou Dresde.
  31. Elles sont pour la première fois au Salon de 1739 pour les premières, et de 1759 pour les seconds.
  32. Hercule Seghers est un précurseur au XVIIe siècle : il voulait « transformer ses estampes en peinture. »
  33. Il dévoile dans les Sämtliche Papierversuche 81 spécimens de pâte.
  34. brevet sur la fabrication du papier mécanique
  35. «À partir d'une silhouette grandeur nature, un bras articulé traçait une petite eau-forte : six minutes de pose et quatre jours pour tirer une douzaine d'épreuves de cinq centimètres de diamètre, livrées, éventuellement coloriées, avec le cuivre, pour quinze livres. (Michel Melot : la nature et le rôle de l'estampe »
  36. à rapprocher de la production de la maison Currier and Ives aux États-Unis
  37. le procédé permet, par électrolyse, de rendre inusables les métaux tendres en les recouvrant d'une microscopique pellicule d'acier
  38. Marquis de Laborde, Exposition Universelle de 1851, Paris, 1856.
  39. Charles Blanc in la Gazette des Beaux-Arts.
  40. J.Maberly en 1880.
  41. J.-M. Palmier, L'Expressionnisme et les arts, Paris, 1980.
  42. Richard Lane, L'Estampe japonaise, Fribourg, 1979.
  43. On utilise aussi le frotton, constitué de crin pétri avec de la colle forte et entouré d'un linge.
  44. A. M. Hind, An Introduction to a History of Woodcut, Houghton Mifflin Co., 1935 (in USA), reprinted Dover Publications, 1963, 64-94. (ISBN 0-486-20952-0).

Bibliographie

  • H. Focillon, Les Maîtres de l'estampe, Paris, 1930
  • J. Laran, L'Estampe, PUF, Paris, 1959
  • A. Béguin, Dictionnaire technique de l'estampe, Bruxelles, 1977
  • M. Melot, A. Griffith, R. S. Field, Histoire d'un art : l'estampe, Skira, 1981
  • M. C. Paoluzzi, La Gravure, Solar, 2004

Liens

  • [[1]] Estampes du château de Mons à Arlanc

Articles connexes

Lien externe


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