- Grand Incendie De Londres
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Grand incendie de Londres
Le Grand incendie de Londres est une forte conflagration qui frappa le centre de Londres (Angleterre) du dimanche 2 septembre au mercredi 5 septembre 1666[1].
Le feu ravagea la cité de Londres à l’intérieur du mur romain et menaça, sans toutefois les atteindre, le quartier aristocratique de Westminster[2], le palais de Whitehall, résidence du roi Charles II, et la plupart des quartiers pauvres de banlieue[3]. Il consuma 13 200 maisons, 87 églises paroissiales, la cathédrale Saint-Paul, et la majorité des bâtiments des autorités de la Cité. On estime qu'il a détruit les maisons d’environ 70 000 des 80 000 habitants[4]. Les pertes humaines furent très faibles, puisque seuls quelques décès furent consignés, mais ce bilan a récemment été contredit en vertu du fait que les morts des pauvres et des membres des classes moyennes n’étaient consignées nulle part et que la chaleur du brasier a pu incinérer de nombreuses victimes sans laisser de cadavres identifiables.
Le feu s'est déclaré dans une boulangerie de Pudding Lane le 2 septembre et se propagea rapidement. La lutte contre l'incendie et la création de coupe-feu par démolition furent retardées par l’indécision du lord-maire de Londres Thomas Bloodworth. Lorsque les mesures à grande échelle furent enfin entreprises dans la nuit du dimanche, le vent avait déjà attisé l’incendie, rendant de telles mesures inutiles. Le lundi, le feu se propagea vers le nord et le cœur de la Cité. L’ordre dans les rues fit place au chaos tandis que se répandaient des rumeurs accusant des étrangers d'être à l’origine de l’incendie. La peur des sans-abris se focalisa sur les Français et les Hollandais, ennemis de l’Angleterre dans le cadre de la deuxième guerre anglo-hollandaise (1665-1667. Des groupes d’immigrés furent victimes de lynchages et d'agressions. Le mardi, l’incendie s’étendit à la plus grande partie de la Cité, détruisant la cathédrale Saint-Paul et il traversa la Fleet pour menacer la cour de Charles II à Whitehall. Cependant, des actions coordonnées de lutte contre le feu se mirent en place. On considère que la lutte pour circonscrire l’incendie a été gagnée grâce à deux facteurs : le fort vent d’est tomba et la garnison de la tour de Londres utilisa sa poudre à canon pour créer des coupe-feu efficaces qui empêchèrent les flammes de se propager davantage vers l’est.
L'incendie entraîna des conséquences économiques et sociales désastreuses. L’évacuation de Londres et l'émigration des réfugiés furent fortement encouragées par Charles II, qui craignait une nouvelle révolte. Malgré plusieurs projets urbanistiques novateurs, Londres fut reconstruite selon le tracé des rues tel qu'il était avant l’incendie[5].
Sommaire
Londres au milieu du XVIIe siècle
Dans les années 1660, Londres était déjà de loin la plus grande ville de Grande-Bretagne et comptait une population estimée à un demi-million d’habitants, plus que le total des cinquante villes les plus peuplées d’Angleterre[6]. Comparant Londres à la magnificence baroque de Paris, John Evelyn la qualifiait d'« agrégat de maisons de bois anarchiques, nordiques » et signalait les risques d'incendie que représentaient le bois et la densité urbaine[7]. Par « anarchique », Evelyn entendait non planifié et improvisé, le résultat de la croissance démographique et de l'étalement urbain non régulé. Londres était de plus en plus surpeuplée à l’intérieur de son mur, qui datait de l’époque romaine. La ville s’était étendue au-delà du mur et avait vu l'apparition de taudis comme Shoreditch, Holborn ainsi que Southwark et l’annexion de la ville de Westminster[8].
À la fin du XVIIe siècle, la Cité proprement dite, c’est-à-dire la zone comprise entre le mur de la Cité et la Tamise, n’était qu’une partie de Londres, couvrant 2,8 km2 (700 acres[9]) et abritant environ 80 000 habitants, soit un sixième de la population de Londres. Entourée d’une couronne de faubourgs où vivaient la plupart des Londoniens, la Cité était déjà le centre commercial de la capitale, le plus grand marché et port d’Angleterre, dominée par les marchands et les manufactures[10]. L’aristocratie dédaignait la Cité et préférait vivre à la campagne, au-delà des taudis des faubourgs, ou plus à l’ouest dans le quartier privilégié de Westminster (actuel West End), qui abritait le palais de Whitehall et la cour de Charles II. Les plus riches préféraient vivre à distance de la Cité encombrée, polluée et insalubre, en particulier après l’épidémie de peste bubonique (« grande peste de Londres ») de 1665.
Les relations entre la Cité et la Couronne étaient tendues. Durant la Première guerre civile (1642-1651), la Cité de Londres avait été un bastion républicain. La riche et dynamique capitale représentait encore une menace pour Charles II, comme l’avaient montré plusieurs soulèvements au début des années 1660. Les magistrats de la Cité appartenaient à la génération qui avait lutté contre le pouvoir absolu de Charles Ier[11]. Ils étaient décidés à couper court à toute ambition similaire chez son fils, et lorsque le grand incendie menaça la ville, ils refusèrent les soldats et autres secours que leur offrit Charles. Même dans ces circonstances critiques, l’idée de voir les impopulaires troupes royales envoyées dans la Cité leur était insupportable. Lorsque Charles prit les commandes des mains de l'inefficace lord-maire, l’incendie était déjà incontrôlable.
Risques d’incendie dans la Cité
Le tracé des rues de la Cité remontait au Moyen Âge et formait un réseau de routes pavées étroites, tortueuses et surpeuplées. Avant 1666, la Cité avait déjà subi plusieurs incendies importants, le plus récent en 1632. Les constructions en bois et en toit de chaume étaient interdites depuis des siècles, mais ces matériaux peu coûteux continuaient à être utilisés[12]. La seule zone bâtie majoritairement en pierre était le riche centre de la Cité, où les demeures des marchands et des courtiers formaient des îlots spacieux, entourés de paroisses dans lesquelles chaque parcelle de terrain constructible était utilisée pour faire face à la rapide croissance démographique. De nombreuses activités présentaient des risques élevés d’incendie : fondeurs, forgerons, vitriers, théoriquement interdits en ville, mais tolérés dans les faits. Les habitations mêlées à ces sources de chaleur et de pollution étaient conçues de façon dangereuse. Les encorbellements (saillies des étages supérieurs) étaient caractéristiques des bâtiments en bois de six ou sept étages. La surface qu’ils occupaient au sol était réduite, mais on maximisait l’espace disponible en « empiétant », selon le mot d’un contemporain, sur la rue puisqu'on augmentait progressivement la taille des étages supérieurs. On connaissant alors le risque de propagation d'incendie posé par ces encorbellements qui se rejoignaient presque au sommet des rues les plus étroites : « comme il facilite une conflagration, de même il entrave le remède », écrivit un observateur[13], mais « l’avarice des citoyens et la connivence [la corruption] des magistrats » agissaient en faveur des encorbellements. En 1661, Charles II décréta l'interdiction des fenêtres en saillie et des encorbellements, mais elle ne fut pratiquement pas appliquée par les autorités locales. En 1665, une autre mesure royale signalait le risque d'incendie causé par l’étroitesse des rues, et autorisait l’emprisonnement des bâtisseurs récalcitrants et la démolition des bâtiments dangereux. Encore une fois, elle n’eut que peu d’impact.
Les berges de la Tamise furent une zone-clef de l'évolution du Grand incendie. Le fleuve offrait son eau à la lutte contre le feu et la possibilité de fuir par bateau. Cependant, les entrepôts et les magasins de combustibles des quartiers les plus pauvres étaient situés le long des rives et présentaient le plus fort risque d’incendie de toute la ville. Le long des quais, les demeures croulantes en bois et les masures en papier goudronné des pauvres s’entassaient entre « les vieux bâtiments de papier et les matières les plus combustibles de goudron, bitume, chanvre, résine et lin qui s’accumulaient tout autour »[14]. On y trouvait également de grandes quantités de poudre noire (ou poudre à canon), en particulier au bord du fleuve. Il en restait beaucoup dans les demeures qui remontaient à l’époque de la guerre civile : les anciens membres de la New Model Army d'Oliver Cromwell avaient conservé leurs mousquets et la poudre nécessaire pour les charger. Entre cinq et six cents tonnes de poudre étaient entreposées dans la tour de Londres, à proximité du pont de Londres. Les vendeurs des quais en possédaient également des stocks importants entreposés dans des barils en bois.
Le pont de Londres était le seul lien physique entre la Cité et la rive sud de la Tamise. Il était lui-même couvert de maisons et s’était révélé un piège mortel lors de l’incendie de 1632. Le dimanche à l’aube, ces maisons brûlaient et Samuel Pepys, qui observait l’incendie depuis la tour de Londres, s’inquiétait beaucoup pour ses amis qui vivaient sur le pont[15]. On craignait que les flammes ne traversent le pont pour menacer le borough de Southwark sur la rive sud, mais un espace vide entre les bâtiments du pont servit de coupe-feu[16].
Le mur romain de 5,5 mètres de haut qui entourait la Cité menaçait d’enfermer les fuyards dans la zone incendiée. Lorsque la berge du fleuve prit feu, passer par l’une des huit portes du mur devint le seul moyen de s’échapper. Durant les deux premiers jours, peu de gens songèrent à fuir à l'extérieur de la Cité : ils se contentaient d’emporter ce qu’ils pouvaient jusqu’à la zone sûre la plus proche, généralement l’église de la paroisse ou les abords de la cathédrale Saint-Paul, pour devoir se déplacer de nouveau quelques heures plus tard. Certains déménagèrent leurs biens « quatre à cinq fois » dans la même journée[17]. La nécessité de fuir au-delà des murs ne s'imposa que tard dans la journée du lundi, provoquant des scènes de panique autour des portes étroites, alors que les réfugiés affolés tentaient de sortir avec leurs paquets, carrioles, chevaux et chariots.
L’étroitesse des rues gêna considérablement la lutte contre l’incendie. Même en temps normal, la cohorte de carrioles, chariots et piétons dans les rues provoquait de fréquents embouteillages et, durant l’incendie, les voies furent en outre bloquées par des réfugiés qui campaient à proximité des biens qu’ils avaient pu sauver ou s’enfuyaient en s’éloignant des flammes, gênant les équipes de démolition et de lutte contre l’incendie qui cherchaient à s’en rapprocher.
La lutte contre les incendies au XVIIe siècle
Les incendies étaient courants dans une ville surpeuplée et majoritairement construite en bois, avec ses foyers ouverts, ses bougies, ses fours et ses dépôts de combustibles. Il n’y avait pas de corps de sapeurs-pompiers, mais la milice locale londonienne, les Trained Bands ou Train-band, était généralement disponible pour répondre aux alertes générales. Prévenir les risques d’incendie était l’une des tâches dévolues au guet de la ville, qui était composé d’un millier d’hommes ou de crieurs publics et qui patrouillaient les rues la nuit[18].
Les citadins se débrouillaient seuls pour maîtriser les incendies, et ils s'en sortaient généralement bien. Les cloches des églises sonnaient pour les avertir d’un incendie dangereux, et ils se réunissaient précipitamment afin d'appliquer les méthodes à leur disposition : la démolition et l’eau. Selon la loi, les clochers de chaque église paroissiale devaient contenir l’équipement nécessaire : de longues échelles, des seaux en cuir, des haches et des « crochets à incendie » (firehooks) pour abattre les bâtiments[19]. Des bâtiments de grande taille étaient rasés rapidement et efficacement à l'aide d’explosions contrôlées de poudre à canon. Cette méthode énergique visant à créer des coupe-feu fut de plus en plus employée vers la fin du Grand Incendie. Les historiens modernes estiment que c’est grâce à ces coupe-feu que l'incendie fut finalement maîtrisé[20].
La démolition des maisons menacées par un dangereux incendie au moyen de crochets ou d’explosifs était souvent un moyen efficace pour minimiser les dégâts. En 1666 cependant, la démolition fut retardée plusieurs heures à cause de l’incapacité du lord-maire à faire preuve d'autorité et à donner les ordres nécessaires[21]. Lorsque le roi ordonna de « n’épargner aucune maison », l’incendie avait déjà détruit de nombreuses maisons, et les démolisseurs ne pouvaient plus travailler dans les rues envahies par la foule.
L’utilisation d’eau pour éteindre les flammes fut également contrariée. En principe, un système de tuyaux en orme desservait 30 000 maisons via un grand château d'eau à Cornhill que le fleuve remplissait à marée haute ; il existait aussi un réservoir d’eau de pluie à Islington[22]. Il était souvent possible d’ouvrir une canalisation proche d’un édifice en feu afin d'y connecter un tuyau pour combattre l'incendie ou pour remplir des seaux. En outre, Pudding Lane était proche du fleuve. En théorie, toutes les rues menant à la boulangerie et aux bâtiments adjacents auraient dû être utilisées par deux colonnes d’hommes, l’une se passant des seaux remplis jusqu’à l’incendie et l’autre des seaux vides jusqu’au fleuve. Cela n’eut pas lieu, ou du moins avait cessé lorsque Pepys contempla les flammes depuis le fleuve le dimanche matin. Dans son journal, Pepys commente le fait que personne ne tentait d’éteindre l’incendie, tout le monde préférant le fuir, se pressant d’emporter leurs biens et de laisser le reste aux flammes. L’incendie se propagea jusqu’aux abords du fleuve sans rencontrer beaucoup de résistance et s’attaqua rapidement aux entrepôts des quais. Ce qui eut pour conséquence non seulement de couper l’accès au réservoir d’eau que constituait le fleuve, mais aussi de mettre le feu aux norias, qui étaient situés sous le pont de Londres et qui pompaient l’eau du château d’eau de Cornhill. Ainsi, l’accès au fleuve et à la réserve d’eau fut bloqué.
Londres disposait d’une technologie avancée sous la forme de fourgons d’incendie, qui avaient été employés dans le cadre de précédents incendies de grande ampleur. Mais à la différence des utiles crochets, ces larges pompes s’étaient rarement révélées très fonctionnelles. Seules quelques-unes étaient munies de roues, les autres étaient montées sur des traîneaux[23]. Il fallait les déplacer sur de grandes distances et ils arrivaient généralement trop tard. Étant munis de bouches, mais pas de tuyaux, leur portée était en outre limitée[24]. À cette occasion, un nombre inconnu de fourgons furent amenés ou tirés dans les rues, certains à travers toute la Cité. L’eau des conduits qu’ils étaient censés utiliser était déjà inaccessible, mais la rive du fleuve était encore accessible en certains points. Plusieurs engins basculèrent dans la Tamise lorsqu’on tenta de les manœuvrer pour remplir leurs réservoirs. La chaleur dégagée par les flammes était déjà trop forte pour que les autres engins puissent s’approcher suffisamment pour être efficaces : ils n’atteignirent même pas Pudding Lane.
Déroulement de l’incendie
Samuel Pepys et John Evelyn, les deux plus fameux auteurs de journaux intimes de l’époque notèrent les événements et leurs propres réactions jour par jour, et s’efforcèrent de rester informés de ce qui se passait dans la Cité et au-delà. Ils se rendirent ainsi tous deux le quatrième jour dans le parc des Moorfields, au nord de la Cité, pour y voir le campement des réfugiés, et ils en ressortirent choqués. Leurs journaux sont les sources principales de toutes les analyses modernes du désastre. Les ouvrages les plus récents, ceux de Hanson (2001) et Tinniswood (2003), se basent également sur les brèves mémoires de William Taswell (1651 -1682), un écolier de Westminster School, âgé de quatorze ans en 1666.
Après deux étés pluvieux en 1664 et 1665, Londres avait subi une exceptionnelle sécheresse depuis novembre 1665, et le bois des bâtiments était extrêmement sec après le long été de 1666. L’incendie de la boulangerie de Pudding Lane s’étendit d’abord plein ouest, attisé par un fort vent d’est.
Dimanche
Un incendie se déclara dans la boulangerie de Thomas Farriner (ou Farynor) peu après minuit le dimanche 2 septembre. Piégée à l’étage, la famille put s'échapper par une fenêtre et se réfugier dans la maison d’à côté, sauf une servante trop terrifiée pour sauter et qui fut la première victime des flammes[26]. Les voisins essayèrent d’éteindre l'incendie ; une heure plus tard, le parish constable arriva et jugea qu’il valait mieux détruire les maisons adjacentes afin d’éviter que le feu ne se propage. Les propriétaires protestèrent, et on requit la présence du lord-maire, sir Thomas Bloodworth, le seul à pouvoir leur imposer cette décision. Lorsque Bloodworth arriva, les flammes consumaient les demeures voisines et se dirigeaient vers les entrepôts de papiers et magasins inflammables de la rive du fleuve. Les pompiers les plus expérimentés réclamaient la démolition, mais Bloodworth refusa, prétendant que la plupart des demeures étaient louées et que leurs propriétaires étaient introuvables. On pense généralement que Bloodworth était un être influençable, dépourvu des capacités requises pour le poste de Lord-Maire, et qu’il succomba à la panique lorsqu’il dut faire face à cette situation d’urgence[27]. Pressé, il eut ce mot fameux : « Fi ! Une femme pourrait l’éteindre en pissant dessus » et s’en alla. Après la destruction de la Cité, Samuel Pepys écrivit dans son journal, à la date du 7 septembre 1666 : « Les gens décrient par-dessus tout la simplicité [la stupidité] de mon lord-maire en général, et plus particulièrement dans sa gestion de l’incendie, l’accusant de tous les maux. »
Vers 7 heures du matin, Pepys, qui était officier haut gradé du Navy Board, se rendit au sommet de la tour de Londres pour avoir un aperçu de l’incendie. Il nota dans son journal que la tempête à l’est s’était transformée en déluge de flammes. Elles avaient incendié plusieurs églises, 300 maisons (selon son estimation), et atteint la rive du fleuve. Les maisons sur le pont de Londres brûlaient. Monté sur un bateau pour inspecter l’étendue des dégâts autour de Pudding Lane de plus près, Pepys décrit un incendie « lamentable », « chacun essayant de récupérer ses biens, et les jetant dans le fleuve ou les emportant sur des barges ; de pauvres gens restant dans leurs demeures jusqu’à ce que l’incendie soit tout proche, et se ruant alors sur des bateaux, ou grimpant d’un escalier à un autre sur le bord du fleuve ». Pepys continua vers l’ouest le long du fleuve jusqu’à la cour, à Whitehall, « où des gens m’accostèrent, et je leur fis un récit qui les plongea dans le désarroi, et la rumeur parvint jusqu’au roi. Ainsi fus-je convoqué, et racontai au roi et au duc d'York ce que je vis, et me commandèrent d’aller à mon lord-maire de sa part, et de lui commander de n’épargner aucune maison, mais de les abattre devant le feu dans chaque direction. » Le frère de Charles, Jacques, duc de York, offrit les services des Royal Life Guards pour aider à la lutte contre l’incendie[28].
À un mille à l’ouest de Pudding Lane, près des escaliers de Westminster, le jeune écolier William Taswell vit quelques réfugiés arriver à l’abbaye de Westminster à bord de barges louées, ne portant que de simples couvertures comme habits[29]. Les prix des possesseurs de barges venaient d’exploser, et seuls les plus chanceux purent s’assurer une place à leur bord.
Le feu s’étendit rapidement grâce au vent. Vers le milieu de la matinée du dimanche, les citadins renoncèrent à leurs tentatives de l’éteindre et s’enfuirent. Leur masse, ajoutée à celle de leurs ballots et de leurs carrioles, emplit les rues, bloquant les pompiers et leurs voitures à cheval. Pepys prit un fiacre pour rentrer de Whitehall en ville, mais dut poursuivre à pied après la cathédrale Saint-Paul. Les charrettes à bras remplies de biens et les piétons étaient toujours en train de fuir l’incendie, lourdement chargés. Les églises paroissiales qui n’étaient pas directement menacées se remplissaient de meubles et de biens de valeurs, qui devraient sous peu être déménagés de nouveau. Pepys trouva le maire Bloodworth en train d’essayer de coordonner la lutte contre les flammes et les destructions « comme une femme sur le point de s’évanouir », répondant au message du roi en geignant qu’il était bien en train d’abattre des maisons, « mais le feu nous rattrape plus rapidement que nous ne pouvons le faire ». S’accrochant à sa dignité, il refusa les soldats que lui proposait le duc Jacques et rentra chez lui se coucher[30]. Charles descendit le fleuve depuis Whitehall à bord de la barge royale pour inspecter les événements. Il découvrit qu’en dépit de ce qu’avait déclaré Bloodworth à Pepys, des maisons n’étaient toujours pas abattues. Avec audace, il bafoua l’autorité de Bloodworth et ordonna des destructions massives à l’ouest de la zone touchée par l’incendie[31]. Le retard rendit ces manœuvres en grande partie inutiles, l’incendie était déjà incontrôlable.
Le dimanche après-midi, 18 heures après que l’alarme eut été sonnée à Pudding Lane, le feu était devenu un embrasement généralisé éclair qui générait son propre climat. L’effet de cheminée provoqua une gigantesque remontée d’air chaud partout où les courants d’air étaient réduits par le bâti, comme au niveau des jetées, laissant un vide au niveau du sol. Les forts vents qui en résultèrent n’éteignirent pas le feu, comme on pourrait le croire[32], bien au contraire : ils fournirent de l’oxygène aux flammes, et les turbulences provoquées par la montée de la colonne d’air firent circuler le vent erratiquement au nord et au sud de la direction principale du grand vent, qui soufflait toujours de l’est.
En début de soirée, Pepys revint sur le fleuve avec son épouse et quelques amis pour étudier l’incendie. Ils ordonnèrent au batelier de les amener aussi près du feu que possible ; « et tout le long de la Tamise, avec le visage au vent, vous étiez presque brûlé par une pluie de braises ». Lorsque ces « braises » devinrent insupportables, le groupe se rendit dans une taverne de la rive sud du fleuve et y resta jusqu’à la tombée de la nuit : ils purent alors voir l’incendie gagner le pont de Londres et traverser le fleuve, « comme une seule arche de flammes de ce côté-ci à l’autre du pont […] : voir cela me fit pleurer ».
Lundi
À l’aube du lundi 3 septembre, le feu s’étendait principalement vers le nord et l’ouest, les turbulences provoquées par l’incendie poussant les flammes à la fois vers le sud et le nord[33]. La progression vers le sud fut essentiellement bloquée par le fleuve lui-même, mais elle avait enflammé les maisons du pont de Londres et menaçait de le traverser pour frapper le borough de Southwark, sur la rive sud. Il fut évité grâce à un coupe-feu préexistant sur le pont, une large brèche entre les bâtiments qui avait déjà sauvé la rive sud de la Tamise lors de l’incendie de 1632 et la préserva de nouveau cette fois-ci[34]. La poussée parallèle vers le nord conduisit les flammes au cœur de la Cité. Plusieurs observateurs mettent l’accent sur le désespoir et le sentiment d’impuissance qui semblaient avoir saisi les Londoniens en ce deuxième jour, et le manque d’efforts accomplis pour sauver les quartiers riches menacés par les flammes, comme le Royal Exchange (bourse et magasin combinés) et les magasins de biens de consommation de Cheapside. Le Royal Exchange prit feu à la fin de l’après-midi et n'était plus qu’une carcasse fumante quelques heures plus tard.
« L’incendie était si universel, et les gens si abasourdis, que dès le commencement, je ne sais par quel désespoir ou tour du destin, ils luttèrent à peine pour l’éteindre, si bien qu’on n’entendait ni ne voyait rien d’autre que cris et lamentations, et créatures distraites ne cherchant même pas à sauver leurs propres biens, si étrange était la consternation qui les frappait »— John Evelyn, Journal[35]
Evelyn vivait à Deptford, à six kilomètres de la Cité, et ne fut donc pas témoin des débuts du désastre. Le lundi, il se rendit à Southwark en carrosse avec d’autres personnes aisées pour contempler ce que Pepys avait vu la veille : la Cité brûlant de l’autre côté du fleuve. L’incendie s’était nettement étendu : « la Cité tout entière prise dans de terrifiantes flammes près de la rive ; toutes les maisons du Pont, tout Thames Street, et en remontant vers Cheapside, en descendant vers les Trois Crânes, se consumaient maintenant »[36]. Dans la soirée, Evelyn nota que le fleuve était couvert de barges et de bateaux chargés de biens dont les occupants tentaient de fuir. Il observa un grand exode de voitures à bras et de piétons au-delà des étroites portes de la Cité, se rendant dans les terrains non bâtis au nord et à l’est, « qui à des milles à la ronde étaient jonchés de biens mobiliers de toutes sortes, et de tentes érigées pour abriter à la fois les gens et ce qu’ils avaient pu emporter avec eux. Ô misérable et calamiteux spectacle ! »
Des soupçons naquirent selon lesquels l’incendie n’était pas un accident. Les tourbillons entraînaient des étincelles et des éclats enflammés sur de longues distances, qui allaient se loger dans les toits de chaume et les gouttières en bois, provoquant de nouveaux départs de feu apparemment sans lien avec l’incendie majeur. La rumeur courut que ces nouveaux départs étaient provoqués sciemment. La deuxième Guerre anglo-hollandaise dirigea les soupçons sur les étrangers. La peur et la suspicion régnaient, le bruit courut qu’une invasion était imminente et que des agents étrangers avaient été aperçus en train de jeter des « boules de feu » dans des maisons, ou pris avec des grenades ou des allumettes[37]. Une vague de violence urbaine s’ensuivit[38]. William Taswell fut témoin du pillage et de la destruction du magasin d’un peintre français, et il vit un forgeron attraper un Français dans la rue et lui assener un coup de barre de fer sur le crâne. La peur du terrorisme fut grandement aidée par la rupture des communications, comme les infrastructures étaient dévorées par les flammes. Le General Letter Office, qui traitait le courrier de tout le pays, brûla tôt dans la matinée du lundi. La London Gazette parvint tout juste à éditer son numéro du lundi avant que les bâtiments de l’imprimeur ne partent en fumée (ce numéro traitait essentiellement de ragots de la bonne société, avec une petite note concernant un incendie déclaré le dimanche matin qui « se poursuit avec une grande violence »). Le pays tout entier dépendait de ces infrastructures, et le vide qu’elles laissèrent fut rempli par la rumeur. Des religieux prétendirent avoir affaire à une nouvelle Conspirations des poudres. Le lundi, la suspicion entraîna une panique collective, si bien que les Trained Bands comme les Coldstream Guards se consacrèrent moins à la lutte contre l’incendie qu’à l’arrestation ou au sauvetage de l’ire de la foule (voire les deux) des étrangers, des catholiques ou des personnes à l’allure louche.
Les habitants, en particulier les plus fortunés, désespéraient de sauver leurs biens des flammes, une aubaine pour les pauvres en bonne santé qui furent embauchés comme porteurs (et se contentèrent parfois de dérober purement et simplement lesdits biens), en particulier les possesseurs de charrettes et de bateaux. Louer une charrette coûtait deux shillings le dimanche ; le lundi, le prix grimpa jusqu’à quarante livres, une petite fortune (équivalente à plus de 4 000 livres de 2005[39]). Il semble que quiconque possédait une charrette ou un bateau à faible distance de Londres se fut frayé un chemin jusqu’à la Cité pour profiter de l'aubaine, les charrettes contribuèrent à bloquer les portes étroites sur lesquelles se ruaient les habitants en fuite. Le chaos aux portes était tel que les magistrats ordonnèrent la fermeture des portes dans l’après-midi du lundi, espérant forcer les habitants à se concentrer sur la lutte contre les flammes plutôt que sur le sauvetage de leurs possessions. Cette mesure ne porta pas ses fruits et fut annulée le lendemain.
Le lundi, alors que la rue cédait à la violence, en particulier aux portes, et que l’incendie faisait rage hors de tout contrôle, on vit le début des actions organisées. Bloodworth avait, semble-t-il, quitté la Cité : son nom n’apparaît dans aucun récit contemporain des événements du lundi[40]. Devant l'’urgence, Charles outrepasse une nouvelle fois les autorités de la Cité et chargea son frère Jacques, duc de York des opérations. Jacques installa des postes de commande autour du périmètre de l’incendie et embaucha des citadins des classes inférieures dans des équipes de pompiers bien payées et nourries. Trois courtisans furent chargés de la gestion de chaque poste, avec suffisamment d’autorité pour ordonner des démolitions. Ce geste visible de solidarité venant de la Couronne avait pour but de mettre fin aux appréhensions des citoyens d’être considérés comme financièrement responsables de la destruction de maisons. Jacques et ses gardes patrouillèrent dans les rues tout le lundi, sauvant les étrangers de la foule et tentant de maintenir l’ordre.
Mardi
Le mardi 4 septembre fut la journée où les dégâts furent les plus importants[41]. Le poste de commande du duc d'York à Temple Bar, à la jonction du Strand et de Fleet Street, était censé stopper l’avancée de l’incendie vers l’ouest et le palais de Whitehall. Jacques espérait que la Fleet formerait un coupe-feu naturel et disposa ses hommes le long de la rivière, entre le Fleet Bridge et la Tamise. Cependant, tôt dans la matinée, les flammes bondirent par-dessus la Fleet, poussées par le vent d’est, et débordèrent les hommes du duc, qui durent courir pour le rattraper. Au palais, la consternation était générale devant l’avancée implacable du feu : « Oh, la confusion qui régnait alors à la cour ! » écrit Evelyn.
Travaillant enfin selon un plan préétabli, les pompiers de Jacques avaient également créé un large coupe-feu au nord de l’incendie. Il contint l’incendie jusqu’à la fin de l’après-midi, puis les flammes bondirent à travers et commencèrent à détruire les luxueux commerces de Cheapside.
Tous avaient cru que la cathédrale Saint-Paul serait un refuge inviolable, avec ses épais murs de pierre et le coupe-feu naturel que formait la place qui l’entourait. Elle était pleine des biens qu’avaient pu sauver les citadins et ses cryptes étaient occupées par les stocks des imprimeurs et libraires de Paternoster Row, située non loin de là. Le bâtiment était cependant en cours de réparation et de nombreux échafaudages en bois l’entouraient, qui prirent feu dans la nuit du mardi au mercredi. Le jeune William Taswell, quittant l’école, se tenait sur les escaliers de Westminster et regarda les flammes encercler la cathédrale, puis les échafaudages en feu enflammer les poutres du toit. En l’espace d’une demi-heure, le plafond principal fondit, et les livres et papiers de la crypte s’enflammèrent dans un grondement. « Les pierres de Saint-Paul volaient comme des grenades, la coulée fondue courait dans les rues comme un torrent, et les pavés mêmes luisaient d’une chaleur féroce, telle que ni cheval ni homme ne pouvait les fouler », nota Evelyn dans son journal. La cathédrale ne fut bientôt plus qu’une ruine.
Durant la journée, les flammes commencèrent à se diriger vers l’est à partir des alentours de Pudding Lane, face au vent d’est et en direction de la tour de Londres et de ses réserves de poudre. Après avoir attendu toute la journée l’aide demandée aux pompiers officiels de Jacques, occupés à l’ouest, la garnison de la Tour décida de s’occuper elle-même des choses et créa des coupe-feu en faisant exploser des maisons aux alentours, ralentissant efficacement l’avancée des flammes.
Mercredi
Le vent tomba le mardi soir, permettant aux coupe-feu creusés par la garnison d'être efficaces dès le lendemain matin, mercredi 5 septembre[42]. Pepys traversa la cité fumante, se brûlant les pieds, et grimpa au sommet de la flèche de Barking Church, d'où il contempla la Cité en ruines, « la plus triste vision de désolation que j'aie jamais vue ». De nombreux incendies mineurs continuaient à brûler, mais le Grand incendie était achevé. Pepys visita les Moorfields, un vaste terrain vague situé juste au nord de la Cité, y vit un grand campement de réfugiés sans abri, et nota que le prix du pain aux alentours du parc avait doublé. Evelyn se rendit également aux Moorfields, qui étaient devenus le principal lieu de ralliement des sans-abri, et fut horrifié à la vue des nombreux désespérés qui s'y trouvaient, certains dans des tentes, d'autres dans des abris bâtis avec les moyens du bord : « beaucoup [étaient] sans le moindre haillon ou ustensile indispensable, sans lit ni planche [...] réduits à la plus extrême misère et pauvreté[43] ». Evelyn fut impressionné par la fierté de ces Londoniens, « presque morts de faim et de dénuement, ne demandant pourtant pas le moindre penny de soulagement ».
La peur de terroristes étrangers et d'une invasion française ou hollandaise était toujours aussi vive parmi les victimes de l'incendie. Durant la nuit du mercredi au jeudi éclata une panique générale dans les camps des Moorfields et d'Islington. Une lumière dans le ciel au-dessus de Fleet Street donna naissance à une rumeur selon laquelle 50 000 immigrants français et hollandais s'étaient soulevés et marchaient vers les Moorfields pour terminer ce que l'incendie avait commencé : tuer les hommes, violer les femmes et voler leurs maigres biens. La foule terrifiée se rua dans les rues, s'attaquant à tous les étrangers qu'elle croisait. D'après Evelyn, ce n'est qu'« avec grand mal et les pires difficultés » qu'ils furent apaisés et rejetés dans les Moorfields par les Trained Bands, les Life Guards et les membres de la cour. La tension était telle que Charles redouta une révolte générale contre la monarchie. La production et la distribution de nourritures étaient tombées à zéro, et Charles annonça que la Cité serait approvisionnée en pain quotidiennement et que des marchés sûrs seraient établis autour de la ville. Ces marchés n'étaient là que pour la vente et l'achat ; il ne fut pas question d'aider bénévolement.
Bilan
Bilan humain
Le nombre des victimes directes de l'incendie fut très réduit. Selon Porter, il n'y a eu que huit morts[44]. Tinniswood parle de moins de dix morts, quoiqu'il ajoute que quelques victimes ont dû passer inaperçues et qu'il y a vraisemblablement eu des morts dans les campements provisoires, en plus des victimes brûlées et intoxiquées[45].
Hanson dénonce ce bilan et rappelle que plusieurs sont morts de faim et de froid au cours de l'hiver qui suivit l'incendie, dont le dramaturge James Shirley et son épouse. Hanson considère que « c'est faire preuve de crédulité de croire que les seuls papistes ou étrangers battus à mort ou lynchés furent ceux sauvés par le duc d'York », que les chiffres officiels n'en disent que peu sur le destin des pauvres non recensés, et que la chaleur au centre du brasier, largement supérieure à celle d'un feu de cheminée, était suffisante pour consumer des corps entiers, ne laissant que quelques fragments d'os. Le feu, qui ne fut pas seulement alimenté par du bois ou du chaume, mais aussi par de l'huile, du bitume, du charbon, du suif, de la graisse, du sucre, de l'alcool, de la térébenthine et de la poudre à canon, fit fondre l'acier importé qui se trouvait sur les quais[46] et les grandes chaînes et verrous de fer des portes de la Cité[47]. Seules les dents auraient pu résister à de telles températures, mais les pauvres en avaient rarement ne fût-ce qu'une seule. Des fragments d'os anonymes n'auraient pas non plus été d'un grand intérêt pour les affamés qui fouillèrent les dizaines de milliers de tonnes de débris après les flammes à la recherche de biens de valeur, pas plus que pour les travailleurs qui déblayèrent les cendres pour la reconstruction. L'incendie attaqua les demeures délabrées des pauvres à grande vitesse, piégeant sans doute « les vieux, les très jeunes, les lents et les infirmes » et enterrant les cendres de leurs os sous les décombres : le bilan des victimes ne serait pas alors de huit, mais de « plusieurs centaines et assez vraisemblablement de plusieurs milliers »[48].
Bilan matériel
Les dégâts matériels ont été chiffrés à 13 200 maisons, 87 églises paroissiales, 44 maisons de la Livery Company, la Royal Exchange, la Custom House, la cathédrale Saint-Paul, plusieurs prisons, dont celle de Bridewell Palace, le General Letter Office, et les trois portes occidentales de la Cité : Ludgate, Newgate et Aldersgate[49]. Le coût du désastre, tout d'abord chiffré à 100 millions de livres de l'époque, fut par la suite réduit au chiffre incertain de 10 millions de livres[50] (plus d'un milliard de livres de 2005)[51]. Evelyn pensa voir plus de « 200 000 personnes de tous rangs et statuts dispersés, installés près de piles de ce qu'ils avaient pu sauver » dans les champs vers Islington et Highgate[50].
Suites de l'incendie
On trouva un bouc émissaire par la confession d'un certain Robert Hubert, horloger français simple d'esprit, qui déclara être un agent du pape et avoir allumé le Grand incendie à Westminster[52]. Il modifia par la suite son histoire pour prétendre qu'il avait déclenché l'incendie dans la boulangerie de Pudding Lane. En dépit de doutes sur le fait qu'il fût ou non conscient de ce qu'il disait dans sa confession, Hubert fut reconnu coupable et pendu à Tyburn le 28 septembre 1666. Après sa mort, on découvrit qu'il n'était arrivé à Londres que deux jours après le début de l'incendie[53]. Ces allégations selon lesquelles le feu avait été allumé par des catholiques furent exploitées par la propagande du parti opposé à la cour pro-catholique de Charles II, surtout durant le complot papiste et la crise d'exclusion qui suivirent sous son règne[54]. Quant au boulanger, il ne fut que brièvement inquiété puisque la confession de Robert Hubert leva les soupçons sur lui[55], il continua son activité.
Charles II craignait que le chaos et l'agitation qui suivirent l'incendie ne donnent naissance à une nouvelle rébellion. Il encouragea les sans-abri à quitter Londres pour s'installer ailleurs, proclamant rapidement que « toutes les Cités et Villes, quelles qu'elles soient, doivent sans contradiction recevoir lesdites personnes en détresse et leur permettre le libre exercice de leur commerce manuel ». On ne sait pas précisément combien partirent, et vers où, quoique certains se soient installés à Oxford.
Un tribunal spécial, la Fire Court, constitué de trois juges ou plus, fut constitué pour traiter des disputes entre locataires et propriétaires. La Fire Court décida qui devrait reconstruire, en se basant sur la richesse de chacun, et qui pouvait résilier les contrats. Cette cour siégea à Cliffords Inn entre le 27 février 1667 et septembre 1672. Les affaires étaient entendues et un verdict était généralement rendu durant la journée ; sans cette cour, les querelles légales auraient sérieusement retardé la reconstruction de la ville. Les juges travaillaient gratuitement entre trois et quatre jours par semaine ; en récompense pour leurs efforts, le peintre John Michael Wright (v. 1617-1694) fut chargé de faire les portraits des vingt-deux juges qui siégèrent à la Fire Court, dont les frères Hugh et Wadhamn Wyndham.
Plusieurs plans pour une reconstruction radicalement différente de la Cité furent proposés, mouvement encouragé par Charles. Si elle avait été rebâtie selon ces plans, Londres aurait rivalisé avec Paris dans sa magnificence baroque. La Couronne et les autorités de la Cité tentèrent d'établir « à qui toutes les maisons et tous les terrains appartenaient en droit », afin de négocier des compensations avec leurs propriétaires pour les modifications en profondeur qu'impliquaient ces plans, mais cette idée irréaliste dut être abandonnée. Les citadins, préoccupés par leur survie, ignorèrent en majeure partie les exhortations demandant des travailleurs pour mesurer les terrains sur lesquels des maisons s'étaient tenues, sans compter ceux qui avaient quitté la capitale ; en outre, avec le chômage engendré par l'incendie, il fut impossible de s'assurer des travailleurs pour cette tâche.
Les problèmes de propriété n'ayant pu être résolus, aucun des plans pour une Cité baroque, toute de plazas et d'avenues, ne put être réalisé ; il n'y avait personne pour négocier, et aucun moyen de calculer les compensations qui devraient être versées. À la place, l'ancien plan des rues fut recréé dans la nouvelle Cité, quelque peu amélioré dans les domaines de l'hygiène et de la prévention contre les incendies : les rues furent élargies, les quais le long de la Tamise rendus plus ouverts et accessibles, sans maisons pour gêner l'accès au fleuve, et surtout, les maisons furent bâties en briques et en pierres, pas en bois. De nouveaux bâtiments publics furent construits sur les emplacements des anciens, les plus célèbres étant sans doute la cathédrale Saint-Paul et les cinquante nouvelles églises de Christopher Wren.
Un monument commémoratif du Grand incendie, conçu à l'initiative de Charles II et dessiné par Christopher Wren et Robert Hooke, fut érigé près de Pudding Lane. Haut de 61 mètres et simplement connu comme « Le Monument », c'est un élément représentatif de Londres qui a donné son nom à une station de métro. En 1668, les accusations portées contre les catholiques furent ajoutées au Monument : « ... le plus terrifiant Incendie de cette Cité ; allumé et perpétué par la traîtrise et la malveillance de la faction papiste » (… the most dreadful Burning of this City; begun and carried on by the treachery and malice of the Popish faction). En exceptant les quatre années de règne de Jacques II (1685-1689), cette inscription ne disparut qu'en 1830[56].
Un autre monument, le Golden Boy de Pye Corner, à Smithfield, marque l'endroit où l'incendie s'arrêta. Selon l'inscription, le fait que l'incendie se soit déclaré dans Pudding Lane (le « chemin du pudding ») et se soit arrêté à Pye Corner (le « coin de la tarte ») est un signe que l'Incendie fut un châtiment divin pour le péché de gourmandise commis par la Cité tout entière.
L'épidémie de peste de 1665 avait tué un sixième de la population de Londres, soit 80 000 personnes[57], et beaucoup suggèrent, étant donné qu'il n'y eut plus d'épidémies récurrentes de peste à Londres après l'incendie[58], que ce dernier sauva des vies sur le long terme en réduisant en cendres un grand nombre de logements insalubres, avec les rats et les puces qui transmettaient la maladie. Le site du Museum of London affirme que ces deux éléments sont liés[59], tandis que l'historien Roy Porter rappelle que l'incendie ne toucha pas aux taudis des banlieues, qui formaient la partie la plus insalubre de la ville[60]. D'autres explications épidémiologiques ont été avancées, de même que l'observation que la maladie disparut de la quasi-totalité des villes européennes à la même époque[58].
Bibliographie
Études
- John Evelyn, Diary and Correspondence of John Evelyn, F.R.S., Hursst and Blackett, Londres, 1854.
- Neil Hanson, The Dreadful Judgement: The True Story of the Great Fire of London, Doubleday, New York, 2001.
- Morgan, Oxford Illustrated History of Britain, Oxford, Oxford, 2000.
- Samuel Pepys, The Diary of Samuel Pepys, Vol. 7, Harper Collins, Londres, 1995 (ISBN 0004990277).
- Roy Porter, London: A Social History, Harvard, Cambridge, 1994.
- T. F. Reddaway, The Rebuilding of London after the Great Fire, Jonathan Cape, Londres, 1940.
- Bruce Robinson, London: Brighter Lights, Bigger City, BBC.
- Francis Sheppard, London: A History, Oxford, Oxford, 1998.
- Adrian Tinniswood, By Permission of Heaven: The Story of the Great Fire of London, Jonathan Cape, Londres, 2003.
Fiction
- Jacques Roubaud, Le Grand Incendie de Londres, 411 pp., Seuil, Collection Fiction & Cie, 1989 (ISBN 2-020-10472-5)
Notes et références
- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu d’une traduction de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Great Fire of London ».
- ↑ Toutes les dates sont données dans le calendrier julien, qui restera en usage en Angleterre jusqu'en 1752.
- ↑ Aujourd'hui le West End
- ↑ Porter, 69–80.
- ↑ Tinniswood, 4, 101.
- ↑ Reddaway, 27.
- ↑ Morgan, 293-4.
- ↑ John Evelyn en1659, cité dans Tinniswood, 3. Cette section se base sur Tinniswood, 1-11, sauf indication contraire.
- ↑ Porter, 80.
- ↑ Les travaux de référence donnent une superficie de 330 acres à l’intérieur du mur romain (voir par exemple Sheppard, 37). Tinniswood donne quant à lui une superficie d’un mille carré (667 acres).
- ↑ Hanson, 80.
- ↑ Voir Hanson, 85-88, pour le caractère républicain de Londres.
- ↑ Hanson, 77-80. Cette section se base sur Hanson, 77-101, sauf indication contraire.
- ↑ Rege Sincera (pseudonyme), ‘‘Observations both Historical and Moral upon the Burning of London, September 1666’’, cité dans Hanson, 80.
- ↑ Lettre d’un correspondant inconnu à Lord Conway, septembre 1666, cité par Tinniswood, 45-46.
- ↑ All quotes from and details involving Samuel Pepys come from his diary entry for the day referred to.
- ↑ Bruce Robinson,London’s Burning: The Great Fire
- ↑ Gough MSS London14, Bodleian Library, cité par Hanson, 123.
- ↑ Hanson, 82. Cette section se base sur Tinniswood, 46–52, et Hanson, 75–78, sauf indication contraire.
- ↑ Un crochet à incendie était une lourde perche d’environ neuf mètres de long avec un crochet à une extrémité qui devait être accroché aux poutres du plafond d’une maison menacée par l’incendie pour l’abattre au moyens de cordes et de poulies (Tinniswood, 49).
- ↑ Reddaway, 25.
- ↑ Tinniswood, 52.
- ↑ Voir Robinson, (en)‘‘London:Brighter Lights, Bigger City’’ et Tinniswood, 48-49.
- ↑ Hanson affirme qu’ils possédaient des roues (76), Tinniswood assure du contraire (50).
- ↑ Les fourgons d’incendie, qui avaient reçu une patente en 1625, étaient de simples pompes à bras actionnée par de longs manches à l’avant et à l’arrière (Tinniswood, 50).
- ↑ Les cartes au jour le jour sont basées sur Tinniswood, 58, 77, 97.
- ↑ Tinniswood 42–43.
- ↑ Tinniswood, 44.
- ↑ Journal de Pepys, Modèle:Dae.
- ↑ Tinniswood, 93.
- ↑ Tinniswood, 53.
- ↑ ‘‘London Gazette’’, 3 septembre 1666.
- ↑ Hanson, 102–105.
- ↑ La section « Lundi » est basée sur Tinniswood, 58-74, sauf indication contraire.
- ↑ (en) Robinson,"London’s Burning: The Great Fire" sur le site de la BBC.
- ↑ Toutes les citations de John Evelyn sont tirées de son journal.
- ↑ Evelyn, 10.
- ↑ Hanson, 139.
- ↑ Reddaway, 22, 25.
- ↑ Hanson, 156–57.
- ↑ Tinnisworth, 71.
- ↑ La section « Mardi » est basée sur Tinniswood, 77–96.
- ↑ La section « Mercredi » est basée sur Tinniswood, 101–10, sauf indication contraire.
- ↑ Cité par Tinniswood, 104.
- ↑ Porter, 87.
- ↑ Tinniswood, 131–35.
- ↑ point de fusion entre 1250 et 1480°C
- ↑ point de fusion entre 1100 et 1650°C
- ↑ Hanson, 326–33.
- ↑ Porter, 87–88.
- ↑ a et b Reddaway, 26.
- ↑ Pouvoir d'achat de la livre anglaise de 1264 à 2005
- ↑ La section « Suites de l'incendie » se base sur Reddaway, 27 ff. et Tinniswood, 213–37, sauf indication contraire.
- ↑ Tinniswood, 163–68.
- ↑ Stephen Porter, The great fire of London, Oxford Dictionary of National Biography, Oxford University Press.
- ↑ Museum of London - Frequently asked questions
- ↑ Robert Wilde, « The Great Fire of London – 1666 », About.com. Consulté le 28 novembre 2006
- ↑ Porter, 84.
- ↑ a et b Hanson, 249–50.
- ↑ Ask the experts, Museum of London.
- ↑ « Les quartiers ravagés par la peste, situés hors des murs de la ville, qui abritaient les taudis les plus sordides — Holborn, Shoreditch, Finsbury, Whitechapel etSouthwark — ne furent hélas que peu touchés par l'incendie, alors qu'être réduits en cendres était ce dont ils avaient besoin » (Porter, 80).
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