Pont en béton précontraint

Pont en béton précontraint

Un pont en béton précontraint est un pont dont la structure porteuse (arc ou poutre), est en béton précontraint. Un pont dont le tablier est en béton précontraint, mais qui serait haubané ou suspendu n’est pas considéré comme un pont en béton précontraint et est classé dans les ponts à haubans ou pont suspendus.

Pont de l'île de Ré, constitué de 796 voussoirs précontraints préfabriqués à terre, puis assemblés par encorbellement
Voussoir du pont de l'île de Ré

Sommaire

Histoire

Débuts de la précontrainte

Dès les dernières années du XIXe siècle, on commença à utiliser le béton armé, matériau composite où le béton reprend les efforts de compression et où les armatures en acier travaillent en traction. Mais comme le béton ne peut pas s’allonger autant que les armatures, des micro-fissures apparaissent à leur voisinage et il ne reprend que partiellement son état initial lorsque la charge est enlevée. Ces micro-fissures sont des voies privilégiées d’entrée de l’eau dans la structure qui peut à terme entraîne des dommages graves à la structure.

Il revient à Eugène Freyssinet d’avoir l’idée de pré-comprimer le béton avant qu’il ne soit soumis à une charge le faisant travailler en flexion pour éviter l’apparition de ces fissures. Un brevet est déposé le 2 octobre 1928 définissant le principe même de la précontrainte et le procédé de mise en œuvre par pré-tension et fils adhérents. Le principe est particulièrement adapté pour la fabrication de pièces de dimensions modestes : poutrelles, traverses, poteaux, tuyaux. Il utilise d’abord sa technique pour réparer et renforcer les ouvrages de la gare maritime du Havre en 1934[1], puis les conduites d’eau de l’oued Fodda en Algérie en 1936[2].

Ce procédé éveille l’intérêt du directeur de l’entreprise Wayss et Freytag en Allemagne. Le premier pont en béton précontraint est ainsi construit en 1938, d’après les plans de Freyssinet, en 1938 à Oelde, sur l’autoroute de Dortmund à Hanovre. Il fut suivi en 1941, d’un autre pont, sous autoroute, à une cinquantaine de kilomètres à l’est de Wroclaw (alors Breslau), en direction de Katowice pour le franchissement de la Nysa Kłodzka (alors Neisse). Long de 42 mètres, cet ouvrage était en 1994 encore en parfait état[3].

En 1939, Eugène Freyssinet invente le cône d’ancrage et le vérin de mise en tension. Il s’agit d’une avancée majeure qui va faciliter la mise en tension des armatures et permettre ainsi la précontrainte d’ouvrages de toutes sortes et de toutes dimensions. Ce type de précontrainte est appelé précontrainte par posttension[4].

Eugène Freyssinet construit peu d’ouvrages pendant la guerre : un pont de 10 m à Elbeuf-sur-Andelle en 1942, un autre de 20 m à Longroy et une passerelle ferroviaire dans le Pas-de-Calais, mais surtout le pont de Luzancy qui fut inauguré le 2 mai 1946. L’ouvrage ne disposait que d’un gabarit de 1,30 mètre pour une portée de 54 mètres. Seul un pont suspendu pouvait répondre aux contraintes. Grâce à la précontrainte, Eugène Freyssinet put proposer un arc extrêmement tendu. Le tablier est supporté par trois poutres-caissons, composées chacune de 22 voussoirs préfabriqués aux abords de l’ouvrage puis assemblés et tendus par post-tension[5],[6].

Edme Campenon avait créé en 1943 la Société technique pour l’utilisation de la précontrainte (STUP) pour donner à Freyssinet l’autonomie nécessaire et lui permettre d’exploiter ses brevets avec d’autres entreprises. Dans les années 1945-1950, une petite dizaine de ponts de dimensions moyennes (20 à 50 m) sont construits, tous situés dans les Pyrénées orientales et la région grenobloise, certains par Sainrapt et Brice, mais aussi par l’entreprise Pascal, Dalberto et d’autres. Eugène Freyssinet remporte ensuite un concours pour construire plusieurs ponts sur la Marne qui sont construits entre 1949 et 1950[7].

Un nouveau procédé est breveté au début des années 1950 par l’entreprise Edmond Coignet et est expérimenté au pont de Vaux-sur-Seine. Jusqu’à présent la mise en tension des câbles de pré-contrainte se faisait par ancrage à une extrémité et traction puis ancrage à l’autre. Or le déplacement obtenu peut être assez important et plus la poutre est longue, plus les frottements peuvent modifier la distribution des tensions. Les Constructions Coignet imaginèrent d’ancrer les câbles aux deux extrémités puis de réaliser la précontrainte par écartement. Ce procédé supposait le passage des câbles dans le vide du caisson, ce qui sera appelé ultérieurement la précontrainte extérieure[8].

Jusqu’à la fin des années 1950, quelques ponts sont construits en France, dont le pont sur la Voulte-sur-Rhône, premier grand pont de chemin de fer français en béton précontraint. Avec 5 travées de 56 mètres, soit une longueur de 300 mètres, il est alors le pont le plus long au monde de cette catégorie[9].

Années 60 : expansion de la précontrainte

Avec les besoins liés à la reconstruction suite aux destructions de la dernière guerre et à l’accroissement continu du trafic automobile, il fallait pouvoir construire vite et avec le moins de matériaux possibles. De nouvelles techniques allaient être inventées.

Les voussoirs coulés en place

Ainsi en Allemagne est construit le premier pont en porte-à-faux, dit pont cantilever, en béton précontraint avec voussoirs coulés en place. C’est Ulrich Finsterwalder[10], directeur de la firme Dyckerhoff & Widman[11], qui utilise cette technique en 1952 pour la construction du pont de Balduinstein sur la Lahn et de Coblence sur la Moselle. Chaque pile portait un équipage mobile qui permettait de réaliser symétriquement deux éléments, ou voussoirs, de 3 m.

En France, cette technique fut expérimentée pour la première fois par Jean Courbon, directeur de GTM, qui construisit le pont sur la RN84 sur l’Ain à Chazey-sur-Ain. Mais c’est avec le pont de Savines[12], construit de 1958 à 1960, que la technique est mise en œuvre de façon spectaculaire. Le pont mesure en effet 924 mètres de longueur en onze travées de 77 mètres et deux travées de rive de 38 m[13]. Bien d’autres ouvrages vont alors être fabriqués avec cette technique.

La préfabrication des poutres

Si la technique de coulage en place constituait un progrès, la pose d’un voussoir devait attendre la prise du voussoir précédent. On ne pouvait ainsi dépasser une moyenne de deux voussoirs (un de chaque côté) par semaine. La préfabrication des voussoirs, technique déjà expérimentée pour la préfabrication de petites poutres depuis 1943, fut utilisée pour la première fois pour la construction d’un grand ouvrage, le viaduc de Moret-sur-Loing en 1956. Un peu plus tard l’entreprise Léon Ballot construira en 1964-1965 le viaduc de Roberval, quelques kilomètres au nord de Senlis, avec des poutres précontraintes de 34 mètres de longueur.

La préfabrication des poutres avait pour limite celle de leur longueur. On ne pouvait guère songer dépasser 40 ou 50 mètres, même si en juxtaposant de courtes portées, on pouvait atteindre de grandes longueurs. Palmer et Baker, associés à l’entreprise Fougerolle, construisirent ainsi le pont le plus long du monde, sous licence Stup, sur le lac Pontchartrain au Nord de la Nouvelle-Orléans : 38 km de longueur en 2 232 travées de 17 mètres de longueur à la vitesse de 100 m de pont par jour[14]. Avec le viaduc d’accès du pont de Tancarville, les ponts préfabriquées ont 50 m de longueur.

Avec la préfabrication des voussoirs, les portées vont s’allonger. Les travées du pont de l’île d’Oléron, construit par l’entreprise Campenon-Bernard et inauguré le 19 mars 1966 atteignent 80 mètres. Il est constitué de 860 voussoirs préfabriqués de 3,30 m de longueur. Cinq ans plus tard le pont de Noirmoutier présente des portées de 88 mètres.

La précontrainte aujourd’hui

Avec le pont sur le Rhin d'Ottmarsheim[15], la plus grande longueur de travée atteint 110 mètres, mais ce sont les arcs en béton précontraint qui vont permettre des travées encore plus importantes. Dès 1979, une portée de 390 mètres est atteinte avec le pont de Krk en Croatie qui n’est battu que par le pont de Wanxian sur la Yangzi Jiang en Chine qui atteint la portée remarquable de 420 mètres et qui fut construit en 1997[16].

En France le plus grand pont en béton précontraint est aussi un pont en arc, le pont Châteaubriand, construit en 1991 et franchissant la Rance près de Dinan. Il présente un arc de 260 mètres d’ouverture.

Descriptif

Le béton possède des propriétés mécaniques intéressantes en compression alors que la résistance en traction est limitée et provoque rapidement sa fissuration et sa rupture. La précontrainte consiste à tendre les aciers constituant les armatures du béton, et donc à comprimer, au repos, ce dernier. Ainsi, lorsque la structure est sollicitée, ces armatures s'allongent et le béton a tendance à se décompresser sans toutefois se mettre en traction, puisqu'il était déjà en partie comprimé.

Selon que cette tension appliquée aux armatures (appelé câble de pré-contrainte ou toron de pré-contrainte) est effectuée avant la prise complète du béton ou postérieurement à celle-ci, on distingue la précontrainte par pré-tension et la précontrainte par post-tension.

La pré-tension

La pré-tension (le plus souvent utilisée en bâtiment), les armatures sont mises en tension avant la prise du béton. Elles sont ensuite relâchées, mettant ainsi le béton en compression par simple effet d'adhérence. Cette technique ne permet pas d'atteindre des valeurs de précontrainte aussi élevées qu'en post-tension.

La post-tension

La post-tension consiste à disposer les câbles de précontrainte dans des gaines incorporées au béton. Après la prise du béton, les câbles sont tendus au moyen de vérins de manière à comprimer l'ouvrage au repos. Cette technique, relativement complexe, est généralement réservée aux grands ouvrages (ponts) puisqu'elle nécessite la mise en œuvre d'encombrantes « pièces d'about » (dispositifs mis en place de part et d'autre de l'ouvrage et permettant la mise en tension des câbles).

Précontrainte par vérins

Les deux techniques précédentes utilisent des torons ou des fils d'acier à haute limite élastique. Il est possible, lorsque l'on peut disposer de culées suffisamment résistantes, d'effectuer directement la mise en compression d'une structure en béton au moyen de vérins prenant appui sur ces culées. Ce procédé, par la nécessité des culées qu'il impose, n'a que des applications limitées.

Typologie

Ponts en poutres

Ponts en arc

La technique du béton précontraint conjuguée avec l'amélioration des performances du béton et l'apparition de nouvelles techniques de construction comme les arcs tubulaires remplis de béton ont permis de construire des ponts en arc en béton avec des portées très importantes puisque le plus grand présente une portée de 420 mètres.

Modes de construction

Voussoirs coulés en place

Préfabrication

Lançage par cintres auto-lanceurs

Déplacement du tablier

Poussage

Le poussage des ponts est un procédé ancien. C’est en 1860 que l’Anglais Donald Bailey a mis au point la méthode pour la construction de ponts métalliques en treillis provisoire. Si à cette époque, seulement des structures d’une cinquantaine de tonnes pouvaient être poussées, les progrès des vérins ont permis des poussages de charges bien plus lourdes. Ainsi pour la construction du viaduc Jules-Verne, sur la rocade Nord-Est d’Amiens en France, mis en service en 1987, le poids déplacé a été de 15 300 tonnes et la force exercée de 1 000 tonnes[18].

Ripage

Le pont est construit à côté de sa place définitive où il est ensuite ripé sur coussin d'air[19].

Pivotage

Cette technique est très rare. Elle n’aurait été utilisée que deux fois en France, deux fois en Allemagne, une fois en Autriche[20]. La passerelle de Meylan construite en Isère en 1980 en est un bel exemple.

Liens externes

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Catégorie Ponts et tunnels de l’annuaire dmoz

  • Structurae - Base de données et galerie internationale d'ouvrages d'art

Notes et références

  1. Association Eugène Freyssinet – Eugène Freyssinet, une révolution dans l’art de construire – Éd. Presses de l’ENPC – 2004 – page 71
  2. Association Eugène Freyssinet – Eugène Freyssinet, une révolution dans l’art de construire – Ed. Presses de l’ENPC – 2004 – page 75
  3. Bernard Marrey, Les Ponts modernes – XXe siècle, Éd. Picard, 1995 ((ISBN 2-7084-0484-9)), page 137
  4. Association Eugène Freyssinet, Eugène Freyssinet, une révolution dans l’art de construire, Ed. Presses de l’ENPC, 2004 ((ISBN 2-85978-391-1)), page 82
  5. Bernard Marrey, Les Ponts modernes – XXe siècle, Éd. Picard, 1995 ((ISBN 2-7084-0484-9)), page 138
  6. Association Eugène Freyssinet, Eugène Freyssinet, une révolution dans l’art de construire, Ed. Presses de l’ENPC, 2004 ((ISBN 2-85978-391-1)), pages 85 à 87
  7. Bernard Marrey, Les Ponts modernes – XXe siècle, Éd. Picard, 1995 ((ISBN 2-7084-0484-9)), page 138
  8. Bernard Marrey, Les Ponts modernes – XXe siècle, Éd. Picard, 1995 ((ISBN 2-7084-0484-9)), page 144
  9. Bernard Marrey, Les Ponts modernes – XXe siècle, Éd. Picard, 1995 ((ISBN 2-7084-0484-9)), page 146
  10. Fiche de Ulrich Finsterwalder sur Structurae
  11. Fiche de Dyckerhoff & Widman sur Structurae
  12. Fiche du pont de Savines sur Structurae
  13. Bernard Marrey, Les Ponts modernes – XXe siècle, Éd. Picard, 1995 ((ISBN 2-7084-0484-9)), page 182
  14. Bernard Marrey, Les Ponts modernes – XXe siècle, Éd. Picard, 1995 ((ISBN 2-7084-0484-9)), page 190
  15. Fiche du pont sur le Rhin d'Ottmarsheim sur Structurae
  16. Charles Abdunur, ARCH'01 - 3ème conférence sur les ponts en arc, Presses de l'École nationale des ponts et chaussées, Paris (France) , ((ISBN 2-85978-3474)),2001; pp. 673-676, 815-820
  17. a, b, c et d Charles Abdunur, ARCH'01 - 3ème conférence sur les ponts en arc, Presses de l'École nationale des ponts et chaussées, Paris (France) , ((ISBN 2-85978-3474)),2001; p 7
  18. Bernard Marrey, Les Ponts modernes – XXe siècle, Éd. Picard, 1995 ((ISBN 2-7084-0484-9)), page 210
  19. Bernard Marrey, Les Ponts modernes – XXe siècle, Éd. Picard, 1995 ((ISBN 2-7084-0484-9)), page 212
  20. Bernard Marrey, Les Ponts modernes – XXe siècle, Éd. Picard, 1995 ((ISBN 2-7084-0484-9)), page 213

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