Affaire de la profanation du cimetiere juif de Carpentras

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L'affaire de la profanation du cimetière juif de Carpentras fait suite à la profanation de sépultures juives à Carpentras (Vaucluse) en 1990. L'affaire n'a été résolue que six ans plus tard.

Sommaire

Les faits

Dans la nuit du 8 au 9 mai 1990, 34 sépultures juives sont profanées (stèles renversées et brisées, mais sans inscriptions antisémites, etc.) à Carpentras, où vit une communauté juive qui date de l'époque des « juifs du pape ». Dans la journée du 9 mai, personne ne rentra, parait-il, dans le cimetière ce qui explique que la profanation ne sera découverte que le lendemain.

La découverte

Le 10 mai 1990, deux dames découvrent la profanation et préviennent les autorités.

Le cercueil de Félix Germon décédé 15 jours plus tôt, non recouvert de terre, est sorti de sa tombe. Le corps extrait du cercueil est posé nu face contre terre sur une tombe voisine. Un mat de parasol est retrouvé à côté de lui (on parlera d'un "simulacre d'empalement").

L'affaire s'enflamme et Laurent Fabius le déclare "empalé"[1].

Une affaire politique

Le contexte, mai 1990

Michel Rocard est le premier ministre de François Mitterrand. Pierre Joxe est son ministre de l'intérieur, patron de la police et des renseignements généraux.

Le mur de Berlin vient de tomber et l'affaire Péchiney a fait grand bruit, laissant planer le doute sur l'honnêteté des hommes au pouvoir.

Le Front national est alors en pleine ascension électorale. Le soir du 9 mai, Jean-Marie Le Pen est à la télévision dans l'émission L'heure de vérité.

Conséquences

Cette découverte provoque un vif émoi en France.

Le ministre de l'Intérieur, Pierre Joxe, qui s'est rendu le jour même à Carpentras en hélicoptère[2], déclare que les responsables sont « le racisme, l'antisémitisme et l'intolérance ». De nombreuses personnalités politiques vont par la suite se rendre sur les lieux. On notera, entre autres : Jack Lang, Jean-Claude Gaudin, Harlem Désir, Raymond Barre, Lionel Jospin, Philippe Maurois et Georges Marchais.

Des manifestations imposantes contre le racisme et l'antisémitisme sont organisées durant la semaine qui suit. Le président François Mitterrand participe à l'une d'entre elles à Paris. C'est la première fois qu'un président de la République dans l'exercice de ses fonctions participe à une manifestation en France[3]. Yves Bertrand, directeur des RG de 1992 à 2003 affirme dans son livre Je ne sais rien... mais je dirai (presque) tout, paru en octobre 2007, que la manifestation à Paris devait au départ se dérouler autour de la Grande synagogue. C'était selon lui le souhait des autorités religieuses juives de Paris qui ne voulaient pas que l'évènement soit récupéré politiquement par l'extrême gauche[4]. François Mitterrand aurait alors « forcé la main » aux autorités juives pour que la manifestation ait lieu entre la place de la République et la place de la Bastille, lieux traditionnels de rassemblement de la gauche française[5].

Le Front national est montré du doigt. Jean-Marie Le Pen prétend que son parti est la cible d'un complot. Il organisera des manifestations à Carpentras, en 1991 et en 1995, pour demander réparation.

Pour Yves Bertrand, la profanation du cimetière de Carpentras fut une manipulation anti-FN orchestrée par François Mitterrand[6]. Celui-ci aurait alors voulu empêcher toute possibilité d'alliance entre le Front national et la droite parlementaire[7].

L'enquête

Selon Yves Bertrand, François Mitterrand aurait demandé à la police de privilégier la recherche du coupable au sein du Front national[7]. Mais l'enquête piétine. La police suit dans un premier temps la piste des groupuscules d'extrême droite et néonazis. Deux des auteurs présumés de la profanation, membres du Parti nationaliste français et européen, ont été arrêtés dans les jours qui ont suivi la profanation, mais ont été rapidement relâchés faute de preuve.

Des rumeurs locales circulent, mettant notamment en cause des fils de notables locaux, dont le fils du maire UDF. En 1995, une jeune femme de Carpentras renforce cette rumeur en évoquant des orgies organisées dans le cimetière. Leurs participants auraient selon elle commis la profanation, ainsi que le meurtre d'une autre jeune femme, Alexandra Berrus, retrouvée morte en 1992.

L'instruction établira plus tard que la jeune femme est une mythomane, mais ses propos alimentent alors la tension autour de l'affaire. Le procureur Jean-Michel Tissot autorise les animateurs d'une émission de TF1, Témoin n°1, à annoncer de prochaines mises en examen. Gilbert Collard, avocat de la famille de Felix Germon et de celle d'Alexandra Berrus, parle de « mensonge d'État », garantit qu'il s'agit strictement d'une affaire de droit commun, et présente, lors d'une conférence de presse, une enveloppe où sont inscrits, d'après lui, les noms des coupables. Soumise à une intense pression, la juge d'instruction Sylvie Mottes est dessaisie de l'affaire, qui est transférée au tribunal de Marseille[3].

Le dénouement

Le 30 juillet 1996, un certain Yannick Garnier, 26 ans, se présente de lui-même au commissariat d'Avignon, et avoue être l'un des profanateurs. Il dit ressentir le besoin de se libérer de ce secret pour changer de vie et de ne pas avoir à mentir à la femme dont il est récemment tombé amoureux. Ses aveux confirment qu'il s'agissait bien d'un acte antisémite commis par des néonazis. Il dénonce ses quatre complices qui sont arrêtés aussitôt, sauf l'un d'entre eux, le meneur, Jean-Claude Gos - qui avait été interpellé dès le 11 mai 1990[8] et relâché après 24 heures - bonehead originaire de Denain (1966-1993) et membre du PNFE, tué le 23 décembre 1993 dans un accident de moto sur une route de la grande banlieue d'Avignon, après une collision avec une voiture dont le conducteur (Rachid Belkir, 36 ans) sera retrouvé mort en 1995, noyé dans le Rhône[9], deux lourdes pierres attachées aux pieds[10][11].

Aucun lien n'a été établi entre les coupables et le Front national. Les dirigeants locaux du FN, Guy Macary et Fernand Teboul, faisaient eux-mêmes partie de la communauté juive[9], ce qui ne pouvait que déplaire aux néonazis.

Le procès débute huit mois plus tard à Marseille, dure une semaine, et le verdict est rendu le 24 avril 1997. Patrick Laonegro, le « cerveau » du commando de profanateurs, et Olivier Fimbry, un ancien militaire, sont condamnés à deux ans de prison, tandis que les deux autres profanateurs sont condamnés à vingt mois.

Conséquences

Un grand nombre de théories ont été échafaudées et de pistes suivies lors de l'enquête, jusqu'aux plus fantaisistes. Relayées de façon aveugle et sensationelle par les médias, ces allégations ont eu des conséquences sur des domaines n'ayant aucun rapport avec la vérité des faits.

L'un des exemples marquants est la stigmatisation du jeu de rôles, durablement étiqueté comme rassemblement de profanateurs, de casseurs, de satanistes et autres profils à tendance morbide. Dans les mois suivant ces allégations (initiés par Mireille Dumas dans son émission Bas les masques sur France 2), nombre de clubs et de boutiques spécialisées ont été fermés ou mis sous surveillance par divers organismes.

En 1998, le documentaire Jeux de rôles à Carpentras de Jean-Louis Comolli, diffusé sur Arte dans la série Les Mercredis de l'Histoire notamment le 2 mai 2001, rappelle les fausses informations diffusées par les médias de l'époque, et établit l'existence de manipulations délibérées de l'information autour de l'affaire, afin de faire inculper le fils innocent du maire de Carpentras qui se trouvait être un amateur de jeu de rôles. Le documentaire produit notamment les comptes rendus dressés par les Renseignements généraux des conversations téléphoniques entre Jacques Pradel et le Procureur de la République de l'époque, conversations au cours desquels ils s'entendaient pour faire pression sur la juge d'instruction.

Références

  1. Le chef des profanateurs, Jean-Claude Gos, avait tenté d’empaler le corps de Félix Germon avec « un grand pied blanc de parasol ». L'Humanité du 7 août 1996
  2. Claude Mossé dans son ouvrage « Carpentras la profanation » parlera de « hasards programmés »
  3. a  et b Article de L'humanité "L’affaire de la profanation de Carpentras confiée à un nouveau juge"
  4. Yves Bertrand, Je ne sais rien… mais je dirai (presque) tout, Conversations avec Eric Branca, Plon, 2007, p. 124.
  5. Yves Bertrand, Je ne sais rien… mais je dirai (presque) tout, Conversations avec Eric Branca, Plon, 2007, p. 125.
  6. Extrait de l'émission On n'est pas couché - invité : Yves Bertrand [1] [2]
  7. a  et b Yves Bertrand, Je ne sais rien… mais je dirai (presque) tout, Conversations avec Eric Branca, Plon, 2007, p. 122
  8. Article de l'Humanité du 17 mars 97
  9. a  et b Yves Bertrand, Je ne sais rien… mais je dirai (presque) tout, Conversations avec Eric Branca, Plon, 2007, p. 126.
  10. L'autre mystère de Carpentras, LEXPRESS.fr, 29/08/1996
  11. Le vrai visage des profanateurs, LEXPRESS.fr, 08/08/1996

Presse

  • Le Monde (11.08.2006), "Grandes affaires criminelles 28 - 1990 . La profanation de Carpentras. Des tombes juives vandalisées"

Télévision

Bibliographie

  • Yves Bertrand, Je ne sais rien… mais je dirai (presque) tout, Conversations avec Eric Branca, Plon, 2007, (ISBN 9782259202954)
  • Arnaud Esquerré, Une affaire, mais dans quel cadre ? A propos du cimetière juif de Carpentras, in L. Boltanski et alii, éds, Affaires, scandales et grandes causes, Stock, 2007, p. 329-346.
  • Christian Lehmann, Tant pis pour le Sud, ed Médium : cet ouvrage décrit une histoire de fiction basée entièrement sur l'affaire de la profanation du cimetière juif de Carpentras, dénonçant le coup accusé par les jeux de rôle dans cette affaire.
  • Nicole Leibowitz, L'affaire Carpentras de la profanation à la machination, Plomb, 1998.
  • Jean Roberto, Marie-Claire Roy, Martin Peltier, L'Affaire Carpentras. Analyse d'une manipulation d'État, éditions National Hebdo, 1995, (ISBN 2950879502)


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