Pensée sociale de l'Église

Pensée sociale de l'Église

Doctrine sociale de l'Église

La doctrine sociale de l'Église est la position de l'Église catholique romaine en matière sociale. On considère que le texte fondateur est l'encyclique Rerum Novarum (Des choses nouvelles) du pape Léon XIII en 1891.

Sommaire

Contexte

Née progressivement au XIXe et XXe siècle en réaction aux problèmes causés par la révolution industrielle sur le plan social et en réaction à la montée des socialismes, cette doctrine a fait l'objet d'une trentaine d'encycliques dont la plus connu fut Rerum Novarum[1]. Elle fera l'objet d'une relecture, confirmation, mise à jour et développement avec Centesimus Annus, sous le pontificat de Jean-Paul II, 100 ans après sa publication.

Analyse

La doctrine sociale de l'Église s'articule autour de trois grandes lignes.

  • La propriété privée : elle est condition et garantie de la liberté personnelle. A contrario le libéralisme concentre celle-ci entre les mains d'un petit nombre et le socialisme la concentre aux mains de l'Etat[1].
  • Le rôle essentiel des corps intermédiaires entre individu et État : familles, entreprises, métiers, professions, écoles, paroisses, associations. Anciennement appelés corporations, groupant par corps de métiers sans distinction de classes tous les membres d'un métier. Au contraire, le libéralisme tend à dissoudre les associations professionnelles pour ne laisser que l'intérêt général vidé de son sens organique [1]. Le Principe de subsidiarité et le principe de suppléance découlent directement de ce présuposé.
  • La société organique : elle est à l'image du corps humain comme modèle de société et elle se retrouve dans la plupart des encycliques, en particulier Rerum Novarum, où le Pape parle de l'homme inséré dans la création dont le Christ est la tête et chaque personne un membre. Dans un corps, chaque organe a sa fonction propre, différente des autres. Organes inégaux en puissance, en moyens, en attributions, en taille... ils sont complémentaires et se fondent dans un tout organique[2]. Il en résulte un principe d'union des classes trouvant son origine dans la doctrine de l'« Amour du prochain ». La solidarité ne serait qu'un nom laïcisé de la charité chrétienne qui, avant d'être une nécessité économico-sociale ou un facteur politique est un impératif moral. Cette solidarité s'exprime d'abord au sein des corps intermédiaires puis s'étend au reste de la société, élément de doctrine rappelé dans Centesimus Annus, l'une des encycliques sociales de Jean-Paul II[1].

Les principes élaborés par la doctrine sociale de l'Église

Celle ci s'appuie sur 10 Principes fondamentaux[3]. [Reste à trouver les sources dans Les encycliques sociales et à expliciter les chapitres]

La dignité de la personne humaine

"l'homme est la seule créature voulue pour elle-même" (Jean-Paul II)

Le respect de la vie humaine

« Aussi l'ordre social et son progrès doivent-ils toujours tourner au bien des personnes, puisque l'ordre des choses doit être subordonné à l'ordre des personnes et non l'inverse ». Le respect de la dignité humaine ne peut en aucune façon ne pas tenir compte de ce principe : il faut « que chacun considère son prochain, sans aucune exception, comme “un autre lui-même”, [qu'il] tienne compte avant tout de son existence et des moyens qui lui sont nécessaires pour vivre dignement ». Il faut que tous les programmes sociaux, scientifiques et culturels, soient guidés par la conscience de la primauté de chaque être humain.(Compendium de la Doctrine sociale de l'Église N° 132)

La société organique

Selon Benjamin Guillemaind, la vision de la société dite organique est dans la doctrine sociale de l'Église à l'image du corps humain[4]. C'est pourquoi l'Église défend une organisation corporative de la société[5].

Le principe d'association

Le principe de participation

Le principe de l'option préférentielle pour les pauvres et les personnes vulnérables

Voir l'article option préférentielle pour les pauvres

Le principe de solidarité

La solidarité est une « vertu humaine et chrétienne » (encyclique Sollicitudo Rei Socialis, n°41-42). Voir aussi : Matth. 25, 31-46 : chacun sera jugé selon la manière dont il a vécu cette solidarité entre les hommes. Il en résulte un principe d'union des classes, trouvant son origine dans la doctrine de l'"amour du prochain". Cette solidarité peut être vue comme un autre nom laïcisé de la charité chrétienne[1]..

Le principe de gérance

Le principe de subsidiarité

"Le mot subsidiarité n'est pas un beau mot. ... La subsidiarité est l'idée centrale du concept fédéraliste; c'est un élément clé pour apprendre; elle est nécessaire au changement véritable, indispensable au travail d'équipe, tout comme à la moindre tentative de rendre les individus responsables. Toutefois, c'est également un mot troublant car il n'a rien à voir avec les subsides." "Jacques Delors offrit un jour un prix pour la meilleure définition de ce mot. Il n'aurait pas dû en faire une telle affaire, lui fit-on rapidement remarquer : sur le plan politique, le dixième amendement de la Constitution américaine, qui donne la définition des droits des États, est fondé sur le concept de subsidiarité, sans que le mot lui-même soit employé. Bien avant, l'Église Catholique, en empruntant cette idée à la théorie politique, en a fait une expression et l'a érigée en principe moral. L'expression fut reprise dans l'encyclique Quadragesimo Anno en 1941 : "une organisation de rang élevé et de taille importante commet une injustice, une faute grave et perturbe l'ordre établi lorsqu'elle s'arroge des fonctions qui pourraient être exécutées efficacement par des organes plus petits et de rang inférieur." Ce sont des mots puissants. En termes plus simples : c'est mal de voler aux individus leurs responsabilités. On pourrait aussi définir la subsidiarité comme une délégation inversée, une délégation confiée par les parties au centre. ..." "... La subsidiarité dépend de la confiance mutuelle." "... Il ne faut pas confondre la subsidiarité avec la délégation. ... La délégation suppose que quelqu'un de haut placé cède une partie de son pouvoir. Par contre, la subsidiarité implique qu'au départ, le pouvoir appartienne en propre à ceux qui sont plus bas ou plus loin." voir Bibliographie : Le Temps des Paradoxes, Charles Handy, Editions Village Mondial, 1995

Ce principe signifie qu'il est « impossible de promouvoir la dignité de la personne si ce n'est en prenant soin de la famille, des groupes, des associations, des réalités territoriales locales, bref de toutes les expressions associatives de type économique, social, culturel, sportif, récréatif, professionnel, politique, auxquelles les personnes donnent spontanément vie et qui rendent possible leur croissance sociale effective. » (Catéchisme de l'Église Catholique, 1882)

Parmi ses différentes implications, ce principe « impose à l'État de s'abstenir de tout ce qui restreindrait, de fait, l'espace vital des cellules mineures et essentielles de la société. Leur initiative, leur liberté et leur responsabilité ne doivent pas être supplantées. »

« À l'application du principe de subsidiarité correspondent : le respect et la promotion effective de la primauté de la personne et de la famille ; la mise en valeur des associations et des organisations intermédiaires, dans leurs choix fondamentaux et dans tous ceux qui ne peuvent pas être délégués ou assumés par d'autres. »

Dans certaines « situations où il est nécessaire que l'État stimule l'économie, à cause de l'impossibilité pour la société civile d'assumer cette initiative de façon autonome ; que l'on pense aussi aux réalités de grave déséquilibre et d'injustice sociale où seule l'intervention publique peut créer des conditions de plus grande égalité, de justice et de paix. À la lumière du principe de subsidiarité, cependant, cette suppléance institutionnelle ne doit pas se prolonger ni s'étendre au- delà du strict nécessaire, à partir du moment où elle ne trouve sa justification que dans le caractère d'exception de la situation.» (Compendium de la doctrine sociale de l'Église, N. 185-188).

Dans un autre cadre, mais probablement inspiré de la doctrine sociale de l'église, le principe de subsidiarité guide les processus décisionnels de l'Union européenne depuis le traité UE (1992).

Dans la pratique, la personne est intégrée dans différents corps constitués organiques s'articulant de manière subsidiaire selon le principe de laisser le maximum de libertés et d'initiatives aux personnes et aux corps intermédiaires organisés qui les intègrent dans les organes de la vie sociale[6]. Les corps supérieurs n'ont qu'une fonction d'aide et de suppléance.

Le principe de l’égalité humaine

Le principe du bien commun

Le bien commun est l'« ensemble des conditions sociales qui permettent et favorisent dans les être humains le développement intégral de la personne » (Jean XXIII). Voir aussi l'encyclique Pacem in Terris (n° 53).

Le principe de la destination universelle des biens

Dans la tradition chretienne, la première origine de tout bien est l'acte de Dieu lui-même qui a créé la terre et l'homme, et qui a donné la terre à l'homme pour qu'il la maîtrise par son travail et jouisse de ses fruits. Dieu a donné la terre à tout le genre humain pour qu'elle fasse vivre tous ses membres, sans exclure ni privilégier personne. C'est l'origine de la destination universelle des biens de la terre.

Le principe de la destination universelle des biens appelle une économie inspirée des valeurs morales qui ne perde jamais de vue ni l'origine, ni la finalité de ces biens, de façon à réaliser un monde juste et solidaire, où la formation de la richesse puisse revêtir une fonction positive (Compendium de la Doctrine sociale de l'Église N° 171-184).

Destination universelle des biens et propriété privée

Parce que la propriété privée « assure à chacun une zone indispensable d'autonomie personnelle et familiale ; il faut la regarder comme un prolongement de la liberté humaine. Enfin, en stimulant l'exercice de la responsabilité, ils constituent l'une des conditions des libertés civiles ». La doctrine sociale exige que la propriété des biens soit équitablement accessible à tous (Encyclique Centesimus annus, 6 : 800-801).

La tradition chrétienne n'a jamais reconnu le droit à la propriété privée comme absolu ni intouchable : « Au contraire, elle l'a toujours entendu dans le contexte plus vaste du droit commun de tous à utiliser les biens de la création entière : le droit à la propriété privée est subordonné à celui de l'usage commun, à la destination universelle des biens » (encyclique Laborem exercens, n° 14. Voir aussi : CEC n°2444-2448). L'église considère que ce principe ne s'oppose pas au droit de propriété, mais indique la nécessité de le réglementer.

Les préoccupations sociales de l'Église

Dès les premiers temps du christianisme, l'amour du prochain a été considéré comme l'un des principaux messages de l'évangile et de la Bible. C'est ainsi que la charité est considérée comme l'une des trois vertus théologales (voir à ce propos l'encyclique Deus Caritas est).

Un des plus grands représentants de l'action sociale chrétienne est sans doute saint Vincent de Paul : après avoir aidé dès son plus jeune âge les plus démunis, il fonda les Lazaristes en 1625, puis l'ordre des Filles de la Charité en 1634.

Renouveau de la pensée sociale contemporaine

Origines du renouveau

La pensée moderne de l'Église trouve son origine dans la période de grands changements économiques et sociaux qui a accompagné la Révolution industrielle. Le bouleversement des méthodes de production, la disparition des trois ordres de l'Ancien Régime et l'émergence de nouvelles classes sociales (bourgeoisie, ouvriers) avec l'opposition capital / travail, ont fait prendre conscience d'un fossé grandissant entre les ouvriers et les classes dirigeantes.

Félicité Robert de Lamennais a été un initiateur de la pensée sociale moderne de l'Église [réf. nécessaire]. Il eut des contacts avec les réformateurs sociaux dans les années 1820 mais, sans se compromettre avec les idéologies naissantes, perçut l'urgence d'une rénovation.

L'un des premiers à avoir pris conscience des injustices sociales fut aussi Frédéric Ozanam, qui vécut de près la révolte des Canuts à Lyon en 1831. Après une altercation avec un saint-simonien, il abandonna les études d'Histoire et fonda avec quelques amis la Société saint Vincent de Paul, encore très active aujourd'hui.

Philippe Buchez, un moment tenté par le socialisme de Saint-Simon, s'en écarta rapidement.

En Allemagne, ce fut l'évêque de Mayence, Monseigneur Ketteler, qui fut le principal initiateur du renouveau social de l'Église dans ce pays.

C'est précisément les œuvres de Mgr Ketteler qui permirent à Albert de Mun de découvrir cette pensée sociale, lors de sa captivité en Allemagne. Il fonda les cercles catholiques ouvriers (1871), fut l'inspirateur de la plupart des textes de loi sociaux de la IIIe République, et participa à l'élaboration de l'encyclique Rerum Novarum du pape Léon XIII (1891).

Armand de Melun, Frédéric Le Play, et Marc Sangnier sont d'autres figures du catholicisme social.

Il faut aussi mentionner que l'origine des premiers mouvements ouvriers en 1887 vient d'initiatives chrétiennes, qui ont abouti à la création officielle en France en 1919 d'une confédération syndicale ouvrière, la (Confédération Française des Travailleurs Chrétiens). La CFTC est un syndicat chrétien.

En même temps qu'une partie de l'Église catholique s'est ralliée à la République en France, elle a renouvelé sa vocation sociale dans la deuxième moitié du XIXe siècle.

Les Semaines sociales de France sont une manifestation annuelle qui rassemble les catholiques dans le cadre de ce renouveau social depuis 1904.

Renouveau actuel, encyclique Caritas in Veritate

La doctrine sociale de l'Église a été revue par le pape Benoît XVI, avec l'encyclique Caritas in Veritate de juillet 2009. Cette encyclique se caractérise par une attention nouvelle aux questions économiques, sociales et environnementales, dans le contexte de la mondialisation et de la crise financière de 2008.

Ainsi, le respect de l'environnement figure désormais dans les préoccupations des papes exprimées par les encycliques (des textes de Jean-Paul II exprimaient déjà cette préoccupation).

Le pape parle ainsi de "développement humain intégral" pour désigner la prise en compte de préoccupations sociétales (sociales et environnementales) dans le développement économique. Le langage commun parle également de développement durable pour désigner cette notion.

Il est à noter également que la Pénitencerie apostolique a manifesté en mars 2008 le souhait de revoir la liste des péchés capitaux, afin de prendre en compte la dimension sociale des péchés modernes.

Les textes de la doctrine sociale

Les écrits du Saint-Siège

La doctrine sociale de l'Église comporte, outre l'encyclique Rerum Novarum (1891), un ensemble de textes, en particulier les mises à jour de Rerum novarum qui ont eu lieu à plusieurs anniversaires décennaux, ainsi que d'autres textes de l'Église :

La conférence des évêques de France (CEF)

  • Pour une pratique chrétienne de la politique, Conférence des évêques de France (1972).
  • Attention... pauvretés, Commission sociale des évêques de France (1984).
  • Face au chômage, changer le travail, Commission sociale des évêques de France (1993).
  • L'écart social n'est pas une fatalité, Commission sociale des évêques de France (1996).
  • Repères dans une économie mondialisée, Commission sociale des évêques de France (2005).

L'engagement social de l'Église

La pensée sociale de l'Église a compté pour beaucoup dans la création de nombreux mouvements d'action sociale et œuvres chrétiennes, parmi lesquels on peut citer[7] :

Notes

  1. a , b , c , d  et e ID magazine, N°6, été 2006, Doctrine sociale de l'Église : qu'en est-il exactement ?, par Pierre Heuvelman
  2. Benjamin Guillemaind, Libéralisme-socialisme-Deux frères ennemis face à la doctrine sociale de l'Église, Pierre Téqui éditeur, 2001, p.16
  3. CF Compendium de la doctrine sociale de l'église
  4. « Cette image du corps humain, comme modèle de la société, se retrouve dans la plupart des encycliques. Ce n'est pas par hasard que la plus grande des encycliques sociales est celle sur le corps mystique du Christ, où le pape parle de l'homme inséré dans la création dont le Christ est la tête et chaque personne un membre. Dans un corps chaque organe a sa fonction propre, différente des autres. Organes inégaux en puissance, en moyens, en attributions, en taille... Ils sont complémentaires et se fondent dans un tout organique. Au plan spirituel l'Église constitue le corps mystique du Christ. » Benjamin Guillemaind, Libéralisme-socialisme-Deux frères ennemis face à la doctrine sociale de l'Église, Pirre Téqui éditeur, 2001, page 16
  5. ID magazine, N°6, été 2006, Doctrine sociale de l'Église : qu'en est-il exactement ?, par Pierre Heuvelman
  6. Benjamin Guillemaind, Libéralisme-socialisme-Deux frères ennemis face à la doctrine sociale de l'Église, Pierre Téqui éditeur, 2001, page 211
  7. Une liste plus complète est disponible sur le site de l'encyclopédie catholique en ligne WikiKto

Voir aussi

Bibliographie

  • Compendium de la Doctrine sociale de l'Église. Jean-Charles Descubes, Renato Raffaele Martino, Angelo Sodano. Conseil Pontifical Justice et Paix. Cerf. ISBN 2-204-07887-5
  • Catholicisme, les aspects sociaux du dogme, Henri de Lubac, Cerf, 1938
  • Repères dans une économie mondialisée. Commission sociale des évêques de France. Préface par Mgr Jean-Charles Descubes. Bayard/Cerf/Fleurus-Mame. Février 2005. ISBN 2-204-07905-7 (chez Cerf)
  • Le développement moderne des activités financières au regard des exigences éthiques du christianisme, Antoine de Salins - François Villeroy de Galhau, 1994, pp. 56 ISBN 88-209-1972-9
  • Les silences de la doctrine sociale de l'Église, père Jean-Yves Calvez, sj, éditions de l'Atelier, 1999
  • Le Centenaire de « Rerum novarum », Jean-Paul II, éd. du Cerf, 1991
  • Benjamin Guillemaind, Libéralisme-socialisme-Deux frères ennemis face à la doctrine sociale de l'Église, Pierre Téqui éditeur, 2001
  • ID magazine, N° 6, été 2006, Doctrine sociale de l'Église : qu'en est-il exactement ?, par Pierre Heuvelman.
  • Nouvelles de Synergies européennes, N° 17, janvier 1996, p. 21, 22, 23, Entre autorité et libertés : le principe de subsidiarité, par Stéphane Gaudin.
  • Le Temps des Paradoxes, Charles Handy, Editions Village Mondial, 1995

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