- Pierre Goybet
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Pierre Frédéric Henri Goybet, né le 9 juin 1887 à Mostaganem (Algérie) et mort le 7 décembre 1963 à Yenne (Savoie), est un contre-amiral français, commandeur de la Légion d’honneur.
Sommaire
Biographie
Enfance
Pierre Frédéric Henri Goybet est l'aîné des enfants du général Mariano Goybet (1861-1943).
Il montre dès son plus jeune âge son goût pour la montagne (ascension du mont Blanc à 13 ans) et son désir de servir dans la marine ; élève au collège de la Seyne puis au lycée Saint-Louis, il entre à l'École navale le 1er octobre 1906.
Premières années de service
En 1908, Pierre Goybet fait la campagne du Duguay-Trouin (Atlantique et Méditerranée) comme aspirant. Nommé enseigne de 2e catégorie en 1909 et attaché d'abord au service du canon sur le Démocratie, il embarque sur le Montcalm pour de longs mois de navigation à travers la Méditerranée, la mer Rouge, l'océan Indien, les mers de Chine méridionale, orientale et du Japon et tout le Pacifique. Débarqué à Saïgon et embarqué sur la Manche pour une campagne d'hydrographie sur les côtes d'Annam et dans la baie d'Along, il est atteint d'une congestion au foie et rapatrié en 1911, sur le Polynésien des messageries maritimes ; il reçoit sa nomination d'enseigne de 1e classe.
Au cours d'un congé de convalescence de six mois, Pierre Goybet fait les marches d'hiver de 1912 avec le 30e bataillon de chasseurs alpins commandé par son père. De mai 1912 à juillet 1914, il est embarqué sur le Marceau, bateau-école des torpilles, d'abord comme chef de service (Électricité et Cie de débarquement) puis comme élève-torpilleur. Il attendait au dépôt le commandement en second de la Circé, lorsque la guerre éclate, ce qui maintient à leur poste les officiers en second.
Première Guerre mondiale
Le Vinh Long est armé à la mobilisation. Pierre Goybet y embarque comme chef de service (manœuvres, cartes, montres, compas) et participe au transport de mines de Bizerte à Corfo, par Malte. Revenu à Toulon, le Vinh-Long se prépare à un nouveau voyage, lorsqu'on demande des officiers de Marine pour organiser la défense de Paris. Goybet s'y rend comme volontaire.
De septembre 1914 à janvier 1917, il sert au front d'abord comme second puis comme commandant de pièces de Marine, dans la forêt de Champenoux, au bois des railleuses à Barthélémont, à Thionville, à Mourmelon-le-Petit, à Hagenbach, enfin à Verdun à la pièce du Bois Bourrut.
Détaché au sous-secrétariat d'État aux inventions en 1918, il met au point les nomogrammes des calculs de tir, dont il avait établi les premiers (système adopté par la suite en France et en Italie).
En 1917 à Corfou, il embarque sur la Lorraine. Nommé lieutenant de vaisseau sur le Voltaire, il est pris comme aide de camp par le commandant amiral Amet qui, nommé vice-amiral, puis haut-commissaire, le garde avec lui, à Constantinople (13 novembre 1918).
Entre-deux-guerres
Après un congé de convalescence, Pierre Goybet est nommé second du S.R. Marine, à Constantinople (1919-1921), puis chef du service de Renseignements maritimes à Port-Saïd jusqu'en décembre 1921. Après quelques mois à Toulon, il obtient un congé d'études en Égypte et à Oxford qui lui vaut le Bt[Quoi ?] d'interprète d’anglais.
Rentré à Toulon, Pierre Goybet est affecté au laboratoire du centre d'études (mai 1923 — octobre 1925). Il est ensuite nommé au commandement de l'aviso Les Eparges, attaché à ce centre, qu'il conserve deux ans. Il y reçoit le grade de capitaine de corvette le 15 janvier 1927. Il est nommé d'office professeur du cours des torpilles à l'école des élèves officiers. Il est commandant de cette école d'octobre 1927 à octobre 1929.
Il embarque en octobre 1929 sur le contre torpilleur le Chacal comme commandant en second. Le 13 janvier 1931, il part en croisière pour l'Afrique du Sud avec le Tigre et le Primauguet. Amiral Morris. Le 7 mars 1931, il est nommé capitaine de frégate. Le 21 avril, il est nommé second du Primauguet. En mai 1932, il est nommé second du Jules Verne.
Le 20 juillet 1933, il est nommé commandant de la Ville d'Ys, aviso escorteur qui commande la flottille de Terre-Neuve, Groenland, Canada, Labrador. Important au niveau diplomatique. Il est fait lieutenant-colonel honoraire du célèbre Royal 22e régiment canadien en septembre 1935. Rentré le 1er novembre 1935. Il est nommé le 20 juillet 1936 président l'ESN de Toulon.
Capitaine de vaisseau le 3 février 1938.
Document sur les dangereuses aventures de la Ville d'Ys
« Dans la brume et parmi les glaces »
En 1934-1935, Pierre Goybet faisait de la surveillance côtière auprès des Terre-neuvas, avec son aviso escorteur la Ville D’Ys. Il avait de fréquents rapports avec Canadiens et Américains. En septembre 1935, le capitaine de frégate Pierre Goybet est fait lieutenant-colonel honoraire du célèbre Royal 22e Régiment canadien.
Extraits de l'article du 9 août 1946 retraçant « Les Dangereuses Aventures de la Ville D’Ys dans la brume et parmi les glaces » par Pierre GoybetLA ‘VILLE D’YS’
Le bateau dont il était question se nommait la Ville d’Ys. Il comptait déjà dix sept ans de bons et loyaux services dans les pays des Bancs. C’était un ancien aviso dont un certain nombre de frères avaient fait le tour par chavirement. On l’avait amélioré en supprimant les deux « baignoires » avant et arrière et en construisant un pont continu qui augmentait de beaucoup son franc-bord et lui donnait une stabilité rare J’ignore qui l’avait baptisé En vérité, donner à un bateau le nom d’une ville qui s’est engloutie dans la mer, c’est pour le moins la preuve d’une absence totale de superstition. Mais le marin est superstitieux. J’aurai préféré que le bateau s’appelât autrement. Néanmoins, tel quel, ce bâtiment de 1200 tonnes avec ses chaudières à grand volume d’eau, qu’il fallait allumer 48 heures avant l’appareillage sous peine de leur donner un tour de reins, son unique machine, sa seule hélice, et sa vitesse à tout casser qui ne dépassait pas les 11 nœuds, avait prouvé ce dont il est capable.
Après une sortie d’une journée, au cours de laquelle j’avais essayé de voir quelle était son inertie, comment il répondait à la barre, quelle était sa position d’équilibre stoppée et de quel ordre de grandeur était sa dérive en fonction du vent, nous primes le coffre qui à Cherbourb, se trouve à la sortie de l’arsenal.
Ce coffre c’est un peu comme les fils télégraphiques ou se rassemblent les hirondelles avant leur migration ; on n’y reste jamais longtemps. En effet, quarante- huit heures plus tard le 2 avril, nous appareillâmes en route directe sur les Açores par le chemin que suivent les voiliers qui, éventuellement, auraient pu avoir besoin de nous.
QUARANTE HUIT-HEURES DANS LA TEMPÊTE
Au départ, tout alla bien, le bateau roulait un peu, ce qui nous permit de vérifier l’accorage et l’arrimage de tout ce qu’il y avait de mobile à bord. Mais le lendemain, les choses commencèrent à se gâter : le baromètre se mit à baisser, la mer à se creuser.
Deux jours plus tard, il faisait tellement mauvais qu’il n’était plus question d’avancer. Nous étions à la cape et notre seule ambition était de continuer à flotter. J’étais sur la passerelle que je ne devais pas quitter un instant pendant quarante heures.
Je fis appeler mon second :
- Vous veillerez à ce que personne ne paraisse sur le pont sans ordres. Faites crocher les hamacs pour que l’équipage se repose. Rondes continues dans les fonds. Ayez sous la main tout ce qu’il faut pour accorer solidement un point faible de la coque qui fatiguerait ; surtout faites confectionner par le charpentier des chevilles de bois pour remplacer les rivets qui pourraient sauter. Envoyez-moi les matelots sans spécialité X et Y qui prendront la barre sous la surveillance du gabier de quart.
Ces deux jeunes matelots âgés de 18 ans au plus, étaient tous deux de vieux loups de mer. Ils avaient commencé à naviguer à 12 ans et ils en étaient à leur sixième campagne. L’un était fils d’un capitaine de Bancs, l’autre d’un matelot de Terre-Neuve. - Tiens-toi, prend la barre, tu vas gouverner à la lame. Tu garderas le bateau entre 6 et 7 quarts de la mer. Veille la 3e et la 7e lame : quand tu les vois arriver, tu lofes un peu, mais d’avance. Pas de coups de barre ; elle fatigue assez comme ça.
Déjà pendant le jour c’était une rude tension d’esprit. Mais la nuit ! c’est à peine si l’on devinait dans le noir d’encre, la crête déferlante de la lame qui nous arrivait par bâbord et qu’il fallait franchir avant qu’elle ne s’abattit sur la plage avant.
À l’anémomètre, le vent soufflait à 112 kilomètres à l’heure. Les paquets d’embruns se succédaient sans arrêt et nous étions réduits à l’état d’éponges ruisselantes. Mes deux petits s’en tirèrent si bien que deux fois seulement en 40 heures, nous débarquâmes quelque 100 tonnes d’eau. Pénible impression !
Le bateau qui tenait la cage par bâbord donnait toujours un peu de gite par tribord ; c’était comme s’il avait voulu se protéger en augmentant son franc-bord du côté de la lame. Mais quand l’eau déferlait sur le pont, il donnait brusquement de la bande sur bâbord ; il tremblait de toutes ses membrures. Quand on put enfin se rendre sans trop de danger sur la plage avant on constata que plusieurs montants de rambardes étaient tordus en tire-bouchons. On ne sait pas, chez les terriens que l’eau de la vague déferlante est sensiblement aussi malléable que l’acier.
« Pas pour cette fois »
Enfin un beau matin, on eut l’impression que le cauchemar allait prendre fin. Le ciel laissait apercevoir certains reliefs qui ressemblaient à des nuages. Le baromètre ne montait pas encore mais le thermomètre enregistreur tombait verticalement. Or cette indication était précieuse. Cela prouvait que nous avions franchi le seuil qui sépare l’air équatorial de l’air polaire et que les vents allaient remonter vers le Nord.
Malgré la mer énorme encore, les figures se détendent. On parle, alors que pendant toute la période de tension, pas un mot inutile n’a été échangé. On a l’impression bien nette que ‘ ça n’est pas encore pour cette fois-ci. ». Et alors la fatigue vous tombe sur les épaules comme une chape de plomb. Tous les efforts que l’on a fait sans y penser, se payent maintenant par de terribles courbatures. Le sommeil, contre lequel on n’a même pas eu à lutter, contre-attaque et le cerveau est vide. Si ça « beausit » encore, on va pouvoir aller dormir.
On fit un vague point (mais nous n'étions pas à 20 miles près). Nous avions terriblement dérivés dans le Nord-Est, loin des routes battues en cette partie de l'atlantique. Nous n'avions vu aucun bateau. Seul un SOS provenant d'une centaine de milles dans l'est, nous avait appris que nous n'étions pas les seuls à nous mesurer avec la mer. Ce SOS avait été répété trois fois et puis était tombé le grand silence évocateur qui marque la fin de l'aventure pour un bateau et son équipage…
On arriva enfin aux Açores sous un beau ciel bleu. Le commandant, les officiers, l'équipage et le bateau formaient à présent un tout homogène. Une confiance mutuelle régnait après l'épreuve et l'avenir de la campagne se présentait bien.
LA BRUME
Depuis 24 heures, de petits "bouchons " de brume, glissaient lentement vers nous. On aurait dit de ces "soufflons" qui, au début de l'automne, courent au ras des prés, transportant dans un terrain neuf la graine qui fera germer une nouvelle plante. Peu à peu, le nombre de « bouchons » allait en augmentant et, bientôt, on n'apercevait plus la lune presque pleine, que pendant des fractions de seconde. Puis tous ces « bouchons » s'agglomérèrent et l'on fut dans la brume pour tout de bon. Il fallait s'y attendre. Nous n'étions pas très loin de l'accore des Bancs et nous rencontrions le courant froid du Labrador qui suit toute la côte Est des États-Unis.
Il était encore trop tôt dans la saison pour avoir à craindre les icebergs, mais nous allions incessamment couper la route des grands paquebots qui vont d'Allemagne, de France ou d'Angleterre à New York. Ils avaient tellement fait de dégâts parmi les goélettes mouillées sur les Bancs que maintenant on les avait forcés, non sans peine à contourner ceux-ci, quittes à allonger leur route de quelques milles. Il nous fallait donc franchir leur parcours le plus perpendiculairement possible et tabler sur la chance. La nature de la mer changeait. L’eau sentait le poisson, comme vous pouvez le constater également si vous allez de Casablanca à Dakar lorsque vous passez près du banc D’Arguin. Et puis apparaissent les oiseaux qui s’éloignent des bancs et qui de plus en plus nombreux, venaient à notre rencontre comme pour nous montrer le chemin. On mit le sondeur ultra-acoustique en marche et bientôt un fond s’inscrivit : 900 mètres. Moins d’une heure après, nous étions sur les bancs par des fonds de 200 mètres. Les Bancs ne sont qu’une partie du continent qui s’est effondrée, comme le plateau continental qui borde le littoral atlantique de la France. J’avais un pilote : le père Yvon, aumônier des Bancs qui n’ayant pu appareiller avec la « Sainte Jeanne –d’Arc » en réparations, avait bien voulu prendre passage à mon bord. - Dites donc père Yvon, à cette époque où sont les voiliers ? Les chalutiers ont la TSF et quand ils voudront me voir ils me le diront. Pour eux ça n’est pas pressé…
_ Voici mon avis, commandant. Actuellement ils pèchent dans le Sud. Ils remonteront dans le Nord lorsque l’eau se réchauffera, car vous savez que la morue se tient avec précision entre les températures plus 2 et plus 4.
En fin de saison, ils pousseront jusqu’au Groenland pour trouver des eaux froides. Je crois que le mieux serait de faire route sur le « N » (le N de Terre-Neuve se trouve sur toutes les cartes au même point.)…………… C’est le meilleur endroit actuellement pour trouver des bullots qui serviront de boette pour les lignes.
Vous verrez que c’est un bon tuyau et que nous y trouverons plusieurs bateaux en pêche. Et ce fut vrai, nous marchions lentement, 6 nœuds environ. La brume était toujours épaisse et c’est à peine si l’on voyait à 50 mètres devant l’étrave.
Soudain, il nous sembla entendre une détonation éloignée. Elle se répétait toutes les 5 minutes environ. - Qu’est ce que c’est père Yvon ? - C’est un bateau mouillé. Il tire du canon pour que ses Doris qui sont à caler les lignes de fond, peut être à dix milles de lui, puissent retrouver la goélette avant la nuit. - Et maintenant c’est un cornet à bouquin qui chevrote dans la brume. - Oui, c’est pour diriger les doris quand ils sont près. Veillez au grain, car nous ne sommes plus loin.
On réduisit la vitesse au minimum et on avança sur l’eau calme et grise en suivant les sons, Jusqu’à ce qu’une silhouette se détachât dans la brume. Nous n’en étions pas à 100 mètres. On fit le tour, on s’éloigna un peu, et on mouilla exactement par 43 mètres. À peine étions-nous mouillés qu’un Doris se détacha de la silhouette proche. Il y avait à bord le capitaine et quatre matelots. Je laissai les matelots à l’équipage et j’entraînai le capitaine dans ma cabine avec le père Yvon, bien entendu. Avant que le capitaine ait pu ouvrir la bouche, le père Yvon l’entretenait - Mais c’est toi Kermadec ? Figure-toi que j’ai passé chez toi avant de m’embarquer sur la Ville d’Ys. Quand es tu parti, ta femme attendait un petit. Elle l’a eu. C’est un garçon épatant qui pesait bien ses 4 kilos à la naissance. La mère et l’enfant se portent bien. Tiens voilà une lettre de ta femme qui te raconte l’évènement.
Jamais le capitaine n’aurait lu la lettre devant nous. Alors on commença à boire et à parler de la pèche. - ça rend cette année ? - C’est pas mal, mais actuellement on ne pêche qu’avec des « buleaux » et ce sera meilleur dans un mois quand on verra descendre les seiches et les encornés. Mais tout de même il n’y a pas à se plaindre. - Vous avez un bon saleur ? - La meilleure des Bancs et c’est pas lui qui nous donnera de la morue rouge. - Pas de malades ou de blessés à bord ? - Si j’ai deux types qui ont attrapé des panaris en se piquant avec les hameçons. Ils ont de grosses boules sous les bras et ils souffrent tant qu’ils ne peuvent pas dormir, mais ils pèchent tout de même. - Envoyez-les à bord, on leur ouvrira ça. - Bien dit le père Yvon, je vais avec le capitaine et je verrai un peu son équipage. J’ai des lettres et des journaux qui, même un peu vieux, leur feront plaisir. - Ne rentrez pas trop tard. Dans tous les cas nous restons ici la nuit, et je vous attends pour dîner.
L’AIR DE FRANCE
Le lendemain, la brume s’était levée. La mer était d’un bleu méditerranéen. Vers le Suroi on distinguait des silhouettes de goélettes en pêche.
Nous allions de l’une à l’autre, nous arrêtant quelquefois une heure, quelquefois plus longtemps. Mais nous ne pouvions nous attarder car le charbon baissait dans les soutes et nous devions en prendre à Saint-Pierre (Saint-Pierre-et-Miquelon) libre de glaces. Puis ce fut la tournée au cours de laquelle nous primes contact avec les autorités canadiennes et américaines : Halifax, Boston, Portland, St Jean du Nouveau, Brunswick au fond de la baie de Fundy connue pour ses terribles courants et la hauteur extraordinaire de ses marées. La Ville d’Ys devait se débrouiller le long de ces côtes semées de plus d’écueils que les côtes de la Bretagne amis en revanche, tellement bien jalonnées de bouées à sifflet, de postes de radio-gonio qui donnent la position exacte moins de cinq minutes après la demande. Et puis, en dehors de la ceinture de récifs, les courbes des fonds sont régulières, et nos sondeurs marchaient admirablement.
Le vrai danger, c’était les bateaux que nous croisions dans la nuit. De véritables dialogues s’engageaient à coups de sirène. Mais les indications ainsi échangées sont d’une imprécision qui engendre, des deux côtés, la prudence. Quand tout le monde aura le « radar » qui n’était pas inventé à cette époque, la navigation deviendra d’une facilité enfantine. Partout nous étions reçus en amis. Le commandant avait changé ainsi que la moitié des officiers, mais c’était toujours cette vieille Ville d’Ys, qui revenait chaque année avec la précision des oiseaux migrateurs apportant avec elle un peu d’air de France, qu’Américains et surtout Canadiens respiraient avec joie. Car la France est toujours aimée même si parfois critiquée.
DANS LES GLACES.
Nous remontons la côte de Nouvelle-Écosse pour rentrer dans le golfe du Saint-Laurent et charbonner à Sydney-Cap Breton qu’on nous avait affirmé libre de glaces.
La mer était calme et une lune pleine l’éclairait de façon féerique. Cette nuit-là j’avais enfin l’impression que je pourrai dormir sans arrière-pensée. Vers minuit je fus réveillé par une série de chocs sur la coque. Je sentis qu’on avait diminué de vitesse. Je bondis en pyjama sur la passerelle qui était juste au-dessus de mes appartements Un spectacle inoubliable m’attendait.
D’un bout à l’autre de l’horizon s’étendait une véritable banquise qui devait avoir au moins deux à trois milles de large, formée de blocs de glace de toutes tailles. - Dites donc Midship, êtes vous complètement cinglé pour être entré dans ce chaos ? - Mais commandant, ce n’est que petit à petit que les blocs se sont rapprochés : il n’y a encore qu’un moment il y avait entre eux de larges chenaux. - Et vous pensiez faire du gymkhana entre les blocs pendant 3 milles. Quand vous voudrez bien faire une imbécillité de ce genre la prochaine fois, vous serez bien gentil de me prévenir. Et maintenant, il faut que je nous sorte de là sans faire un trou dans le papier peint qui nous sert de coque et sans fausser une pale d’hélice…
On mit une heure à faire demi-tour, avec des manœuvres incessantes de machine. On appuyait l’épaule contre un bloc avec le moins d’erre possible ; puis mettait en avant avec la barre toute à droite et on écartait poliment la glace. Si vous n’avez jamais essayé de tourner de 180 degrés avec un bateau sans vitesse dans un ice park vous ne vous rendez pas compte de ce qu’est ce problème. Une fois sorti, il fallut faire un détour de 20 miles en suivant de loin le bord extérieur, du champ de glace pour en trouver enfin le bout. Mais je ne me recouchai pas, cette nuit-là… S’il y avait eu la moindre brise ou le moindre clapot, la coque n’aurait jamais résisté. Nous avions rencontré la décharge des glaces du Saint-Laurent qui, en dérivant lentement vers le Sud dans le courant du Labrador, avait constitué cette agglomération sous forme d’un vaste croissant orienté sensiblement est-ouest.
Deuxième Guerre mondiale
- 1939 : il est nommé commandant de la 3e division de contre-torpilleurs Bison, Épervier, Milan.
- Il débarque à Aruba en mai 1940 avec les troupes du croiseur Primauguet pour défendre les dépôts pétroliers de la Shell et de la Standard Oil. Il transporta en Afrique à Casablanca en 1940 une partie du stock d'or de la Banque de France, l'or et les bijoux de la Couronne belge pour qu'ils ne tombent pas aux mains des Allemands toujours avec le croiseur Primauguet.
- Du 25 août au 2 décembre 1940 à Gibraltar : liaison franco-anglaise. 2e commandement du Primauguet.
On peut noter que Jacques-Yves Cousteau eut la chance d'être embarqué sur le croiseur Primauguet, le plus rapide de la flotte. Ce bateau était désigné pour emmener le gouvernement en cas de besoin.
Le 11 novembre 1942, Pierre Goybet ,commandant du port de Casablanca, négocie avec les Américains qui débarquent et reçoit chez lui les généraux George Patton, Kees et Xilburg. C'est également en novembre 1942 qu'il reçoit ses étoiles de contre-amiral.
Il fut juge d'instruction pour le compte de la Marine.
Document sur le débarquement d’Aruba
Larges extraits de l'article écrit par Pierre Goybet, contre-amiral en 1946.- Il était alors capitaine de vaisseau du croiseur Primauguet (le plus rapide de la flotte)
…………. - Tu as vu le type du troisième bureau ? - Oui, j’en sors, il paraît que nous allons relever le bateau anglais qui fait la surveillance autour de Curaçao et d’Aruba.
- C’est notre tour d’assurer la garde. L’Anglais te passera les derniers renseignements. Tu sais que là-bas, il y a huit ou dix bateaux Allemands réfugiés dans les eaux hollandaises et qu’il ne faut pas qu’ils s’échappent. Je te signale particulièrement « Las Antillas à Aruba. Si on pouvait le saisir, ce serait une bonne affaire. …………….
- Tu peux compter sur nous pour cela… Tu sais qu’en allant de Casa aux Antilles, j’ai saisi et expédié sur le Marocun magnifique pétrolier norvégien qui travaillait pour les Boches. Tu te rends compte ! 20 000 Tonnes de combustible liquide, sans parler de la de la valeur du bateau ! Nous serions riches à bord ! « D’autant plus que ça valait bien ça. Il jouait à cache- cache avec nous autour des Canaries, et nous l’avons eu à 2 heures du matin, par vent frais clapot et nuit assez noire.
Ma baleinière a eu de la peine à l’accoster. « Je dois dire que le capitaine a été épatant. Il a dit à peu près en anglais : « Je suis fait comme un rat. Fortune de guerre, Mais vous devez avoir froid, mouillés comme vous êtes ? Venez au salon, on va vous réchauffer. Que diriez-vous de quelques œufs au bacon et d’un peu de Schnick-Maison ? » « Tu parles si mes types ne se sont pas fait prier… Nous avons signalé la prise à Casa et le D’Entrecasteaux. » est venu pour la prendre en charge, Puis nous avons mis le cap sur la Martinique, et je crois que nous avons pas mal travaillé depuis que nous sommes là ? - Le patron est enchanté. Il dit qu’en un mois vous avez fait plus que la Jeanne d’Arc dans ses trois derniers mois. Mais elle, elle commençait à en avoir assez de croiser sans jamais trouver rien d’intéressant, et il était temps qu’elle aille se faire caréner en France, bateau et équipage… Es-tu paré pour ta mission et quand peux-tu partir ? - Dès que tu voudras, je fais toujours mon plein de mazout et de vivres en rentrant de croisière. Il nous faut trois heures pour pousser les feux et réchauffer les turbines. …………
LE PRIMAUGUET
Cette conversation se tenait entre moi, commandant du Primauguet et mon vieux camarade du « Bazar Louis », Chomereau- Lamotte, contre-amiral, chef d’état-major de l’amiral Robert, grand patron des Antilles françaises sur mer comme sur terre.
Croiseur commandé par Pierre Goybet Présentation par lui-même
" Le Primauguet croiseur de 8000 tonnes "washington" ce qui lui en faisait bien 11500, 120000 chevaux, quatre hélices, 32 nœuds, 8 canons de 155 en tourelles doubles, merveilleux bâtiment de mer, avait un état-major que j'aurai choisi, si j'en avais eu le droit, et équipage hors série qui avait toujours le sourire et qui ne demandait qu'à avoir l'occasion de se bagarrer. Un bateau comme ça, ça se commande tout seul. De plus ce bateau béni n'était embrigadé dans aucune escadre, dans aucune division et naviguait toujours "à la part". On le prêtait de casa, Fort de France, ou à Dakar."
Donc il n’y avait pas d’amiral à bord… Un amiral peut être charmant personnellement ; mais être capitaine de pavillon c’est un peu comme habiter chez ses parents lorsque l’on a déjà femme et enfant. D’abord il relègue le commandant dans des appartements restreints qui, sur le Primauguet particulièrement étaient tellement chauds qu’il avait fallu construire un plancher de bois pour que le dit commandant ne meure prématurément d’un coup de chaleur. Si l’amiral était seul, ça pouvait encore aller, mais il amène avec lui un état-major important, composé généralement d’officiers très bien, sortant de l’École supérieure, qui délogent également un certain nombre d’officiers du bord. Et puis il y a les fourriers du bureau- major et les « musiciens ». Ces derniers sont des braves types comme beaucoup d’artistes, mais au tempérament assez bohème, et leur poste généralement à côté de l’infirmerie, fait le désespoir du commandant en second chargé de la bonne tenue du bord. Enfin le commandant qui n’est pas fâché au fond d’être le « maître après Dieu », se voit reléguer au rôle de chauffeur de l’amiral, ce n’est pas drôle tous les jours. Évidemment, sa carrière est faite, si en plus de qualités qui l’ont fait choisir il fait preuve de quelque souplesse. Mais c’est n’est pas à la portée de tout le monde
EN SURVEILLANCE.
Donc, le 4 mai 1940, à la fin de la matinée, nous appareillâmes, cap au suroît, route sur Bonnaire. À 5 heures du matin. Le 6, nous étions par le travers de Curaçao, ou le Dundee que nous relevions, nous passait les consignes de surveillance et les derniers renseignements. …………….. Rien de nouveau dans le secteur. Il y avait toujours les 7 bateaux allemands dans la baie de Caracas à Curaçao, surveillés par le croiseur hollandais Van Kinsbergen et Las Antillas, mouillé dans la baie du Nord - Ouest à Aruba. Ils fumaient bien de temps à temps, mais aucune véritable tentative de fuite ne s’était produite. Alors notre faction commença. On était un peu comme la sentinelle devant le quartier général. : 20 pas à gauche, 20 pas à droite.
De jour, nous croisions à une dizaine de milles de Curaçao, en faisant des routes diverses pour qu’un sous- marin éventuel ne puisse pas se mettre à l’affût De nuit, nous nous rapprochions à distance de vue des bateaux allemands et, comme les nuits étaient claires, aucun d’entre eux n’aurait pu bouger sans que nous nous en soyons aperçus immédiatement La nuit, la mer entre la cote du Venezuela et Curaçao, c’était comme les grands boulevards en temps de paix Un va-et-vient continu de petits « Tankers » faisant la navette entre l’Amérique du Sud et l’île. Ces petits tankers de 1000 à 1200 tonnes, naviguaient feux clairs, bien entendu. chaque fois nous leur signalions « What ship », pour le principe, ils nous répondaient par un numéro……………..
9 mai, 17 heures. Nous venons de contourner Aruba par le nord. Dans la baie du Nord Ouest, il y a bien un bateau tout près de terre. Du linge finit de sécher sur les cartahus de la plage avant. Cela fait famille et innocent. Ce qui l’est moins, c’est que le bateau fume. Il a l’air d’allumer les feux.
Deux solutions. Est-ce que n’ayant pas vu le bateau de surveillance pendant quatre jours, il espère avoir encore quelques jours devant lui pour jouer la « fille de l’air » ? Ou bien a-t-il décidé de nous fixer devant Aruba, pendant que sept acolytes de Curaçao appareilleront ? ……….. Nous croisons au large de la baie du Nord ouest La nuit est calme et le ciel étoilé. Aux jumelles, on aperçoit Las Antillas qui fume de plus en plus. Vers 6 heures du matin, le 10 mai, l’aspect de Las Antillas est curieux. Il fumait toujours et il donnait de la bande sur bâbord. La fumée sort même de la coque. Il y a certainement un incendie à bord.
Une embarcation à moteur montée par des marins hollandais en uniformes, tourne autour du bateau allemand, Ce bateau m’a tout l’air de se saborder.
A huit heures, l’explication arrive. On m’apporte sur la passerelle le cahier de brouillon de la TSF. La Belgique et la Hollande viennent d’être envahies… Il n’y a pas à hésiter. Je rappelle aux postes de combat et je pénètre dans les eaux territoriales hollandaises. Évidemment, cela ne cadre pas avec mes instructions mais il y a des moments dans la vie maritime ou il faut tout seul. Maintenant, l’Antillas donne 30 degrés de bande, et tout à coup, une explosion, certainement d’un engin à retardement, fait jaillir d’énormes flammes. Il n’y a pas à hésiter. Je rappelle aux postes de combat et je pénètre dans les eaux territoriales hollandaises. Évidemment, cela ne cadre pas avec mes instructions, mais il y a des moments dans la vie maritime ou il faut se décider tout seul.
Maintenant, l’Antillas donne 30 degrés de bande, et tout à coup, une explosion, certainement d’un engin à retardement, fait jaillir d’énormes flammes. Il n’y a plus aucun espoir de s’en emparer. ………………………
UNE DECISION
Car je venais de prendre une décision qui pouvait avoir des suites militaires ou diplomatiques.
Aruba est pratiquement un parc à essence et à Mazout.
Dans le Nord, il y a les raffineries de la Shell, et dans le Sud celles de la Standard. Pour vous donner une idée de l’importance de ces parcs, je citerai seulement les chiffres de 1937 qui, en 1940, n’avaient fait probablement qu’augmenter. Standard : Production journalière 3 00 000 barils ; - Stocks d’essence : 2 000 000 de barils ; - Stock de mazout : 1.500 000 de barils Shell : Réserve d’essence d’avion 1.200 000 barils Le tout à la merci de quelques bombes incendiaires lancées par des civils pro-allemands venant du Venezuela sur des avions de transport, sans appareil de visée.
Si pour des raisons diverses, le ravitaillement des Alliés, via la Roumanie, Syrie ou golfe persique, venait à se tarir (et l’Amérique n’était pas en guerre), la perte d’Arubia serait une catastrophe. D’autre part, sous prétexte de défendre la Standard, on pouvait voir d’une minute à l’autre arriver une division américaine qui mettrait l’embargo sur l’île tout entière, et la fourniture aux Alliés serait aussi compromise.
Il fallait donc « mettre les pieds » dans le plat, sans hésiter, quitte à être désavoué après. J’avais donc décidé d’envoyer ma compagnie de débarquement à terre, et de prendre pratiquement possession de l’île pour le compte des Alliés
- Planton, tu diras au capitaine F de venir me parler sur la passerelle.
Le lieutenant de vaisseau F était chef de la compagnie de débarquement. Il avait été enseigne de vaisseau avec moi sur le contre-torpilleur Chacal, lorsque j’en étais second : j’avais en lui une confiance absolue qu’il méritait et sa haute taille en imposerait aux autorités de l’île.- Mon grand, vous allez être content. On débarque …Pendant que nous échangerons des messages chiffrés, par l’intermédiaire de l’O 15 avec le gouverneur d’Aruba et celui de Curçao, vous allez faire en sorte que tout votre matériel, vivres, munitions soit paré sur le pont.
« Le gouverneur d’Aruba n’ose pas prendre sur lui d’autoriser notre débarquement ; il se retranche derrière celui de Curaçao, son chef qui ne me parait pas vouloir non plus s’engager D’autres part, il faut qu’avant midi, vous soyez en place Un sabotage est facile, et l’équipage de Las Antillas, qui, d’après la façon dont il s’est sabordé, ne doit pas manquer de bombes à retardement, est peut- être en train de préparer le coup.
« Je ne puis vous donner aucune instruction précise, mais il faut que vous preniez toute dispositions pour empêcher ce sabotage à tout prix, par tous les moyens, même les plus brutaux. « Dès votre arrivée, à terre, vous verrez le directeur de la Shell ; c’est un Anglais. Vous lui direz que vous venez l’aider à défendre ses usines et ses stocks. Par lui vous pourrez téléphoner de ma part au gouverneur d’Aruba que, vu son absence de décision, notre compagnie de débarquement, est à terre. Devant le fait accompli, il sera bien forcé de s’incliner. Je ne pense pas qu’il essaye de vous rejeter à la mer, mais on ne sait jamais.
Faites comme si vous risquiez d’être attaqué et prenez votre formation en conséquence.
D’autant plus que vous allez là un peu en enfant perdu. Dès que vous serez à terre et que vous aurez hissé les embarcations, je m’éloignerai. Vous savez qu’il y a deux batteries de côté dont l’une est prête à tirer. Je ne puis pas risquer un mauvais coup pour le Primauguet qui croisera au large, paré à réagir contre les batteries. Si elles ouvraient le feu.
« Avant midi, vous m’enverrez un message par votre projecteur de campagne, dès que vous serez en place ».- Bien Commandant, tout sera paré avant midi.
MOBILISATION
L’annonce du débarquement faisait briller de joie les yeux des 150, de ceux que l’on appelle faussement dans les comptes rendus de prise d’armes « Les fusiliers marins ». car il y a bien dans la compagnie tous les fusiliers de bord, mais il y a aussi des canonniers, des torpilleurs, des électriciens, des timoniers, des gabiers, des chauffeurs et des mécaniciens, et même des matelots sans aucune spécialité. Elle forme un tour savamment dosé pour que d’abord, elle puisse se débrouiller dans toutes les conjonctures, et qu’ensuite son absence ne désorganise que le moins possible le « poste de combat » du bâtiment qui doit conserver tous ses moyens d’attaque et de défense.
Comme le Primauguet était un bateau ou l’ordre régnait, ou chaque chose avait une place, ou chaque chose était à sa place, et entretenue avec soin, le débarquement se passa dans un temps record. Avec F., j’étais sur que rien n’avait été oublié et que quelques minutes après son arrivée à terre, il pourrait, si besoin était, se servir de toutes ses armes. Dès que les embarcations furent revenues et hissées à bord, je remis en route et je m’éloignais.
J’ai su plus tard, par le rapport de F., que tout s’était bien passé, que la réception de la Shell avait été enthousiaste, et que celle de la population locale avait « dépassé les limites de la tolérance et même de la courtoisie ».
Bien avant midi, F. m’avait rendu compte par projecteur qu’il était en place et à midi juste l’O. 15 nous signalait que le gouverneur d’Aruba faisait savoir que le gouverneur de Caraçao « acceptait avec plaisir la présence de 150 marins français pour défendre Aruba ». S’il est toujours mauvais d’enfoncer brutalement les portes, il est souvent politique de les pousser poliment, mais fermement, jusqu’à ce qu’elles s’ouvrent.
Au début de l’après- midi, on aperçut à l’horizon une division de croiseurs Américains. Un de ses avions, tout en restant hors des eaux territoriales et sans nous survoler (ce qui eut constitué un acte d’hostilité caractérisé), nous identifia, constata que le drapeau français flottait sur l’appontement de la Shell, fit demi tour, rendit compte, et la division américaine s’éloigna. Dieu sait quelles implications se seraient produites s’il avait débarqué avant nous au Sud de l’île ou se trouvent les installations de la Standard Américaine…
Peu après, ce fut le tour du « Dundee » qui venait aux nouvelles. Quand je lui dis que ma compagnie de débarquement était à terre, il me signala « well done ! ». et continua sa route. On a beau être alliés sincères, il y a une certaine satisfaction à devancer son collaborateur.
VISITE AU GOUVERNEUR
Le 12 nous mouillâmes enfin au Nord Ouest de l’appontement de la Shell, n’ayant plus rien à craindre des réactions éventuelles à terre. J’allais remercier le directeur de la Shell de tout ce qu’il avait fait pour nos marins, qui vivaient comme des coqs en pâte, gavés de produits laitiers, de bière hollandaise, invités dans les familles et qui ne demandaient plus qu’une chose, c’est que ces grandes vacances continuassent le plus longtemps possible.
Il me donna ensuite une auto pour aller rendre visite au gouverneur à Orangestadt, dans le centre de l’île Nous nous congratulâmes d’abord sur les résultats de notre mise à terre. Il me fit les plus grandes éloges sur la tenue des marins, leur correction envers les civils, leur discrétion dans toutes les questions d’approvisionnement Je profitai de l’ouverture pour lui annoncer que nous allions être relevés
- Par des troupes françaises ?
- Oui ce sont des compagnies appartenant au Régiment d’Infanterie Coloniale de Fort de France
- Mais ce ne sont pas des blancs ?
- Non mais ils sont citoyens français tout de même.
- C’est un point de vue… français. Mais vous savez que sur ce sujet, nous n’avons pas du tout les mêmes idées. Je me demande comment le gouverneur de Caraçao va prendre ça…
À force d’insister, je lui fis comprendre qu’il fallait s’y résoudre, ce qu’il fit d’assez mauvaises grâce. Mais quand je lui avouais qu’il s’agissait maintenant de 450 hommes, il refusa carrément, alléguant que le télégramme originel de Curaçao ne parlait que de 150 marins, qu’il voulait bien l’interpréter en « 150 hommes », mais qu’il ne pouvait aller plus loin dans la voie des concessions. Comme à mon avis c’était des armes de DCA qu’il fallait plutôt que des fantassins, je lui promis de faire accepter son point de vue par l’amiral des Antilles.LE COCKTAIL A LA SHELL
Le soir du 13 mai, je suis invité à un cocktail chez le Directeur de la Shell.
Des hommes et des femmes, tous parlant anglais, tous charmants. On me présente le Directeur de la Standard. Après avoir tourné assez longtemps autour du pot, il m’explique qu’il aimerait bien avoir des marins du « Primauguet » pour défendre St Nicolas.
Oui, mais la Standard est une compagnie américaine. Alors je ne marcherai que lorsqu’il y aura eu une demande officielle du gouvernement d’Aruba. Comme il doit venir demain à bord, j’attendrai qu’il m’en parle.
J’ai retrouvé un ancien élève d’Oxford, ou j’ai eu moi-même l’honneur de passer un an comme élève libre en 1922, lorsque je préparai mon brevet d’interprète d’anglais. Nous parlons de Market Street, du café Cadéna, de Magdalen, de Corpus Christi, de St John, des Dons, des Tuteurs, de Mésopotamia, des courses sur la Tamise Nous sommes tous les deux « dark blues » et nous avons le plus grand mépris pour Cambridge.
On ne devrait pas recevoir à l’Ecole navale élève qui ne parle pas anglais couramment.
Demain à 10 heures, le gouvernement viendra en visite officielle et je le saluerai de 11 coups de canon. S’il n’a droit qu’à 9, ça lui fera d’autant plus plaisir.RELEVE
Le Barfleur est arrivé avec ses 450 hommes de troupe. Le gouvernement monte à bord à 10 heures 30. Il est accompagné du directeur de la Shell, qui m’a tout l’air d’être un ministre sans portefeuille. Le gouverneur me demande d’assurer la défense de Saint-Nicolas et de la Standard. C’est un petit succès diplomatique.
Je donne alors au « Barfleur » l’ordre de débarquer deux mitrailleuses Contre-Avion de 8 m/m, et un canon de 37 C.A. On les montera sur camions. Ce n’est pas l’essence qui manque… L’après-midi, j’apprends que deux avions de transport d’une compagnie colombienne viennent d’être volés par des Allemands. La menace aérienne se précise.
Je fais alors débarquer deux mitrailleuses CA de 13.2 du « Primauguet » qu’on montera sur socle en béton à Saint-Nicolas. Et j’envoie un télégramme à l’amiral Antilles pour demander l’envoi d’une batterie de 75 C.A.
Les compagnies du régiment d’infanterie coloniale de la Martinique vont prendre notre place à terre Nos marins qui ont déjà des liaisons rembarquent le cœur gros. Le dicton anglais « wife in every port ! ». Ils sont reçus par le reste de l’équipage comme des resquilleurs.
RETOUR A FORT DE FRANCE
Dans l’après-midi du 18 mai, un communiqué d’inspiration allemande annonce l’entrée en guerre de l’Italie. Immédiatement, je demande des instructions à Amiral Antilles sur la conduite à tenir en cas de rencontre avec des bâtiments italiens. Il nous répond de les arraisonner normalement. Un télégramme des Forces maritimes françaises donne le même son de cloche.
………La nuit se fait, les étoiles s’allument et le seul bruit, c’est celui de notre sillage car il n’y a plus besoin de ménager le mazout et la Martinique nous attend.
Je sais que l’Amiral Antilles est satisfait de notre action. Mais qu‘en pense l’Amiral Darlan, Grand Chef de la Marine ? Je ne l’ai su que sept mois après par un témoignage officiel de satisfaction pour les « Hautes qualités dont il a fait preuve pendant le séjour de son bâtiment sur le théâtre de l’Atlantique Ouest, et en Particulier, pour l’esprit de décision qu’il a montré dans l’opération délicate de l’occupation d’Aruba ».
J’aurai pu aussi bien être démonté de mon commandement. Dans la vie du marin, c’est pile ou face… Mais il y a des cas ou il faut jouer, surtout quand on ne joue pas pour soi, mais pour son pays.
Pierre Goybet Contre Amiral
18 octobre 1946
Retraite
De sa maison de Yenne, il écrit de nombreux articles dans les journaux comme chroniqueur scientifique, parlant aussi bien de son expérience de marin que de sujets scientifiques ou de considérations philosophiques.
Sa famille
Pierre Goybet est issu d'une vieille famille de la bourgeoisie savoyarde comptant des châtelains de Yenne et des notaires royaux. Son arrière-grand-mère maternelle était Louise de Montgolfier, petite-nièce des célèbres inventeurs. La famille descend de Louis VIII.
- Mariage
Le 17 juin 1918, il épouse à Toulon sa cousine germaine, Henriette Goybet, fille de son oncle Henri. Il avait obtenu pour ce faire une autorisation papale.
- Enfants
Le couple a quatre enfants.
- Claude Goybet, officier de Marine marchande
- Marguerite Goybet
- Françoise Goybet
- Adrien Goybet Chef de bataillon d'infanterie de Marine et son fils Henri attaché de direction bancaire, auteur de l'article, sont membres de l'A.H.H. (regroupe les familles française répondant aux critères de l'ordonnance de Louis XVIII ayant trait aux famille qui comptent trois générations de Légion d'honneur)
Chef de bataillon Adrien Goybet (1922-1957), chevalier de la Légion d’honneur
Chef de bataillon d’Infanterie de Marine parachutiste. Il suit l’entraînement spécial des missions marines (commando ; Parachute ; renseignement, démolition) en Australie et en Inde (1944-1945) avec les troupes britanniques de la force 136 sous les ordres de l’amiral Lord Mountbatten (unité dont un commando inspira le fameux film Le Pont de la rivière Kwai ). En juin 1945 il est parachuté en mission spéciale au Cambodge encore occupé par les Japonais. Parachutage en ‘’Blind’ sans comité de réception au sol. Il prépare le débarquement des troupes du général Philippe Leclerc de Hauteclocque. Ensuite c’est la Guinée, le Maroc, puis l’Indochine (1951-1954) comme officier de renseignement du secteur le plus exposé du Tonkin à savoir Phu Ly. Il participe à toutes les opérations du secteur à la tête des unités qu’il renseigne. Extrait de lettre du général Bigeard du 14 janvier 1995. ………..
En souvenir de ce coin pourri de PHU LY Au Tonkin ou en qualité d’officier de Renseignement vous avez donné le meilleur de vous-même. Si fidèlement
Signé : Bigeard
Il est ensuite commandant de l’escadron blindé de Pointe Noire (Congo). (1955-1958).
Guerre d’Algérie (1958-1961). Il est notamment commandant des sous quartiers de Rokmia et de Lannoy dans les montagnes du Constantinois. (Il s’est particulièrement distingué le 7 mars 1959 ou sa compagnie à accroché et donné l’assaut à deux reprises à une bande rebelle invincible depuis plus de quatre ans).À Nouméa en 1962, il est affecté à l’état-major du commandement supérieur des troupes du Pacifique. Il finit sa carrière militaire comme directeur de l’enseignement de l’anglais à l’École d’application de l’infanterie (Saint-Cyriens) de Saint-Maixent.
- Oncles
- Henri Goybet, capitaine de vaisseau, commandeur de la Légion d'honneur
- Victor Goybet
Voir aussi
Liens internes
Liens externes
- Site de la famille du chevalier Goybet
- Dictionnaire des familles au service de la nation
- La famille Goybet sur Geneawiki
- Site consacré à la maison forte de la Martiniere ayant appartenu aux Goybet
- (en) Red Hand division
Sources
- Article de son petit-fils sur le site Famille du chevalier Henri Goybet
- Notes de Mariano Goybet de son livre enluminé de famille sur les Goybet ; Henri Jaillard, les Goybet de la vallée de Yenne 25.08.64 ; informations d'Henri Goybet ; Articles de Pierre Goybet Contre Amiral.
Catégories :- Amiral français
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- Famille Goybet
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