- Genèse
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Le Livre de la Genèse (du grec Γένεσις, « naissance », « commencement », « source », « origine », « cause ») est le premier livre de la Torah (Pentateuque), donc du Tanakh (la Bible hébraïque) ou de l'Ancien Testament. En hébreu, son intitulé est Bereshit (« au début de …») d'après le premier mot de la première parasha du Livre[1]. La tradition juive considérant qu'il a été écrit par Moïse, on l'appelle parfois le Premier Livre de Moïse.
Le livre de la Genèse veut expliquer l'origine de l'homme et du peuple hébreu jusqu'à son arrivée en Égypte en l'éclairant par le projet de Dieu. Il contient les présupposés aux idées et institutions nationales et religieuses d'Israël, et sert d'introduction à son histoire, ses lois et coutumes.
Selon une croyance assez courante dans les religions abrahamiques, la Genèse aurait été divinement inspirée, et serait donc infaillible. Toutefois, l'hypothèse dite documentaire tend à montrer que la composition du livre est l'œuvre non d'un rédacteur unique, mais d'un ensemble de rédacteurs. Ces derniers auraient transcrit les traditions des Israélites, les combinant en un travail uniforme.
Sommaire
Attribution du livre
Article détaillé : Hypothèse documentaire.Le livre de la Genèse, en tant qu'œuvre, ne mentionne aucune assignation à un auteur. C'est donc un article de la foi juive orthodoxe que de croire que le livre fut dicté dans son intégralité par Dieu à Moïse sur le mont Sinaï.
L'étude sémantique et linguisitique des termes utilisés et les contradictions entre les différentes légendes qui s'y entremêlent, ont amené, dès Maïmonide au XIIe siècle et surtout Spinoza au XVIIe siècle, à remettre en question - malgré l'hostilité des autorités religieuses et le danger d'excommunication - son historicité et l'unicité de son auteur. Depuis, les découvertes archéologiques et historiques au Moyen-Orient ont permis de dater le texte de la Genèse au VIIe siècle av. J.‑C., sous le règne du roi Josias.
Les hiéroglyphes égyptiens et surtout les tablettes cunéiformes sumériennes montrent que le texte n'est qu'une adaptation de légendes connues et véhiculées dans tout le monde antique, notamment à Sumer, dans un but hagiographique et pédagogique visant à consolider l'unité du royaume.
Résumé
Article détaillé : Résumé de la Genèse.Les chapitres 1 à 5 de la Genèse relatent l'organisation nécessaire à l'apparition de la vie sur la Terre et les étapes de l'apparition de cette vie jusqu'aux premiers temps de l'humanité. L'homme découvre que la désobéissance engendre le mauvais, c'est-à-dire le mal sur le corps (en hébreu le mot est mauvais et est relatif au corps alors qu'en grec cela est traduit par mal et est relatif à la morale). Adam et Ève, le premier homme et la première femme mangent le fruit de l'arbre défendu, ils connaîtront désormais le bien et le mal et sont chassés du jardin d'Éden; Caïn, fils d'Adam et d'Ève tue son frère Abel.
Dans les chapitres suivants, Dieu, voyant la corruption des hommes, provoque le déluge, auquel il ne fait survivre que la famille de Noé. Dieu établit alors une alliance (9:9)
Le chapitre 10 parle des familles qui sont à l'origine de l'humanité.
Les chapitres 11 à 20 parlent d'Abraham et de sa famille jusqu'à l'époque d'Isaac. Le chapitre 12 commence avec l'appel d'Abram (le futur Abraham) et sa femme Saraï (qui deviendra Sarah), alors stérile, et leur départ depuis leur terre natale d'Ur (probablement en Babylonie) vers le pays de Canaan. Il implique qu'Abram a accepté Dieu et a été accepté par lui, et rapporte la promesse divine que tous les peuples de la terre seront bénis par sa descendance (22:3).
Les chapitres 21 à 35 suivent la famille d'Isaac. Genèse relate ensuite les faits de ses descendants, Isaac, et Jacob (qui deviendra Israël), et leur famille, ainsi que, dans une moindre mesure, les "autres" descendants, qui formeront de grands peuples antagonistes d'Israël, à savoir Ismaël et Esaü (Edom). Lorsque le dernier verset termine, les descendants de Jacob, les Israélites, sont venus en Égypte, à l'invitation de l'un des leurs, Joseph, devenu par un concours de circonstances (que la Bible explique comme "le doigt divin") le plus important ministre auprès de Pharaon.
Le chapitre 36 traite d'Ésaü et de sa famille.
Les chapitres 37 à 50 parlent de la famille de Jacob, racontent comment Joseph fut vendu en Égypte et le rôle qu'il joua dans la préservation de la maison d'Israël.
Interprétations du livre de la Genèse
L'interprétation du livre de la Genèse est un exercice très délicat, car il dépend en grande partie de croyances.
On peut dire toutefois que l'historicité des récits est mise à mal par la recherche moderne. Cela s'explique facilement lorsqu'on considère que le livre n'a pas pour but de présenter un récit historique, mais que son but est bien plutôt théologique et idéologique.
Utilisation de la lecture littérale pour dater la création
Sur la base des généalogies (toledot) dans le Livre de la Genèse et des parties ultérieures de la Bible, les érudits religieux juifs et chrétiens ont indépendamment estimé la datation de la Création du monde, en employant une interprétation au sens littéral.
Cette approche suggérerait qu'elle se tînt aux alentours du quatrième millénaire AEC après les six jours au cours desquels Dieu créa les cieux et la Terre (quelques uns supposent qu'il s'agit de jours de 24 heures, qu'Adam, Ève, et le jardin d'Éden ont existé, et qu'une trace complète des évènements depuis la Création jusqu'à une date historiquement vérifiable se trouve dans le compte-rendu biblique).
D'autres exégètes expliquent que les jours se rapporteraient à l'action créatrice sur Terre, et donc auraient une durée bien plus longue que 24 heures chacun. Selon eux, le récit étant destiné à un observateur terrestre, le mot cieux devant être compris du point de vue de l'observateur. Cette manière de voir permet de rendre le récit de la Genèse compatible avec la datation géologique de la Terre.
Beaucoup de biblistes académiques remettent en question l'exactitude du compte-rendu historique de la Bible, et son utilisation pour retracer les évènements présentés dans la Genèse et pour dater l'histoire humaine a été rejetée par la grande majorité des historiens et archéologues.
- Le sujet sera abordé plus précisément dans Bible et histoire et Créationnisme Jeune-Terre.
Interprétations littérales vs allégoriques
Le Livre de la Genèse commence par un (ou des) récit originel. Comme une lecture littérale de celui ou ceux-ci peut sembler en conflit avec les théories scientifiques communément admises, comme le Big Bang ou la théorie de l'évolution, beaucoup de croyants considèrent le(s) récit(s) de la Création selon Genèse comme des allégories.
Toutefois, l'interprétation, sinon allégorique, du moins non littérale n'avait pas attendu Darwin. La tradition juive connaissait différentes façons d'interpréter les textes sacrés, puisqu'elle distinguait quatre sens de l'Écriture. Ultérieurement, la tradition chrétienne, avec Origène et Jean Cassien, reprit ces méthodes d'interprétation pour la lecture (lectio divina) des Saintes Écritures chrétiennes. L'interprétation non littérale de la Création commençait déjà avec Augustin d'Hippone au Ve siècle[2].
Aux XIIe et XIIIe siècles, la réconciliation effectuée par l'école scolastique entre la tradition chrétienne et la philosophie d'Aristote (Thomas d'Aquin), permit de faire un parallèle entre la Genèse et la cause première telle qu'elle était définie par Aristote.
Remise en cause par les théories scientifiques au XVIIe siècle
À partir du XVIIe siècle, les observations de Galilée remirent en cause les interprétations de la Bible, particulièrement les passages cosmologiques de l'Ancien Testament.
En 1623, le père Marin Mersenne, correspondant de Descartes, qui était au centre d'un réseau philosophique et scientifique, publia Questions sur la Genèse, ouvrage dans lequel il critiqua violemment la Kabbale chrétienne.
Après le procès de Galilée (1633), Descartes n'eut de cesse de critiquer la « philosophie spéculative » enseignée dans l'école scolastique, lui préférant une méthode « pratique » permettant aux hommes de se « rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » (discours de la méthode, Sixième partie, 1637). Le cogito de Descartes (méditations sur la philosophie première, 1641) est la manifestation de ce doute d'une cause première entendue au sens religieux et métaphysique traditionnel.
Ce fut le point de départ de la mise en place d'un paradigme mécaniste (Michel Foucault parle d'épistémè), qui discrédita progressivement la philosophie première d'Aristote, et bouleversa l'édifice scolastique. Le positivisme d'Auguste Comte, les philosophies scientistes, et le darwinisme abandonnèrent le principe même des causes premières, et allèrent jusqu'à nier toute causalité des phénomènes entendue en un sens autre que purement physique.
Interprétations contemporaines
Pour autant, même aujourd'hui, les tenants de l'interprétation littérale des onze premiers chapitres n'ont pas dit leur dernier mot : ils font valoir que le style scripturaire des premiers chapitres partage les caractéristiques de passages habituellement considérés de nature historique, et qu'il n'est nulle part fait mention qu'il ne s'agirait pas d'une narration littérale (ce qui est le cas pour les prophéties de Balaam par exemple)[3].
De telles analyses, se basant sur une forte tradition d’infaillibilité biblique (le fait de ne pas remettre la Bible en doute, par principe), ont conduit de nombreux individus et organisations, issus des milieux scientifiques et religieux, à rejeter les théories scientifiques traditionnelles de l'origine de la vie et de l'univers pour des théories "alternatives", comme le créationnisme Jeune-Terre (Young-Earth creationism, en abrégé YEC). Les tenants du YEC utilisent leur connaissance approfondie du récit originel selon la Genèse afin de fournir des réponses aux questions que posent l'évolution et l'origine ainsi que le sens de la vie, plutôt que de rationaliser leurs positions au vu des théories faillibles des hommes.
Mais ces cas sont aujourd'hui minoritaires. La controverse ptoléméo-copernicienne et l'évolution ont été une opportunité pour revoir en profondeur les méthodes d'exégèse et d'herméneutique. Outre le fait que la crise galiléenne était apparemment une question de retour aux textes originels (en hébreu), tant la tradition protestante que la tradition catholique ont eu à cœur de renouveler la lecture des Écritures saintes, évitant toute interprétation littérale excessive.
Il existe ainsi un nombre croissant de juifs et de chrétiens qui professent que les premiers chapitres de la Genèse ne relatent pas le début de la création physique. Essayant de relire les Écritures à la façon des premiers destinataires de celles-ci (à savoir les anciens Israélites), ils pensent que ces premiers chapitres relatent la propagation de l'ordre divin sur le plan physique qui existait avant le début de la narration.
Certains décrient même toute tentative d'interpréter les textes comme autre chose qu'une organisation de l'univers.
Cette interprétation était déjà celle d'Augustin d'Hippone, qui rejetait toutefois la suggestion que la Genèse soit une allégorie ; selon lui, la "lumière" signifie tout le temps "ordre", illumination, plan supérieur d'existence ; "jour" est un intervalle de temps indéterminé, qui n'est défini que par un paradigme central, comme dans l'expression "aube d'un nouveau jour". De ce point de vue, on peut rejeter l'objection des trois premiers jours (qui ont précédé l'attribution de la lumière avant le Soleil), en faveur d'une interprétation "littérale" que l'univers fut créé tout d'une pièce, pour progresser du chaos à la lumière-"entendement", et non l'ensemble du spectre électromagnétique, puis aux cieux, etc.[3]
Actuellement, la Bible de Jérusalem indique, en annexe, que la Genèse correspond à une période commençant environ 100 000 ans (homo habilis) avant la période correspondant à l'Histoire et à l'apparition de l'écriture (Abraham).
Néanmoins, le Livre de la Genèse, très souvent cité tant dans la Bible hébraïque que dans le Nouveau Testament, ne l'est jamais dans un sens métaphorique, allégorique ou non-littéral : lorsque Moïse corrèle les six jours de la Création avec les six jours de travail de la semaine (Exode 20:11), que David fait allusion à la Création ou aux faits relatés dans les chapitres 1 à 11 dans les Psaumes, ou que Jésus et Pierre les évoquent, ce ne peut être qu'au sens littéral et "historique" du terme, sans besoin d'interprétation ou d'interpolation.
UNE AUTRE APPROCHE DES PATRIARCHESDans l'ensemble, la vie pastorale des patriarches ressemblait à celle des bédouins au début du XXe siècle. Les chercheurs étaient convaincus que ce mode de vie avait peu varié au cours des millénaires, se sont persuadés que les récits patriarcaux avaient un fondement historique en les associant avec le quotidien des bédouins concernant les droits de pâturage ( Gn 13:5-12) ou de conflits opposant les pasteurs aux villages sédentaires sur la question du partage des puits ( Gn 21:25-33).
Outre cela, des références à des sites mésopotamiens ou syriens, comme Ur dans le pays de Sumer, lieu de naissance présumé d'Abraham ( Gn11:31), ou Harân où la famille d'Abraham s'était installé sur un affluent de l'Euphrate et continua de vivre après son départ en Canaan, semblaient correspondre aux résultats des fouilles entreprises dans le Croissant fertile. Mais il faut savoir que les pionniers de l'archéologie biblique étaient des prêtres ou des théologiens qui y venaient chercher une confirmation de leur foi.
La Bible livre quantité d'informations chronologiques qui devraient permettre la datation de l'époque patriarcale. Dans une note du livre des Rois( 1 R 6:1), celle-ci précise que l'Exode s'est déroulé 480 ans avant la construction du Temple soit l'an 960 av. JC. Le livre de l'Exode précise que le séjour des Hébreux avait duré 430 ans ( Ex 12:40). Selon l'histoire de Joseph, celui-ci avait environ 40 ans ( Gn 41:46-54),lorsqu'il fit venir son père Jacob et ses frères en Égypte ( Gn 46:29). Jacob vécut 147 ans dont 17 en Égypte ( Gn 47:28). Isaac avait 60 ans à la naissance de Jacob et d'Esaü ( Gn 25:26). Abraham était âgé de cent ans à la naissance d'Isaac ( Gn 21:5), ce qui situerait sa naissance aux environs de 2200 av. JC. et son départ pour Canaan vers 2125 av. JC ( Gn 12:4).
Le problème que pose cette chronologie est qu'elle soulève de sérieuses questions, dont la moindre n'est pas la fabuleuse longévité des patriarches qui auraient vécu bien au-delà de cent ans. En outre, les généalogies des descendants de Jacob sèment la confusion et sont franchement contradictoires. Moïse et Aaron y sont présentés comme la quatrième génération de Lévi, un fils de Jacob, alors que leur contemporain, Josué, est présenté comme un descendant de la douzième génération de Joseph [réf. nécessaire]. La divergence est de taille.
La période qui embrasse les dates données par la Bible ne sont pas compatibles avec les données archéologiques qui prouvent qu'aucun mouvement massif de population ne s'est produit à cette époque, même y compris une prétendue migration Amorite vers Canaan, en provenance de Mésopotamie. Les spécialistes de la critique textuelle, qui ont identifié plusieurs sources sous-jacentes du texte, penchent pour une rédaction, après compilation de récits indépendants, qui se situerait aux Xe - VIIIe siècles av. J.-C., voire plus tard, aux périodes exilique et postexilique des VIe - Ve siècles av. J.-C.. Selon cette analyse, les documents "J" et "E" reflètent les préoccupations de la monarchie tardive, projetées sur l'existence des pères fondateurs légendaires, qui appartiendraient à un passé largement mythique. Même si le texte définitif reprend certaines histoires plus anciennes, le choix de ces récits et la façon dont ils sont introduits expriment clairement le message que les rédacteurs tenaient à faire passer au moment de la compilation. Il est évident que leur souci n'était pas la préservation d'un compte-rendu historique.
Mais de quand date cette compilation ? Le texte livre certains indices qui permettent de préciser l'époque de sa composition finale, comme la mention répétée de chameaux, l'histoire patriarcale est pleine de chameaux par troupeaux entiers. Or, ceux-ci ont été introduits en Mésopotamie du sud vers 1100 av. JC, en provenance de la Perse. Quand ses frères vendent Joseph à des chameliers Ismaêlites venant de Galaad ( Gn 37:25), leur caravane transporte des aromates, du baume et de la myrrhe vers l'Égypte. Cette description correspond au commerce international de ces produits entre les mains des marchands Madianites ( ou Nabatéens ?), sous la surveillance de l'Empire Assyrien aux VIIIe - VIe siècles av. J.-C..
Se pose également la question des Philistins. Ils font leur première apparition avec Abraham ( Gn 20:1-2; 21:34), épisode repris pour Isaac ( Gn 26:1). Encore plus étonnant, Abimélek, roi Philistin de Gérar remet mille pièces d'argent à Sara pour dédommager Abraham ( Gn 20:16), alors que la monnaie ne fait son apparition aux environs de 575 av. JC en Lydie.
En fait, les Philistins apparaissent au XIIe siècle av. J.‑C. sur la côte sud-ouest, après leur défaite sur le delta du Nil, infligée par Ramsès III en 1190/1180 av. JC. La mention de Gérar comme cité Philistine dans les récits d'Abraham et d'Isaac prouve son importance ou du moins qu'elle possédait une certaine réputation au moment de la composition du récit des patriarches. Gérar, aujourd'hui Tel Haror, située au nord-ouest de Beershéba était une étape entre Gaza et Aqaba, ainsi que vers le Hedjaz et le Saba au Yémen. Si pendant la période du Fer I ( 1150-900), elle n'était qu'une insignifiante bourgade, à la fin du VIIIe et durant le VIIe siècle, la ville était devenue un centre de transit commercial et un centre administratif Assyrien puissamment fortifié; un pôle d'attraction et d'emploi pour la région. Ces détails incongrus représentent-ils des insertions tardives dans une rédaction antérieure ou bien les détails et le récit sont-ils aussi tardifs autant l'un que l'autre ?
Les partisans de la thèse des patriarches "historiques" les considèrent comme des détails dénués d'importance. Ce sont précisément les références à des cités, à des peuples voisins, à des lieux familiers qui permettent de distinguer les récits patriarcaux d'une légende populaire totalement mythique. Ces détails sont d'une importance capitale pour dater le texte et clarifier le message. Autrement dit, l'étude des anachronismes permet de préciser la date de ces récits, d'en comprendre le sens, de saisir le contexte historique, bien mieux que la quête de bédouins antiques ou les calculs hypothétiques pour tenter de déterminer l'époque et la généalogie des patriarches. Persister dans cette voie conduit à adopter une posture politique en reprenant à son compte les volontés politiques, ou des faits contemporains, des réformateurs deutéronomistes du temps du roi Josias pour qui YHWH avait donné aux Hébreux, en possession éternelle, l'ensemble des territoires entre le delta du Nil et l'Euphrate.
La combinaison de caravanes chamelières, de produits de luxe en provenance de Saba et des autres royaumes Yéménites, de Philistins, de la cité de Gérar et d'autres lieux ou peuplades mentionnés dans les récits des patriarches se révèle hautement significative. Ces indices démontrent que ces textes furent écrits de nombreux siècles après l'époque où la Genèse situe la vie des patriarches. Ces anachronismes, et bien d'autres, indiquent que le VIIe siècle a été une période particulièrement active de composition du récit des patriarches.
La mention d'Ur de Chaldée ( Gn 11:31) est révélatrice du procédé, les Chaldéens ( Akk. Khaldu) se sont établis dans l'ancien pays de Sumer - le sud de l'Iraq actuel - qu'au début du IXe siècle av. J.‑C.. Mais attribuer Ur comme lieu de naissance à Abraham revenait à conférer un énorme prestige à l'ancêtre putatif de la nation.
Ur était renommé comme lieu de culture et le siège des plus anciens dieux sumériens qui trônaient sur les plus anciennes ziggourats de Sumer au début du IIIe millénaire av. J.‑C.. Ainsi le choix du lieu, comme origine d'Abraham, de la "Ur des Chaldéens" ( Gn 11:28.31) donnait aux Judéens à la fois distinction et ancienneté culturelle, considérant leurs voisins comme des peuples arriérés ayant émergé dans des régions sous-développées et dépourvues de culture. Alors que l'histoire d'Abraham est davantage centrée sur la région frontalière syro-turque autour de Harân.
Quand on étudie les généalogies des patriarches et celles des peuples issus de leurs amours, mariages et échanges familiaux, on découvre que l'ensemble dessine une carte humaine haute en couleur de l'ancien Proche-Orient; élaborée dans la perspective des royaumes d'Israël et de Juda au cours des VIIIe et VIIe siècles. Ces récits offrent un commentaire des affaires politiques du Proche-Orient aux époques Assyriennes et Néobabyloniennes. Ce qui permet de dater de cette période la plupart des termes ethniques et noms de lieux qui s'y accordent avec ce que l'on sait des relations que les peuples et royaumes voisins entretenaient avec Israël et Juda.
Commençons avec les Araméens qui apparaissent vers 1100 av. JC. Ils interviennent dans les mariages de Jacob avec Léa et Rachel, et de sa relation avec son oncle et beau-père Laban. Ils commencent à jouer un rôle important au IXe av. JC sur les frontières nord et est du royaume d'Israël, époque où se constituent plusieurs royaumes araméens dans l'espace syrien. Parmi ceux-ci, le royaume d'Aram-Damas était tantôt l'allié d'Israël, tantôt son rival, pour le contrôle des riches terres agricoles qui s'étendaient de la haute vallée du Jourdain à la Galilée. D'un côté, Israël et Aram-Damas se querellaient fréquemment, de l'autre, une partie des territoires du nord d'Israël étaient peuplés d'Araméens.
C'est ainsi qu'en Deut.26:5, Jacob est décrit comme "un araméen nomade". La façon de présenter la relation entre les hébreux et leurs cousins araméens est révélatrice d'une origine commune. Le récit de la tension opposant Jacob et Laban, et de la pose d'une borne à l'est du Jourdain pour délimiter la frontière entre les deux peuples ( Gn 31:51-54), symbolise la partition territoriale entre Aram-Damas et Israël aux IXe et VIIIe siècles av. J.‑C..
Les contacts entre les deux royaumes hébreux et les royaumes d'Ammon et de Moab étaient souvent hostiles; du reste, Israël exerçait sa domination sur Moab au début du IXe siècle. Cela explique pourquoi ces turbulents voisins étaient présentés sous des traits peu flatteurs. En Gn 19:30-38, on y apprend que ces peuples sont nés d'une union incestueuse. Après que Dieu eut rasé Sodome et Gomorrhe, Loth et ses deux filles ont trouvé refuge dans une grotte sur les hauteurs. Les deux filles de Loth, isolées et désirant ardemment des enfants, servirent à boire à leur père. Abusant de son ivresse, elles couchèrent avec lui et, de cette liaison incestueuse, naquirent deux fils : Ammon et Moab. Aucun judéen du VIIe siècle, regardant au-delà de la Mer Morte, n'aurait pu retenir une moue méprisante à l'idée que ces peuplades descendaient d'ancêtres aussi douteux.
Les récits des frères Jacob et Esaü nous proposent une version encore plus claire des rivalités du VIIe siècle qui naîtront de la couche d'Isaac et Rebecca. Dieu déclare à Rebecca : "il y a deux nations en ton sein...l'aîné servira le cadet" ( Gn 25:23). Esaü est l'aîné et Jacob le cadet. C'est ainsi que les deux frères, pères et d'Edom et d'Israël, utilisent la parole de Dieu pour légitimer le relation politique entre les deux nations durant la période monarchique tardive. Jacob-Israël est un être sensible et délicat, tandis qu'Esaü-Edom est un chasseur primitif, un véritable rustre.
Il se trouve qu'Edom n'est parvenu au stade d'entité politique que tardivement. Selon les sources Assyriennes, Edom ne possédait ni roi ni État avant le fin du VIIIe siècle av. J.‑C. et ne se révélera un concurrent sérieux de Juda qu'à partir des débuts du commerce lucratif entrepris par les arabes. La première vague de sédentarisation et l'érection des forteresses débute à la fin du VIIIe siècle, pour culminer au cours des deux siècles suivants. Avant cela, la région n'était que sporadiquement peuplée. Les fouilles de Bosra, capitale d'Edom ont démontré que la bourgade n'est devenue une grande cité qu'à la période assyrienne du VIIe siècle.
C'est ainsi que les récits de Jacob et d'Esaü sont habilement introduits sous la forme de légendes archaïques pour refléter les rivalités de la royauté tardive. Pendant la période assyrienne, le lucratif commerce des épices et de l'encens du Yémen jusqu'aux ports de la Méditerranée, à travers le Hedjaz et le long des limites méridionales de Juda, jouait un rôle déterminant dans l'économie de la région.
Pour Juda, la présence de nombre de gens d'origine nomade était cruciale pour un commerce international de cette ampleur. Les généalogies mentionnées dans les récits patriarcaux offrent un éventail précis des peuplades des déserts méridionaux et orientaux à l'époque de la royauté tardive; elles expliquent par des métaphores des relations familiales, leur rôle dans l'histoire de Juda.
Ismaêl, en particulier, est présenté comme l'ancêtre des tribus arabes qui peuplaient les franges méridionales de Juda. Son portrait n'est guère flatteur :" c'est un âne sauvage" ( Gn 16:12) Parmi les descendants d'Ismaêl figurent les Qédarites (25:12-16). Leur nom apparait dans les sources assyriennes de la fin du VIIIe siècle, puis plus souvent sous le règne d'Assurbanipal au VIIe siècle. Le nom d'un autre fils d'Ismaêl, Tema, est à rapprocher de celui de Tayma, une oasis caravanière du nord-ouest de l'Arabie et mentionnée dans les inscriptions assyriennes et babyloniennes des VIIIe au VIe siècles.
Il est donc permis d'en déduire que ces généalogies furent rédigées et introduites à la même époque. Les récits des patriarches contiennent d'autres toponymes en relation avec les étendues désertiques, en particulier Kadesh mentionné en Gn 14:7, se réfère vraisemblablement à Kadesh-Barnéa, une oasis du sud qui jour un rôle important dans l'Exode. On l'associe à Ein el-Qudeirat au nord-est du Sinaï; un site dont la période d'occupation se situe à la fin du VIIe siècle.
La Genèse fait preuve d'une familiarité incontestable avec les noms de lieux de l'Assyrie en relation avec le Tigre ( Akk : Idiglat ; Hb : Hiddékel). Le verset 10 du chap. 10 comportent les noms de Babel et d'Akkad au pays de Shinéar, ainsi que ceux de Kakah et Ninive qui furent successivement capitales royales de l'Assyrie. La cité d'Harân joue un rôle primordial dans l'histoire patriarcale. Le site qui s'appelle aujourd'hui Eski-Harrân ( Harrân-le-vieux ) se situe dans le sud de la Turquie, proche de la frontière syrienne. La cité prospéra pendant la période néoassyrienne ( 911-609). Les textes assyriens mentionnent des cités proches d'Harân dont les noms ressemblent à ceux de Térah, de Nahor et de Sérug, lesquels d'après Gn 11:22-26, furent les aïeux d'Abraham et sans doute les ancêtres éponymes de ces villes.
Selon le bibliste allemand Martin Noth, les évènements qui relatent l'émergence des Hébreux, ne formaient pas une seule et unique épopée. D'après sa théorie, les traditions des tribus indépendantes furent fusionnées pour former un récit cohérent, destiné à unifier politiquement une population hébreue dispersée et hétérogène. D'après lui, les lieux géographiques de chaque cycle d'histoires offrent l'indication de l'endroit où a eu lieu la composition du récit. Les errances d'Abraham se situent entre Sichem au nord et au sud d'Hébron pour le royaume de Juda. De son côté, Isaac serait associé aux étendues du sud de Juda, centré sur la région de Beershéba. En revanche, les activités de Jacob se déroulent dans le nord du royaume d'Israêl et en Transjordanie. Noth suggère donc qu'à l'origine les patriarches étaient des ancêtres régionaux séparés, et réunis ultérieurement au sein d'une généalogie unique en vue de la création d'une histoire unifiée.
Il est évident que le choix d'Abraham, en relation étroite avec Hébron, première capitale du royaume de Juda, et avec Jérusalem ( Salem en Gn 14:18 ?), répondait à un souci de souligner la primauté de Juda dès les débuts de l'histoire des Hébreux. Jusqu'au VIIIe siècle av. J.‑C., Juda était un royaume isolé, à la population clairsemée. En étendue en prospérité et en puissance militaire, il ne supportait pas la comparaison avec Israël, le royaume du nord. L'alphabétisation y était quasi-nulle, il faut rappeler que l'alphabet hébreu archaïque - l'hébreu rond - emprunté à un alphabet phénicien, n'apparait qu'au VIIIe siècle, et sa capitale Jérusalem n'était qu'une modeste bourgade de montagne.
À la suite de l'anéantissement du royaume d'Israël par l'Assyrie en ~ 722, la population de Juda crût considérablement par l'afflux des réfugiés; le royaume se dota d'une administration efficace et parvint au statut d'un authentique État. Dirigée par la dynastie davidique, Jérusalem se targuait de posséder le Temple de Salomon consacré à YHWH. C'est pourquoi avec les rois Ezéchias et Josias, Juda acquit un sens aigu de sa propre importance et de sa destinée divine manifeste. Juda considérait sa survie comme le signe évident que Dieu l'avait prédestiné, depuis l'époque lointaine des patriarches, à régner sur l'ensemble des Hébreux.
Unique survivant de la royauté unifiée, Juda se considérait comme l'héritier en titre de l'ensemble des terres et des populations qui avaient survécu aux destructions commises par les Assyriens. Cette nouvelle vision du monde devait être relayée par un puissant message transmis aux judéens et aux communautés israélites dispersées dans l'empire Assyrien. De là naquit l'idée panisraélite centrée autour de Juda.
C'est pourquoi le récit offre une ascendance commune à tout le peuple israélite, en le faisant remonter au plus judéen des patriarches : Abraham. Même si les récits gravitent autour de Juda, ils n'en honorent pas moins les traditions du nord. Un passage dépeint Abraham construisant des autels dédiés à YHWH à Sichem et près de Béthel (12:7-8), qui étaient les deux centres cultuels importants du royaume du nord, ainsi qu'à Hébron (13:18), le plus grand centre judéen après Jérusalem. Ainsi Abraham cimente les deux traditions méridionale et septentrionale, jetant un pont entre le nord et le sud. Ce qui témoigne clairement de l'ambition judéenne de démontrer que, même les lieux que l'idolâtrie des souverains du nord a souillés, étaient à l'origine des lieux consacrés par les patriarches du sud. Il est possible que les récits soient fondés sur d'anciennes traditions locales. Cependant, ils ont été réaménagés pour étayer les espoirs judéens du VIIe siècle av. J.‑C.. Rien ne pouvait souligner plus fortement la supériorité de Huda sur les autres tribus que la bénédiction finale de Jacob à ses fils sur son lit de mort (49:8-10).
Le récit, dans lequel Juda joue un rôle central, insiste sur le fait que les hébreux venaient d'ailleurs, qu'ils ne faisaient pas partie des peuples de Canaan, fusionne les traditions du nord et du sud, tout en insistant sur la supériorité de Juda. Dans les fragments de version "E" que l'on suppose avoir été compilés dans le royaume du Nord, antérieurement à sa destruction en 722 av. JC, la tribu de Juda ne joue pratiquement aucun rôle. Mais à la fin du VIIIe, Juda était tout ce qui restait de la nation Hébreue. Nous devons considérer la version "J" du récit comme une reformulation littéraire de l'unité fondamentale des israélites, plutôt que comme un compte-rendu exact et documenté sur les détails de la vie de personnages historiques qui auraient vécu un millénaire et demi avant la rédaction du récit.
Ces récits avec les peuples connus et les ennemis menaçants du présent sont les mêmes qui environnaient les campements et les pâturages d'Abraham et de ses enfants, proches d'un mode de vie d'une large partie des judéens; furent amalgamés ensemble à partir de fragments d'antiques coutumes et légende sur la naissance de différents peuples et d'inquiétudes suscitées par les conflits contemporains. Ces multiples épisodes combinés ensemble témoignent de la diversité des sources et des traditions qui donnèrent naissance au texte, mais aussi de la diversité des judéens et israélites qu'il cherchait à atteindre. Si les récits des patriarches gravitent essentiellement autour de Juda et furent composés au VIIe siècle, donc peu de temps avant la composition de l'histoire deutéronomiste, aucun n'exprime des idées proches du Deutéronome, comme la notion d'un culte centralisé à Jérusalem.
Ils vont jusqu'à faire les louanges des lieux de culte du nord comme Béthel et Sichem ainsi que l'érection d'autels dans de nombreux endroits autres que Jérusalem. Il faut voir là une tentative de présenter la tradition patriarcale comme une sorte de préhistoire pieuse antérieure à Jérusalem, au Temple, à la monarchie, témoin d'une époque les pères de la nation, bien que strictement monothéistes, n'en bénéficiaient pas moins du droit divin d'offrir des sacrifices en divers lieux.
L'existence des patriarches décrite sous les traits de pasteurs nomades était destinée à conférer un statut de très haute antiquité à la description de ce stade de formation d'une société qui n'avait que récemment développé une conscience nationale clairement définie. Alors que l'histoire deutéronomiste décrit des évènements plus récents et insiste sur l'idée panisraélite, sur la protection divine dont bénéficie la lignée de David et sur la centralité du culte du Temple de Jérusalem.
Le génie des rédacteurs du VIIe siècle, créateurs de cette épopée nationale réside dans l'habileté avec laquelle ils ont tissé les récits antérieurs sans les priver de leurs originalités distinctives. Les trois patriarches sont à la fois des êtres vivants et les ancêtres d'Israël. Les douze fils de Jacob ont été introduits dans le texte comme des frères cadets qui viennent compléter la généalogie.
Tout l'art de récit est de nous présenter les fils des patriarches comme les membres d'une seule et même famille. Le pouvoir d'évocation de la légende les a réunis pour l'éternité bien mieux que n'aurait pu le faire le récit d'aventures fabuleuses de quelques individus historiques qui menaient paître leurs troupeaux sur les hautes terres de Canaan. De fait, la Genèse comme le Pentateuque est une réécriture de l'histoire nationale des hébreux largement fictive dont le but est éminemment politique : démontrer par l'écrit, sous le masque de YHWH, les ambitions territoriales du roi Josias de Juda.
L'Énéide de Virgile ou la Franciade de Ronsart en fournissent deux bons exemples, où l'on a fait croire aux Français du XVIe au XVIIIe siècle, qu'ils étaient les descendants des Troyens.La Genèse dans la tradition juive
Bien que paradoxalement pauvre en contenu légalistique pour un Livre de lois et prescriptions, le Sefer Bereshit se trouve au centre de la conscience historique et politique israélite et juive.
Un Sage du nom de Rabbi Itz'hak résume parfaitement cette idée lorsqu'il enseigne que, n'eût été la nécessité de raconter à Son peuple le récit de Ses œuvres afin qu'ils héritent de l'héritage des nations, la Torah n'aurait pas dû commencer par le Sefer Bereshit (commentaire de Rachi sur Gen. 1:1).
Selon le comput de Maïmonide (l'une des plus grandes autorités rabbiniques du Haut Moyen Âge) et le Sefer Hahinoukh, qui s'en inspire,
- la première prescription, "fructifier et se multiplier" Gen 1:28, s'adresse à l'ensemble de l'humanité.
- la seconde, la circoncision Gen. 17:10, s'adresse à l'ensemble des fils d'Abraham.
- la troisième, ne pas manger le nerf sciatique Gen. 32:33, s'adresse aux seuls enfants de Jacob.
Les prophètes, notamment Osée, font constamment référence aux récits qui y sont relatés, et Jérémie utilise volontiers le langage de ses premiers versets (tohu-bohu, ténèbres sans lumières, etc.) pour décrire le désastre représenté par la destruction du Premier Temple.
Le premier chapitre détermine la journée des Hébreux, correspondant au reste davantage à un cycle lunaire que solaire : le jour commence au soir (erev, c'est-à-dire, selon le rabbin et exégète Avraham ibn Ezra, le moment où les choses se mélangent, yit'arbou cf. "la nuit, tous les chats sont gris").
Enfin, les descendants des deux grands protagonistes de l'histoire de Joseph et ses frères, à savoir Joseph et Juda, s'illustreront dans l'épisode des explorateurs (Livre des Nombres), les seuls dressant un rapport encourageant de la terre d'Israël étant Josué fils de Noun (descendant de Joseph) et Caleb ben Yefouné (descendant de Juda). C'est également de cette histoire qu'est issu le concept des deux Messies, le Messie fils de David (descendant de Juda) et le Messie fils de Joseph.
Le Sefer Bereshit est également largement abordé dans la Mishna et le Talmud : le cinquième chapitre du Traité des Pères y est en grande partie consacré, traitant des "Dix paroles par lesquelles Dieu a créé le monde", des "dix créations au crépuscule du sixième jour", des "dix épreuves d'Abraham", etc.
Le second chapitre du traité 'Haguiga est également consacré aux secrets de l'Acte de la Création (Ma'assè Bereshit), lequel avec l'Acte du Chariot (Ma'assè HaMerkava - le "Chariot" étant le Chariot Céleste décrit par Ézéchiel) forme le noyau d'une tradition ésotérique ne pouvant être transmise que dans un certain secret, la Kabbale.
Les premiers chapitres seront également débattus au cours des siècles durant, à la base de l'éthique et de la morale juive. les philosophes tenteront de les concilier (ou les différencier) de l'hypothèse aristotélicienne de la Cause Première et du Premier Moteur. Moïse Maïmonide consacrera à ce sujet trente chapitres de son Guide des Égarés -- son interprétation, bien que marquant profondément la pensée juive ultérieure, sera âprement débattue au long de la littérature rabbinique.
La Genèse dans la tradition chrétienne
Le Nouveau Testament contient nombre d'allusions et citations directes à la Genèse, ces références semblant lui assigner un auteur. Celui-ci n'est pas explicitement nommé, mais les Livres de la Loi étant en quelques endroits (Marc 12:19, 26; Luc 24:27) attribués à Moïse, on présume parfois qu'il en est de même.
L'auteur de l'évangile selon Jean utilise un langage similaire à celui du premier chapitre de Genèse, lorsqu'il personnifie le Verbe divin comme Logos éternel (grec : λογος "raison", "verbe", "langage"), qui est l'origine de toutes choses "avec Dieu", et "était Dieu" et "est devenu chair et a résidé parmi nous". Beaucoup de chrétiens interprètent ceci comme un exemple d'enseignements apostoliques de la doctrine de la Trinité et le caractère divin de Jésus; à l'origine, c'est en effet en s'appuyant sur le témoignage de Jean que les chrétiens assignent une personnalité au verbe créateur de Dieu, et identifient cette personnalité avec Jésus (Hébreux 1:2,3, Colossiens 1:16,17 sont d'autres sources bibliques pour ces croyances).
Outre ces références à Genèse dans le Nouveau Testament, les théologiens chrétiens (depuis les premiers Pères de l'Église jusqu'aux écrivains actuels) n'ont cessé d'interpréter et débattre des histoires et images de ce Livre, utilisant une myriade de méthodes et perspectives théologiques. En fait, l'interprétation des trois premiers chapitres de la Genèse demeure un sujet de hauts débats parmi les chrétiens de nos jours.
Dans son encyclique Humani generis[4], Pie XII rappelait des points importants :
- (...) Il en est qui, dans le domaine de l'histoire, négligent audacieusement les limites et les précautions que l'Église établit. Et en particulier, il Nous faut déplorer une manière vraiment trop libre d'interpréter les livres historiques de l'Ancien Testament, dont les tenants invoquent à tort, pour se justifier, la lettre récente de la Commission Pontificale biblique à l'Archevêque de Paris, Cette lettre, en effet, avertit clairement que les onze premiers chapitres de la Genèse, quoiqu'ils ne répondent pas exactement aux règles de la composition historique, telles que les ont suivies les grands historiens grecs et latins et que les suivent les savants d'aujourd'hui, appartient néanmoins au genre historique en un sens vrai, que des exégètes devront étudier encore et déterminer: cette Lettre dit encore que les mêmes chapitres, dans le style simple et figuré, bien approprié à l'état des esprits d'un peuple peu cultivé, rapportent les vérités essentielles sur lesquelles repose la poursuite de notre salut éternel, ainsi qu'une description populaire de l'origine du genre humain et du peuple élu. Si par ailleurs, les anciens hagiographes (écrivains sacrés) ont puisé quelque chose dans les narrations populaires (ce qu'on peut assurément concéder), on ne doit jamais oublier qu'ils l'ont fait sous l'inspiration divine qui les a préservés de toute erreur dans le choix et l'appréciation de ces documents.
- Mais tout ce qui a été emprunté aux narrations populaires et accueilli dans les Saintes Lettres ne peut absolument pas être équiparé aux mythologies ou aux fables du même genre, qui procèdent bien plutôt de l'imagination dénuée de tout frein que de ce remarquable souci de vérité et de simplicité qui éclate dans les Saintes Lettres, même de l'Ancien Testament, à ce point que nos hagiographes (écrivains sacrés) doivent être proclamés nettement supérieurs aux écrivains profanes de l'antiquité.
La Genèse dans les études académiques
Démarrant véritablement avec Spinoza, l'"étude du texte par le texte", autrement dit l'exégèse critique, doute de l'attribution de la Genèse au seul Moïse. Commençant par relever des post-mosaïca, elle finit par estimer que le Livre de la Genèse n'est pas l'œuvre d'un seul auteur, mais une mise par écrit de plusieurs traditions orales prédatant Moïse, remaniées et modifiées au cours du temps, peut-être même totalement distinctes et artificiellement fusionnées dans le but d'obtenir une cohésion nationale autour d'"une" histoire commune.
La théorie documentaire classique du XIXe siècle distingue trois couches d'écriture, qu'elle a intitulées :
- la narration yahviste : Dieu, toujours nommé YHWH, crée l'Homme à son image, mais l'Homme se révèle faible et manque à ses devoirs. Il s'ensuit alors une succession d'Alliances et de ruptures d'Alliance entre Dieu et les hommes, jusqu'à l'apparition des patriarches.
- la narration élohiste : écrite probablement durant des heures difficiles en Israël, le ton en est plus austère, moins optimiste ; on insiste davantage sur le devoir d'obéissance de l'Homme. C'est le terme elohim qui désigne Dieu dans cette narration.
- la narration sacerdotale : écrite probablement durant l'exil à Babylone, il s'agit de donner au texte une dimension religieuse plus dogmatique en insistant sur le sens de l'Alliance.
La théorie documentaire moderne du XXe siècle ne distingue plus que deux couches :
- la couche sacerdotale, surnommée P, qui reprend à quelques nuances près cette catégorie de la théorie classique.
- la couche non-sacerdotale, surnommée non-P. On considère aujourd'hui qu'il n'est pas possible de déterminer clairement une séparation entre le Yahwiste et l'Elohiste.
Cette théorie considère que dans la majeure partie des cas, les auteurs sacerdotaux relisent, commentent et augmentent le texte non-P.
Aujourd'hui, bon nombre des études académiques sur la Bible et la religion en général sont menées dans les Facultés de Théologie, indifféremment par des croyants ou par des non-croyants (agnostiques ou athées).
Thématiques
- Dieu a créé le monde, appelant toutes choses et tous êtres à l'existence par Sa Parole. Le verbe est créateur. Il convient de souligner les qualités littéraires des premiers chapitres de la Genèse. La répétition pour chaque jour de la création du même cycle : "Dieu dit… Dieu vit que cela était bon." donne à ce texte une véritable dimension poétique.
- L'univers lorsqu'il fut créé était, selon le jugement de Dieu, bon. Genèse exprime une satisfaction optimiste et un plaisir dans le monde.
- Dieu est personnel, bien que les termes anthropomorphiques et anthropopathiques le décrivant soient généralement perçus comme allégoriques. Dieu peut apparaître et parler à l'humanité.
- Le Livre de la Genèse ne donne pas de définition philosophiquement rigoureuse de Dieu. La description qu'elle donne de Lui est au contraire située dans une perspective "pratique" et "historique", c'est-à-dire en référence à Ses actions dans le monde et l'humanité.
- L'humanité est la "couronne" de la Création, et a été faite à "l'image de Dieu". Comme tous les récits créationnistes, la Genèse montre que l'homme se perçoit différent des autres êtres vivants. Les animaux, les plantes ont été créés par la parole. Mais l'homme est créé à partir de poussière et du souffle divin. La singularité de l'homme vient de ce souffle divin que Dieu a mis en lui. C'est ce souffle qui lui permet de penser, d'avoir une conscience morale.[réf. nécessaire]
- Tous les peuples descendent d'Adam et Ève ; l'espèce humaine est précisément une et une seule race.
- La terre possède pour l'homme une certaine grandeur morale ; en la respectant, l'homme doit respecter les créatures qui y vivent, en ne les exploitant pas pour des besoins égoïstes.
- Dieu est présenté comme étant le seul créateur de la nature, la transcendant tout en Se trouvant au sein d'elle.
- Certains historiens pensent que ce monothéisme serait plus récent que le zoroastrianisme, interprétant le commandement "n'aie pas d'autres dieux par devant Moi" comme une trace de l'hénothéisme primitif de la société israélite. Néanmoins, Genèse décrit le monothéisme comme la foi originelle, le polythéisme n'étant qu'une erreur ultérieure de l'humanité.
- Dieu réalise une alliance éternelle et irrévocable avec l'humanité dans son ensemble au temps de Noé, et une deuxième avec Abraham et ses descendants, par son fils Isaac, grâce à laquelle leurs descendants seront choisis pour avoir une destinée spéciale.
- Le peuple israélite est élu pour être dans une alliance spéciale avec Dieu ; Dieu dit à Abraham "Je ferai de toi une grande nation, et Je te bénirai et rendrai ton nom grand ; et tu seras une source de bénédictions pour les peuples. Je bénirai ceux qui te bénissent et maudirai ceux qui te maudissent ; et par toi, toutes les familles de la Terre seront bénies". Dieu répète souvent la promesse que les descendants d'Abraham seront nombreux comme les étoiles dans le ciel et le sable sur le rivage.
Les thèmes de la Genèse étaient retrouvés dans tout le Moyen-Orient, notamment en Mésopotamie, où l'on trouve des récits antérieurs à la rédaction de la Genèse et travaillant sur les mêmes thèmes (Création de l'Homme par le dieu Mardouk avec de l'argile ; création de la femme à partir d'une côte de l'homme - un jeu de mots sumérien, car « côte » et « vie » sont homonymes dans cette langue -- ils ne le sont cependant pas en hébreu, "côte" est à prendre au sens de "côté", homme et femme furent créés "côte à côte", c'est-à-dire indifférenciés, jusqu'à ce que Dieu les sépare); aventures du héros Gilgamesh avec la narration d'un déluge ; construction des tours babyloniennes…).
Toutefois, si une opinion veut que les auteurs de la Genèse aient repris ces thèmes en leur donnant un nouveau sens religieux, ils pourraient être une variante de thèmes communs, preuve qu'ils émergent d'un seul et même récit régional.
Récit fondamental pour les trois grands monothéismes avec la figure d'Abraham, il est souvent au cœur de controverses parmi lesquelles :
- le créationnisme,
- la nature du couple,
- Les premiers interdits sociaux,
- Le projet de Dieu.
Sources : TOB Traduction œcuménique de la Bible
Évocations dans l'art
- fresque des Beni Hassan : caravane sémite entrant en Égypte et accueil par les fonctionnaires égyptiens[5]
- fabrication de briques (tombeau à Thèbes) Gen 11.3 [6]
La Genèse est évoquée dans plusieurs cathédrales :
- Cathédrale de Chartres : portail nord
- Cathédrale Saint-Étienne d'Auxerre : verrière, Création et péché originel (baie 21)
- Cathédrale de Cahors : frise du massif occidental
Notes et références
- בראשית, ([Bərêšîth]). Il est d'usage dans le judaïsme d'intituler les parashiot et les livres selon leurs premiers mots significatifs.
- [1] Davis A. Young, "The Contemporary Relevance of Augustine's View of Creation", in Perspectives on Science and Christian Faith, March 1988, vol.40.1,42-45,
- [2] Gerhard F. Hasel, "The 'days' of Creation in Genesis 1 : Literal "days" or figurative "periods/epochs" of time?", inOrigins, 1994, vol. 21(1), 5-38,
- http://www.vatican.va/holy_father/pius_xii/encyclicals/documents/hf_p-xii_enc_12081950_humani-generis_fr.html
- ISBN 2-227-35104-7) p. 34 Histoire d'Israël et de Juda, François Castel, le Centurion DAB, 1983 (
- ISBN 2-227-35104-7) p. 42 Histoire d'Israël et de Juda, François Castel, le Centurion DAB, 1983 (
Références bibliographiques
>> ************************************************** (1) Claude Wainstain, Judéopostale, Biro éditeur, Paris, 2007 (2) Théophile Grol, Le 350e anniversaire de la naissance de Spinoza, Journal de l'AMIF, Paris, 1982 (3) Jean Bottéro, Naissance de Dieu, Gallimard, Paris, 2002
>> *****************************************************
- Origène, Homélies sur la Genèse. Introduction par Henri de Lubac, s.j. et Louis Doutreleau, s.j., Traduction et notes par Louis Doutreleau, s.j., éditions du Cerf, première édition en 1944, réédition en 2003. 448 pages.
- Walter Brueggemann, Genesis: Interpretation: A Bible Commentary for Teaching and Preaching. Atlanta: John Knox Press, 1982. (commentaire chrétien autoritatif et accessible.)
- Terrence E. Fretheim, "The Book of Genesis", in The New Interpreter's Bible. Volume 1. Nashville: Abingdon Press, 1994. (commentaire chrétien autoritatif.)
- Isaac M. Kikawada & Arthur Quinn, Before Abraham was – The Unity of Genesis 1-11. Nashville, Tenn, 1985. (une réponse à l'hypothèse documentaire.)
- Nehama Leibowitz, New Studies in Bereshit, Genesis. Jerusalem: Hemed Press, 1995. (un commentaire juif faisant un emploi extensif des sources traditionnelles.)
- Cardinal Joseph Ratzinger, In the Beginning. Edinburgh, 1995. (un point de vue catholique sur le récit de la Création et la Chute.)
- Jean-Marc Rouvière, Brèves méditations sur la création du monde. L'Harmattan Paris, 2006.
- Nahum M. Sarna, Understanding Genesis. New York: Schocken Press, 1966. (une perspective juive, axée davantage sur une perspective historique que traditionnelle.)
- Nahum M. Sarna, The JPS Torah Commentary: Genesis. Philadelphia: Jewish Publication Society, 1989. (commentaire juif autoritatif.)
- E. A. Speiser, Genesis, The Anchor Bible. Volume 1. Garden City, New York: Doubleday & Company, 1964. (traduction avec notes savantes et philologiques d'un orientaliste réputé, pour le profane comme l'initié.)
- Bruce Vawter, On Genesis: A New Reading. Garden City, New York: Doubleday & Co., 1977. (Une introduction à Genèse par un érudit catholique spécialisé dans le domaine.)
- Avivah Gottlieb Zornberg, The Beginning of Desire: Reflections on Genesis. New York: Doubleday, 1995. (commentaire juif érudit basé sur les sources traditionnelles.)
- Henri Blocher (1988), Révélation des origines Presses bibliques universitaires, Lausanne.
- "Pour commenter la Genèse" Emmanuel, Payot 1971
- Didier Luciani, Dina (Gn 34). Sexe, mensonges et idéaux, Éditions Safran, Bruxelles, 2009, (ISBN 978-2-87457-023-0) [4]
Voir aussi
Liens internes
- Tanakh
- Torah
- sections de lecture hebdomadaires du Sefer Bereshit: Bereishit, Noa'h, Lekh Lekha, Vayera, Hayye Sarah, Toledot, Vayetze, Vayishla'h, Vayeshev, Miketz, Vayigash, Vaye'hi
- Enûma Elish
- Études bibliques
- Récit originel
- Cosmogonie
- Divinités grecques primordiales, genèses de la mythologie grecque.
- Cosmologie religieuse
Liens externes
- Version hébraïque : Texte original suivant la version massorétique avec traductions en français de la Bible du Rabbinat et en anglais de la Jewish Publication Society
- traductions chrétiennes :
- La Genèse, livre universel de fondations par Pierre Gibert, Jésuite. Professeur aux facultés catholiques de Lyon.
- (fr) Bible
- (fr) Ancien Testament et judaïsme Etude du contexte historique et de l'évolution de la spiritualité hébraïque de l'Ancien Testament.
- Genèse sur Wikisource (Version anglaise – Bible du roi Jacques)
- Article « Admettons un instant que Darwin se soit trompé... Que dit la Bible à propos de la Genèse ? », aux pages 18 à 25 du magazine Allez savoir ! (N°43) de l'Université de Lausanne
- L’ordre de la Création : parallèle entre mythes et sciences
- mythes et sciences:La date de la création
Place de Genèse dans les traditions abrahamiques
- Article sur le livre de la Genèse (Jewish Encyclopedia)
- The Jewish History Resource Center Projet du centre Dinur pour la recherche en histoire juive, Université hébraïque de Jérusalem
- BiblicalStudies.org.uk Bibliographie étendue, articles et livres en ligne.
- Le Livre de la Genèse selon les gnostiques
- Un plan détaillé des descendants d'Adam, selon le Livre de la Genèse
- Yom Echad: Hypertext Genesis 1:1
- Le roman de Joseph, ou le fondement d'Israël par Yves Maris.
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