Première Internationale

Première Internationale

Association internationale des travailleurs

Association internationale des travailleurs
Sigle de la Fédération espagnole de l'AIT
Devise : L'émancipation des travailleurs doit être l'œuvre des travailleurs eux-mêmes

Création 1864
Dissolution 1872
Type Organisation ouvrière internationale
Siège Londres

L'Association internationale des travailleurs est le nom officiel de l'organisation également connue sous le nom de Première Internationale, fondée le 28 septembre 1864 à Londres au Saint-Martin's Hall. Cette organisation a disparu suite à une scission intervenue en 1872.

Sommaire

Historique

Les débuts

Précurseurs

L'internationalisme dans son acception moderne se place dans la continuité idéologique des mouvements révolutionnaires de 1848[1]. À partir du milieu du XIXe siècle, différentes organisations fortement marquées par les idéaux démocratiques et pacifistes de la bourgeoisie progressiste voient le jour.

En 1834, la Jeune Europe de Giuseppe Mazzini se veut la préfiguration d'une fédération républicaine à l'échelle européenne.

Avec une orientation socialiste plus marquée, l'Association Internationale[2], est fondée à Londres en 1855 par des proscrits socialistes français, allemands, polonais, anglais et belges. Elle dure quatre ans mais reste embryonnaire. Elle est dissoute suite aux dissensions de certains membres souhaitant l'abolition du comité permanent[3].

En 1867, en réaction aux menaces de guerre entre la France et la Prusse, la Ligue de la Paix et de la Liberté, à laquelle Victor Hugo, entre autres, a appartenu, milite pour la création des États-Unis d'Europe[1].

L'Association Internationale des Travailleurs adopte un point de vue tout différent : uniquement composée de prolétaires, elle se donne pour objectif de les unir dans la lutte qu'ils mènent pour leur émancipation, au-delà des divisions artificielles créées par les frontières des États-nations. La fondation de la Première Internationale marque ainsi la rupture du mouvement socialiste avec le républicanisme et constitue à ce titre une étape importante de l'histoire du socialisme.

Fondation de l'AIT

En 1862, du 19 juillet au 15 octobre, des ouvriers français sont envoyés à Londres lors de l'exposition universelle pour étudier les produits et procédés de l'industrie anglaise. Des échanges entre ouvriers anglais et français, il naît l'idée d'une grande association de travailleurs[4]. D'autres contacts sont noués, le 22 juillet 1863, entre syndicalistes anglais (dont George Potter et George Odger) et parisiens (parmi lesquels figure Henri Tolain), à l'occasion d'un meeting organisé à Londres en faveur de la Pologne. Ces rencontres aboutissent à la rédaction d'une adresse des ouvriers britanniques à leurs homologues français[1].

Le 28 septembre 1864, un congrès ouvrier européen se tient au Saint-Martin's Hall de Londres à l’initiative des ouvriers britanniques des Trade Unions. La décision y est prise de créer l'Association Internationale des Travailleurs (appelée plus tard « Première Internationale »), qui unit des éléments du mouvement ouvrier de divers pays.

Le meeting du Saint-Martin's Hall décide de la création d'un Comité central (Central Council). Ce dernier publie en anglais, rédigés par Karl Marx, une Adresse inaugurale[5] et des statuts provisoires (Provisional rules)[6] dans lesquels l'AIT affirme que « l'émancipation des travailleurs doit être l'œuvre des travailleurs eux-mêmes » et déclare agir « pour l'émancipation définitive de la classe travailleuse, c'est-à-dire pour l'abolition définitive du salariat ».

Les éléments constitutifs de l'Internationale sont au départ très hétérogènes[7] :

  • Tout d'abord, il y a les syndicalistes anglais, réformistes, modérés, qui gèrent prudemment de riches fonds de grèves. Ils travaillent à l'amélioration des conditions de vie de la classe ouvrière mais font peu référence au socialisme. L'Association Internationale les intéresse sur un plan corporatif si elle parvient à empêcher l'introduction en Grande-Bretagne d'ouvriers du continent venant briser les grèves ou faire tendre les salaires à la baisse[1].
  • Côté français, les militants qui participent à la naissance de l'AIT sont davantage issus du monde de l'artisanat que du prolétariat moderne. Ils sont fortement influencés par Proudhon. Ils représentent un mouvement ouvrier qui renaît depuis peu grâce à la libéralisation de l'Empire : la loi du 25 mai 1864 vient de supprimer le délit de coalition en vigueur depuis la Révolution française (loi Le Chapelier du 14 juin 1791) et Napoléon III n'oppose aucun obstacle aux prémices de l'Internationale.
  • De nombreux représentants de la démocratie "à la mode de 1848", à commencer par les mazziniens, sympathisent avec la cause de l'Internationale et y adhèrent[7].

Le Congrès de Genève (1866)

Le premier congrès de l'Association Internationale des Travailleurs, d'après ses statuts provisoires, devait se tenir en Belgique en 1865[8]. Mais le Conseil général estime que la tenue d'un congrès en 1865 serait prématurée, d'autant plus que la Belgique vient de voter une loi contre les étrangers qui risque de compromettre l'accueil des délégués. Une simple conférence se réunit à Londres du 25 au 29 septembre 1865. Celle-ci décide que le premier congrès se tiendra à Genève au printemps. À la demande des Genevois, il est repoussé à l'automne et débute le 3 septembre 1866.

Le développement de l'Internationale est encore modeste. Soixante délégués représentent 25 sections et 11 sociétés adhérentes provenant de France, de Suisse, d'Allemagne et d'Angleterre[7]. Pour la France, seules trois grandes cités ouvrières sont représentées : Paris (par Henri Tolain, Zéphyrin Camélinat, Benoit Malon, Eugène Varlin, Édouard Fribourg...), Rouen et Lyon. Les Suisses sont en grand nombre, ils viennent de Genève (Jean-Philippe Becker...), Lausanne, Montreux, Neuchâtel (James Guillaume), La Chaux-de-Fonds, Saint-Imier (Adhémar Schwitzguébel), Bienne, Zurich et Bâle. Pour l'Allemagne : Stuttgart, Magdeburg et Cologne. Pour l'Angleterre, les tailleurs londoniens envoient un délégué tandis que la section française de Londres est représentée par Eugène Dupont. Enfin, le Conseil général a délégué cinq de ses membres, parmi lesquels figurent George Odger, Hermann Jung ou encore Johann Georg Eccarius.

À Genève est notamment adoptée la revendication de la limitation du temps de travail journalier à 8 heures maximum. Le refus du travail des femmes est également voté à l'initiative des mutuellistes proudhoniens[9].

Le développement de l’Internationale

Dans les luttes quotidiennes, l’AIT soutient les mouvements et luttes des travailleurs, les luttes pour le suffrage universel, pour la réduction du temps de travail, contre le travail des enfants.

Sa presse était principalement développée au Royaume-Uni, en Suisse, et en Belgique - de façon moindre en France et en Allemagne du fait de la censure et de la limitation, voire de l’interdiction, du droit de réunion. Plusieurs procès eurent lieu contre des militants de l’Internationale, par exemple en France où quinze membres de l’AIT furent condamnés à 100 francs d’amende chacun pour « constitution interdite d’association de plus de vingt personnes ».

La Ire Internationale se trouve au bout de quelques années divisée entre « mutuellistes » et « collectivistes » (ou « communistes »). Ainsi, le deuxième congrès qui s'ouvre à Lausanne le 2 septembre 1867 est traversé par des divergences entre les mutuellistes suisses et français et les collectivistes anglais et allemands. Et, à l'occasion d'une motion finale, il est acquis que « l'émancipation sociale des travailleurs est inséparable de leur émancipation politique ».

Dès la fin de l'année 1867, le gouvernement français décide de contrer le développement de l'Internationale. Lors des premières poursuites (février 1868), Henri Tolain et la commission parisienne démissionnent. Ils personnifiaient le mutuellisme proudhonien méfiant à l'égard des grèves[réf. nécessaire], hostile aux institutions étatiques, favorable au maintien de la femme au foyer - base de la famille... Ceux qui vont prendre le relais, avec Eugène Varlin à leur tête, prétendent dépasser le mutuellisme qui, selon eux, se doit de déboucher sur le collectivisme et le syndicalisme. Dans la section française, un collectivisme anti-étatique succède au mutuellisme.

Le IIIe congrès qui se déroule du 6 au 13 septembre 1868 à Bruxelles, réunit des délégués venus de Belgique, de France, du Royaume-Uni, d’Allemagne, d’Italie, de Suisse, d’Espagne. Le congrès marque la prédominance des idées syndicalistes et collectivistes. L’Association internationale des travailleurs y déclare qu’elle « n’est fille ni d’une secte, ni d’une théorie. Elle est le produit spontané du mouvement prolétaire » (texte écrit par Karl Marx).

En 1868, Bakounine adhère à la section suisse de l’AIT, et en 1869 l’AIT intègre les membres de son Alliance démocratique sociale (qui déclare s’auto-dissoudre afin d’intégrer l’Internationale). Bakounine écrit à Marx le 22 décembre 1868 : « Ma patrie maintenant, c’est l’Internationale, dont tu es l’un des principaux fondateurs. Tu vois donc, cher ami, que je suis ton disciple, et je suis fier de l’être ».

L’AIT, qui regroupe alors les différentes tendances du socialisme, va progressivement se trouver divisée entre "marxistes" et "anarchistes" de tendance bakouniniste. Errico Malatesta commentera ainsi plus tard cette division : « Nous voulions, par une action consciente, imprimer au mouvement ouvrier la direction qui nous semble la meilleure, contre ceux qui croient au miracle de l'automatisme et aux vertus de la masse travailleuse... Nous qui dans l'Internationale, étions désignés sous le nom de bakouninistes, et étions membres de l'Alliance, nous criions très fort contre Marx et les marxistes parce qu'ils tentaient de faire triompher dans l'Internationale leur programme particulier ; mais à part la loyauté des moyens employés et sur lesquels il est maintenant inutile d'insister, nous faisions comme eux, c'est-à-dire que nous cherchions à nous servir de l'Internationale pour atteindre nos buts de parti. » (Volonta, 1914)

Lors du IVe congrès de Bâle (6-12 septembre 1869), on peut apprécier le poids respectif de chacune des sensibilités. À partir de votes sur des motions ou amendements présentés par ces divers « courants », on peut établir le « rapport de force » comme suit :

  • 63 % des délégués de l'A.I.T. se regroupent sur des textes collectivistes dits « anti-autoritaires » (« bakouninistes »).
  • 31 % se regroupent sur des textes collectivistes dits « marxistes ».
  • 6 % maintiennent leurs convictions mutuellistes (proudhoniens).

Les deux premières sensibilités se retrouvent sur une proposition ayant trait à la socialisation du sol. Enfin, et à l'unanimité, le congrès décide d'organiser les travailleurs dans des sociétés de résistance (syndicats).

A partir de cette période, Marx et Bakounine, qui se connaissaient depuis de nombreuses années, commencent à se méfier l’un de l’autre. « Ce russe, cela est clair, veut devenir le dictateur du mouvement ouvrier européen. Qu'il prenne garde à lui, sinon il sera excommunié » (lettre du 27 juillet 1869 de Marx à Friedrich Engels). « Il pourrait arriver et même dans un très bref délai, que j'engageasse une lutte avec lui [Marx]... pour une question de principe, à propos du communisme d'état... Alors, ce sera une lutte à mort » (lettre du 28 octobre 1869 de Bakounine à Herzen - il faut cependant remarquer que dans la même lettre, Bakounine écrit à propos de Marx : « nous ne saurions méconnaître, moi du moins, les immenses services rendus par lui à la cause du socialisme, qu’il sert avec intelligence, énergie et sincérité depuis près de vingt cinq ans, en quoi il nous a indubitablement tous surpassés »).

La guerre de 1870 et la Commune n'allaient que retarder le dénouement de cette opposition. En effet, les événements empêchent la tenue du Ve congrès qui devait s'ouvrir à Paris en septembre 1870.

En France, les militants de l’Internationale participent activement à la Commune, et nombre d’entre eux sont tués lors de la répression sanglante qui suit la défaite. De très nombreux militants de l’AIT sont exécutés, de nombreux survivants condamnés à l’exil.

Dans le même temps, en avril 1870, lors du congrès régional de la fédération romande, va se produire une scission : les délégués suisses vont se diviser sur l'attitude à adopter à l'égard des gouvernements et des partis politiques. Quelques phrases extraites des deux résolutions divergentes expriment bien cette opposition qui, de locale, allait gagner tout le mouvement. Pour les bakouninistes,

« toute participation de la classe ouvrière à la politique bourgeoise gouvernementale ne peut avoir d'autre résultat que la consolidation de l'ordre des choses existant, ce qui paralyserait l'action révolutionnaire socialiste du prolétariat. Le congrès romand commande à toutes les sections de l'A.I.T. de renoncer à toute action ayant pour but d'opérer la transformation sociale au moyen des réformes politiques nationales, et de porter toute leur activité sur la constitution fédérative de corps de métiers, seul moyen d'assurer le succès de la révolution sociale. Cette fédération est la véritable représentation du travail, qui doit avoir lieu absolument en dehors des gouvernements politiques. »

A l'inverse, les « marxistes » affirment :

« l'abstention politique est funeste par ses conséquences pour notre œuvre commune. Quand nous professons l'intervention politique et les candidatures ouvrières, nous voulons seulement nous servir de cette représentation comme d'un moyen d'agitation qui ne doit pas être négligé dans notre tactique. Nous croyons qu'individuellement chaque membre doit intervenir, autant que faire ce peut, dans la politique. »

Le Conseil Général de Londres va tenter d'éviter l'affrontement, et rappelle aux bakouninistes que les statuts de l’AIT considèrent l'action politique comme un moyen d'émancipation. Mais, rapidement, ce conflit va déborder les frontières suisses. Les « bakouninistes », désormais appelés « jurassiens », vont rencontrer d'actives sympathies en France, en Espagne et en Belgique. Des tentatives de conciliation au sein des section romandes, puis à la conférence de Londres en 1871, vont échouer. Le Conseil Général de Londres enjoint alors aux jurassiens de se fondre dans la fédération agréée de Genève. Au nom du principe statutaire d’autonomie, les jurassiens s'obstinent, et refusent qu’il y ait une seule section suisse de l’Internationale.

La scission

Dès le 6 septembre 1871, les jurassiens se mettent en marge de l'A.I.T. en adoptant de nouveaux statuts, et en contestant le conseil général qu’ils qualifient de « hiérarchique et autoritaire ».

Dans Les Prétendues scissions dans l'Internationale, le conseil général dénonce les méthodes des « jurassiens », membres de l’Alliance démocratique sociale : « Tous les socialistes entendent par anarchie ceci : le but du mouvement prolétaire, l’abolition des classes, une fois atteint, le pouvoir de l’État qui sert à maintenir la grande majorité productrice sous le joug d’une minorité exploitante peu nombreuse, disparaît et les fonctions gouvernementales se transforment en de simples fonctions administratives. L’Alliance prend la chose au rebours. Elle proclame l’Anarchie dans les rangs prolétaires comme le moyen le plus infaillible de briser la puissante concentration des forces sociales et politiques entre les mains des exploiteurs. Sous ce prétexte, elle demande à l’Internationale, au moment où le vieux monde cherche à l’écraser, de remplacer son organisation par l’Anarchie. » (Les Prétendues scissions dans l'Internationale, texte adopté par le conseil général, essentiellement rédigé par Karl Marx. Publié à Genève, 1872).

La scission aura lieu début septembre 1872 lors du VIIIe congrès, à La Haye. Le lieu du congrès suscite déjà des oppositions (nombre de fédérations pensaient qu'il se tiendrait en Suisse). Les jurassiens mandatent impérativement James Guillaume et Adhémar Schwitzguebel pour présenter leur motion « anti-autoritaire » au congrès officiel et se retirer en cas de vote négatif. Le congrès regroupe 65 délégués d'une dizaine de pays. Du fait du maintien officieux de leur structure internationale autonome (l’Alliance démocratique sociale), Bakounine et Guillaume sont exclus. Le conseil général est transféré à New York. Des militants et des fédérations se solidarisent avec les exclus et quittent alors l'AIT.

Après l’affaiblissement dû à la répression qui suit l’échec de La Commune, cette scission sera fatale à la Première Internationale, qui va s'éteindre progressivement.

La dislocation de l’AIT

Une Internationale dite « anti-autoritaire » va naître. La fédération jurassienne sera le point de regroupement des fédérations hostiles au conseil général. C'est autour d'elle que va mûrir l'idéologie anarchiste qui se revendique alors du nom de « collectivisme révolutionnaire », se voulant le promoteur d'un système économique autogéré en dehors de toute autorité, de toute centralisation, de tout état. La constitution de cette nouvelle internationale a lieu à Saint-Imier le 15 septembre 1872. Y sont représentées les fédérations espagnoles, italiennes et jurassiennes, plusieurs sections françaises et deux sections d'Amérique. Le congrès de Saint-Imier se donne comme objectif « la destruction de tout pouvoir politique par la grève révolutionnaire ».

L'Internationale « officielle » dénonce cette scission. Le conseil général convoque un congrès général le 8 septembre 1873, à Genève. Les trente délégués qui y assistent ne représentent presque qu'eux-mêmes. « Le fiasco du congrès de Genève était inévitable…. Les événements et l’inévitable évolution et involution des choses pourvoiront d’eux-mêmes à une résurrection de l’Internationale » (lettre de Marx à Friedrich Sorge du 27 septembre 1873 - Marx était lui-même absent à ce congrès, comme à quasiment tous les congrès de l’AIT). « La vieille internationale est complètement finie et a cessé d'exister » (lettre d'Engels à Sorge du 12 septembre 1873). Le 15 juillet 1876, le congrès réunit à Philadelphie décide l'auto-dissolution de l’Internationale.

Le 27 avril 1873 est convoqué à Neuchâtel un « VIe congrès de l'A.I.T. », auquel assistent des délégués représentant les fédérations d'Angleterre, de Belgique, de Hollande, de Suisse, d'Espagne, d'Italie et de France. Le congrès se prononce pour l'abolition complète de tout conseil général et, a contrario, pour l'autonomie des fédérations. Pour compléter la structure organisationnelle de l'association, il est décidé qu'en dehors des congrès, les tâches de coordination seront confiées au bureau d'une fédération.

C'est au moment où il voyait ses idées triompher que Bakounine décida de se retirer : « j'ai la conviction que le temps des grands discours théoriques est passé. Dans les neuf dernières années, on a développé au sein de l'Internationale plus d'idées qu'il n'en faudrait pour sauver le monde, si les idées seules pouvaient le sauver. Ce qui importe avant tout aujourd'hui, c'est l'organisation des forces du prolétariat ».

Un « VIIe congrès de l'Internationale » se réunit à Bruxelles du 7 au 12 septembre 1874. On en retiendra que l'Italie, disant suivre en cela les recommandations de Bakounine, décide de se préparer à passer aux actes. À l'opposé, sous l'influence de la section belge, un rapprochement est estimé utile avec les partis démocratiques et socialistes. Ce débat va se clarifier peu à peu durant les trois années suivantes. Il aboutira de fait à la dislocation de cette nouvelle Internationale.

C'est ainsi que durant le « VIIIe congrès » (26/27 octobre 1876 à Berne), César De Paepe et la section belge font admettre le projet de convocation d'un congrès socialiste auquel assisteraient des représentants des organisations communistes. Les italiens, quant à eux, ont décidé de passer à l'action en utilisant la tactique du « fait insurrectionnel ». Ce sera l'épopée du Bénévent en avril 1877 et son échec : une trentaine d'anarchistes armés occupent deux villages, en brûlent les archives et « décrètent » la révolution. Une semaine plus tard, les insurgés, transis et affamés seront capturés sans offrir de résistance. Mais cet échec ne fut pas sans lendemain. Au mois de juin de la même année, Costa et Paul Brousse définissent et expliquent ce que sera la « propagande par le fait ». Le courant anarcho-syndicaliste était alors trop faible pour mettre en avant ses théories d'actions auto-gestionnaires ou communalistes.

À l'inverse, la minorité anarchiste politiquement pure et dure, s'affirmait. Elle avait pour elle la caution des derniers messages de Bakounine qu'elle interprétait souvent étroitement ; elle s'appuyait aussi sur l'attrait qu'exerçaient alors en Europe, les pratiques violentes des nihilistes russes. Ces divergences sur la stratégie à adopter vont aboutir à des prises de positions extrêmes. Lorsque les fédérations belges, hollandaises et anglaises s'accordent pour revenir à une conception plus politique, plus légaliste de l'action, Kropotkine affirme qu'il est nécessaire de promouvoir « la révolte permanente par la parole, par l'écrit, par le poignard, le fusil, la dynamite... » (Le Révolté no 22).

Le « IXe congrès » tenu à Verviers en 1877, regroupe en fait onze délégations acquises aux nouvelles idées radicales. Les représentants des fédérations d'Italie, de France, d'Allemagne, de Suisse, d'Égypte et de Grèce ne vont s'entendre que pour s'opposer négativement à la tendance qui avait prôné le rapprochement vis-à-vis des partis : « Tous les partis forment une masse réactionnaire... il s'agit de les combattre tous ». L'entente était donc impossible avec les trente cinq délégués « marxistes » et socialistes qui se réunissent quelques jours après à Gand lors du congrès socialiste universel. Les délégués du congrès de Verviers y sont minoritaires. Ils voient la fédération belge et les sections flamandes quitter leur internationale, considérée comme annexée par les anarchistes, pour se rallier au marxisme. « Le congrès de Gand a eu au moins cela de bon que Guillaume et compagnie ont été totalement abandonnés par leurs anciens alliés ». (lettre de Marx à Sorge 27.09.1877).

Les militants anarchistes les plus actifs se tournent vers un type d'actions individuelles, la propagande par le fait, qui va les couper du mouvement ouvrier. La Fédération jurassienne, encore la plus active, estime même inutile de préparer le congrès prévu en 1878.

Postérité de la Première Internationale

Quelques années après la disparition de l'AIT, les partis sociaux-démocrates se regroupent dans l'Internationale ouvrière (dite « Deuxième Internationale »), sous l'impulsion notamment de Friedrich Engels.

Les organisations syndicales le feront quelques années plus tard au sein de la Fédération syndicale internationale.

Certains anarcho-syndicalistes se regroupent au sein d'une nouvelle Association internationale des travailleurs, fondée en 1923 à Berlin.

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article : source utilisée pour la rédaction de cet article

  • Jacques Droz (dir.), Histoire générale du socialisme, t.1, Des origines à 1875, PUF, 1972.
  • Rapport sur le 4e Congrès de l'Association internationale des Travailleurs, tenu à Bâle (Suisse) au mois de septembre 1869. Gabriel Mollin. Paris, Imprimerie D. Jouaust, Le Chevalier, 1870.
  • A.I.T. Association Internationale des Travailleurs. Paris, Imprimerie impériale, 1870. réedition en 1968.
  • Les séances officielles de l'Internationale à Paris pendant le Siège et pendant la Commune. Paris, Lachaud, 1872.
  • Association internationale des travailleurs. Son origine - Son but (…). Tableau de la situation actuelle de l'Internationale en France, en Europe et en Amérique. Lyon, Impr. d'Aimé Vingtrinier, 1870. Oscar Testut.
  • Troisième procès de l'Association Internationale des Travailleurs à Paris. Paris, Armand Le Chevalier, 1870. réedition en 1968.
  • La première Internationale. Recueil de documents publiés sous la direction de Jacques Freymond. Textes établis par Henri Burgelin, Knut Langfeldt et Miklós Molnar. Genève, Droz, 1962-1971.
  • Le livre noir de la Commune de Paris (dossier complet) - L'Internationale dévoilée. Paris, Office de Publicité, 1871.
  • Histoire de l'Internationale. Paris, 'Bureau de lEclipse', 1871. Jacques Populus.
  • Les théories de l'Internationale. Étude critique. Paris, Didier et Cie, 1872. Adolphe Georges Guéroult
  • L'Internationale et le Pangermanisme. Edmond Laskine. Paris, H. Floury, 1916.
  • Karl Marx, histoire de sa vie. Franz Mehring. Berlin, 1918.
  • Lettres de communards et de militants de la Ire Internationale à Marx, Engels et autres dans les journées de la Commune de Paris en 1871. Jules Rocher. Paris, Bureau d'Édition, 1934.
  • La Première Internationale Ouvrière. Numéro 8 de la revue Études de Marxologie. 1964.
  • Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, Gallimard, coll. « Tel », 1992 (ISBN 2070724980) Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article

Liens externes

Notes

  1. a , b , c  et d Annie Kriegel, L'Association internationale des Travailleurs (1864-1876), dans Histoire générale du socialisme, volume 1 (Des origines à 1875), Jacques Droz (dir.), P.U.F., 1972, pp.603-634.
  2. Arthur Lehning, De Buonarroti à Bakounine : études sur le socialisme international, Champ libre, Paris, 1977.
  3. Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, Gallimard, coll. « Tel », 1992.
  4. Martial Delpit, Enquête parlementaire sur l'insurrection du 18 mars, Paris, 1872.
  5. Elle a été écrite entre le 21 et le 27 octobre 1864. Elle est reproduite dans La Première Internationale. Recueil de documents, Jacques Freymond (dir.), Librairie Droz, Genève, 1962, volume 1, pp.3-9,
  6. Ces statuts ont fait l'objet de plusieurs traductions en français : une première, très défectueuse, a été effectuée dès 1864 par les militants parisiens de l'Internationale. Une seconde, en 1866, est due à Charles Longuet. Les différentes versions françaises de ces statuts, longuement détaillées par James Guillaume dans L'Internationale. Documents et souvenirs, tome premier, pp.10-21 (Société nouvelle de Librairie et d'Edition, Paris, 1905), ne seront pas sans conséquence au moment de la scission.
  7. a , b  et c Jacques Freymond (dir.), La Première Internationale. Recueil de documents, Librairie Droz, Genève, 1962. 2 volumes, 454 et 499 p.
  8. James Guillaume, L'Internationale. Documents et souvenirs, Société nouvelle de Librairie et d'Edition, Paris, 1905, 4 tomes. Reprint en deux volumes, Editions Gérard Lebovici, 1985.
  9. Pour Tolain, Fribourg ou Chemalé, « le travail des femmes doit être énergiquement condamné comme principe de dégénérescence pour la race et un des agents de démoralisation de la classe capitaliste ». Cité dans Michèle Riot-Sarcey, Histoire du féminisme, La Découverte, Paris, 2008, p. 53.
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