- Légitimité et illégitimité de la peine de mort aux Etats-Unis
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Peine de mort aux États-Unis et VIIIe amendement
Article principal : Peine de mort aux États-Unis .Lorsqu'à la fin des années 1960, se pose la question de la légitimité et illégitimité de la peine capitale aux États-Unis, c'est autour du VIIIe amendement de la Constitution américaine que s'établit le débat : « Les châtiments cruels et exceptionnels ne devront pas être infligés ». Faut-il considérer que la peine de mort appartient à cette catégorie proscrite du Bill of Rights ? La question de la légitimité ou de l'illégitimité de la peine de mort est donc avant tout celle de sa constitutionnalité ou de son inconstitutionnalité. Elle relève ainsi d'une décision de la Cour suprême américaine qui se saisit de l'affaire dès 1972 avec Furman v. Georgia, puis en 1976 avec Gregg v. Georgia. Or, on constate qu'à l'heure actuelle, 13 États on abolit la peine capitale, 2 l'on frappé d'inconstitutionnalité et 36 prononcent des condamnations.
Sommaire
Constitutionnalité ou inconstitutionnalité de la peine de mort
La peine de mort existe depuis longtemps aux États-Unis puisqu'elle est appliquée dès 1608 en Virginie. En 1791, la Constitution américaine consacre dans son second amendement le droit au port d'arme, ce qui correspond en partie à une conception expéditive de la justice ancrée dans l'histoire américaine (avec notamment la Conquête de l'Ouest) et à des convictions religieuses empreintes de références bibliques telle que l'implacable loi du Talion. Cette longue tradition juridique de la peine de mort explique que celle-ci ait été assez peu remise en cause jusque dans les années 1950.
Arrêt Furman v. Georgia
C'est néanmoins le cas en 1972, lorsque William Henry Furman accuse l'État de Géorgie d'avoir violé les VIIIe et XIVe amendements de la Constitution en le condamnant à mort pour homicide. La Cour suprême se saisit donc du procès qu'elle juge en fonction de la question suivante : « La sentence et l'exécution de la peine capitale dans cette affaire constitue-t-elle un châtiment cruel et inhabituel non conforme aux VIIIe et XIVe amendements ? ». Toute la difficulté réside dans la définition de ce châtiment prohibé. La notion de cruauté semble très subjective et par conséquent difficile à préciser juridiquement. De même le terme inhabituel (unusual en anglais) reste flou. Dans leurs analyses successives, les juges en charge de l'affaire ont abouti à divers critères d'appréciation : le caractère excessif d'une peine, sa fréquence, son utilité, la façon dont elle est perçue par la société, la souffrance physique ou morale infligée… Le juge Potter Stewart écrit dans son rapport que « ces peines de mort sont cruelles et inhabituelles de la même façon qu'être foudroyé est cruel et inhabituel ».
Au terme de la procédure à la majorité de cinq voix contre quatre, la Cour suprême décide de l'inconstitutionnalité de la peine de mort dans cette affaire. En effet, il convient de noter que seuls deux juges concluent à l'interdiction inconditionnelle de la peine capitale en toutes circonstances. Les trois autres juges qui condamnent la sentence le font pour ce cas particulier en raison de la façon apparemment arbitraire dont la peine a été prononcée (ce qui viole le XIVe amendement, qui insiste sur la nécessité d'une procédure légale régulière dès qu'un citoyen américain est en cause). L'arrêt Furman v Georgia n'établit donc pas une condamnation définitive mais un moratoire, c'est-à-dire une suspension provisoire de la peine de mort, jusqu'à ce que les États fédérés règlent le problème de l'arbitraire dans l'imposition de la peine capitale, autrement dit jusqu'à ce qu'ils établissent des standards juridiques précis et acceptables en la matière.
Arrêt Gregg v. Georgia
Durant l'année suivant l'arrêt Furman, plus de la moitié des États fédérés révisent leurs législations afin de redéfinir la procédure de la peine de mort, de telle sorte que la condamnation à mort puisse être constitutionnelle. Vers le milieu des années 1970, trente-quatre États se sont dotés de nouveaux statuts et plus de six cents prisonniers ont été condamnés à mort selon les nouvelles lois. Mais aucune des condamnations n'a été menée à son terme car on ne sait pas encore si ces nouvelles lois sont constitutionnelles. Pour que les exécutions puissent reprendre, il faut donc que la Cour suprême se prononce à nouveau en tenant compte des nouvelles données. C'est ce qu'elle fait en 1976 avec Gregg v Georgia. Les juges commencent par constater l'existence de nouvelles législations qui constituent selon eux « l'indication la plus éloquente de l'approbation de la peine de mort par la société ». Ils établissent ensuite que la peine de mort ne s'oppose pas en tant que telle au concept de dignité humaine au cœur du VIIIe amendement ; puis ils se demandent si la peine de mort est disproportionnée par rapport au crime pour laquelle elle est imposée et concluent que « c'est une sanction extrême, appropriée au plus extrême des crimes, celui qui consiste à prendre délibérément la vie d'un autre ». La Cour déclare donc que la peine capitale n'est pas en soi inconstitutionnelle car elle ne viole pas automatiquement les VIIIe et XIVe amendements.
À l'issue de cette première phase du jugement, la Cour se penche sur la question de la constitutionnalité des législations elles-mêmes, d'abord dans le cas de la Georgie, puis dans ceux de la Floride, du Texas, de la Caroline du Nord et de la Louisiane. Pour qu'une législation sur la peine de mort soit légitime, il faut qu'elle « minimise le risque d'action entièrement arbitraire et irrégulière ». Partant de ce principe, la Cour établit deux grandes directives : premièrement, le système doit fournir des critères objectifs régissant et limitant la procédure pénale ; deuxièmement le système doit permettre au juge ou au jury de prendre en compte la personnalité et le témoignage de l'accusé. En fin de compte, la Cour approuve les procédures judiciaires prévues par la Géorgie, la Floride et le Texas, mais rejette celles des deux autres États.
Légitimité ou illégitimité de la peine de mort dans la législation des États Fédérés
En se prononçant sur la constitutionnalité ou l'inconstitutionnalité des lois de ces États fédérés, la Cour suprême fédérale a en fait explicité le type de législations qui pouvaient légitimer la peine de mort. Ainsi, les différents États fédérés sont fixés sur les modèles à suivre et à ne pas suivre. Ils vont alors choisir entre intégrer de façon constitutionnelle la peine de mort dans leurs législations ou bien l'abolir.
Le modèle conforme
Les trois législations approuvées par la Cour prévoient toutes un procès en deux temps ; des critères législatifs guidant la décision des juges durant la phase pénale en ce qui concerne les circonstances aggravantes ou atténuantes ; et enfin une cour d'appel révisant toutes les condamnations à mort. En d'autres termes, lorsque la peine de mort est en jeu, la procédure est la suivante : les juges commencent par déterminer si l'accusé est éligible à la peine de mort, c'est-à-dire s'il appartient à la classe restreinte des criminels qui ont commis les crimes les plus atroces et si sa personnalité et son témoignage ne suffisent pas à atténuer sa culpabilité. Ils décident alors de la peine appropriée et, si cette peine est effectivement la mort, soumettent la sentence à une cour d'appel de l'État qui maintient, commute ou annule la peine.
La Cour suprême a limité le champ d'application de la peine capitale en la réservant aux meurtres (1977) et en en excluant les retardés mentaux (2002) et les moins de 18 ans (Roper v. Simmons, 2005). Aujourd'hui, 36 États fédérés pratiquent de facto la peine de mort.
Le choix de l'abolition
Mais 13 États ont choisi d'abolir de jure la peine capitale. Les raisons de ces abolitions sont diverses : certains États considèrent qu'étant donné les dysfonctionnements du système judiciaire, qui aboutit parfois à la condamnation d'innocents, la peine de mort ne peut être maintenue ; d'autres constatent que les méthodes employées pour donner la mort ne sont pas assez bien maîtrisées pour que la dignité humaine soit toujours préservée. Ces États ne nient donc pas que la peine de mort puisse être en soi constitutionnelle et légitime, mais estiment que dans leurs législations particulières son abolition est préférable car l'application de la peine risquerait, elle, d'être illégitime. Enfin, d'autres États jugent que la peine capitale n'est pas compatible avec leurs propres constitutions, autrement dit qu'elle est inconstitutionnelle et illégitime en toutes circonstances dans les limites du territoire relevant de leurs juridictions.
Une question en suspens
La question de la légitimité ou de l'illégitimité de la peine de mort aux États-Unis est loin d'être close : les moratoires établis par des États comme l'Illinois en 2000, ou les revirements récents (2004 et 2006) d'États comme New York ou le Kansas, qui ont frappé d'inconstitutionnalité la peine de mort et révisent actuellement leurs législations pour l'en exclure, prouvent que les arrêts de la Cour suprême n'ont pas suffi à dissiper les doutes. De plus, le cas des États qui abolissent la peine de mort pour des raisons de constitutionnalité, s'il ne pose pas à strictement parler de problème légal, souligne tout de même une incohérence dans le système fédéral qui prévoit normalement la primauté de la Constitution américaine sur les constitutions des États fédérés ; et la primauté du droit fédéral (donc de la Cour suprême fédérale) sur le droit des États fédérés.
À l'évidence, la complexité de la question de la peine de mort et l'ambiguïté du VIIIe amendement expliquent ce manque d'unité en matière d'interprétation constitutionnelle.
Bibliographie
- VILA Bryan, MORRIS Cynthia, Capital punishment in the United-States : a Documentary History, Greenwood Press, Wesport, Connecticut, 1997.
- ZOLLER Elizabeth, Grands arrêts de la Cour suprême des États-Unis, P.U.F, Paris, 2000.
Voir aussi
Articles connexes
- Aide juridictionnelle aux États-Unis
- Peine de mort aux États-Unis
- Roper v. Simmons (2005), arrêt de la Cour suprême qui renverse une jurisprudence de 1989, qui autorisait la peine de mort pour les crimes ayant été commis par des mineurs de plus de 16 ans.
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