Franc-Maçonnerie En Roumanie

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Franc-maçonnerie en Roumanie

Sommaire

Histoire ancienne

Selon les historiens de la maçonnerie Radu Comănescu, Marcel Schapira et Jacques Pierre, la majorité des révolutionnaires et des fondateurs de la Roumanie (Vasile Alecsandri, Nicolae Bălcescu, Tudor Vladimirescu, Mihail Kogălniceanu) dont son premier souverain Alexandru Ioan Cuza, ainsi qu'un grand nombre d'universitaires, de scientifiques et d'artistes du XIX-ème siècle, étaient Franc-Maçons. Anecdotiquement, depuis 1848 il existait au centre de Bucarest une "Rue des Franc-Maçons" qui garda ce nom jusqu'en mars 1938 (actuelle rue Mircea Vulcănescu). Les Franc-Maçons étaient si nombreux, qu'ils étaient familièrement appelés "farmazons" en roumain populaire, et un dicton affirmait que tout dirigeant roumain "commence étudiant, passe farmazon, devient professeur, savant ou ministre, et finit piétiné et couvert de crachats en tant que boulevard" : en effet, de nombreux boulevards des centre-villes portent les noms de Franc-Maçons célèbres[1].

Débuts

Selon Radu Comănescu[2], la Balade du maître-maçon Manole atteste de l’existence d’une corporation des bâtisseurs d’églises au Moyen-Âge sur le territoire de l'actuelle Roumanie. Le sacrifice consenti par le bâtisseur pour la sauvegarde des secrets la construction, est un mythe très ancien que Mircea Eliade avait déjà relié aux mythes fondateurs de la franc-maçonnerie.

Selon Steliu Lambru, Mariana Tudose, Alex Diaconescu et Marcel Schapira, au XVIII-ème siècle, Constantinople et Paris étaient les deux capitales où les voïvodes, les boyards et la bourgeoisie roumaine envoyaient leurs jeunes étudier. D'autres faisaient venir à eux des précepteurs français, italiens ou anglais. Les professeurs et percepteurs de ces jeunes étaient parfois des Franc-Maçons. Les principautés de Valachie et de Moldavie, vassales de l'Empire ottoman mais autonomes, étaient un terrain favorable à la Franc-Maçonnerie, étant déjà sous l'influence de l'esprit des Lumières depuis le XVIème siècle : des princes (Alexandru Lăpuşneanu, Radu Şerban, Şerban Cantacuzène et Antioh Cantemir) et des lettrés (Ioan Piuariu-Molnar) y avaient fondé des académies (în 1561 à Cotnari en Moldavie, en 1603 à Târgovişte et en 1688 à Bucarest en Valachie, en 1707 à Jassy en Moldavie et en 1795 à Alba Iulia en Transylvanie)[3].

Le Supplex libellus valachorum
Les étudiants roumains de Paris présentent leur tricolore au gouvernement provisoire de 1848, portant la devise „ΛІБЕРТАТЕ DРЕПТАТЕ ФРЪЦІЕ” = Liberté, Égalité, Fraternité. Aquarelle de C. Petrescu
Le premier souverain de la Roumanie unie, Alexandre Ioan Cuza, portrait de 1865
Mihail Ştefănescu dit Melchisedec (1823-1892) historien, académicien, évêque orthodoxe et franc-maçon
Fichier:AlexPaleologue.jpg
Alexandre Paléologue en 2003

Les princes Constantin Brâncoveanu et Dimitrie Cantemir accomplissent des réformes juridiques et fiscales dans un sens plus équitable, et en 1741, le hospodar Constantin Mavrocordato instaure en Valachie une Constitution ("Marele Hrisov"), avant d'abolir le servage en 1746-49 en Valachie et en Moldavie, où il règne successivement. Le "Marele Hrisov" a été publié in extenso dans le "Mercure de France" de juillet 1742. En 1780, la "Pravilniceasca Condică", code de lois rédigé par le hospodar Alexandre Ypsilantis (ancêtre d'un autre Ypsilantis célèbre en 1821) instaure la notion de citoyenneté. Ainsi, les Principautés dites "danubiennes" étaient dotées de Constitutions, pourvues de facultés et libérées du servage près d'un siècle avant les grands Empires absolutistes voisins[4].

Les auteurs anglo-saxons ne reconnaissent pas l'ancienneté de la Franc-Maçonnerie dans les pays roumains[5], mais les historiens de la maçonnerie Radu Comănescu, Marcel Schapira, Jacques Pierre et D.G.R. Şerbănescu[1] écrivent que la maçonnerie arrive en Moldavie vers 1734, donc assez rapidement, vu que la Grande Loge a été fondée à Londres en 1717. Dans ce pays, les premières structures maçonniques ont été créées grâce au prince Constantin Mavrocordato et surtout à Antonio Maria del Chiaro, le secrétaire italien du prince valaque Constantin Brancovan, et d'autres princes phanariotes. C’est del Chiaro qui a fondé la maçonnerie roumaine. On ne sait pas si le souverain réformateur Constantin Mavrocordato a lui-même été initié. La seconde loge apparaît en 1749 parmi les Saxons de Transylvanie, à Braşov, la troisième en 1767 parmi ceux de Sibiu. En Valachie, la première loge a été fondée par un français, Jean-Louis Carra, secrétaire du prince Grigore III Ghica, en 1769[6].

Selon Radu Comănescu, des roumains ont également été initiés en Transylvanie, car en 1784, la révolution en Transylvanie a été idéologiquement structurée autour du Supplex libellus Valachorum, un corpus de revendications envoyé à l'empereur d'Autriche, Joseph II, très semblable à la Constitution américaine de 1783 et à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Le rédacteur de ce texte, Vasile Ursu Nicola dit Horea, employait de nombreuses expressions maçonniques.

La quatrième loge identifiée avec certitude apparaît en Bessarabie, à Chişinău, en 1820 : elle fut fondée par un médecin alsacien de l'armée napoléonienne nommé Schaller, et initia entre autres l'archimandrite orthodoxe Ephrem, qui fondera à son tour une cinquième loge, "Zorile" ("L'Aube" en roumain), à Silistra en Dobrogée et aussi une loge bulgare, "Spas" ("Le Salut" en bulgare) à Ruse en 1830. Précisons ici que jusqu'en 1937 l'église orthodoxe entretînt de bonnes relations avec la Franc-Maçonnerie, au point que le métropolite et académicien Mihail Ştefănescu (1823-1892, connu comme Frère Melchisedec, y fut initié.

En 1821, l'Hétairie dirigée par Alexandre Ypsilantis, descendant de l'hospodar à la "Pravilniceasca Condică", et Tudor Vladimirescu animent la révolution qui échouera en Roumanie, mais aboutira à l'indépendance grecque en 1839. În 1825, les frères Golescu ouvrent à Bucarest une sixième loge : la "Societatea filarmonică", qui initiera la moitié des politiques, des universitaires et des artistes de la ville. Mais la plus connue des loges roumaines sera la septième : Steaua Dunării (l'"Étoile du Danube"), créée à... Bruxelles en Belgique en 1850, par les "frères farmazons", qui s'y étaient réfugiés après l'échec de la révolution de 1848[7].

Développement

À ces "Vechi farmazoni" (anciens Franc-Maçons) s'ajoutent de nombreux étudiants roumains de Paris, initiés par les loges "Athénée des Étrangers" et "La Rose du Silence". Revenus au pays, ceux-ci y créeront de nombreuses sociétés d'abord secrètes, puis publiques, telles Junimea ("Jeunesse"), Unirea ("Union") ou Frăţia ("Fraternité") qui œuvrent pour la sécularisation de l'état, l'enseignement primaire gratuit, la libération des roms et l'unification de toutes les principautés et provinces roumaines. La sécularisation de l'état, la nationalisation des biens ecclésiastiques et la libération des roms interviendront en 1865 sous le règne d'Alexandru Ioan Cuza, et l'unification des différents pays roumains, commencée en 1859, s'achèvera grâce à la victoire de 1918[8].

Les loges se multiplient ensuite (certaines ont des ateliers dans plusieurs villes) et le nombre de Franc-Maçons était estimé à 23.000 (pour 18 millions d'habitants) en 1938. Ils furent acteurs des réformes qui eurent lieu entre 1918 et 1938 (agraire en 1921 avec partage des grands domaines latifundiaires, constitutionnelle avec passage au droit du sol et au vote des femmes en 1923 et administrative selon le modèle français en 1926). Le Patriarche orthodoxe lui-même, Miron Cristea, était franc-maçon (il fut régent pendant la minorité du roi Michel 1). Mais la montée des extrémismes, les attentats commis par la Garde de fer contre leurs temples, le danger d'être fichés et assassinés (il faut dire que si la Franc-maçonnerie est censée être discrète, elle l'était peu en Roumanie[9]) amenèrent le Grand-Maître Jean Pangal, en accord avec son ami et frère le roi Carol II, a décider la fermeture de toutes les loges en février 1938[10].

La clandestinité et la fin

Après 1938 et pendant la Deuxième guerre mondiale les Franc-Maçons roumains, devenus clandestins sous le régime fasciste du Pétain roumain Ion Antonescu, mais majoritaires dans la direction du Service maritime roumain, ont néanmoins œuvré de manière coordonnée : en collaboration avec l'association Aliyah dirigée par les Franc-Maçons Eugène Meissner et Samuel Leibovici, ils sauvèrent autant de juifs que possible en les convoyant de Constanţa à Istanbul ; le maire de Cernăuţi, Traian Popovici ; le pharmacien de Jassy: Beceanu (deux justes reconnus) et l'aviateur Bâzu Cantacuzino sauvèrent, eux aussi, de nombreuses vies, non seulement de juifs, mais aussi de pilotes Alliés abattus par la Flak. Les films "Un été inoubliable" de Lucian Pintilie et "Train de Vie" de Radu Mihăileanu évoquent de tels épisodes.

Autorisée à nouveau fin août 1944, mais menacée cette fois par les communistes, qui s'étaient emparés des listes établies par la Garde de fer et qui la considéraient comme une „organisation bourgeoise cosmopolite", la Franc-Maçonnerie roumaine s'unit, toutes obédiences confondues (les Réguliers et les Libéraux se reconnaissant mutuellement) en une „Francmasonerie unită a României" ("Franc-Maçonnerie unie de Roumanie"), dirigée par le général Pandele et l'académicien Mihail Sadoveanu. Malgré les tentatives de ceux-ci de se concilier les communistes, ces derniers interdisent la Franc-Maçonnerie en 1948, non sans avoir emprisonné un nombre important de frères et leurs familles. Mihail Sadoveanu échappe à ce sort en passant bruyamment au stalinisme et en manifestant ouvertement son mépris pour ses convictions précédentes, au moyen d'un manifeste à la gloire de Staline, titré Lumina vine dinspre Răsărit ("La Lumière vient de l'Orient"), diffusé dans tout le pays[11].

Histoire récente

Le réveil de la Franc-maçonnerie

Après la chute du dernier dictateur Nicolae Ceauşescu, d'anciens francs-maçons survivants du régime communiste se réunirent le 27 décembre 1989 à Bucarest dans l'ancien Temple de la rue Radu de la Afumaţi en invitant diverses personnalités à découvrir les secrets de la franc-maçonnerie.

En octobre 1990, à Paris, des exilés roumains constituent Marea Lojă Naţională a României (la "Grande Loge nationale de Roumanie"). Cette première Grande Loge est constituée de trois loges : Steaua Dunării ("Etoile du Danube"), România Unită ("Roumanie unie") et Solidaritatea ("Solidarité"). Alexandre Paléologue, alors ambassadeur de Roumanie à Paris, est élu Grand maître.

L'implantation des obédiences étrangères

Très rapidement, les obédiences d'Europe occidentale contribuent à la relance de la maçonnerie en Roumanie.

  • Le 25 mai 1991, la loge Humanitas du Grand Orient de Roumanie est ré-allumée à Bucarest par le Grand Orient de France. Il en sera de même le 12 janvier 1994 pour celle des "Sages d'Héliopolis".
  • En février 1991, la loge Concordia est établie à Bucarest par la Grande Loge unie d'Angleterre, par l'intermédiaire du Grand Orient d'Italie (assistée de la Grande loge nationale française et de la Grande Loge d’Autriche). Dès 1992, deux autres loges sont créées permettant, le 24 janvier 1993 la constitution de la Grande loge nationale de Roumanie (Marea Lojă Naţională din România).

Unions et divisions

Des dissensions apparaissent vite, et 13 loges régulières créent un District Transilvania. En mars 1996, avec quelques loges d’obédience française, le District Transilvania constitue la "Grande loge unie de Roumanie".

En 1997, les deux Suprêmes Conseils se réunissent.

En juillet 2000, la Grande loge unie de Roumanie et la Grande loge nationale en Roumanie tentent une union.

En 2003, La Grande Loge Nationale de Roumanie et la Grande Loge Nationale de la Roumanie se fédèrent au sein de la Confederaţia Marilor Loji din România de Rit Scoţian Antic şi Acceptat ("Confédération des Grandes Loges de Roumanie du REAA").

Actuellement

Aujourd’hui, sur le territoire roumain fonctionnent sept groupements maçonniques :

  • La Grande loge nationale de Roumanie (Marea Lojă Naţională a României)[12].
  • La Grande loge nationale en Roumanie (Marea Lojă Naţională din România).
  • La Grande loge de Roumanie (Marea Lojă a României).
  • La Grande loge nationale unie en Roumanie (Marea Lojă Naţională Unită din România).
  • La Grande loge féminine de Roumanie (Marea Lojă Feminină a României).
  • Le Grand Orient de Roumanie (Marele Orient al Romaniei).
  • Le Droit Humain en Roumanie (Dreptul Uman din România).

On estime aujourd'hui (2009) le nombre de Francs-Maçons en Roumanie à environ 8500, dont 7000 réguliers et 1500 libéraux[13].

Selon l'historien de la maçonnerie Radu Comănescu, l’hymne actuel de la Roumanie, Réveille-toi, Roumain, qui date du XIXème siècle, est une production littéraire dominée par les idées maçonniques.

Liens externes

Notes et références

  1. a  et b Daniel Ligou, Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie, P.U.F., Paris 1991, article "Roumanie" ; D.G.R. Şerbănescu, La Franc-Maçonnerie en Roumanie, éd. "lettres M", Paris 1950 et article RRI [1]
  2. Article sur RRI
  3. Andrei Oţetea, Istoria lumii în Date, Ed. Enciclopedică, Bucarest, 1969
  4. Andrei Oţetea, Istoria lumii în Date, Ed. Enciclopedică, Bucarest, 1969
  5. Dans la littérature historique anglo-saxonne, ainsi que chez certains historiens français tels Carol Iancu, un point de vue assez répandu fait de la Roumanie un pays fasciste et antisémite dont la Garde de fer serait un phénomène beaucoup plus représentatif que la Franc-maçonnerie et le progressisme (mais on pourrait tenir le même discours à propos de la France de Gobineau, Maurras, Drieu La Rochelle, Alexis Carrel, Gustave Thibon, du Front National...) ; d'autres auteurs récusent de point de vue, tels Catherine Durandin Histoire des Roumains, Fayard, 1995, ou Lilly Marcou, Le roi trahi, Carol II de Roumanie, Pygmalion, 2002
  6. Les premiers jours de la Franc-Maçonnerie en Roumanie [www.scribd.com/doc/9645675/The-Early-Days-of-Freemasonry-in-Romania - 82k]
  7. André Combes, Encyclopédie de la Franc’Maçonnerie, Le Livre de Poche, 2000
  8. Abel Douay et Gérard Hetrault, Napoléon III et la Roumanie : influence de la franc-maçonnerie. Nouveau Monde Éditions, 2009
  9. André Combes : « Bénéficiant d’un recrutement relativement aisé, les loges roumaines ouvrent des écoles. Ainsi, à Bucarest, dans les années 1880, la loge "Les Sages d’Héliopolis" (fondée en 1863) ouvre une bibliothèque, une école des arts et métiers, donne des conférences scientifiques, publie une revue grâce aux dons et aux revenus de représentations théâtrales. En une seule année, elle assure des consultations gratuites et remet 456 livres à des enfants d’écoles publiques ou privées ».
  10. Paul Naudon, Histoire générale de la franc-maçonnerie, Presses Universitaires de France, 1981 (ISBN 2-13-037281-3) et Stan Stoica (coordinateur), Dicţionar de Istorie a României, p. 153-155, Bucarest, Ed. Merona, 2007.
  11. Stan Stoica (coordinateur), Dicţionar de Istorie a României, p. 153-155, Bucarest, Ed. Merona, 2007.
  12. reconnue [2], le 8 mars 2008 par la Grande Loge unie d'Angleterre.
  13. Source : MLNR & MOAR

Voir aussi

Articles connexes

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